Lerith Il y a 3 mois et 2 semaines
Lerith Il y a 3 mois et 2 semaines



                    Encore une explosion à l'orée de la jungle. il s'en était fallu de peu que les humains venus des terres de glace ne s'infiltrent profondément dans la forêt cette fois. Ulia pouvait se targuer d'être la seule assez courageuse pour s'aventurer aussi près de ces intrus sans se faire voir, heureusement sa sœur Shamti veillait sur elle, qu'elle ne se montre pas trop téméraire. Ce soir-là, c'était de la témérité. Un groupe de résistants de Dalmasca avaient trouvé refuge à l'ombre de Golmorre depuis quelques mois, et l'Empire tentait encore de les débusquer. Régulièrement ils envoyaient des unités dont aucun ne revenait.

"Ils n'ont toujours pas compris." Cracha Ulia avec dédain, voyant ce qu'il restait des soldats impériaux après que le Gardien de cette partie de la forêt les ai trouvé en premier. Quelques casques et des morceaux d'armures, pas un cadavre, encore moins un quelconque morceau de leurs armes.
"Restes prudente Ulia, même nous, nous ne sommes pas à l'abri de la colère du Gardien s'il nous voyait ici.
- Il laisse pourtant les humains entrer. Tseh !
- Ne sois pas irrespectueuse. Ces rebelles sont sous notre protection, du moment qu'ils ne franchissent pas la frontière qui leur a été imposée."
Ulia leva les yeux au ciel. Elle comprenait la sagesse de ses sœurs plus âgées mais plus encore que ses semblables, elle n'aimait pas voir ces gens dans les bois, trop proches d'elles. Elle avait hâte que leur fichue guerre se termine, qu'ils rentrent tous chez eux, qu'ils les laissent enfin tranquilles.
"Il n'y a plus rien à voir ici, s'impatientait Shamti. Viens, on rentre."

Ulia allait acquiescer mais au moment de se retourner, ses sens perçurent autre chose dans les environs. Elle balaya du regard la forêt silencieuse et s'arrêta sur une lueur entre les arbres. C'était une lumière chaude et vacillante, comme celle d'un feu de camp.
"Tsch. Qu'est ce que je te disais. On peut pas leur faire confiance !"
Ulia empoigna son bâton avant de s'élancer dans sa direction, suivie par sa sœur, persuadée d'y trouver quelques dalmasquiens "égarés" sur leur territoire défendu. Furieuse, elle s'apprêtait à leur faire mordre la poussière histoire qu'ils comprennent une fois pour toutes que les viéras ne plaisantent pas avec les lois de la Mère-Forêt.
Il y avait bien un feu de camp, mais pas un bruit. Quand elles arrivèrent sur place, et qu'elles observèrent depuis les hautes branches, elles ne virent qu'une silhouette allongée près des flammes, pieds nus, ses longues jambes dépassant de la couverture dans laquelle elle était enroulée. Téméraire toujours, Ulia s'approcha à pas de coeurl. Shamti s'arma de sa lance, méfiante, prête à couvrir sa sœur. En arrivant près de l'indésirable, elles eurent la surprise de constater que celle-ci n'avait pas bougé. Cette jeune fille était profondément endormie, le visage paisible baignant dans la lumière des flammes, ses deux oreilles tombant sur les feuilles. Cette viéra n'avait pas plus de quinze ans.
"C'est... une des nôtres ?"
Surprises, les deux guerrières baissèrent leur garde moins d'une seconde, jusqu'à ce qu'une troisième voix les fasse bondir sur leurs appuis et faire volte face, une voix masculine.

"Elle s'appelle Meleth."

L'homme était grand, et parlait d'une voix calme et profonde. Vêtu d'une longue robe et d'une coule à capuche dissimulant ses traits, il n'était certainement pas un viéra, ce qui renforça la méfiance des deux sœurs. Shamti s'emporta la première :
"Les humains n'ont rien à faire dans cette partie de la forêt, qui êtes-vous ?!
- Je ne suis pas un rebelle, mais je ne suis pas un ennemi non plus. Je viens rendre cette enfant à son peuple."

Ulia glissa un regard sur la jeune endormie, fronçant le nez. Elle avait la peau blanche, très blanche, contrairement à ses sœurs rava. C'en était presque surnaturel.
"Nous ne voulons pas d'étrangers ici, même de notre propre race !
- Pourtant je peux vous assurer qu'elle est née ici à Golmorre. Si vous en doutez, interrogez les arbres. Vous ne doutez pas de leur parole, n'est-ce pas ?"

Cet homme donnait l'impression d'en savoir beaucoup sur la forêt, sur le peuple viéra, et sur la situation actuelle, beaucoup trop à leurs yeux. Ulia resserra sa prise autour de son bâton et rejoignit sa soeur, certaine que l'enfant ne se réveillerait pas. Shamti paraissait concentrée, fixant l'individu tout en se focalisant sur autre chose. L'étranger ne bougeait pas, les mains levées en signe de paix, il recula de deux pas.
"Je veux seulement la ramener...
- A d'autres, vous autres ne faites jamais rien par altruisme, vous ne savez que détruire !"

Elle s'apprêtait à se mettre en garde, quand la voix de Shamti la coupa dans son élan :
"Il dit la vérité, Ulia. Je l'entends... Les Bois reconnaissent une de leurs filles."
Incrédule, Ulia tendit l'oreille à son tour et ferma les yeux. Pendant plusieurs minutes, plus rien ne bougea. On n'entendait que le vent entre les branches et les braises crépitantes à leurs pieds. L'homme attendit simplement qu'elles ouvrent les yeux avant de reculer à nouveau, les mains toujours levées. Les deux femmes baissèrent leurs armes, comme si subitement toute la tension était redescendue. Pourtant, leur regard demeura hostile. Shamti parla la première :
"Nous la ramèneront au village de Naatu, mais les Bois ne veulent pas de toi, déclara t-elle froidement. Tu dois partir, qui que tu sois."
Il n'émit aucune contestation et se contenta d'incliner la tête, reculant à nouveau d'un pas. Il avait presque totalement disparu dans la pénombre quand Ulia l'interpella une dernière fois.
"Tu dis qu'elle s'appelle Meleth. Tu la connais ?"
Il commença à se retourner, poussant un long soupir à la fois soulagé et triste.
"Je souhaite qu'elle vive. Prenez soin d'elle."
Sans véritable réponse, l'homme disparut en direction de l'orée de la jungle, ce qui n'engagea aucune poursuite. Les traces de son passages s’effaceraient vite.

Les années passèrent et la guerre s'enlisait. Dalmasca, royaume jadis prospère, était tombé sous le joug expansionniste de Garlemald. Si le peuple opposa une résistance farouche, il n'en résulta qu'une répression sanglante au moyen de la destruction pure et simple de la grande capitale de Rabanastre. Le pays tout entier s'était dépeuplé entre réfugiés, prisonniers et résistants en fuite. A l'Ouest, la jungle de Golmorre s'étendait du port de Valnain jusqu'au pied des montagnes du Skatay. Le peuple Rava Viera y vivait en autarcie depuis si longtemps qu'il avait toujours été considéré comme à part, bien qu'officiellement ce territoire fasse partie de Dalmasca.
L'Empire de Garlemald tenta à maintes reprises d'y étendre ses conquêtes mais la Mère-Forêt ne l'entendait pas de cette oreille. Contre une armée d'intrus, viéras et gardiens tinrent leurs frontières avec la rage de ceux qui n'ont rien à perdre car la Mère-Forêt est tout ; si elle brûle ils brûleront avec elle. Cela ne les rendit pas invincibles mais usa progressivement l'entrain de l'envahisseur. Pourquoi gaspiller autant de ressources pour une terre qui ne leur rapportait rien si ce n'est de vieilles ruines et des sauvages ?
Peu à peu les tentatives d'incursion diminuèrent excepté au Sud, aux abords de Valnain devenu une place forte de la IVème Légion mais Naatu était situé bien plus au nord sur la rive Est du fleuve. Plus aucun garlemaldais, et quasiment aucun étranger ne s'y aventura pendant près de douze ans.

Le paysage de la jungle resta le même, éternelle et impénétrable, mais pas ses habitants. Meleth grandit, parfaitement acceptée et intégrée auprès des sentinelles du fleuve. Les viéras ne font guère  cas des origines de leurs pairs du moment que la forêt les reconnait. Sa peau était si claire au milieu des Ravas au teint halé qu'on la pensait née d'une Veena quelque part dans le nord, où les grands arbres de Golmorre rencontrent les montagnes forestières du Skatay, c'est là que vivent leurs frères des montagnes. L'un ou l'une d'entre eux auraient très bien pu s'aventurer vers le sud sans crainte et y rencontrer un partenaire. Toutefois, le derme frais et laiteux de leur petite dernière leur paraissait toujours bien peu naturel. A cela s'ajoutait la mémoire défaillante de Meleth qui assurait n'avoir aucun souvenir de sa vie passée, pas même l'identité de cet étranger qui l'avait conduite jusqu'ici, seuls quelques impressions vagues, le son lointain d'une voix, et un livre sur la théorie des lignes ethérées dont la couverture de cuir dissimulait un dessin au crayon la représentant enfant. Quelque soient les remèdes des chamanes ou la méditation rien n'y faisait, ses souvenirs semblaient hors de portée, scellés dans un coin de son esprit.
Quand elle ne surveillait pas le fleuve, Meleth passait beaucoup de temps dans l'eau. Son lien avec cet élément ne faisait aucun doute et surpassait même les affinités fréquentes chez un peuple proche de la nature. Elle aimait tant danser près des cascades qu'elle fit le choix de se construire une petite cabane hors du hammeau malgré les dangers que cela implique. Aux inquiétudes de Shamti et Ulia, devenues ses proches amies, elle répondait qu'avec son tigre Grenat à ses côtés elle ne risquait rien.

Malgré ses problèmes de mémoire, elle était heureuse auprès des siens et cela aurait pu continuer sans que personne ne vienne troubler la paix de cette vie en autarcie, loin des guerres et de la folie que les viéras imputent aux autres humains. Pourtant, dans son refuge chaque soir, elle lisait et relisait le livre jusqu'à en connaître chaque mot, chaque page cornée à force d'être tournée. Quand elle dansait son esprit voyageait, très loin au-delà de la frontière, à la recherche d'une vie oubliée, de personnes qu'elle aurait pu aimer, et d'un destin toujours hors de portée.



L'eau claire et rafraichissante de la rivière avait le don d'apaiser le corps et l'esprit, surtout à la fin d'un après-midi de forte chaleur quand les vertes cimes de Golmorre se teintent des rayons d'or du soleil et que le ciel s'embrase. A force de plonger et replonger la tête, Meleth ne faisait plus trop attention à ce qui l'entoure. C'est à son familier, Grenat, qu'elle laissait le soin de surveiller les environs. L'énorme tigre ne dormait que d'un œil comme tout bon félin. Il ne cilla pas lorsque deux autres viéras vinrent s'asseoir sur la berge après avoir planté leurs armes dans la terre, toujours à portée de main.
Le tigre ouvrit un œil, Shamti et Ulia inclinèrent la tête pour le saluer. Cet animal était un jour apparu non loin de Naatu et Meleth s'en était rapidement fait un familier. Il n'en demeurait pas moins sauvage mais d'expérience, les viéras savent reconnaitre une bête qui a déjà connu le dressage. Sans doute avait-il accompagné un de leurs hommes puisqu'ils vivent tous en solitaire, à l'écart des hameaux. Ce n'était hélas pas chose rare, la mortalité est forte chez les Gardebois.
"Meleth ! Sors un peu la tête de l'eau veux-tu ?"
Une dizaine de secondes plus tard, la chevelure sombre aux reflets de nuit de Meleth émergea à quelques yalms de ses compagnes.
"Shamti, qu'est ce que vous faites ici ? demanda t-elle en passant ses mains sur son visage. Il fera nuit dans deux heures, vous devriez déjà être en route pour Naatu.
- C'est Mjarni qui nous envoie,
répondit Ulia d'un ton neutre. Elle espère encore que tu vas accepter de rentrer avec nous cette fois. Il y a un lit pour toi.
- Mjarni ne décide pas pour moi. Je suis très bien ici."

Le ton était brusquement devenu plus sec et les oreilles, déjà tombantes, de la sentinelle blonde s'affaissèrent un peu plus. Shamti soupira en se redressant.
"Meleth, tu ne peux pas demeurer ici éternellement. Tôt ou tard il faudra que tu reviennes."
Ce fut au tour de Meleth de soupirer, et pour toute réponse elle replongea la tête sous l'eau. Les deux sentinelles attendirent plus d'une minute sans la voir remonter. Sentant que la conversation était déjà terminée, Shamti se redressa et tira sa lance du sol avant d'ajouter :
"Tu ne pourras pas toujours agir à ta guise, tu le sais. Et il ne viendra pas te chercher."
Sous la surface, Meleth ramena ses genoux contre sa poitrine en les écoutant s'éloigner. Shamti disait vrai mais elle ne pouvait se résoudre à retourner vivre auprès de ses sœurs, elle le percevait comme une forme de résignation, l'acceptation que ses questions demeurent sans réponses. La patience pour les viéras est plus qu'une vertu, elle est naturelle. Leur longévité permet de relativiser sur de nombreux sujets qui poussent les autres peuples à précipiter leurs choix, pas toujours pour le mieux d'ailleurs, mais du haut de sa presque trentaine Meleth redoutait de voir passer toutes les années de sa longue vie à se sentir différente. Quelque part au fond de son esprit le désir de partir à la recherche de son passé la démangeait mais où irait-elle ? Une viéra seule dans la jungle, c'est la mort assurée si même les hommes ont peut de chances de survie une fois livrés à eux-mêmes. Elle restait là, un pied dehors mais jamais trop loin, incapable de faire le premier pas ou de prendre une décision.
"J'imagine que tôt ou tard je finirais par retourner au hameau" se disait-elle. "Ce n'est qu'une phase que je traverse, viendra le temps de la raison."
Et c'est juste quand elle remontait à la surface qu'un bruit assourdissant fit trembler la cime des arbres. Une fumée noire s'éleva depuis la rive Est pas très loin au nord de là où elle se trouvait, de nombreux oiseaux s'envolèrent. Le tigre s'était levé, les oreilles dressées et les griffes plantées dans le sol. Meleth bondit hors de l'eau et enfila ses vêtements sans attendre. Elle accrocha ses deux chakrams à sa ceinture et grimpa sur le dos de son familier.
"C'est à peine à quelques malms de la maison. Allons-y vite."



Perdus et encore un peu sonnés, une dizaine d'explorateurs étrangers s'étaient extirpés de l'appareil qui venait de se poser en catastrophe sous un promontoire rocheux juste à côté du fleuve. L'Aeronef, bien qu'endommagé, était parvenu à se poser sans encombre et déjà quelques pantins mécaniques s'affairaient à réparer les avaries sous le regard sévère d'un grand homme aux allures d'ours à la crinière hirsute tandis que le reste du groupe reprenait ses esprits un peu plus loin. Meleth laissa son tigre un peu plus loin et se posta discrètement entre les branches d'un arbre. L'oreille tendue, elle ne songeait pas à les espionner plus que le temps nécessaire pour découvrir qui ils étaient avant d'aller prévenir les sentinelles pour les chasser d'ici.
"Woah, vous avez vu où on est ?!" s'exclama une miqo'te.
Son enthousiasme piqua l'intérêt de la viéra toujours méfiante. Il n'y avait ni crainte, ni ambition conquérante dans ces yeux verts perçants qui scrutaient à travers la brousse.
"Romarique, venez voir !"
Un grand elezen sortit du groupe pour rejoindre un homme aux cheveux blancs accroupi sous une fougère, il lui montra quelque chose que Meleth ne pouvait voir mais leurs échange était si passionné qu'elle aurait aimé savoir ce qu'ils avaient pu découvrir si près d'elle. La curiosité remplaça bien vite le désir de les chasser à coups de piques et de flèches et au lieu de se dépêcher, elle s'attarda à les observer.
Ils n'étaient pas venus par hasard, c'est la première information qu'elle obtint, ils cherchaient quelque chose de précis qui ne se trouve qu'à Golmorre et justifiait leur présence : une plante ou plus exactement une racine. Les pousses de tréants noueux sont très toxiques, on le surnommait le venin végétal.

Alors c'est ça qu'ils sont venus chercher, du poison ?

Son aversion des étrangers remonta d'un coup mais en les écoutant elle commença à douter de leurs intentions. Tout en fouillant les environs à la recherche de tréants, leurs discussions évoquèrent les garlemaldais et la guerre. Leur pays aussi semblait être la proie de ces envahisseurs et ils résistaient tant bien que mal, tout juste avaient-ils libéré une ville nommée "Ala Mhigo" et sur le front, l'armée adverse n'hésitait pas à employer des armes terribles dont cette toxine. On les avait envoyé ici chercher un antidote. Ils espéraient le mettre au point à partir de la racine.
"Shamti dirait que cela ne nous regarde pas, songea Meleth. Ils n'ont rien à faire ici."
Néanmoins la sentinelle manqua à son devoir, prise dans un dilemme moral. Elle les accompagna sans qu'ils le sachent, jusqu'à ce qu'ils trouvent un troupeau de tréants paisiblement endormis dans une clairière. A Naatu on sait que ces créatures sont très nerveuses, un rien les fait paniquer, mais eux l'ignoraient bien qu'ils aient visiblement pris la peine de se renseigner sur leurs caractéristiques. Le premier détail qu'elle nota fut leur attention à ne pas massacrer bêtement leur cible pour en prélever le nécessaire. Ils se concertèrent et établirent un plan désignant les plus agiles d'entre eux pour s'approcher discrètement d'un tréant et en prélever quelques pousses. Audacieux, fallait-il le reconnaître, mais si Meleth avait pu leur parler elle leur aurait affirmé que cela relèverait du miracle tant leurs "proies" ont le sommeil léger. La miqo'te aux yeux vert se percha dans un arbre pas très loin d'elle. Elle crut d'abord qu'on l'avait repérée mais non, elle allait simplement faire le guet par prudence ; qui sait ce qui rôde la nuit dans une jungle hostile où même les habitants veulent votre tête s'ils vous voient. Elle ne pouvait que lui donner raison et se replia un peu plus dans la pénombre.
"Aller, on y va." Murmura l'un des elezens, celui à la peau noire d'encre. Le premier qui s'avança vers le troupeau à pas de loups parvint à se faufiler entre les tréants sans en éveiller un seul ce qui fit hausser un sourcil à Meleth. Les gens du déhors seraient aussi capables de se mouvoir dans les bois ? Elle ne savait rien d'eux finalement, si ce n'est qu'ils représenteraient un danger pour la Mère-Forêt.
Hélas, au moment où il se saisit d'une excroissance végétale pour le premier prélèvement, le tréant d'à côté ouvrit un œil et poussa un cri strident qui réveilla tous les autres. Sans même attendre de voir ce qui avait ainsi terrorisé l'un des leurs, la panique s'empara de toute la meute qui se mit à courir dans tous les sens, soulevant la poussière autour d'eux et piétinant tout ce qui se trouvait à portée y compris leurs semblables ! Les explorateurs pris par surprise firent un bond de côté et se mirent à appeler leur comparse emporté par la cohue.
"Dan !"
Meleth se surprit à le chercher elle aussi, ses yeux plissés guettant le moindre morceau de corps qui ne soit pas fait de bois. Elle finit par l'apercevoir cramponné au tronc de l'un des tréants, occupé à éviter les collisions tant bien que mal. Foutu pour foutu, le reste du groupe hausse les épaules et les plus courageux sautèrent à leur tour sur les arbres vivants.
"Mais ils sont fous !" s'exclama Meleth en son fort intérieur.
Ils prenaient des risques, certes, mais cette scène dégageait malgré tout quelque chose de comique. Au final ils étaient suffisamment débrouillards pour ne pas être blessé mais ils en bavaient à éviter les chocs dans ce rodéo improbable, tout en essayant d'arracher quelques pousses à leurs montures involontaires. Plus d'une chute fut comptée mais sitôt propulsés hors de la mêlée ils y retournaient sans la moindre hésitation. Secoués dans tous les sens, certains hurlaient tandis que d'autres pestaient, et du haut de son perchoir la guetteuse gloussait comme une dinde avachie sur sa branche. Meleth essaya tant bien que mal de rester sérieuse mais au bout d'un moment elle n'y tint plus et se mit à rire elle aussi. Les oreilles de la miqo'te se dressèrent d'un coup.
"Qui est là ?!"
Aussitôt Meleth se ressaisit.
"Mince !"
Prise sur le fait, elle choisit de battre en retraite mais la miqo'te l'avait vraiment repérée et la prit en chasse. Elle entendit les autres crier.
"Nazah où tu vas ?
- J'ai vu un truc !"

Entre les arbres, elle pensait la semer rapidement mais c'était sans compter sur l'agilité hors norme de sa poursuivante. Elle ne se retourna pas malgré ses appels, et à un moment elle eut peur de perdre du terrain tant cette voix était proche mais au bout d'un ou deux malms à travers la brousse, elle parvint à prendre de la distance jusqu'à disparaitre totalement dans la nuit. Nazah se stoppa net et réalisa que si elle s'enfonçait plus loin, non seulement elle avait peu de chances de la rattraper mais en plus elle risquait de se perdre. Un peu partout, on pouvait entendre les animaux nocturnes, dont les prédateurs qui s'éveillent. Il valait mieux faire demi-tour et c'est ce qu'elle fit non sans jeter un dernier coup d'œil dans sa direction.
"J'y crois pas, j'ai vu une viéra... J'ai vu une viéra !"



Elle sautillait presque de joie en retournant vers ses compagnons ce qui troubla d'autant plus Meleth qui s'était cachée un peu plus haut. Tentée de la suivre, elle se ravisa. Conscients de sa présence ils n'en seraient que plus vigilants. Le mieux semblait être de rester à distance jusqu'à ce qu'ils s'en aillent, maintenant qu'ils avaient leurs racines toxiques durement gagnées. Ils ne s'éterniseraient pas et retourneraient vite d'où ils viennent, elle serait tranquille.
"Oui mais une fois qu'ils auront trouvé un antidote, ils reviendront le chercher..." souffla t-elle en remontant sur le dos de son tigre. Elle hésitait, et laissa son compagnon la ramener vers sa cabane près de la cascade.
"Si je leur donne l'antidote, ils ne reviendront pas. De toute façon ils savent que je suis là... les laisser traîner dans le coin plus longtemps c'est prendre le risque qu'ils me trouvent."
Ce n'était pas tant l'idée de leur face qui l'inquiétait. Elle avait déjà approché des résistants, échangé quelques mots avec des étrangers sur le bord du fleuve, être vue ne présentait aucun problème alors pourquoi s'inquiétait-elle de devoir communiquer avec ces gens ? Peut-être est-ce parce qu'ils étaient différents, ce qu'on ne connait pas effraie, c'est un fait. Elle ne voulait pas être obligée de leur faire face, comme s'ils représentaient quelque chose de tabou, d'interdit, ils éveillaient en elle un sentiment nouveau... une tentation. Elle ne savait pas de quoi, mais elle refusait d'être tentée quoi que ce fut ; ils devaient partir et vite.

Arrivée chez elle, elle couvrit de lierre fenêtres et porte de sorte que sa petite cabane soit quasiment invisible entre les larges racines d'un arbre. Elle ouvrit sa malle et fouilla dans le nécessaire de soin qu'Ulia lui avait donné. Il y avait forcément un antidote au venin végétal là-dedans, c'est une blessure courante par ici vu le nombre de tréants noueux qui s'agitent au moindre bruit.
Elle ne put retenir un fou-rire en revoyant la bande de bras cassés cramponnés aux branches.
"Ah, voilà !"
Le pot en terre cuite était pratiquement vide, mais il restait une ou deux feuilles dans le fond, de couleur mauve aux bords dentelés et en forme d'étoile.
"Lierre pourpre, c'est ça !"
Encore une plante connue dans la région, pas si rare il suffit de chercher les bons arbres.
"Grenat, tu garde la maison !"
Sans attendre, la viéra s'empara d'un panier en osier avec une bandoulière de cuir et s'en fut d'un pas rapide vers les profondeurs de la jungle, en oubliant d'éteindre la lampe à l'intérieur de sa maison.

"Romarique, regarde !"
Nazah avait fait part de sa vision lorsqu'elle avait rejoint ses compagnons éreintés, prêts à rentrer au camp pour la nuit. Sa joie avait cependant réveillé Romarique qui, d'un coup, se sentait prêt à prendre tous les risques pour retrouver cette mystérieuse femme sauvage qui les observait. C'est ainsi qu'elezen et miqo'te s'étaient aventurés dans les bois bordant la rive du fleuve, dans l'espoir d'y trouver un sentier ou des traces de passage humanoïde, et dans l'obscurité grandissante ils aperçurent la faible lueur derrière la fenêtre d'une chaumière cachée sous les racines d'un grand arbre, au sommet d'une cascade, à moins de vingt minutes de leur campement.
"Tu penses qu'on devrait faire toc-toc ? Demanda la miqo'te, indécise quant à la réponse possible à toute forme de politesse civilisée. 
- Minute, tête de linotte. On ne sait pas qui vit ici. Et le gros chat couché près du rocher là, je le sens moyen."
Le duo passa de longues minutes à tergiverser, tantôt prêts à jouer d'audace et la seconde suivante noyés dans l'hésitation. Les heures défilant, ils finirent par s'endormir durant leur filature. Au petit matin, un bruissement fit remuer l'oreille de Nazah qui trouva en s'éveillant un sac en toile rempli de feuilles de lierre d'une teinte pourprée. L'accompagnait un petit mot écrit sur une feuille d'arbre roulée : 

Contre la toxine de malboro.


Tous deux échangèrent un sourire, et firent le choix de ne pas insister quand de toute évidence leur alliée invisible ne voulait pas se montrer. Mal reposés et frigorifiés, couverts de rosée, ils gagnèrent le camp qui fut levé moins d'un jour plus tard. Les intrus s'en allèrent et depuis la cime des arbres, Meleth observa leur appareil disparaitre dans les nuages. Elle pensait ne jamais les revoir. Dans son esprit se mêlèrent le sentiment confortable du devoir accompli ainsi qu'une pointe de tristesse. C'était son premier contact vraiment poussé avec des étrangers, autrement que pour venir en aide aux résistants en fuite. 
"Ce n'est qu'une phase, se dit-elle. J'imagine que ça finira par passer."
Mais c'était sans compter sur l'opiniâtreté d'une miqo'te et d'un elezen qui, tout aussi frustrés quelque part de n'avoir pu satisfaire leur curiosité, complotaient déjà auprès de leurs camarades dans l'idée de revenir un jour remercier comme il se doit celle qui venait de contribuer à sauver des dizaines de vies sur le front de Ghimlyt.

"Je me demande quel est son nom, pas toi ?"

Lerith Il y a 3 semaines et 6 jours


Deux saisons s'étaient écoulé depuis ce jour où elle avait aperçu pour la première fois l'aeronef au-dessus des arbres. Cela faisait plusieurs années qu'il ne venait plus de dalmasquiens qui remontaient le fleuve pour venir se cacher dans les bois. Avec les nouvelles du front sud et la mobilisation des Larmes de Lenté hors des frontières de Golmorre, le retour au calme n'était qu'apparent.
Si la présence d'étrangers dans la jungle continuait d'inquiéter les sentinelles, surtout depuis qu'on avait signaler une incursion du côté de l'ancien monastère d'Orbonne, une autre menace plus insidieuse commençait à poindre. D'anciennes puissances s'étaient éveillées dans la région, et ailleurs, sans explication et presque sans un bruit. Cette menace était remontée silencieusement des profondeurs de la terre, si doucement au fil des années que nul ne s'était réellement inquiété jusqu'à ce que le paysage soit devenu bien différent et qu'on ne puisse plus en accuser les intrus. Ulia se souciait désormais moins des derniers rebelles dalmasquiens présents sur le fleuve que des cris effrayants qui remontaient parfois de l'obscurité. Naatu s'était construit au-dessus d'un gouffre béant et noir dont les anciennes racontaient que jadis de sombres pouvoirs y furent bannis et que les viéras de ce hameau avaient pour tâche de garder. On disait qu'il ne faut pas s'attarder à contempler le vide, car on ne sait pas ce qui nous observe d'en bas et que nos yeux ne peuvent atteindre. Depuis quelques lunes, ces cris jadis si lointains qu'ils en étaient à peine audibles leur semblaient plus proches et de quelques uns en une décennie ils se faisaient plus fréquents mais toujours aussi aléatoires ; de quoi faire sursauter les jeunes et inquiéter la doyenne.

Bien qu'elle se soucie de la sécurité du village, Meleth se bornait à demeurer à part sur la rive du fleuve au prétexte de ne pas relâcher sa vigilance. Le courant étincelait sous les rayons d'un soleil d'été particulièrement chaud. Les pieds dans l'eau, la viéra savourait sa fraîcheur tout en levant le regard vers les nuages, se demandant quelles contrées ils avaient survolé avant de passer au-dessus d'elle. Qu'attendait-elle au juste ? Les garlemaldais ne venaient plus, le dernier camp rebelles des environs a été vidé l'an dernier ; tous se sont regroupés plus au sud. Ils préparent surement quelque chose, une nouvelle tentative de reprendre leur pays aux mains de l'occupant ? Elle ne devrait pas se poser toutes ces questions et pourtant.
Une ombre attira son attention, elle reconnut aussitôt le bruit caractéristique d'un aeronef. C'était un petit appareil qui venait de l'est. Il dessina plusieurs cercles comme s'il cherchait le bon endroit où atterrir, puis il amorça une descente en amont, au-dessus des cascades à moins d'une demi heure de marche. Meleth sentit l'excitation monter dans sa poitrine et sans attendre elle bondit hors du fleuve pour s'élancer à grandes enjambées vers leur position, son tigre sur ses talons. Lorsqu'elle arriva jusqu'à eux, le groupe était déjà en train de monter le camp sur la berge sans approcher des arbres.
"Qu'est ce qu'on fait Grenat, on prévient les autres ?"
Le tigre gronda, la situation était un rien perturbante. D'ordinaire, elle s'arrangeait pour que les dalmasquiens rejoignent les autres rebelles du coin un peu plus en aval de la rivière, du moment qu'ils ne franchissaient pas la ligne imposée. Que faire de ceux-là ?
"Bon, on fait comme d'habitude. On avisera ensuite..."
Ces explorateurs étrangers suscitaient chez elle un sentiment familier. Bien que prudents, prompts à surveiller la lisière des arbres, ils échangeaient entre eux avec enthousiasme. Les plus confiants trépignaient d'impatience à s'aventurer plus avant et l'une d'entre eux raviva des souvenirs pas si lointain.
"Alors, on y va ? on y va ?!"
C'était la miqo'te qui l'avait poursuivie sur plus d'un malm il y a des lunes de cela. Ses yeux perçants scrutaient déjà dans sa direction bien qu'elle ne l'ai pas -encore- repérée. Meleth se tapit un peu plus entre les branches. Comment cela se pouvait-ils ? Ceux qu'elle estimait avoir épargné la dernière fois n'étaient pas supposés revenir. La confusion s'installa dans son esprit. Elle fut tentée de partir sur le champ et laisser d'autres sentinelles se charger d'eux, s'en laver les mains et les laisser à leur sort mais la curiosité revint au galop. Pourquoi étaient-ils là ? Ne sachant que faire, elle fit comme d'habitude. Le tigre se montra le premier, sortant la tête d'un buisson tandis qu'ils se concertaient sur la première direction à emprunter.
"Regardez, s'exclama Romarique, ce tigre c'est peut-être le sien.
- On dirait, oui, confirma Nazah. On dirait qu'il nous attend."
Valorius s'avança de quelques pas afin de tester la supposition qui se confirma. Grenat s'avança vers le sud, et se stoppa et les regardant fixement. Ils furent tout un petit groupe à le suivre prudemment jusqu'aux ruines du campement abandonné des rebelles. Meleth les avait suivi à bonne distance et se percha sur les toits de l'une des huttes encore debout. Une fois sa mission accomplie, le tigre disparut dans les buissons.
"Bon, et maintenant on fait quoi ?"
Pendant plusieurs minutes, elle les vit se disperser dans le camp semblant chercher quelque chose. Peut-être avaient-ils perdu la trace d'une connaissance dans ce camp. Elle les observa avec attention, au point de baisser sa garde et commettre une erreur en se penchant un peu trop. Le bois grinça et les oreilles de la miqo'te se dressèrent instantanément. Tous les regards se levèrent dans sa direction. Elle était pétrifiée.
"Enfin, on te trouve !"
Hein ?

En les voyant avancer vers son perchoir, elle se redressa prête à bondir mais aucun d'eux ne sortit d'arme ils avaient tous un sourire amical ou une expression d'en approchant pour ce qui est d'Ivanhault. Valorius tendit sa main vers elle. C'était la première fois qu'elle le voyait, pourtant cet homme éveillait en elle un sentiment particulier, plus familier que les autres. Elle avait soudain l'impression que ce n'était pas la première fois qu'ils se voyaient et à son regard cet étranger éprouvait la même chose, lui aussi surpris.
"Cela fait des jours qu'on te cherche ! s'exclama Nazah. Nous sommes venus ici pour te rencontrer."
Pour... me rencontrer ? Moi ?



Au final, elle ne les avait ni chassé ni évité. Les jours suivants elle vint les voir et leur parla de sa forêt, de son histoire aussi pour le peu qu'elle s'en souvint, et de ses inquiétudes concernant la guerre et les sombres pouvoirs qui s'éveillent un peu partout. Ils répondirent aux siennes, et elle réalisa que le monde extérieur lui aussi subissait les conséquences de phénomènes étranges et inquiétant en plus de la guerre qui faisait rage jusque dans cette lointaine contrée qu'ils nomment Eorzea à l'autre bout du monde. Certaines nations s'en étaient libérées, comme Doma récemment ou Ala Mhigo. A l'aide d'un livre que Valorius avait apporté, elle se fit une idée approximative de ce qu'était le vaste monde, bien plus vaste qu'elle l'imaginait. Les illustrations lui présentaient non pas un mais des quantités de paysages différents, d'architectures et de personnes différentes. Chaque soir elle se joignait à leur feu de camp et plus elle en apprenait plus elle voulait savoir. Fléaux, asciens, empire, tour de cristal et navires sillonnant les mers, sirènes, démons et merveilles, y avait-il assez d'une vie pour entendre chacune de ces histoires ?
A Naatu, son soudain attrait pour les étrangers ne passa pas inaperçu mais Shamti ne souffla mot de ses escapades, par amitié. Elle désapprouvait de la voir ainsi arpenter les bois avec eux pour leur montrer de son plein gré d'anciennes ruines et leur parler de leurs coutumes, ainsi que du gouffre béant au-dessus duquel leur village était construit. Elle leur présenta même les gardiens d'écorce qui arpentent les alentours.

Et puis, un jour, l'impensable se produisit. Les étrangers devaient partir le lendemain soir si la météo le leur permettait mais la tranquillité du campement "toléré" par la sentinelle locale fut perturbée par des cris venant du village. Des cris guerriers mais aussi des rugissements stridents s'élevant des profondeurs. Meleth se trouvait avec eux, observant leurs préparatifs avec une pointe de tristesse quand Ulia déboucha sur la riche en courant.
"Des monstres sont sortit du gouffre, le village est en danger !"
Sans attendre, Meleth la suivit en direction de Naatu sans réaliser que ses nouveaux amis lui avaient emboité le pas sans réfléchir. Elle leur lança un regard en arrière mais ne vit que la détermination dans leurs yeux, pour eux c'était une évidence et leurs armes étaient déjà sorties. Ce fut un combat éprouvant, des nuées de gargouilles grises couvertes de mousse s'attaquaient à tout ce qui passait à leur portée et emportaient leurs prises dans les profondeurs obscures où leurs hurlements s'éteignaient dans le bruit d'os brisés ou des râles d'agonie.

Elle n'aurait jamais pensé les voir arriver, et combattre avec elle ce gigantesque oiseau de pierre dans l'obscurité du Gouffre, pas plus qu'elle n'aurait pensé voir ses sœurs se jeter dans le combat aux côtés de ces intrus indésirables dans leur forêt. Ce n'était jamais arrivé à Naatu, et cela n'arriverait probablement jamais plus. L'elezen avait fait preuve d'un grand courage. Non, pas celui qui était descendu en rappel dans le noir malgré sa peur du vide, l'autre, celui qui avait drainé toute l'énergie corrompue de cette entité pour leur permettre de le vaincre. Sans réfléchir, elle s'était mise à danser, puisant dans toute la force qui lui restait pour faire appel à la terre et à l'eau. La puissance de la vie gagnait du terrain, et le combat tournait en leur faveur. Tandis que ses sœurs faisaient tomber les golems de pierre l'un après l'autre, les étrangers fissurèrent l'oiseau de pierre jusqu'à révéler sa véritable forme humanoïde. Un mage des temps anciens, que la magie avait corrompu et dont l'histoire avait oublié jusqu'au nom. Aussi indestructible pouvait-il paraitre, rien n'arrêtait ces guerriers qu'elle ne connaissait que depuis quelques jours à peine. Ils se donnaient pourtant à ce combat, de toutes leurs forces. Même l'enfant, cette enfant agaçante pourtant animée d'un courage semblable à nul autre.
Ivanhault gagnait du terrain et finit par prendre l'ascendant sur son adversaire, désormais à la merci de Byakuya, Itaru et Akira qui l'achevèrent à coup de poing, d'épée, ou en lui arrachant la tête dans un bruit de cassure comme une poupée de porcelaine qui se briserait en deux. Mais l'énergie accumulée dans le corps du crépusculaire était trop puissante, trop instable. Il était totalement hors de contrôle, sur le point d'exploser.
Ils vont tous y passer !
Dans un dernier pas de danse, elle concentra toute l'eau accumulée sous ses pieds afin de se propulser sur Ivanhault. Tout s'était passé très vite, sans que personne n'eut le temps de réaliser ce qui se passait. Ils basculèrent tous les deux dans l'obscurité. La voix d'Ulia résonna dans le Gouffre.
"MELETH !"
Son front posé contre celui du crépusculaire, elle murmura tandis qu'elle absorbait toute la corruption au travers de son propre ether, afin de la renvoyer au fond de l'abysse, comme la vague qui nettoie toutes les impuretés pour les faire disparaitre à jamais.
"Vous allez rentrer chez vous. Tous."
D'en haut, Alexois lança son sort de secours sur Ivanhault qui remontant brusquement sans pouvoir saisir le poignet de la viéra qui continuait de tomber. Il fut le seul à échanger un regard avec elle à cet instant, et à voir son sourire... juste avant qu'elle ne s'écrase sur une large branche plusieurs mètres en dessous. Les cris s'éteignirent quand la lune se leva. On descendit dans le gouffre aussi loin que possible remonter les corps et les rares survivantes de ceux qui y avaient été emportés.



"Est-ce qu'elle est ...?"
Mjarni secoua la tête, toujours aussi inexpressive. Les heures passaient et Meleth ne se réveillait pas, au-delà du traumatisme de la chute, son corps avait été traversé de part en parts par la corruption et avait peu de chances de s'en remettre. Le sort de leur jeune sœur était entre les mains du Destin à présent. Elles ne pouvaient nier l'aide que leur avaient apporté ces étrangers mais elle leur demanda malgré tout de quitter les lieux.
"Ce qui doit être, sera."
Ulia et Shamti se relayaient à son chevet, ne se souciant guère de l'inquiétude de ceux qui les avaient aidé. Elles les tenaient tout autant pour responsable.

Pourtant, quand le jour se leva, les paupières de Meleth en firent autant. Elle qui avait pourtant accepté son sort lança à ses sœurs un regard surpris à son réveil.
"Je... je ne comprends pas. La forêt a dit...
- Le Vert-mot ne se trompe jamais."




Cette nuit-là, la doyenne offrit l'hospitalité aux explorateurs et leur accorda ce droit d'une seule nuit pour chaque fois qu'ils reviendraient à Golmorre en souhaitant toutefois qu'ils reviennent le moins possible, voir jamais.
Les étoiles dansaient au-dessus des arbres depuis longtemps lorsque Meleth, faible mais debout, remonta les escaliers jusqu'à la maison de Mjarni. Ses "nouveaux amis" s'étaient installé comme ils pouvaient, encore sous le choc de ce qu'ils venaient de vivre. Après ça, l'idée d'être "tolérés" quelques heures par un groupe de viéras devait leur paraitre très secondaire mais elle voyait dans les yeux d'Ulia et Shamti que pour elles, c'était pire que tout.
"Ils nous ont sauvé la vie Ulia, murmura Shamti avec douceur. On peut bien les laisser se reposer quelques heures.
- J'irai mieux quand ils seront partit." Grogna l'archère.
Mjarni restait silencieuse, ses mains lissant les boucles désordonnées de ses longues cheveux brun et son bâton posé sur ses genoux. Elle non plus n'était pas tranquille mais ses pensées allaient davantage vers leurs sœurs tombées durant la nuit et la chose dans le Gouffre qui devenait de plus en plus forte.
Meleth s'assit auprès d'elles sur le tapis, autour d'un feu mourant qu'aucune de voulait raviver pour ce soir.
"Nous avons perdu sept sœurs ce soir, qu'allons-nous faire si l'entité se réveille à nouveau ?
- Nos frères cachés dans les arbres sont certainement déjà en route,
répondit Shamti. Nos sœurs dans les autres villages nous enverrons de l'aide pour garder le Gouffre."
A nouveau, Ulia émit un grognement désapprobateur tout en resserrant le bandage autour de son poignet. Elle avait failli tomber dans le vide si Ivanhault n'était pas intervenu. Mais l'orgueil de la sentinelle était trop fort pour qu'elle puisse faire montre d'un peu de reconnaissance.
"Je ne comprends pas pourquoi tu les laisse passer la nuit ici Mjarni. Aucun intrus n'a jamais été autorisé à entrer dans notre forêt, encore moins à Naatu !
- Ils ne resteront pas, souffla la chamane, les yeux toujours fermés. Meleth les reconduira à leur campement demain matin.
- Tu vas la laisser continuer de les voir ?!"

Elle s'était levée, furieuse, son arc à la main.
"Tu peux pas faire ça, elle passe déjà trop de temps à observer les humains et maintenant tu voudrais l'encourager à les fréquenter ?! tu sais ce qui va se passer !"
Mjarni conserva un visage neutre, alors qu'elle ouvrait les yeux pour contempler les flammes mourantes. Naatu avait déjà perdu plusieurs viéras touchées par la situation en Dalmasca. Certaines avaient choisi de quitter la jungle, de suivre la résistance. Chaque fois que cela arrivait, le cœur de celles restant se brisait un peu plus. Ulia avait vu sa plus jeune sœur quitter le village et ne la reverrait sans doute jamais, cela avait attisé sa rancune envers les hommes et le monde extérieur.
"Je n'ai pas l'intention de quitter la forêt" tenta Meleth pour la rassurer.
L'effet fut totalement inverse. Ulia serra les poings, Shamti se mordit la lèvre en détournant le regard tandis que Mjarni poussait un profond soupir.
"Ce qui doit être, sera."
En réponse, Ulia frappa violemment dans le mur derrière elle avant de s'éloigner, ce qui fit sursauter Meleth. Ulia avait toujours eu beaucoup de tempérament mais jamais elle ne s'était emportée autant. Quelque chose n'allait pas, impression qui se confirma lorsque Shamti se leva à son tour pour la rejoindre, sans un regard ni un mot pour elle. Mjarni resta seule avec elle.
"Viens avec moi, petite sœur."
Les autres viéras s'affairaient à repousser les pierres imprégnées de résidus d'ether corrompus dans le Gouffre. Dans peu de temps, Naatu redeviendrait un village propre comme si rien n'était arrivé. Ne resterait que ce trou sombre, béant et profond au-dessus duquel elles vivaient et dont elles gardaient l'accès. Depuis des siècles les viéras des environs empêchaient quiconque d'entrer... mais surtout de sortir de cet abysse où sommeille encore une ancienne et sombre magie.
Mjarni s'arrêta au bout du village, fixant le vide. Elle s'assit, invitant Meleth à la rejoindre.
"N'en veux pas à Ulia pour ses paroles. Elle a plus de raison que quiconque ici de vouloir le départ de ces étrangers que tu voudrais tolérer le long de la rivière.
- Tu as dit que s'ils ne s'en éloignaient pas, et qu'ils ne chassaient pas, ils pouvaient rester quelques jours.
- Oui, c'est ce que j'ai dit. C'est ce que les arbres ont dit il y a longtemps. et nous respectons leur parole."

Meleth haussa un sourcil.
"Qu'entends-tu pas "il y a longtemps" ? La forêt avait prédit l'arrivée de ces explorateurs ?"
La chamane soupira une fois de plus, serrant ses mains autour de son bâton.
"Depuis le jour où tu es arrivée Meleth, les arbres savent et répètent que le jour viendra où tu t'en iras."
La stupeur pouvait maintenant se lire sur le visage de la jeune sentinelle de la rivière. Partir ? Quitter Golmorre ? Jamais elle ne ferait cela ! Pourquoi s'en aller alors que toute sa vie était ici ? Elle vivait sur la rivière, dansait sous la cascade, reliée à ses sœurs et à la forêt, elle se sentait pleinement à sa place comme une pièce de gigantesque puzzle qui reliait toute chose en ces lieux. Elle était une viéra de Naatu, une gardienne du Gouffre.
"C'est insensé ! c'est vrai que je suis curieuse mais je n'ai pas envie de partir.
- Je sais, répondit Mjarni tristement, et j'aurais peut-être aimé que ce soit le cas finalement.
- Je les surveille, c'est tout. Je fais en sorte qu'ils ne franchissent pas la limite"
Elle n'allait pas mentir sur le fait qu'elle appréciait tout de même d'en apprendre plus sur le monde extérieur et de pouvoir observer ces aventuriers dans leurs études de terrain. Les guider dans les anciennes ruines et partager ses connaissances ne lui déplaisait pas non plus. Mais ce n'est pas ce qui semblait déranger Mjarni, jamais elle n'avait fait preuve d'autant de réserve vis à vis des rebelles dalmasquiens, et ce même lorsque certains étaient repartit avec une des leurs pour se joindre à leur combat.
"Ce soir j'ai cru que l'heure était venue.
- ... Que veux-tu dire ?"

La peur commençait à se tortiller dans son ventre, jamais Mjarni n'avait affiché un regard aussi douloureux.
"Le jour viendra où des étrangers venus d'une terre lointaine remonteront la rivière et croiseront ton chemin. A leur départ, tu ne seras plus là."
Le temps sembla se figer, Meleth retint son souffle. Plus là, Cela voulait dire qu'elle allait...?
"Jamais autant de golems ne sont remontés en même temps du Gouffre. J'ai cru que ce soir tu serais parmi celles qui sont tombées. Voilà pourquoi je laisse tes amis rester ici ce soir, parce qu'ils t'ont sauvée. Mais demain tu les reconduiras à leur campement. Ils doivent s'en aller dans les trois jours...
- C'est pour ça qu'Ulia leur en veut autant."
Conclut  Meleth, le regard perdu.
Mjani acquiesça sombrement.
"Elle les tient pour responsable. Elle a toujours tenté de te tenir à l'écart des intrus qui seront la cause de ta perte. Mais ce qui doit être, sera malgré tout, et nous n'y pouvons rien. Tout ce que nous pouvons faire c'est leur dire de partir... ils semblent tenir à toi. Qu'ils ne te voient pas tomber."
Dans sa froideur, Mjarni émanait bien plus de compassion que la plupart de ses sœurs. Elle était la plus âgée, la plus sage, mais aussi celle qui avait perdu le plus. Chacune de ses filles était tombées face aux créatures qui sortaient parfois du Gouffre. Son compagnon, qui n'était pas réapparu depuis plus de vingt ans, était probablement mort lui aussi. Elle s'était occupée de Meleth comme une mère l'aurait fait, mais contrairement à Ulia qui était encore jeune, elle semblait se résigner à la perdre elle aussi.
"Rien n'arrive jamais par hasard Meleth. Que ces étrangers abordent notre territoire alors que les puissances enfouies remontaient des abysses, et qu'ils te rencontrent toi, qui a toujours été curieuse de leur monde. Tout cela avait un sens.
- Oui, la corruption est retournée dans les ténèbres. Ils ont permit de sauver notre village.
- Ce n'est qu'un sursis, petite sœur. Ce monde est malade et la forêt souffre. Nous ne tiendrons pas éternellement, mais on ne peut accueillir des étrangers sans risquer de les voir commettre plus de dégâts.
- Alors que fait-on ? Nous avons besoin de réponses qui ne se trouvent pas ici.
- Non, en effet."

Le regard de Mjarni se fit d'un coup plus expressif. Il affichait une sincère tristesse. Meleth s'arrêta net, tournant son visage vers elle. L'évidence venait de frapper son esprit comme un coup de tonnerre, mais pouvait-elle seulement l'accepter ?



En milieu d'après-midi, les membres de l'expédition embarquèrent sur l'aeronef qui s'approcha au plus près de la rivière pour leur permettre de grimper à bord. Une fois le matériel chargé, ce fut au tours des hommes. Certains étaient soulagés de partir, d'autres en avaient assez vu. Il en fut cependant qui tournèrent leur regard une dernière fois sur la cascade où dansait autrefois leur "amie", leur "guide" dont ils ignoraient si elle avait survécu. Ce n'est qu'au moment du départ, alors que l'aeronef commençait à prendre de l'altitude, qu'un bruit de craquement se fit entendre au milieu de toutes les branches balayées par le vent. Une silhouette surgit face au soleil après avoir pris de l'élan sur la cime des arbres, elle posa le pied sur le pont avec maladresse juste à temps. Son bâton à la main, ses chakrams à la ceinture et avec rien de plus qu'un petit sac en toile sur l'épaule, elle leur sourit un peu gênée.
"Je suis un peu en retard mais... vous pensez qu'il y a une petite place pour moi ?"
Penchée au-dessus du bastingage, elle lança un dernier regard elle aussi sur cette jungle qu'elle aimait tant, et pour laquelle elle était prête à tout sacrifier, même elle. Sur le bord de la rivière, ses iris croisèrent ceux de son fidèle compagnon resté en arrière qui rugit de chagrin en la voyant s'éloigner. Elle ne put ravaler ses larmes plus longtemps.
"Pardon, pardonne-moi Mère-Forêt... mes sœurs, et toi qui ne me trouveras pas si un jour tu reviens me chercher..."

Il s'en viendra des étrangers venus d'une terre lointaine, à leur départ tu ne seras plus ici.
Lerith Il y a 2 semaines et 6 jours


Le vaste monde est tellement... vaste. Lorsqu'elle contempla pour la première fois le port de Limsa Lominsa grouillant de monde, la première pensé qui lui traversa l'esprit était qu'il devait s'agir de la plus grande cité jamais construite. La moitié de la population du continent y vivait, ce ne pouvait être autrement ! Apprendre que cette "cité-état" loin d'être la plus impressionnante comptait parmi les nombreuses autres grandes cités à travers Eorzéa -et bien au delà- la rendit muette. Tant à voir, à découvrir, elle en eut des vertiges avant même de poser le pied sur le quai. Le hasard voulut qu'elle arrivât au premier jour de cette grande fête estivale que les eorzéens appellent "Les Feux de la Mort" et la premier spectacle qui s'offrit à ses yeux ce tout premier soir furent les innombrables feux d'artifice colorant le ciel dès l'apparition des premières étoiles. Partout dans les rues, tout n'était que rires et musique. Des aventuriers venus de partout, il y en avait de toutes sortes et tous horizons, qui allaient d'étals en étals sur le marché de la Camelotade, bâtonnets de poisson en bouche.
"Mère-Forêt... par où dois-je commencer ?"
Les premiers temps, elle visita la Noscea, Limsa Lominsa et ses alentours jusqu'à Costa del Sol et le Lac d'Airain. Par chance ses nouveaux amis ne l'abandonnèrent pas à son sort sur cette terre nouvelle. Ils la conduisirent au Relais des Quatre Tours, leur quartier général, où elle se vit offrir le gîte et le couvert le temps de s'habituer à ce nouvel environnement. Celui qui prenait soin d'elle plus que les autres, c'était Valorius. Il se faisait alors appeler Zaurak, et depuis leur première rencontre Meleth avait sentit un lien familier avec lui comme s'ils se connaissaient depuis longtemps. Zaurak était orfèvre mais pratiquait également l'alchimie à ses heures. Plongé dans une quête sans fin de connaissance, il passait des journées entières dans son laboratoire et Meleth lui apportait de quoi manger décemment. Au début, c'était pour rendre service puisqu'on la logeait mais elle finit par s'y rendre régulièrement, même le soir lorsqu'elle ne parvenait pas à dormir.
Ce laboratoire était rempli d'objets et d'appareil dont elle ignorait jusqu'au nom et à quoi tout cela pouvait bien servir. Elle le suivit, le visage empreint de curiosité, et l'écouta lui expliquer tout ce qui l'entourait. On aurait dit que cela lui plaisait d'avoir quelqu'un à qui parler alors qu'elle craignait de le déranger plus qu'autre chose.
"Vous êtes un genre d'alchimiste ?
- Je préfère le terme etherologue polyvalent."

Ses placards étaient remplis de fioles en tout genre, d'échantillons de tous types. Ses livres occupaient un espace plus petit dans un coin de la pièce mais il en avait beaucoup. Elle y trouva le lit de son hôte, coincé entre des étagères sous un escalier. Il ne devait pas dormir beaucoup effectivement. Elle le regardait travailler et il lui expliquait ce qu'il faisait, dans quel but, répondait à ses questions.
Parfois, elle en posait une plus générale en partant de rien mais cela l'aidait à mieux comprendre Eorzéa et le monde "civilisé" un peu plus. Elle en oubliait presque le silence de la nature dans les oreilles, ainsi que sa peine. Elle se surprit à l'aider à certains moments, à force de parler elle retenait le nom des objets et des potions dont il avait besoin. Une fois qu'il avait commencé quelque chose, Zaurak ne décrochait pas. Cet air concentré sur son visage la faisait sourire. Il n'en était pas moins gentil avec elle mais ils n'abordèrent aucun sujet en lien avec Golmorre. Avait-il compris qu'elle avait besoin de se changer les idées ? Peut-être, mais c'est bien ce dont elle avait besoin. De toutes les choses qui construisaient sa nouvelle vie d'exilée, le pire était ce silence. Elle redoutait les moments où elle se retrouvait seule.
Dès les premiers jours, elle alla danser sur la plage de Brumée et sur le port avec les marins, ce fut ainsi qu'elle gagna ses premiers gils sans comprendre de quoi il s'agissait. Et puis, elle commença à faire quelques mandats de livraison ou de "chasse" simple (si l'on considère que chasser les mandragores qui envahissent les champs de la métairie soit un sport extrême) pour se familiariser avec la monnaie et le concept d'économie. Au bout de quelques semaines, à la fin du festival, elle se sentait prête à découvrir le reste d'Eorzea.

Elle se rendit d'abord à Uldah dans le Thanalan, où elle accompagna Zaurak en visite à la guilde des alchimistes où elle s'inscrivit d'ailleurs pour apprendre les bases. Puis, ce fut Ivanhault qui lui proposa de voir Sombrelinceuil et la cité de Gridania. Curieuse de visiter une forêt tout aussi mystique et inquiétante que Golmorre elle accepta avec enthousiaste, le désert du Thanalan n'était clairement pas son paysage favori. Elle vit alors les routes boisées et ressentit la présence pesante de la Sylve, ces esprits dont la voix ne pouvait être entendue que par certains que les gridaniens nomme "Pad'jals" et quelques élus. Elle visita Gridania et rencontra une population bien plus austère que les limséens, moins faste que les uldiens, mais très différent du peuple des bois que elle avait côtoyé. Seule la Sylve peut décider de qui a le droit ou non de vivre à Sombrelinceuil, un droit que les gridaniens considèrent pour beaucoup comme une forme de supériorité. Toutefois Ivanhault ne manqua pas d'apprendre à Meleth qu'ils ne sont pas les seuls à vivre à l'ombre des arbres, et que s'ils ont ouvert leur porte aux visiteurs ils sont bien loin de représenter toute la population sombrelinçoise entre les clans de miqo'tes lunaires et les nombreux elezens qui habitent les tunnels de Gelmorra sous leurs pieds. Ce fut la première fois qu'elle entendit parler de Gelmorra et du Palais des Morts. Ils l'emmènent voir le ranch de Brancharquée où on élevait des chocobos, ces animaux si emblématiques à la fois monture et compagnons fidèles pour toutes les catégories de population. Et puis, ils lui parlèrent du Septième Fléau qui avait défiguré le continent et dont elle pouvait apercevoir les plaies dans chacune des régions visitées, où qu'elle aille. Ils lui racontèrent comme le feu de Bahamut avait brûlé les navires noscéens, les tentes des mhigois aux portes du Thanalan, et même la Sylve qui avait été considérablement affaiblie au point que les esprits aient quasiment cessé de murmurer.

C'était comme un besoin, une nécessité de prendre conscience de l'inconcevable, elle demanda à voir. Ils l'emmenèrent jusqu'à une partie de la forêt où la terre calcinée peinait à reprendre vie. Quand elle leva les yeux, ses genoux touchèrent la poussière d'un sol stérile.
"Comment... comment ?!"
Des arbres morts à perte de vue, une terre si noire que la nuit n'en paraissait que plus claire au-dessus de leurs têtes, et surtout ce vent sifflant dans ses oreilles semblable à une longue plainte d'agonie. Elle n'entendait plus, elle ne sentait pas la connexion comme lorsqu'elle se trouvait chez elle, mais elle savait et c'était là le plus difficile... savoir sans pouvoir entendre, entendre mais se savoir sourde. Les larmes se refusaient à couler mais ses yeux ébène brillaient d'une tristesse infinie.
"C'est cela n'est ce pas... c'est une image de notre destin si rien n'est fait. Si ce monde ne guérit pas, tôt ou tard Golmorre ressemblera à ça..."
Ivanhault s'était baissé, posant ses deux mains noueuses sur les épaules de la viéra. Quoi qu'on en dise, ce crépusculaire savait se montrer doux et compatissant. Romarique demeurait silencieux derrière, le visage sombre, tandis que Dalgo Dulalgo observait les alentours avec pas moins de chagrin.
"Nul ne peut le dire Meleth, murmura Ivanhault, mais oui c'est possible.
- Ce continent est une plaie béante qui porte les stigmates de tout ce qui cloche"
ajouta Romarique, à la fois pragmatique et affecté par ses propres mots.
Meleth leva les yeux pour affronter une fois de plus l'horreur de ce qu'elle découvrait. Tant de souffrance, tant d'injustice, pourrait-elle seulement vivre ici ? Rien n'aurait pu soulager sa peine. Elle se sentait seule une fois de plus, sans le réconfort que lui procurait le Vert-mot, seule comme une enfant au milieu des loups. Pourtant la main sur son épaule la réchauffait, elle voulut la saisir et s'y accrocher de toutes ses forces mais il la retira afin qu'elle puisse se relever.

Ce jour-là, elle prit conscience que s'adapter ne serait pas si simple même si elle avait la chance d'avoir trouvé des compagnons d'aventure qui ne la laisseraient pas tomber. Le meilleur moyen pour elle de s'en sortir serait de s'accrocher à eux, à ce lien d'amitié qui se construisait petit à petit et qui, sans combler le vide laissé par l'exil, lui offrait sécurité et réconfort. Chaque fois qu'elle s'endormait dans un coin du laboratoire de Zaurak, elle ne craignait aucun cauchemar et chaque fois qu'elle apprenait quelque chose de nouveau, cela occupait son esprit et apaisait ses tourments liés à la perte d'autre chose laissé derrière. Et elle dansait, encore et toujours sur les quais limséens pour oublier, pour réfléchir, pour exprimer ce que les mots ne peuvent expliquer, un chagrin profond mais aussi une joie immense à chaque nouvelle journée dans ce monde si vaste.
Un jour, elle serait capable d'ignorer la douleur et de vivre pleinement cette aventure. Elle aurait besoin pour cela d'un endroit comme son ancienne chaumière. Non pas que le dortoir du relais soit inconfortable mais il lui fallait un "chez elle", bien à elle, pour se sentir à sa place.

"Vous pensez que les esprits de la Sylve accepteront une viéra ?"

Lerith Il y a 2 semaines et 3 jours


Les lunes passèrent très vite. Au fil de ses aventures, Meleth rejoignit l'Ordre des Quatre Tours et ses compagnons qu'elle n'avait finalement jamais quitté depuis son arrivée en Eorzéa. Plus que les mandats, la danse et un peu d'alchimie basique lui permirent d'amasser un petit pécule tout juste suffisant pour louer une petite chaumière complètement délabrée à la Lavandière, près de Gridania. Le propriétaire, un membre de la guilde des alchimistes, en avait hérité de son arrière-grand-tante et n'avait que faire de son entretient. Aussi proposa t-il à la viéra de la lui louer pour presque rien, et même de la lui vendre le jour où elle aurait suffisamment d'argent ; il ne lui en demanderait pas beaucoup. Les premiers temps, elle dormit sur une paillasse près de l'âtre, sans four et sans bain tant l'endroit était en piteux état : le toit percé, les fenêtres cassées, la plomberie rouillée... Mais ce serait chez elle désormais, et petit à petit elle ferait de ce taudis un foyer chaleureux.
Son quotidien variait entre la découverte chaque jour plus passionnante d'Eorzea et son travail auprès de Zaurak devenu une routine. Il travaillait dur sur les dossiers de l'Ordre en cours. Le sceptre de Gunlag, Ordraline, le passé des Quatre Familles... il prenait tout ceci tellement à cœur qu'elle ne voulait pas parler de ses propres pensées et des rêves qu'elle faisait. Plus elle s'investissait dans la compagnie et progressait en combat et en danse, plus les images d'un lointain passé venaient hanter son esprit. Dans ses rêves, son apparence était différente et en même temps plus familière. Dans ses rêves, Zaurak apparaissait lui aussi sous un visage plus jeune, légèrement différent lui aussi. Mais il était pour l'heure bien trop occupé à réfléchir sur ses dossiers pour qu'elle ose lui en parler.
Un soir, alors qu'elle le regardait se parler à lui-même, amusée de sa réaction face à une formule alchimique bien au-delà de son niveau de débutante, un phénomène étrange se produisit. Plus il parlait, plus les émotions montaient chez lui, plus elle entendait sa voix se dédoubler comme un écho dans la pièce, de plus en plus fort. Lui ne s'aperçut de rien plongé dans son travail. Il se mit à fouiller dans ses dossiers, cherchant frénétiquement tout en se parlant à lui-même et l'écho s'amplifia à tel point qu'elle dû se plaquer les mains à l'entrée de ses orifices auditifs, prise dans ce flot assourdissant. Elle recula et se pris les pieds dans un seau contenant divers outils qui se renversa, et elle avec. Le haut de son corps heurta le sol, elle se protégea la tête. Tout s'arrêta, elle n'entendait plus qu'une voix.
"Meleth ! Meleth ça va ?"
Il l'avait entendu tomber, il avait tout arrêté pour se précipiter à son secours. Heureusement, elle n'avait rien.
"Oui, ça va. J'ai juste... été prise de vertige subitement. J'ai cru entendre... vous n'avez rien entendu, vous ?
- Entendre quoi, Meleth ?"

Il haussa les sourcils, perplexe. Elle secoua la tête. Bienveillant, comme d'habitude, il la releva et la raccompagna jusqu'à l'entrée de la maison. Elle le quitta sur un dernier sourire qui se voulait rassurant, mais le professeur n'était pas né de la dernière pluie. Les jours et les semaines suivantes il se montra bien plus attentif que ce soit en mandat ou lors des repos de la compagnie.

L'automne s'installa, et avec lui le vent du nord et une baisse des températures. Pour la première fois, Meleth s'apprêtait à voir la neige au cours d'un mandat dans le Coerthas occidental. Cet enthousiasme s'accompagnait d'un sentiment étrange. Si elle était née veena viéra, elle l'avait certainement vue au moins dans son enfance, non ? Ses rêves devenaient récurrents, des rêves dans lesquels elle ne voyait ni la neige ni son propre visage à la peau claire. Elle se voyait plus sombre que la nuit, les yeux d'un bleu pâle iridescents.
Tout ce blanc lui fit d'abord mal aux yeux, puis ce fut l'émerveillement. Elle voulait prendre le temps, telle une adolescente, de contempler la neige, de la toucher, la sentir.
"Comme j'aimerais me souvenir..."
Arrivée la première, elle marcha un petit moment le long des sentiers à proximité du camp de la Tête du Dragon, ne voulant se risquer à se perdre, surtout ici. Ses compagnons comptaient sur elle et puis... elle projetait toujours de s'aventurer encore plus au Nord, là où se trouvait la fameuse bibliothèque de Gubal. Elle voulait en parler à Zaurak quand tout serait fini ici, quand ils auraient récupéré l'anneau de Vivaigue. Pour sûr, il l'accompagnerait, ils finiraient bien par trouver quelque chose là-bas qui explique le lien étroit et inexplicable qui les unissait. Nazah apparut près de l'ethérite. Elle sourit, et monta les marches dans sa direction. Un à un, tous ses compagnons apparurent autour d'elle, prêts à en découdre.


"Vas-y ma belle, finis-le !"
Tout ne s'était pas passé comme prévu. Autour d'elle, plusieurs d'entre eux étaient blessés mais toujours conscients face à cette créature faite de glace. Ce gardien était coriace, ses danses avaient beau les renforcer, ils peinaient à percer sa carapace. Pourtant, son état d'esprit demeurait le même, elle avait confiance.
Nous pouvons y arriver, ensemble !
Ses pas s'enchainaient tandis qu'elle lançait ses chakrams dans un tourbillon de plus en plus rapide. Une fois, deux fois, le troisième tir perça la carapace là où Itaru l'avait déjà bien entamé. Un regard fugace sur sa droite, Zaurak avait quitté un temps sa position à couvert derrière elle et l'énorme guerrier-tigre. Il était blessé. Son instinct la fit réagir, sa raison la fit se maintenir, ils étaient en mission elle ne pouvait se comporter comme une enfant irresponsable au lieu de se focaliser sur leur ennemi et l'ensemble du groupe.

C'était fini. Le monstre s'écroula, ne laissant que l'anneau retombé sur la glace. A'gohno s'avança rapidement pour le récupérer mais Nazah et Zaurak s'avancèrent aussitôt pour le récupérer. Ivanhault était blessé mais ça allait, Alexois était avec lui. Ayumi et Itaru soufflaient fort, elle aussi, elle venait quand même d'être projetée sur le sol gelé, mais ça allait. Juste une furieuse envie de coller quelques paires de baffes à ce miqo'te, mais elle n'était pas la seule visiblement. Aucun d'eux n'en eut le temps cependant.
Sortit de nulle part, Béatrice surgit accompagnée d'une ombre qui subtilisa l'anneau à Nazah au moment où elle allait la prendre. A'gohno furieux se jeta contre elle, mais se fit désarmer en quelques poignées de secondes. C'était le scénario tant redouté, qu'elle les surprenne avant qu'ils ne repartent avec l'artefact. Aucun d'eux n'étaient prêts à l'affronter.
"On se replie !
- Récupérez le sabre !"

Elle tourna la tête en direction de l'épée du miqo'te, Itaru et Nazah courraient vers lui. Dans son dos, Alexois incanta quelque chose. Tout se passa très vite, alors qu'elle se sentait happée par le vide. L'ether ambiant sembla se déformer, se torde, quelque chose se brisa, lui faisant mal. La douleur d'abord au niveau de ses oreilles, là où elle percevait le monde, jusque dans sa chair au creux de son ventre. Elle ne vit pas ce qui se passa ensuite, elle ne comprit même pas ce qui lui arrivait. Son corps meurtri heurta lourdement le sol gelé dans un fracas assourdissant. Son esprit s'envola, ailleurs, loin dans ses souvenirs.



Dans l'ombre de Golmorre, dansaient les silhouettes plus sombre encore que la nuit. Invisibles, il n'est qu'au pied de l'immense chute d'eau claire baignée dans la lumière de la lune que leurs visages se révélèrent. Une peau noire d'encre et des yeux aussi clair que les étoiles. Le courant ici était fort, mais aucune des sentinelles s'en souciait, depuis toujours filles du torrent. Dans cette partie de la jungle plus dangereuse encore, la lumière souvent absente et les ennemis nombreux, il était leur meilleure protection. L'enfant se tenait prêt de l'ancienne, accrochée à son bâton. En face, la silhouette d'un grand homme debout sur les rochers au milieu de la rivière. Les viéras brandirent leurs lances comme un avertissement.
"Les humains n'ont rien à faire ici, étranger. Retournez à la frontière."
Elle n'aurait pas dû être intimidée à ce point, mais lorsqu'elle vit dans la pénombre s'élever deux ailes de cuir dans le dos de l'inconnu, ses yeux se remplirent de terreur.

"Zaurak... Zaurak les a toutes dévorées !"


Zaurak... Zaurak ! Ce nom revenait en permanence dans sa tête. Son ether fragmenté, son âme fissurée, elle se sentait peu à peu sombrer dans un gouffre sans fond, s'effacer, oublier. Ce nom, le seul qui la raccrochait encore à ce monde. Les pas d'un enfant qui court dans la jungle, à la poursuite d'un enfant humain qui s'efface peu à peu à sa vue. Est-il seulement humain ? Il en a l'air. Quel est donc ce souvenir ? Tout est flou, rien n'est réel mais tout est vrai. Est-ce elle qui court après ce garçon ? Ses mains sont noires, son cœur bat à la chamade, ses jambes sont faibles et sa peur est grande.
"Zaurak est un monstre, un monstre !"
Mais le regard qui croise le sien lorsqu'elle s'éveille enfin n'a rien d'un monstre. Ce visage fatigué, soulagée de la voir enfin ouvrir les yeux. Elle le connait. Il est déjà venu chez elle, pas à Esthar mais plus loin encore dans les profondeurs de la jungle, là où elle est née. Il venait pour chercher de l'aide, c'est sa fin qu'il a trouvé.
Zaurak... Zau...rak... Za..or...El...rak... Za'or...El'rak... Za'or El'rak !
C'était son vrai nom, pas celui de Zaurak qui l'avait emprunté sans savoir ce qu'il signifiait, c'était celui de cette chose, de ce monstre qui avait anéantit les siens. Za'or El'rak, le Dévoreur, elle s'en souvenait à présent. Les images devinrent plus claires dans son esprit alors qu'elle revoyait la scène :
Les deux enfants courraient dans la forêt, les cris et les bruits du combat résonnaient entre les arbres noir sous un ciel presque invisible. Les rayons de la lune ne passaient plus, y avait-il seulement une lune dans le ciel cette nuit là. Mais ce n'était pas ce qui intéressait l'enfant viéra qui courrait jusqu'à en perdre haleine en répétant sans cesse "Zaurak les a tué ! Zaurak les a tué !"
Elle avait beau tenter de rattraper le garçon devant elle, il prenait de l'avance. Elle ne devait pas le perdre, il ne fallait pas... Et pourtant il disparut. Elle l'entendit tomber dans l'eau, à deux pas de l'entrée d'une caverne.
"Valorius ? Valorius tu es où ?"
Seul le trouble dans l'eau pourtant peu profonde indiquait qu'il était tombé par ici mais aucune trace de lui. Derrière, un grand cri déchira les ténèbres, celui d'une abomination, d'une peur sans nom. Le monstre allait les tuer. L'enfant serra contre son cœur la boîte, ce précieux trésor. Elle avait perdu Valorius, elle ne voulait pas mourir, elle devait continuer.
"Pardon... pardon !"
Elle s'engouffra dans le noir, fuyant la tragédie qui venait de mettre un terme à son ancienne vie. Dans son sillage, l'ombre grandissante aux ailes de cuir se dessinait, toujours plus proche de la dévorer à son tour.


Elle ouvrit les yeux, encore engourdie. Ce n'était pas Valorius qui se tenait près d'elle mais Byakuya, toujours aussi gentil et prévenant, un doux sourire sur le visage.
"Meleth, ça va aller ? Tu as faim, soif ?
- Je... je me rappelle d'un glacier..."

Tout lui revint en mémoire : le combat, le glacier, Béatrice et le halo blanc qui l'entoure avant qu'elle ne disparaisse. La silhouette d'Ivanhault apparut dans l'angle de la mezzanine sombre, elle était couchée en dessous, dans ce petit espace où le lit tenait à peine. Elle reconnut l'endroit : c'était le laboratoire de Zaurak.
"Le... la mission.. les autres ? Comment...?
- Tout va bien. Tout le monde est entier... maintenant."

Cette voix, enfin. Elle tourna légèrement la tête pour croiser le regard de Zaurak, ou plutôt Valorius. Ivanhault était présent lui aussi, penché au-dessus du lit. Le moindre mouvement lui demandait pas mal d'efforts, c'était comme si un troupeau d'Auroch l'avait piétiné en faisant deux aller-retour.
"Professeur....? Je..."
Elle ne savait plus où elle en était. Tellement de souvenirs se bousculait dans son esprit, mais rien de précis seulement des fragments incomplets. Le mage sourit, lui prenant la main l'air soulagé. C'est à ce moment qu'elle réalisa que sa peau était d'un noir d'encre. Quelque chose sur son corps s'était envolé, quelque chose dont elle n'avait pas conscience avant qu'il ne disparaisse, comme un voile ou un enchantement levé par la résurgence de ces souvenirs. Elle avait toujours senti que quelque chose clochait. Une Veena à Golmorre, des iris se fondant avec ses pupilles, la sensation de ne pas être ce qu'elle voyait et cette sensation de devoir se chercher elle-même, pas seulement sa mémoire... Ce voile commençait tout juste à se lever et le choc était brutal. Pourtant elle le savait, ce visage, ces yeux... c'était elle, son vrai elle.
Fille du Torrent... la dernière de son village. Zaurak les avait tuées, toutes tuées. Zaurak... ce n'était pas lui. Pourtant, Valorius -car tel était son véritable nom- se trouvait avec elle à Golmorre lorsqu'ils étaient enfants tous les deux. Il avait lui aussi perdu une grande partie de ses souvenirs et avait fait sien le nom de ce monstre qui les hantait, visage d'une peur sans pareille. Le souvenir de ce traumatisme était-il la seule cause de rupture du sortilège d'illusion qu'elle portait jusqu'à lors, et qui l'avait posé sur elle ? Cela ne répondait pas plus à ses questions sur cet homme qui l'avait laissée à Naatu, l'avait-il sauvé des griffes de Za'or El'rak cette nuit-là ? Elle commença à rêver d'une ombre faisant face à la créature, les traits cachés par la contre-lueur d'un rayon de lune sur la berge du fleuve.

Meleth avait retrouvé son apparence d'origine, Valorius avait retrouvé son nom véritable, et tous deux savaient maintenant pourquoi ils s'étaient sentis si proches dès leur première rencontre. Bien des questions demeuraient encore sans réponse cependant, et même si le sort avait été brisé, leurs mémoires respectives mettraient du temps à revenir. Démêler le vrai du faux, le souvenir du fantasme, prendrait aussi du temps. Celui qu'elle appelait à présent "le passeur" avait fait son œuvre en la sauvant et en la mettant en sécurité dans une autre partie de la Mère-Forêt.  Elle ignorait tout de lui, mais elle avait au moins une certitude : certaines personnes sont vouées à se retrouver. La main de Valorius serrant la sienne tandis qu'il l'aidait à se mettre debout sur ses jambes en est la preuve.

"C'est notre mission... de découvrir la vérité."
Lerith Il y a 1 semaine et 3 jours


"Zaurak les a tué... Zaurak les a tué!"
Meleth se réveilla en sueur, les images encore confuses dans son esprit. Cet enfant qui court se croise avec les images d'elle courant dans la jungle, adulte, ou adolescente. La peur se mélange à d'autres émotions, d'autres tourments innommables. Elle ne sait plus, ne voit plus, tout s'arrête. La porte de sa chambre s'ouvrit à la volée, laissant entrer un Valorius en robe de chambre le visage inquiet. Le mage se précipita à son chevet.
"Tout va bien Meleth, ce n'est qu'un rêve, tout va bien je suis là."
Il la serra dans ses bras jusqu'à ce qu'elle se calme. Quelques rayons de soleil timides apparurent contre la fenêtre, le chant des oiseaux brisa le silence froid de ce matin d'hiver. Elle était chez elle, en sécurité.

Cela faisait maintenant plusieurs semaines que Valorius avait repris son véritable nom, et passait régulièrement la nuit ici pour veiller sur sa protégée, dans sa propre chambre bien sûr. Aider Meleth à restaurer et aménager son foyer leur offrait à tous les deux un semblant de normalité auquel se raccrocher en parallèle de leur enquête, des informations qu'ils obtenaient au compte goutte sur leur passé, les souvenirs de Valoroix et de cette nuit tragique où le Dévoreur avait décimé la totalité de la tribu du Torrent. Lui aussi, au fur et à mesure de la résurgence de sa mémoire, commençait à changer d'apparence de façon plus légère et subtile. Bien des questions restaient sans réponse mais petit à petit les pièces du puzzle s'assemblaient et avec le temps, et de la patience, les mauvais rêves s’effacent. Sans se cacher des autres membres de la compagnie ils avaient jusqu'ici maintenu l'affaire dans un cadre privé mais cela ne durerait pas. La Trame touchait déjà beaucoup de monde.

Parallèlement, la saison semblait plutôt joyeuse au sein de l'ordre. A l'approche des fêtes de fin d'année, madame Kurusu avait lancé un tournois en interne, une série d'épreuves par équipes de trois avec un prix à la clé bien que le but soit avant tout de raffermir les liens entre les membres par le biais d'une saine compétition. L'équipe de Meleth, Ivanhault et Itaru tenait la tête avec celle de celle de Meryl, Ayumi et Anastazja. A la chaumière, elle ne manquait pas non plus d'animation même lorsque Valorius n'était pas là, ne serait-ce que par les allées et venues de son autre colocataire Kiip la mog postière qui avait élu domicile dans les combles du temps où la maison était laissée à l'abandon. Meleth n'avait pas eu le cœur de la chasser même si personne ne peut chasser une créature capable de se rendre invisible. C'est ainsi que Kiip s'était officiellement installée dans un coin de la cuisine, à portée du garde-manger.
Cette année-là, elle vécut sa toute première fête des étoiles. Après avoir découvert la neige dans le Coerthas elle la vit tomber sur les cités état le temps d'un festival aussi beau et coloré que celui des Feux de la Mort au milieu de l'été. Valorius lui raconta les origines de cette fête venue d'Ishgard, la bonté de ces templiers qui cachèrent des orphelins dans leur baraquement, la tradition qui se transmit par la suite d'offrir des cadeaux et de décorer les maisons et les rues des cités qui transpiraient la joie et la bonté. Elle qui dansait toujours sur le port rayonna plus que jamais. Les marins lui enseignèrent leurs propres chants pour les fêtes, ce qu'elle pouvait aimer la musique limséenne ! Et lorsque sa cheminée fut enfin nettoyée et fonctionnelle, elle vit débarquer toute la compagnie pour le réveillon.
"Joyeuse fête des Étoiles, Meleth."
Elle leur ouvrit la porte, et dans son minuscule salon tout juste assez meublé pour que tout le monde puisse s'asseoir au moins sur un tapis moelleux, ils festoyèrent jusque tard dans la nuit, jusqu'à ce qu'elle s'endorme et que son sommeil soit à nouveau hanté par de sombres souvenirs.

Faisait-il jour ? Probablement, malgré la pénombre les faibles rayons blanc avaient des reflets dorés sur l'herbe humide et les racines si épaisses qu'elles couvraient le sol et les dizaines de ruisseaux qui serpentaient un peu partout. Et sur l'une d'elle, dansait sa mère.
Moy’rhana.
Sa lance était pourtant son opposé, aussi droite et raide qu'elle était souple ; pourtant elle la faisait tourner et épouser ses courbes avec aisance. L'eau scintillait sous ses pieds, et autour d'elle lorsque dans ses lents mouvements elle la soulevait en serpentin avant que ceux-ci éclatent en fines gouttelettes pailletées. Elle souriait, les yeux fermés, transportée par sa propre danse sans autre musique que le chant de l'eau et des sons provenant du sous-bois.
Le tonnerre.
L'eau devint noire, les mouvements de sa mère devinrent plus saccadés, violents, comme un combat. Un grondement retentit dans les profondeurs de la jungle. Toute la lumière disparut, et soudain le silence avant une voix rauque.
"Sauves-toi !"
Les cris, la peur, et les torrents d'eau noire, d'eau couleur de nuit aux milles étoiles, déchainés entre les arbres. Sa mère disparue, et les tambours de guerre, la course effrénée. Une main sort des ténèbres, cherchant à la happer avant qu'elle ne s'esquive. Est-ce la main d'un homme, ou celle d'un monstre ? et la voix de Valorius terrifié.
"Meleth ! Meleth !"



"Meleth !"
Elle ouvrit les yeux, en sueur sous ses draps. Les siens étaient grands ouverts, il avait du l'entendre hurler de terreur dans son sommeil depuis la chambre d'à côté et avait accouru. Elle sentait son cœur battre si fort dans sa poitrine qu'il aurait pu la faire exploser.
"J'ai... j'ai....!
- Tu as encore fait un cauchemar..."

Il s'assit sur le bord du lit, lui tenant toujours les épaules fermement. Il avait retrouvé ses forces. Meleth laissa reposer son front contre son avant-bras avant de prendre une profonde inspiration. Ce n'étaient que des cauchemars, mais ils la tourmentaient autant que ses pensées qui se bousculaient dans sa tête la journée et qu'aucune fête ne pouvait atténuer.
"Valorius, il faut que je le fasse.
- ... On ne sait pas ce qui va se passer, la dernière fois c'était un accident.
- Je sais, insista t-elle, mais j'ai le sentiment au plus profond de moi que je dois essayer."

Il soupira.
"Il y a deux semaines tu avais peur d'un verre d'eau et maintenant tu veux invoquer cette eau noire..."
Elle acquiesça de nouveau, malgré l'évidente dualité de ses propos. Oui, elle avait peur, mais elle n'avait pas envie d'attendre que ce soit cette force qui vienne la submerger, elle devait aller de l'avant et affronter sa peur. Rester dans l'attente et l’appréhension ne l'aidait pas, bien au contraire, elle ne faisait que sentir la peur et l'incertitude monter en elle tout en sachant qu'elle ne pourrait échapper à ce qui s'apprête à venir, le sentiment d'une menace qui approche, que quelque chose viendrait pour elle, pour "finir le travail". Elle le redoutait depuis les Steppes, depuis qu'elle s'était trouvée face à cette ombre lors d'une mission de terrain, et que ce qui était enfermé à l'intérieur de Valorius s'était échappé.
Face à ce danger, la tentation du pouvoir prenait sens en même temps que la pondération et la réticence golmorienne s'amenuisaient. Elle n'était plus à Golmorre, et ici dans Sombrelinceuil, il y avait d'autres endroits cachés au plus profond de la forêt où le soleil ne touchait jamais le sol et où la roche brillait comme le ciel de minuit sur les rivières chantantes.
Là-bas, elle trouverait son pouvoir. Si les esprits les plus sombres de la forêt voulaient bien le lui accorder.

"Ivanhault ne va pas aimer cette idée..."
Lerith Il y a 1 semaine et 3 jours
Les profondeurs de Sombrelinceuil sont aussi inquiétantes que je l'imaginais. Quiconque s'aventure là-bas croyant qu'il s'agit d'une forêt enchantée aux esprits bienveillants et joueurs tels que les mogs commettrait une erreur qui lui sera fatale un jour. Je l'ai appris à mes dépends, bien que Kiip m'avait déjà renseigné sur le sujet. Rea aussi m'avait dit de faire attention et lorsque Petite Lune m'a parlé de cette expédition à la Fontaine d'Urth je pensais avoir pris toutes mes précautions.

On avait un guide en la personne d'Ivanhault, on avait de quoi tenir la nuit en forêt, nous nous étions préparé ce qui fait que même lorsque nous avons aperçu le sanglier géant dont Réa m'avait parlé, personne n'a perdu son sang froid. J'ai fait diversion en lançant une pierre et nous avons réussi à passer, il n'y a qu'un chemin pour ce sanctuaire nous n'avions pas d'autre choix.
Sur place, certains d'entre nous vîmes pour la première fois cette clairière parsemée de cristaux supposés garder enfermé le puissant Odin. Je savais que ce n'était plus le cas, et que si la météo changeait brusquement nous devions partir sans attendre, ce n'est pas arrivé.

C'est après que ça s'est gâté... ...Quand j'ai dansé.

J'ai répondu malgré moi à cet appel, je croyais que c'était un esprit, aujourd'hui je ne suis plus très sure. La seule chose que je sais, c'est que sans le savoir je l'ai invité à entrer et qu'il m'a emmené avec lui. L'eau s'est soudain mis à tourbillonner comme si un barrage avait cédé en amont du Don d'Urth. Le courant m'a emporté sous terre, j'ignore comment et je me suis retrouvée dans l'obscurité la plus totale. Et je n'étais pas seule.
A mon réveil j'étais allongée sur une table de pierre, je crois parce que je n'y voyais absolument rien. Il y avait quelqu'un avec moi, je l'entendais à ces paroles inaudibles qu'il marmonnait. Je n'ai compris que "l'eau, c'est la vie".

Évidemment je n'allais pas attendre de savoir ce qu'il me voulait, j'ai fui sans savoir où j'allais. Je me suis fiée au seul son que je reconnaissait : l'écoulement d'une rivière.
J'ai avancé comme je pouvais, mains sur les murs et parfois les pieds dans l'eau. Je me suis dit que si je remontait le courant je finirais par sortir. J'entendais que l'entité derrière moi me suivait, il aurait pu me rattraper mais il ne l'a pas fait. J'ai du passer vingt, trente minutes à marcher dans le noir absolument terrifiée. J'avais froid et je crois qu'à un moment j'ai perdu connaissance, juste après avoir enfin aperçu la lumière au bout du tunnel. Je ne me souviens pas comment je suis sortie, ils m'ont retrouvé dans une marre.
Valorius m'a dit plus tard que j'ai passé presque toute la nuit dans ces souterrains.

Je repense aux paroles d'Ivanhault : "les morts vivants sont légions en sous-sol".

J'ai encore beaucoup à apprendre sur cette forêt, et ce qui s'y cacher. Pourquoi m'a t-on appelé, parce que je maîtrise l'eau ? C'est peut-être à Gelmorra que se trouvent les réponses, peut-être que le frère d'Ivanhault pourra m'aider lui aussi. Je l'ai rencontré l'autre soir avec Valorius, il est bien différent de son frère... Il y a quelque chose aussi avec Petite Lune, je ne saurais l'expliquer. Ce que je vois elle le révèle, la "chose" semblait la craindre, craindre qu'elle ne le force à se montrer. A deux nous sommes... comment l'expliquer ? Si Valorius et moi sommes deux pièces associées d'un même puzzle, Petite Lune et moi serions les deux faces d'une même pièce, comme un puzzle à deux dessins. "La lune révèle", je ne sais pas quoi penser...
... J'y penserais plus tard, les autres m'ont appelé hier soir. Ils étaient partit en mandat à la frontière de Yanxia pour chasser un tigre errant trop proche de villages isolés. C'est Grenat, Itaru l'a reconnu, il avait encore son collier. Il a marché tout droit, tout ce temps en suivant la direction prise par l'Aeronef dans l'espoir de me retrouver. Ils vont me le ramener, mon fidèle compagnon... quelle folie lui a pris ?


Extrait du journal de Meleth

Lerith Il y a 1 semaine et 3 jours


L'hiver touchait à sa fin, laissant dans son sillage les dernières gelées nocturnes que le soleil printanier ferait disparaitre de plus en plus tôt chaque matin. Entre mille et unes aventures au sein de l'Ordre des Quatre Tours, la vérité sur la Trame et les souvenirs de Valorius achevèrent de dissoudre les dernières traces de Valoroix, avec l'aide de leurs compagnons. Ce chapitre touchait à sa fin et celui qui s'était occupé d'elle depuis plus de six lunes pouvait enfin se libérer de ce fardeau, construire sa propre vie et retrouver sa place en ce monde à commencer par sa propre famille, Solignac. Pour Meleth en revanche, c'était autre chose. Toujours privée d'une grande partie de sa mémoire, sa mésaventure dans Sombrelinceuil l'avait remit à sa place et elle ne voulait plus risquer une communication avec les esprits de la Sylve. Tout ce qu'elle savait de son passé lui fut transmit par les souvenirs de Valorius et ce ne fut guère glorieux. Celui qu'elle avait sagement attendu à Naatu n'était qu'un félon cherchant à se servir d'elle pour renaître... Heureusement, ils l'avaient découverts à temps et mit un terme au processus même si cela leur coûta beaucoup dont la vie pour certains. Corwin, le dernier frère de Valorius, s'était sacrifié pour leur donner une chance de vivre.

Les viéras avaient raison finalement. Laisser un humain entrer dans leur forêt, c'était ouvrir la voie au mal et à la cupidité. Les Filles du Torrent, poussées par la peur de voir l'envahisseur atteindre le cœur de la jungle de Golmorre, s'étaient affaiblies. Sur les "conseils" de Valoroix elle avaient invoqué elles-mêmes Za'or El'rak le Dévoreur et le rituel a mal tourné. Elle était la dernière trace, la seule qui avait échappé au châtiment.
Elle avait tenté de faire le vide, les derniers mots de Corwin laissés à leur attention lui apportèrent un peu de réconfort. La visite de Shinme aussi, la raenne avait apporté un regard extérieur dont elle avait besoin et pourtant... pourtant elle voulait juste s'éloigner de tout ceci. Elle était montée dans sa chambre, prétextant vouloir se reposer, mais une fois seule elle ouvrit la fenêtre et fila en douce.
Elle aurait pu passer par la porte, mais la voir partir en pleine nuit seule dans les bois aurait inquiété Valorius qui avait subit bien plus qu'elle ce soir. Inconsciemment, ses pas la conduisirent sur la rive silencieuse près du refuge des Sylphes où ils avaient dispersé les cendres de Corwin. Elle s'assit, seule sur l'herbe humide. Le ciel était redevenu clair, rempli d'étoiles.
"Que vais-je faire à présent ? Je suis un danger public chaque fois que je fais appel à mes pouvoirs, aucun souvenir de mon enfance ne me revient. Dis-moi Corwin, que t'attendais-tu à ce que je décide une fois que je saurais tout ceci ?"
Elle se laissa tomber sur le dos, les bras croisés derrière la nuque, et laissa passer la nuit.
Une étape de son voyage s'achevait, une autre devait se poursuivre : celle des Quatre Tours et la légende derrière le sceau gardé sur l'Île de la Flèche. A travers Valoroix, ils avaient eu un aperçu de ce qu'il renfermait et ce pourquoi l'Ordre existait puisqu'il avait jadis lui-même tenté de s'en emparer. La Trame n'était qu'un rouage d'une machine bien plus grande, une œuvre inachevée.


Le printemps s'installa doucement, chargé en mandats pour certains de ses compagnons tandis que d'autres tâchaient de reconstruire les liens que la Trame avait brisé. C'était le cas de Valorius et Hotaru, entre autres, qui peinaient désormais à s'entendre lors qu'elle savait pourtant tout l'amour que l'elezen portait à son amie danseuse. Meleth entreprit de faire accepter Grenat par le voisinage, un tigre veillant sur son logis avait de quoi inquiéter mais son fidèle compagnon savait se tenir. Elle voyagea un peu avec Hotaru quand le climat fut plus clément dans le Nord, elle voulait voir l'Eurée Feste cette ancienne ruine dravanienne où s'écoulent plusieurs cascades. Elles dansèrent là-bas sous la lune, mais la viéra craignait toujours de perdre le contrôle. La peur la paralysait.
"Tant que tu ne seras pas descendue dans les abysses voir par tes yeux ce qui alimente ton pouvoir et menace de tout dévaster, tu ne pourras pas le contrôler car tu ignores tout de lui, lui dit Hotaru avant de rentrer chez elle en orient. Plonge et souviens toi, ne lutte pas contre le courant."
C'est en revenant sur ses pas au plus profond de la forêt, là où son voyage vers le Nord avait pris tout son sens, qu'elle trouva le bassin à l'eau stagnante. Haut dans le ciel, la pleine lune s'était levée en ce huitième soir de la deuxième lune ombrale. Elle sentit que l'heure était venue.

Meleth s'avança dans l'eau, sure d'elle mais non dénuée d’appréhension. Ce soir, elle allait enfin comprendre, apprendre ce que sa mère n'avait pu lui enseigner. Ironie, que ce soit à l'autre bout d'une monde qu'elle réalise enfin ce qui s'était toujours trouvé sous son nez. Elle glissa lentement sur le dos, fixant le ciel une dernière fois avant de fermer les yeux et de se laisser couler. Entrainée dans une chute interminable, très vite, elle commença à manquer d'air ; c'était la première fois depuis longtemps, elle qui avait toujours connu cette bénédiction des eaux. Cette eau n'était pas ordinaire, elle était épaisse, sombre comme, presque collante et plus elle coulait, plus la pression se faisait sentir. Meleth garda les yeux fermés, concentrée sur le courant. Elle se laissait aller, sans lutter, elle ne devait faire qu'un avec l'eau et bannir la peur qui la pousserait à lutter.
Je suis une partie de lui, il est une partie de moi...
Son second souffle lui vint avec brutalité, elle ouvrit les yeux dans le noir complet tandis que son corps continuait de sombrer doucement dans les eaux troubles ; elle ne le sentait plus d'ailleurs. Elle voyait autour d'elle voguer nombre de particules et d'images de personnes qu'elles connaissaient, d'autres lui étaient inconnues.
Où suis-je ?
Elle pris une profonde inspiration, tentant de rester focalisée son environnement. Alors que les images glissaient sur elle, elle en toucha trois. Chacune lui offrant une vision différente de l'avenir. ses yeux s'écarquillèrent un peu plus, la laissant sans voix. La peur commença à monter, comme une boule d'angoisse au creux de son ventre, de plus en plus imposante. Elle commençait à avoir froid, perdue dans cet abîme glacé. C'est alors qu'une voix masculine remonta des profondeurs.

"L'avenir n'est jamais tendre quand on le regarde de loin."

Meleth sursauta. Elle se sentit soudain cernée. Quelque chose bougeait autour d'elle, une seule entité occupait tout l'espace. Il lui sembla entrevoir plusieurs formes immense serpenter à proximité, quelques grondement sourds comme une masse qui se déplace, provoquant un courant très fort. Elle avait beau ne pas le voir, il était... gigantesque.
"Tu es venu réclamer mon pouvoir, Fille du Torrent. Qu'offre tu en échanges ? Mesure ta réponse, ou tu me serviras de repas."
Ainsi, l'avertissement était clair.
"Vous êtes... le Torrent Noir ?
- Je suis ce que je suis, j'ai bien des noms... Bien des formes... tout dépend de qui vient me voir"

A nouveau elle le sentit bouger, la pression sur sa gauche la repoussa légèrement. S'il lui venait l'envie de l'écraser comme une brindille elle n'aurait même pas le temps de voir venir le coup.
"Toutes les filles du torrent vous ont offert quelque chose de différent ?
- Toutes sont mes filles, mes enfants, toutes sont miennes même tes sœurs que ton ennemi a volé."

Le silence revint, bien que Meleth sentait toujours la présence oppressante de l'entité. L'attente faisait grandir la peur, elle ne devait pas attendre, elle devait décider ici et maintenant de ce qu'elle offrirait, mais qu'avait-elle à offrir ? Elle n'était rien, juste une apatride, une exilée de Golmorre. Elle ne se souvenait même pas des histoires qu'on lui racontait sur le Torrent Noir, sa mémoire brisée ne lui transmettait que des bribes de sentiments : peur, respect, filiation. Fille du Torrent, il est le Torrent.

"Les Filles du Torrent ont été massacrées. Je n'ai plus de foyer, plus de sœurs, je n'ai même plus qu'un fragment de mes propres souvenirs. A offrir je n'ai qu'un corps, un cœur et une âme."

Ces mots prononcés, elle se mit à danser avec l'eau. Flottant dans les courant elle usa de ces courants qui la ballottaient de droite à gauche comme d'un appui faute d'avoir un sol sous ses pieds. Elle ne cherchait plus à lutter pour se stabiliser, l'eau noire devait être une partie d'elle.
Son ombre s'agrandit, ce n'était pas Una cette fois mais ses peurs, ses doutes, sa frustration, tous ses ressentiments refoulés, ses souvenirs oubliés qui prenaient corps dans le Torrent Noir. Dès qu'il fut sortit, Meleth ressentit une nouvelle force, un désir de vivre et de rentrer chez elle à Golmorre. Elle ressentit l'espoir, le besoin de fouler à nouveau les terres de sa naissance et d'un refonder un jour la tribu des Filles du Torrent, mais avec de nouveaux principes. Trouver les moyens, les forces pour y aller, participer au départ de l'empire et retrouver les racines de son peuple.. c'était là un espoir de fou, mais réel.
D'abord à l'unisson avec elle, l'ombre se plaça en opposition pour l'affronter. Meleth se cessa aucun de ses mouvements face à son double. Les rafales devenaient de plus en plus violentes mais elle les repoussait sans chercher à l'anéantir en retour.
Ils font partie de moi, je ne les nierai pas, je les accepte.
Malgré la difficulté, elle persévéra, parant chaque coup pour sa propre survie. Elle tenait bon mais peu à peu elle arrivait au bout de ses forces physique, peinant à s'harmoniser à nouveau. Un pas après l'autre, elle finit par se rapprocher de son ombre devenant plus claire alors qu'elle-même devenait plus sombre. Les rôles étaient inversés, mais pas pour longtemps. Elle prenait les deux, le tout, et au bout d'un long moment à se tourner autour, les deux silhouettes ne firent à nouveau plus qu'une.
Épuisée, elle se retrouva immobile, flottant dans les ombres du Torrent Noir.
"Aucune avant toi n'avait accepté cela, mais sache que tant que tu avanceras devant ton ombre et non l'inverse mon pouvoir restera en toi. Comme tu as quitté la grand forêt je ne pourrais te toucher et t'offrir ce que tu désires car tu sais désormais où doit te mener ton destin. Lorsque tu auras posé la pierre de ton foyer, sur les terres libres de tes ancêtres , nous nous reverrons à nouveau.. et tu apprendras ce qui t'es du. Comprends tu cela ?
- Je le comprends."

Une onde violente, extérieure, vint alors perturber cet instant. Quelque chose venait de se produire, ailleurs, loin d'ici, et venait de faire vaciller l'ensemble. Une première douleur naquit au niveau de son ventre, le saphir dans son nombril devint glace et se brisa avant de se fondre dans le torrent comme un glaçon dans l'eau chaude. Une seconde douleur lui arracha un cri lorsque l'anneau de saphir, dernier souvenir de Valoroix, se changea en pierre avant d'éclater, lui cassant le doigt. La voix des profondeurs s'éleva une nouvelle fois, menaçante et possessive.

"Je suis en toi, tu es en moi, à jamais."

Elle répéta ces mots, alors que le flot sombre l'emportait au loin. Rouvrant les yeux après les avoir protégé du courant, elle se retrouva dans le bassin où elle était entrée, l'eau noire quittant son corps pour retourner à la lune sombre sur la surface de l'eau. Son son regard, au bord du bassin puis une dernière fois en direction de l'eau sombre que les rayon de lune firent disparaitre au profit d'une eau claire et pure devant laquelle elle dansa une nouvelle fois.
Sa force et son courage lui revinrent cette nuit-là, et un peu plus chaque nuit suivante. La Fille du Torrent revint aux côtés de ses compagnons, bien décidée à ne jamais plus les abandonner comme elle l'avait fait à cause de la peur. Elle voulait apprendre à contrôler cette force, et pour cela sa mémoire devait absolument lui revenir. Elle était prête à tout pour la retrouver.
"Tu n'es pas seule, Fille du Torrent."

Lerith Il y a 1 semaine et 3 jours


Elle les voyait depuis les hauteurs ; ils étaient là, alignés face au groupe, la poitrine gonflée d’orgueil. Parce qu'ils détenaient Meryl et Anastazja, ils pensaient avoir le contrôle de la situation. Voici maintenant plusieurs semaines que ses compagnons et elle luttaient contre une organisation appelée "L'Oeil". Jusqu'ici, ils étaient parvenus à contenir leurs actions terroristes mais en représailles ils avaient enlevé deux des leurs et proposé un échange.
Kazami avait été claire : "on fonce tout droit dans un piège", elle avait vu la trahison, mais eux aussi avaient plus d'un tour dans leur manche et ce soir ce tour s'appelait Meleth. Le Voile avait fait l'erreur de choisir cet endroit pour la rencontre : l'Eurée Feste, dans l'Avant-Pays Dravanien. Ce même site où elle avait dansé avec Hotaru lors de leur voyage au début du printemps.
"Dès que tu entendra le son de cloche, déchaine le torrent."
Elle s'était entraînée ici pendant des jours et des jours, s'il y avait un endroit en Eorzéa où elle avait pu s'harmoniser parfaitement avec le torrent, c'était ici. Et ils venaient de faire le deuxième erreur.
"Entendu, alors au son de la cloche le combat commencera. Cela vous convient-il ?
- Soit."

Meleth n'attendit pas plus et commença à danser au cœur du torrent, loin de leur portée et de leur regard, ils ne verraient rien venir. Lentement le l'eau commença à s'agiter sous ses pas tandis qu'elle se concentrait.

"J'en appelle aux forces de la nature.
Père, entendez mon cri, que la rivière se déchaîne sur ces intrus !"



Un grondement se fit entendre en contrebas, et le temps de lever les yeux après avoir engagé le combat, ils n'eurent pas le temps de réagir. Le torrent noir les balaya comme de l'écume, ils furent presque tous noyés, broyés contre les murs en ruines, excepté leur chef qui se releva. Néanmoins, le combat était à présent joué d'avance, ils avaient gagné. Meleth se fondit dans le torrent prête à les rejoindre tandis que Yul et Itaru prenaient le dessus sur leur dernier adversaire.
La victoire fut de courte durée, une voix qu'elle ne connaissait pas résonna dans le vaste monument.
"ASSEZ !"
En un instant, l'Eurée Feste toute entière était couverte de glace, et Meleth se retrouva piégée à l'intérieur du torrent. Plus rien ne lui répondait, l'eau s'était endormie. Elle n'avait jamais vu cette femme mais à la réaction de ses amis, eux la connaissaient. Visiblement, Morgane avait été l'un des otages du Schisme qu'ils avaient libéré et elle les avait aidé sur plusieurs mandats ; voici donc la fameuse trahison dont parlait Kazami.
"Vous nous avez menti depuis le début, vous êtes l'Invocatrice !"
La colère se lisait dans le regard et la voix de Kasami, Shinme s'était muée dans le silence, concentrée sur la partition de son violon enchanté. Ils étaient tous bloqués, les pieds coincés dans une épaisse couche de glace. Tandis que Morgane se perdait en monologue, Meleth tenta de trouver une solution avant que les autres ne soient offerts en sacrifice pour le rituel qu'ils avaient prévu de mener ici.
"Aller, réveille-toi.. réveille toi !"
Rien n'y faisait, cette glace n'était pas normale, ce pouvoir n'était pas humain, ses pouvoirs étaient insuffisants ne serait-ce que pour affaiblir la glace aux pieds d'un seul de ses compagnons. Elle se sentait tellement impuissante, témoin de leur sort. Son seul avantage était que l'ennemi ne l'avait pas vue, elle. Elle était la seule encore libre mais ne pouvait rien faire. 

"Esprits de la nature, vous ne pouvez accepter qu'elle prenne ainsi le pouvoir sur vous par ses artifices corrompus !"


Alors qu'elle était sur le point de désespérer, elle sentit un regain d'énergie au creux de son ventre. Quelque chose venait de se libérer. Son corps était loin d'être assez fort pour déchaîner tous les pouvoirs du torrent noir, mais peut-être le serait-il assez pour briser la glace.
"Que...?!"
Coupée en plein dans ses déclarations, l'Invocatrice vit sa glace faiblir, l'eau en dessous tourbillonnait furieusement. Pendant un bref instant, les autres purent se libérer et tenter d'attaquer. Elle ne voyait pas tout ce qui se passait mais cet éphémère pouvoir ne lui permit pas de contenir la vague de glace qui suivit. Cette fois elle ne pouvait plus rien, et le rituel allait avoir lieu. A la surface elle les entendait crier et se débattre comme des lions pour l'en empêcher. Meleth, désespérée, se mit à cogner contre la glace en hurlant ; personne ne pouvait l'entendre. Si seulement cette glace pouvait céder ne serait-ce qu'un peu pour que l'eau noir jaillisse, mais elle était là, coincée en-dessous. A quoi bon être une Fille du Torrent si l'eau gelée ne répond plus à ses appels ? Elle maudit sa faiblesse, et ses amis étaient en danger.
"Je les entends..." Sanglota t-elle, ses larmes aussitôt emportées par les flots.
Et soudain, la glace céda. Qu'avaient-ils fait ? L'Invocatrice sonna la retraite, ils avaient réussi à la mettre en déroute. Les mages de l'Oeil et son escorte prirent la fuite, emportant avec eux Meryl et Ana. Le Lieur, lui, plongea ses mains dans l'eau, sans doute pour lancer un autre de ses sortilèges de sang.
"Oh non certainement pas !"
L'eau noire jaillit des flots et tenta d'emporter ce monstre dans les abysses. Meleth dansait avec le torrent, la rage au cœur. Ils ne purent pas empêcher leurs deux amies prisonnières d'être emmenées une fois de plus mais un tir puissant venu des hauteurs explosa le crâne du Lieur qui tentait de se libérer de l'eau noire, il mourut ainsi les bras dans l'eau. Meleth en sortit quelques instants plus tard, le corps engourdi par sa trop longue harmonisation. Elle ne suivit pas l'échange entre Itaru et les trois inconnus qui leur étaient venus en aide, elle laissa Shinme l'aider à se traîner jusqu'au bord où Ivanhault, Yul et Kazami gisaient en piteux état.
Ce soir, ils avaient déjoués les plans de l'Oeil, mais ils n'avaient pas pu récupérer leurs amies, et le prix à payer était douloureux. Elle avait prévenu Valorius par perle qu'elle rentrait directement à la chaumière depuis l'hopital, elle ne se sentait pas la force de rentrer à Brumée. Quand elle ouvrit la porte il n'était pas encore arrivé mais elle savait qu'il ne lui faudrait pas une demi-heure avant d'être là. Tout était silencieux dans la maison, et comme un appel, sa bibliothèque était là, devant la porte sur le mur d'en face. Elle avait bien retenu l'une des phrases de Morgane juste avant que la glace ne se brise la première fois : "Rien ne serait possible dans ces plantes yanxiennes".
Elle grimpa sur l'escabeau, en quête d'un ouvrage bien précis.
"Ah, voilà. Combinaisons plantes et magie, chapitre dix : invocations. Yanxia, Yanxia,... J'ai trouvé ! Bien, voyons quelles plantes sont associables à une convocation de flagelleur..."
Quand Valorius entra dans la chaumière moins d'une heure plus tard, il trouva Meleth profondément endormie sur le canapé du salon. La fatigue avait finalement eu raison de sa volonté et de sa colère. Sur ses genoux le livre était encore ouvert, et sur la table du salon de petits éclats de glace et d'eau scintillaient à la lumière des étoiles.
Meleth maîtrisait l'eau avec aisance et même élégance lorsqu'elle dansait, mais la glace répond différemment. Sous forme solide, l'eau est figée, le torrent laisse place à l'inertie et elle ignorait tout de ce qui arriverait le jour où elle s'y essayerait. Pourtant, à ce moment précis, elle croyait sincèrement que ce serait essentiel aux combats à venir.



Le soleil se couchait sur la mer noscéenne lorsqu'ils se rassemblèrent sur le navire qui partait pour le large, Kikuchi tenait dans ses mains l'urne funéraire des deux dernières victimes de cette guerre contre l'Oeil. Meryl, Anastazja, elles n'avaient pas survécu et malgré la victoire définitive sur cette secte de malheur ils étaient rentrés avec deux cadavres. Elle n'avait pas réussi à maîtriser la glace, pas même un peu, et toute la fureur du Torrent Noir n'avait rien pu faire contre le destin. Trop de morts, trop de funérailles ces derniers temps, plus que certains ne pouvaient en supporter. Meleth se tenait près de Valorius, en silence, la mort faisait partie de la vie et ils avaient tous accepté les risques lorsqu'ils s'étaient attaqué à pareil adversaire ; ce ne serait pas le dernier.
Tandis que, un à un, les membres de l'Ordre s'approchaient afin de prononcer quelques mots à la mémoire de leurs amies disparues, Meleth sentait la brise marine soulever les pointes de ses cheveux au-dessus de sa nuque. Ils avaient tous remarqué. Certains cherchaient déjà à en comprendre le sens. La cérémonie s'acheva, et sans perdre de temps ils se réunirent dans la salle commune pour parler de leur dernier combat en tant que Quatre Tours. Trop de morts, trop de funérailles, mais ce combat était le leur, ce pourquoi ils avaient été rassemblés dès le départ. Elle n'était pas femme à croire au destin tracé surtout après l'épisode de la Trame, mais elle ne croyait pas non plus aux coïncidences et au hasard. Il y avait une raison à ce qu'ils soient tous ici, maintenant, appelés par un sortilège vieux de 1600ans et attendus par des âmes figées dans le temps.
"Dis, Valorius... Penses-tu que l'on puisse changer le passé ?
- Hm ?
- Hm... rien oublie. Bonne nuit."

Elle se contenta de lui sourire, laissant ses chaussures au bas de l'escalier avant de monter dans sa chambre. Elle préférait ne pas être là pour le voir repartir au cas où il découcherait à nouveau. Oh, elle était heureuse pour lui, à n'en pas douter, et ne voulait pas lui montrer son malaise dont il aurait été capable de culpabiliser. Une fois la porte refermée, elle s’effondra sur le lit.

Un an, presque un an qu'elle était ici avec eux, elle voyait sa vie d'avant s'éteindre, au crépuscule de ces douze lunes passées loin de Golmorre, loin de chez elle. C'était ici chez elle, à présent. Ce silence dans ses oreilles était devenu son quotidien, mais quand elle voyait autour d'elle tous ses amis et compagnons d'aventures s'unir et se lier, cela la ramenait à sa propre solitude, celle qui ne serait jamais brisée.
"Tu avais tort Corwin..." Souffla t-elle contre son oreiller.
Cette fracture, comme une fissure dans son cœur, grandissait de jour en jour et la rendait plus distante, comme un mur qui se construit entre elle et le monde. Elle avait remarqué cela chez certaines de ses congénères exilées, bien que la plupart manifestent des signes contraires en devenant presque plus humaines que les humains. Sans la jungle, sans la frontière avec le monde extérieur, elle façonnait elle-même sa propre barrière pour s'en préserver. Ce n'était pas une mauvaise chose au final, que Valorius ai rencontré quelqu'un qui lui apporte de nouveaux liens alors qu'elle-même devenait de plus en plus solitaire et marginale. Ce changement elle l'avait senti venir, elle le sentait s'installer, irrévocable...
En tournant la tête, il lui sembla apercevoir un corbeau perché sur la fenêtre. La lune qui avait commencé à décliner au-dessus de la cascade éclairait toute la lavandière et ses mille et unes fleurs. La Sylve était belle, elle sourit. Il y avait pire tout de même, que de se retrouver exilée en un lieu si paisible, et de voir tant de choses avec des personnes d'exception. Elle tendit la main en direction de sa fenêtre, celle-ci retomba mollement sur les draps quand la viéra se laissa emporter par le sommeil.

Comme souvent, elle revit dans ses rêves les cimes des grands arbres qui l'ont vue naître et entendit le chant des cascades. Mais comme toujours, c'est comme si un voile couvrait ces images l'empêchant de voir les visages d'entendre les noms de ceux qui s'y trouvaient. Elle ne pouvait que ressentir, éprouver des émotions et parfois discerner un mot, un geste fugace que le brouillard absorbait avant qu'elle puisse lui donner du sens.

Si je veux garder ma raison, je dois savoir et retrouver mes souvenirs.
Lerith Il y a 4 jours et 10 heures


Bien que l'Oeil fut vaincu, cette amère victoire distilla auprès de ses compagnons des aspirations nouvelles que Meleth partageait déjà depuis longtemps. La quête des Quatre Tours s'achevait avec le printemps. Le mystère de l'île de la Flèche enfin dévoilé chacun songeait à la suite et il semblait inévitable que bon nombre d'entre eux partent de leur côté sans que les liens d'amitié sincère ne soient brisés. Certains voulaient devenir mercenaires, retrouver une liberté au travers de mandats en tous genre, certains se voyaient dans le commerce ou bien l'érudition. La viéra faisait partie de ce noyau très soudé souhaitant rester auprès de madame Kurusu dont les ambitions se portaient à présent vers l'horizon infini. L'Eternal, ce vaisseau magnifique, lui appartenait porteur de rêves d'exploration. Une compagnie d'explorateurs, voilà une idée qui lui plaisait. A force de fréquenter les marins sur le port, elle connaissait le langage nautique et apprit rapidement à être gabier, Nazah comme support technique pour les premières leçons.
Perchée sur ce grand mât, elle voyait le monde autrement. Ses pieds qui ne touchent pas le sol, elle se sentait pousser des ailes. Elle avait retenu le nom de chaque voile, chaque vergue, chaque carré de bois de ce navire avec pour ultime plaisir de ces voyages, allumer les lanternes quand le soleil s'est couché. Dans cet empire des cieux, il n'y avait pas de roi et pas de frontières. L'Eternal apportait plus de joie dans les yeux de ses compagnons qu'aucun d'eux ne l'aurait pensé, ils le lui avaient confié pendant leur premier voyage sur l'île de la Flèche désormais paisible et quasiment déserte. Elle ne l'avait avoué qu'à demi-mot, mais elle le pensait aussi. Danser dans les cordages en chantant en chœur avec les autres gonflait son cœur autant que les voiles, et le vaisseau lui répondait comme il répondait à tous. Ce lien lui rappelait un peu celui qu'elle avait avec ses sœurs lorsqu'elle vivait parmi les autres viéras.
"Je veux aller plus loin, beaucoup plus loin..."
Pourtant, ce nouveau chapitre de sa vie au sein de la compagnie s'accompagnait de ses propres tourments. Ses rêves fréquents ne lui causaient aucun mal mais elle se sentait frustrée d'entrevoir un fragment de ses souvenirs sans jamais pouvoir en épaissir le trait. Avec l'aide de Valorius, elle commença à chercher le lien entre sa mémoire scellée et son rapport à l'élément eau. C'est ainsi qu'ils trouvèrent dans l'un des livres du mage un concept très vague, presque poétique plus que scientifique ; une théorie selon laquelle l'eau retient l'ether mémoriel qui, de base, est inexploitable à moins d'être cristallisé. Or, la glace fige l'eau et rendrait ainsi exploitable l'ether mémoriel. Dans ce livre, c'était de l'ordre de la théorie un peu vague, l'utilisation de l'ether mémoriel étant elle-même très théorique au-delà des matérias et de quelques excentriques spécialistes de l'oniromancie. C'était pourtant une piste, et elle impliquait que Meleth tente de manier la glace. Elle se rendit donc dans le Coerthas à nouveau, et passa son été dans à Manteneige à danser sur la glace, essayant d'en capter l'essence afin de savoir comment la manier. Ce ne fut pas une partie de plaisir et les premiers temps elle rentrait chaque fois complètement gelée sans avoir accompli le moindre progrès.
Le hasard voulut qu'en cette même période, la sainte cité d'Ishgard ouvrit un chantier de reconstruction pour le quartier populaire d'Azurée et la viéra avait continuellement besoin d'argent pour continuer de retaper sa vieille chaumière de plus en plus confortable. Aussi, elle optimisa son temps en accomplissant elle aussi des mandats de livraison pour les artisans du chantier. Grâce à ses bases acquises en alchimie, elle créa également des pains de savon pour les commandes du chantier. Chaque jour ou presque elle s'y rendait, puisque la compagnie en pleine restructuration ne l'attendait sur aucune mission pour le moment. Et aussi curieux que cela puisse paraître, passer sur temps à Ishgard l'aida bien plus que les heures passées à Manteneige.


"Bonjour Meleth ! Vous semblez en forme ce matin."
L'ouvrier sourit, voyant la jeune viéra passer non loin de lui en dansant sur le pavé, grâcieuse comme toujours malgré l'épais poncho qui couvrait ses épaules. elle tenait à la main ce panier rempli de savons qu'elle livrait régulièrement sur le chantier depuis son ouverture il y a des lunes de cela. Elle sourit, le saluant d'un signe de la main à la fois chaleureux et distant, elle ne s'approchait jamais trop près des humains de son propre chef.
Le soleil baignait de sa lumière les toits des maisons tout juste construites, ses rayons réfléchissaient sur l'ardoise, l'éblouissant jusque sur la rambarde de l'Estrade de Sainte Roelle.
"Bonjour Meleth." La salua une passante qui travaillait au comptoir des artisans, à nouveau la viéra répondit d'un signe de la main tout en poursuivant sa route. Le bruit des conversations, le cri des oiseaux d'hiver dans les corniches, les outils au travail, tout ceci formait une mélodie que ses grandes oreilles pouvaient entendre, un rythme qui s'imposait à ses pieds. Ainsi, sans musique, elle dansait. Le froid ne l'avait jamais inspirée, la neige et la glace ne chantaient pas comme l'eau d'une rivière ou l'océan sauvage, cela était récent.
La déferlante n'avait plus court ici où l'inertie générée par le froid emprisonne l'eau sous forme solide. Plus elle tentait de s'harmoniser avec la glace comme elle le faisait avec l'eau, plus elle se sentait sombrer dans l'inertie elle aussi jusqu'à devenir glace elle-même ce qui lui serait fatal ; il lui fallait une autre approche. Mais la danse ne peut être inertie, la danse doit être mouvement, quel mouvement ressort de cette vie dans le froid ? Plus elle les observait, plus elle avait du mal à saisir la nuance. Ils étaient eux aussi joyeux, eux aussi bougeaient au gré de leur quotidien dans la Sainte-Cité. Les gens d'ici n'étaient pas différents des autres au premier regard, et portée par le rythme Meleth dansait encore et encore, espérant trouver les pas qui conviennent.
"Bonjour Meleth, qu'apportez-vous aujourd'hui ?
- Comme chaque semaine Monsieur Brown."

Elle offrit de loin un sourire au marchand qui finissait de décharger ses caisses devant le comptoir de matériel à destination du Diadème. Non sans surprise, elle ne vit s'approcher d'elle tout en s'essuyant les mains dans son tablier.
"Vous tombez bien, j'ai quelque chose pour vous."
Elle haussa un sourcil, le regardant fouiller dans sa besace pour en sortir un livre, presque un cahier tant il était peu épais. Lorsqu'il le tendit vers elle, elle ne le prit pas tout de suite.
"Qu'est-ce que c'est ?
- Trois fois rien vraiment. Je n'avais pas eu l'occasion de vous remercier pour votre aide l'autre jour. Alors tenez, vous avez dit que vous aimiez les livres."

Indécise, elle le remercia toutefois et accepta le cadeau. L'ouvrage n'avait rien de spécial, c'était avant tout pour l'intention. Son regard s'attarda sur le titre : "aurores boréales". En le feuilletant elle constata que ce n'était qu'un recueil de plusieurs sites où l'on avait pu assister à ce genre de phénomènes dans le Coerthas, accompagné de belles aquarelles qui n'avaient rien d'exceptionnel. Il y avait même plus de dessins que de textes mais qu'importe, cela s'ajouterait à sa collection.
"Merci monsieur Brown. dit-elle, sincère.
- Je sais que nous ne sommes pas très chaleureux dans ce pays mais peut-être y trouverez-vous une forme de beauté pour vos prochaines représentations.
- Oh... Oh non, non n'allez pas croire que... la scène ce n'est pas pour m-..."

Il était déjà repartit vers sa charrette, agitant une main par-dessus son épaule. Une personne bien aimable ce monsieur Brown, qu'elle regrettait parfois de ne pas mieux connaitre. Elle n'était pas prête à s'associer aux humains à ce point, pas encore.

Pourtant, ce livre ne cessa de la travailler durant tout le temps de ses livraisons et au retour, elle se plongea dans sa lecture durant tout le temps que dura le trajet en charrette depuis Gridania jusqu'à la Lavandière. Couchée sur les sacs de légumes à destination du ranch de Brancharquée, elle ne décrocha pas son regard des aquarelles et des notes.
"Particules ethérées chargées de lumière solaires qui reflètent une lueur dans le ciel, la neige et la glace jouent un rôle réfléchissant comme une prisme qui sépare les rayons et les renvoie..."
Elle cligna des yeux, s'attarda sur ce passage. L'illustration sur la page suivante représentait les couleurs de l'arc-en-ciel se reflétant dans un glacier puis dans le ciel au-dessus, simple mais vraiment joli. Visiblement ce genre de phénomène se produisait surtout l'hiver.
"J'ai tout faux depuis le début. Je me focalise sur l'eau qui constitue la glace, mais l'élément n'est plus le même, sa musique ne vient pas du même endroit !"
La charrette s'arrêta d'un coup, elle fut coupée dans ses pensée et manqué de basculer sur le côté.
"Nous sommes arrivés mademoiselle. Je m'arrête ici.
- Merci bien, je vais finir la route à pieds !"

Elle sauta sur ses deux jambes et s'en fut presque en courrant, sans oublier un dernier signe de la main à son cocher qui se gratta un sourcil sous sa casquette, perplexe. Dans les bois qui bordent la Lavandière, Meleth courrait le long de la rivière, bondissant sur les rochers où ruissèle l'eau chantante. Ici était son élément, la vie qui s'écoule au rythme de ses pas.
"Valorius ! Valorius j'ai trouvé !"


Suite à cet épisode, sa maîtrise de la neige et de la glace put enfin avancer. Ce ne fut pas plus facile mais au moins elle en comprenait le sens. Si la glace est une eau figée, elle est plus lourde et ne peut virevolter comme des gouttes d'eau. Elle pouvait en soulever une masse mais avec difficulté, elle ne pourrait pas lancer de trait de glace comme les occultistes avant plusieurs années de pratique. Mais ce qui l'intéressait surtout, c'était le fait de pouvoir capter l'ether mémoriel emprisonné dans la glace, des souvenirs absorbés par l'eau et figés par le froid comme suspendus dans le temps. Si elle y parvenait... ce sera un pas en avant.
"Il faudrait que tu t'entraîne dans une zone fortement chargée en ether" suggéra Hotaru. C'est ainsi que vint l'idée d'explorer le Diadème, cette région d'Abalathia où beaucoup de récolteurs du chantier d'Azurée se rendent en aeronef. Le choix n'était pas non plus totalement anodin, Meleth parlait depuis des semaines de cet endroit et de sa volonté de s'y rendre pour observer les nombreuses créatures étranges qui y vivent. A Ishgard, on lui avait parlé des pégases, des chevaux ailés particulièrement rares car ils craignent l'homme et vivent loin de toute civilisation. D'ailleurs pendant longtemps leur existence ne fut pas confirmée jusqu'à ce que des aventuriers en aperçoivent dans les coins reculés du ciel près des îles volantes au nord d'Abalathia. Le voyage fut planifié rapidement, et en quelques jours le temps de préparer un sac à dos et de quoi camper, elle partait avec Hotaru, Albynn et Kyraniel.


"Je vais mourir, je vais mourir ! je vais mouriiiiiiiiir !"
Hotaru ne cessait de crier cela, cramponnée à Meleth, elle-même cramponnée à la crinière de Fallon sous le regard à la fois curieux et rieur du petit poulain volant qui cabriolait dans les airs à leurs côtés. Kyraniel et son compagnon se chargeaient de transporter le matériel de camping. Finalement, ce voyage fut moins porté sur son entraînement que sa rencontre avec ce danseur du ciel qui l'avait menée à son troupeau. Elle l'avait baptisé Fallon et s'était liée d'amitié avec lui après l'avoir tiré des griffes d'un zu féroce voulant dévorer son petit frère encore poulain. Il était courageux, mais aussi aventureux. Il avait choisi de son plein gré de la suivre sans doute pour voir du pays, il serait libre de repartir quand il le voulait.
"C'est encore loin Nid du Faucon ? Demanda Meleth.
- Encore une demi-heure de vol, répondit l'Elezen entre deux éclats de rire.
- Je vais mourir ! répéta Hotaru."
La raenne hurlait à chaque virage, mais son sourire grandissait en même temps. Elle pouvait bien mourir maintenant, elle mourrait heureuse après toutes ces aventures, cette rencontre avec le troupeau, et le fait de voler maintenant sur le dos d'une créature jusque là inconnue de ses yeux autrement que dans les livres. Meleth n'en menait pas plus large, à moitié couchée sur sa monture et les bras de son amie lui serrant la taille à l'en étouffer. Pourtant elle riait, savourant chaque seconde de ce voyage de retour tellement insensé, tellement au-delà de tout ce qu'elle avait imaginé.

Les premiers flocons de neige vinrent flotter autour d'eux, et Fallon piqua en suivant Kyraniel qui venait de passer devant, dans un nouveau cri de Hotaru semblable à celle d'une enfant sur une manège. On entendit leurs rires depuis le guet de Nid du Faucon bien avant qu'ils n'apparaissent.
"Tu sais Fallon, confia Meleth, c'est la première fois que je vole. Oh, avec l'Eternal on vole, mais avec toi j'ai le sentiment d'avoir des ailes à mon tour."
L'animal ferma les yeux un instant, comme s'il avait compris. Il ouvrit alors ses ailes un peu plus et ses sabots frôlèrent le toit d'un bâtiment avant de reprendre de l'altitude. Elle se sentait plus proche de lui que des humains au final. Comme les viéras, les pégases vivaient en groupes loin des hommes et leur folie. Comme elle, il avait croisé la route de ces intrus par hasard et avait été curieux en plus d'être dans le besoin. Comme les viéras, les pégases avaient longtemps tenu plus du mythe que du quotidien. Tout ce qu'elle espérait, ce que comme elle, il ne regrette pas son choix d'avoir quitté son troupeau pour voyager à ses côtés.

Cet été-là, Meleth fit un pas en avant dans sa compréhension de la voie de l'eau, comme dans celle des cieux. Elle voyait l'horizon se dessiner sous ses yeux, éclairé par un soleil plus éclatant que jamais, à l'image de ses espoirs.
"D'ici la fin de l'hiver prochain, j'aurais atteint mes objectifs."


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