Les Chroniques du Torrent

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Lerith Il y a 5 mois et 1 jour


Autrefois émerveillée par la neige du Coerthas, Ilsabard n'avait rien de comparable et l'excitation de la découverte avait rapidement cédé la place à la difficulté du voyage. Un froid mordant, des glaciers à perte de vue et cette structure noire à l'horizon semblable aux tours de l'apocalypse dont l'aura rougeoyante déchirait un ciel perpétuellement couvert. La neige tombait en continu, dans le meilleur des cas sans vent mais malheureusement pour eux, les météorologues de bord annoncèrent l'arrivée d'une tempête peu de temps avant que l'aeronef se pose non loin du camp Bris-de-Glace ; il faisait encore nuit. Noah n'avait pas prononcé un seul mot de tout le voyage, et se contenta de faire descendre Adalgis sur la terre ferme. Il referma le col de son manteau sans montrer le moindre signe de faiblesse ou de froid, lui qui avait pourtant vécu toute sa vie dans la jungle.

Le fauve renifla la neige pour la première fois, y enfonçant ses lourdes pattes. Son épaisse fourrure le protégeait mais le viéra y ajouta tout de même une épaisse couverture par-dessus son harnais de monte. Il y a accrocha leurs deux sacs avant de monter sur son dos et de tendre la main à Meleth, qu'elle saisit sans chercher à engager la conversation.
Le vent du nord déplaçait la neige sur ce désert de glace et autour des deux étrangers. Adalgis trottait en direction du camp, soufflant bruyamment à cause du froid. Noah se contenta de flatter l'encolure du félin qui les portait, un encouragement pour qu'il accélère le pas avant qu'ils ne gèlent sur place. Meleth attendait la suite, mais se perdit aussitôt dans ses pensées. Elle songea à Golmorre, à Esthar, Naatu, à Shamti et Lhei qu'elle avait laissé sans savoir si elles se reverraient un jour. Le même ciel, les mêmes étoiles. Le monde était bien moins vaste vu sous cet angle, les frontières bien plus floues. Où qu'elle soit si elle levait les yeux, sa sœur verrait la même chose et baignerait dans la même lumière. Dans le froid mordant, une forme d'apaisement la fit frissonner avant de s'affaisser contre l'épaule du viéra devant elle. L'espoir, même en ces terres, avait dont de réchauffer les cœurs gelés.


C'est en arrivant à Brumée qu'ils prirent connaissance de la situation à Garlemald et de l'initiative -pour ne pas dire acte impulsif- de la direction à ordonner que toutes les missions d'exploration soient mises en suspend et qu'on envoie tous les volontaires disponibles en renfort de l'Alliance Eorzéenne dans leur mission humanitaire. Le cas de Silius jouait très certainement, sa famille était là-bas, mais tout le monde savait que Kikyo avait aussi une promesse à tenir envers un ami défunt. Sitôt arrivés, elle était prête à repartir mais ses deux amis danseurs la retinrent le temps d'une soirée.
"La situation est difficile, les gens ont besoin de sourire. Si nous devons ne danser qu'une fois cette saison faisons-le bien."
C'était la Fête des Étoiles et la plupart des aventuriers la passeraient "au front" à Garlemald.
"D'accord, dansons."
- On fait ce qu'il faut, on donne tout ce qu'on a.
- Et on met le feu aux planches !"


Ce soir-là, à l'Escale de Llymlaen, le trio Lunaris monta sur scène sous les applaudissements. Le froid de l'hiver et la situation actuelle n'avaient pas -contrairement à ce qu'ils pensaient- dissuadé les clients de se présenter dans l'établissement afin d'assister à leur unique concert de la saison, et le premier de Meleth depuis son retour de Golmorre. Voir la lumière des décorations et entendre la musique associée aux pieds tapant au sol en battant la mesure dans le public gonfla son coeur du regain d'énergie qui lui manquait ; Hotaru et Cehwi'to étaient là et son corps vibrait sur les notes maintes fois répétées.
En rythme avec la musique, sa voix s'élevait dans la salle tandis qu'elle laissait ses émotions guider sa chorégraphie ; les images défilaient dans son esprit se superposant à ce qu'elle voyait. De la jungle à la scène de l'Escale, de ses deux partenaires de danse à sa sœur de Westhar bondissant à ses côtés, souvenirs et instant présent se mélangeaient en une ritournelle accompagnant sa danse.  Reculer d'un pas, en ligne, reculer en encore tandis qu'ils avance, revenir au centre dans un chasse-croisé de jambes et de regards, cette harmonie entre eux était plus qu'un remède. Il fallait qu'elle danse, elle avait plus que jamais besoin de chanter aussi fort, aussi beau qu'elle le pouvait. La voix de Cehwi'to reprit le second couplet avec enthousiasme avant qu'elle ne réponde avec Hotaru sur le deuxième refrain. La musique portait l'ensemble, elle pouvait se laisser porter sans retenue. La Fête des Etoiles avait ce pouvoir, celui de réunir les cœurs et de voir toutes ces âmes briller à l'unisson. Sur les branches des grands arbres, sur les rochers de la rivière ou le pont de l'Eternal ; sur la scène de l'Escale comme pieds nus sur l'herbe humide elle dansait encore et toujours sur ce qu'elle appelait "le rythme de la vie".
"Tu es le pont Meleth" avait dit Valorius avant de repartir, "Un pont entre ton peuple et le reste de l'humanité. J'espère qu'il y en aura d'autres, et que l'avenir donnera une nouvelle chance aux exilés."


Deux semaines passèrent, puis trois, puis ce fut la nouvelle année qu'ils passèrent autour des d'un réchaud. Elle n'avait jamais passé autant de temps dans un climat aussi rude, même à Ilirslaent. Retrouver les autres avait beau gonfler son cœur de joie, il régnait dans ce pays une tension extrême qui n'était due qu'à cette structure maléfique dominant les ruines de la capitale. Ici la glace a tout envahi, et le silence qui pèse sur la nuit n'apporte aucune paix seulement l'irrépressible appréhension. Tout est froid, figé, une inertie dont les plus courageux peinent à se sortir lorsqu'un nouveau groupe de réfugiés approche du camp Bris-de-Glace. La soupe de lentilles -c'est tout ce qui pousse de consistant dans ce pays- nourrit et réchauffe, mais les regards ne cessent de se tourner vers la Tour de Babil, et l'écho de la nouvelle se propage d'heure en heure : "c'est pour demain".
Pourtant sous et les étoiles, le froid mordant qui tue les enfants oubliés dans des abris sans chauffage, la beauté de ces paysages. Meleth déambulait au milieu des sapins bordant le camp, à quelques pas de la route menant aux aeronefs postés derrière les montagnes.
"Je comprends pourquoi les garlemaldais aiment tant leur pays, souffla t-elle à Nix qui flottait à ses côtés.
- Brrrrruuuuuuiiiil...!"
Le chant des radios porté par le vent venait bercer les longues oreilles attentives à son environnement, mais c'est un craquement de brindille dans son dos qui la fit se tourner, retrouvant face à elle la réalité de cette tour de l'apocalypse envahissant les ruines de la capitale au loin. Ce n'est pas ce qui attira son regard, bien que la vision de cette aura maléfique attisait un sentiment de malaise à chaque fois qu'elle y posait les yeux, les siens dévièrent sur le côté où la silhouette d'un autre viéra se dessinait entre les arbres. Il n'était guère plus visible ou loquace que lorsqu'il n'était qu'une ombre dans un coin de son esprit dont elle ignorait s'il était réel ou non. Les rares fois où elle pouvait l'entrevoir, elle l'observait en essayant de comprendre quelles pensées occupaient son esprit sans résultat. Il posa une main sur le tronc d'un arbre, silencieux, les sourcils froncé ; il coula un regard bref sur elle mais continua de marcher sans lui prêter la moindre attention. Ses oreilles pivotaient parfois, et il lui arrivait de poser un genou à terre pour examiner le sol. Curieuse, et n'ayant de toute façon rien de mieux à faire et aucune chance de trouver le sommeil, elle lui emboita le pas tout en gardant avec lui une distance raisonnable.
Les minutes défilèrent et la neige se remit à tomber, couvrant peu à peu leurs traces de pas. Elle le vit lever la main pour cueillir un flocon. Il avait du en voir peu dans sa vie, le Skatay était encore loin d'Esthar après tout. Ce n'est qu'après qu'elle réalisait que le flocon n'avait pas touché le viéra et continuait de flotter dans les airs au-dessus de sa paume. Le Fils du Torrent était donc capable d'influer sur l'eau sous une forme solide, en le réalisant Meleth ne put s'empêcher de retenir son souffle. Quel âge avait-il déjà ? Dans ses souvenirs d'enfance, les rares où il apparaissait, il était déjà adulte. Il avait bien plus d'expérience qu'elle, bien plus de connaissances et de maîtrise c'est certain.
Accaparée par cette réflexion, elle ne vit pas tout de suite le minuscule flocon qui flottait jusqu'à elle et loucha dessus lorsqu'il se posa sur le bout de son nez. Il s'était tourné dans sa direction, une main tendue et semblait attendre.
"Je... je ne sais pas.
- Montre-moi"
répondit-il simplement.
Lorsqu'elle leva les bras à son tour, ce ne fut qu'un mince filet d'eau issu de la neige fondue au contact de son corps qui se forma autour d'elle pour venir danser autour de ses épaules et de ses poignets. Un sourire gêné accompagna sa performance attendant le verdict du guerrier vétéran qu'elle voyait en lui. Il ne dit rien, ce fut peut-être le plus dérangeant alors qu'elle attendait sans savoir quoi dire. Elle finit par ajouter d'une voix hésitante :
"La glace... c'est possible mais dangereux."
Il fronça les sourcils. Le souvenir de la pointe de flèche de Luka sembla traverser son regard et il rebroussa chemin pour la rejoindre. Au fur et à mesure qu'il réduisait la distance entre eux Meleth devait lever les yeux pour soutenir son regard ; leur petite différence de taille prêtait à sourire sachant que la plupart des hommes viéras sont plus petits que les femmes. Elle comptait dans les exceptions et la situation aurait prêté à sourire s'il n'avait pas été aussi sérieux lorsqu'il posa le pouce au milieu de son front.
"Jamais, si l'on est pas prêt à affronter le passé."
C'était la première fois qu'il prononçait une phrase aussi longue en sa présence. Incrédule, Meleth se contenta de hocher la tête avant de frissonner ; le vent du nord descendait à nouveau dans la vallée. Il se détourna d'elle pour repartir en direction du camp. Adalgis apparut entre les sapins comme si le félin avait sentit lui aussi qu'il était l'heure de rentrer. Meleth demeura quelques instants en retrait avant de suivre à son tour, Nix avait des stalactites pendant à son corps, il était plus que temps en effet. 
"Noah ?"
Elle l'avait interpellé sans réfléchir, prise d'une soudaine impulsion et lorsqu'il s'arrêta pour la regarder à nouveau, elle fut prise de court sans savoir quoi dire ; elle savait pourtant la question qui lui brûlait les lèvres.
"Pourquoi... es-tu venu avec moi ?"
Un silence marqua la réponse qu'il finit tout de même par lui donner, sur un ton neutre.
"Apprendre."
Et il se retourna encore pour marcher jusqu'à son compagnon. Meleth ne sut que répondre et décida qu'elle se contenterait de si peu. Sur la route, ils croisèrent un autre convoi en route vers Bris-de-Glace, auquel elle confia sa récolte du soir. Du lin, et des lentilles pour changer. Noah ne prononça pas un mot comme à son habitude, et se contenta de suivre avant de s'éloigner une fois arrivés en destination. Comme d'habitude, il s'installa avec son fauve dans un coin près d'un feu, contre des sacs de lins posés sur un tapis épais ; c'est là qu'il dormait. Le campement ne dormait jamais, lui. Sur toute les bouches le "c'est pour demain" continuait à se propager et partout autour d'eux, les soldats fourmillaient en ordre de marche, chacun à sa tâche.
"Brrruiiiiiil...
- Oui je sais, Nix. On va rentrer dormir nous aussi."

Après avoir salué mes magasiniers qui recevaient les contributions pour les mettre à la réserve, la viéra et sa mascotte frigorifiée regagnèrent leur couchette, habités par un sentiment étrange. Ce pays n'était pas le leur, mais ce qu'ils s'apprêtaient à faire demain allait tout changer ici, pour toujours. Intervenir directement dans les affaires d'un pays contrevenait avec l'idée qu'elle se faisait de son métier d'explorateurs et pourtant elle connaissait l'importance de cette mobilisation. Un nouveau frisson la parcourut au moment où elle se glissa sous les couvertures, la sensation que le sol allait se dérober sous ses pieds d'un moment à l'autre. La terre souffre, elle pleure, elle se meurt...
"Si cette tour disparait, on pourra la sauver."

L'attaque eut lieu le lendemain. Plusieurs de ses compagnons volontaires rejoignirent les équipes d'assaut sur la capitale et le palais impérial, attaque dont le but était de focaliser toute l'attention de l'ennemi et des "subjugués" pendant que le Guerrier de la Lumière prenait d'assaut la Tour de Babil avec ses alliés. Leur seul but était de tenir, de gagner du temps et de protéger les derniers civils encore coincés dans des abris sous les décombres. Les risques étaient important et la mission tourna mal lorsque des mutations et machines de guerre apparurent aux portes des refuges. Ce fut un massacre, suivit d'une victoire amère car lorsqu'enfin le rayon aveugla transperça le ciel et que les combats cessèrent enfin, la neige était rouge du sang garlemaldais et de ceux qui étaient tombés pour les défendre malgré la guerre qui les avait longtemps opposés. Un cri perçant retentit alors, comme venu des tréfonds de la terre elle-même, un cri d'agonie qui vrilla les tympans de tous ceux qui se trouvaient dans la zone... et bien au-delà.
Les cadavres continuèrent de s'empiler. Même après l'arrêt des combats, peu de civils acceptèrent l'aide de ceux qu'ils considéraient toujours comme des ennemis venus se venger. Et Les longues de réfugiés au regard vide et au corps meurtri rappelaient que ce n'était pas par choix qu'ils avaient accepté. Ces gens désœuvrés ne voyaient encore ni la vérité sur leurs anciens dirigeants, ni la bonne volonté des humanitaires.
Leurs derniers jours furent peut-être les plus éprouvants.La délégation resterait présente, comme certains groupes humanitaires, mais les aventuriers commençaient à lever le camp ; l'Eternal aussi.
"Meleth, tu viens ?"
La petite voix fluette d'Albynn la sortit de ses pensées. Elle s'était tut depuis plus d'une minute sans s'en rendre compte et regarder les gens autour s'occuper. Le petit lalafell si avenant, toujours si enthousiaste, ne souriait plus. La dernière mission de recherche les avait confronté à un groupe de fanatiques impériaux encore plus mal en point et pourtant plus hostiles que jamais. Ils n'avaient rien pu faire pour ces pauvres gens endoctrinés par une reine autoproclamée prête à les emporter avec elle dans sa chute. Des enfants, des infirmes au bord de la mort qu'ils avaient dû laisser à leur sort et même leur laisser Ivanhault dont le savoir alchimique était tout ce qu'ils voulaient pour leurs recherches "anti-mutation". Ce sentiment d'impuissance, c'était pire que tout. 
"Dis, Meleth..."
Au lieu de repartir vers le convoi prêt à partir, Albynn s'était assis sur une marche à ses côtés, ses petits bras entourant ses genoux la mine pensive.
"Qu'y a t-il ?"
Il leva ses grands yeux vers elle.
"Tu penses qu'il va bien, Ivanhault ? Et monsieur Rei ? 
- Tu t'inquiètes encore ?
- Et si ils lui font du mal, et si il tombe malade, et si il se perd dans la neige et qu'il ...!"

Voyant qu'il commençait à paniquer, agitant les bras comme un petit garçon perdu, la viéra lui posa une main sur la tête afin de le calmer. Cela marchait toujours ; lorsqu'il émettait un petit "frrr" entre ses dents cela voulait dire qu'il s'apaisait.
"Eh, ça va aller. Ils savent ce qu'ils font d'accord ? C'est peut-être la seule chance que nous aurons de sauver ces gens, ils ne tiendront pas une semaine dans leur état... il gagne du temps, qu'ils acceptent au moins de quoi manger et se chauffer.
- Voui..."

Il renifla un peu, sans doute à cause du froid, et se frotta le nez avec son index. Meleth souffla un grand coup, le lalafell avait ce don de faire relativiser sur n'importe quelle situation par sa seule présence. Sans prévenir elle le souleva de terre et le posa sur son bras.
"Aller, ne soyons pas en retard ce serait bête que tu tombes malade juste avant de rentrer."
C'est là tout ce qu'elle pouvait faire : continuer à prendre soin d'eux. A l'échelle d'une nation, même déchue, il n'y avait d'autre solution que de laisser les grands de ce monde décider de la suite. Elle leva un dernier regard sur la Tour de Babil encore fumante. Le rayon avait disparu, et depuis cette nuit tragique, les nouvelles affluaient de partout dans le monde : Les Tours de l'Apocalypse s’effondraient les unes après les autres. Pour tout le monde, il sembla que le plus dur était derrière eux. Cela n'avait coûté "que" l'anéantissement d'une nation que bien des individus, jadis soumis à leur domination coloniale, considéraient comme un juste châtiment. Bien qu'elle ne partage pas cet avis sur les Garlemaldais, Meleth pensait elle aussi qu'ils avaient échappé au pire. C'en était fini de ces histoires de fin du monde. Ce cri qu'elle avait entendu ne devait être qu'un ultime sursaut, comme lorsqu'on retire la pointe de flèche d'une blessure pour mieux la soigner.

Elle n'avait rien compris.
Lerith Il y a 5 mois et 20 heures


Les couleurs et l'activité constante de Brumée 6 lui firent le plus grand bien. Dès leur arrivée, clients et habitants du quartier autour de l'Escale eurent tôt fait de demander des nouvelles, se réjouissant de leur retour. Le soir-même, les jardins de l'établissement ainsi que son bar se remplirent presque autant qu'un lundi soir et pour cause, l'hiver noscéen était nettement plus supportable à l'extérieur. La vie semblait reprendre son cours normal. Noah s'était fait encore plus discret depuis la Tour de Babil, Djazah'ir se remettait doucement de sa mésaventure, et Hotaru se préparait à faire jaser la bonne société ishgardaise. Ils avaient tous mérité un peu de repos, même Valorius qui avait retrouvé sa bibliothèque, son laboratoire et ses affaires de famille à Ishgard qu'il prenait à cœur de mener à son terme. Les répétitions de Lunaris allaient reprendre, dame Lenore était venue la voir pour parler d'un duo, à but caritatif. Les tours de l'apocalypse avaient maintenant disparu et tout irait en s'arrangeant, elle voulait le croire. Cette terrible année leur avait au moins apporté un nouveau regard et un calcule des priorités. Elle, comme ses compagnons, n'avaient qu'une hâte : repartir en expédition.
Meleth se laissait bercer par le mouvement de la balancelle, profitant du soleil. Elle fredonnait doucement, portée par un souffle de réconfort et des émotions apaisées. Pourtant, une palpitation dans sa poitrine n'avait de cesse de réveiller cet étrange sentiment qui l'avait pris aux tripes dans l'ancienne usine de raffinage, quand elle avait croisé le regard de ces gens résignés vers une fin inévitable. Un signal d'alerte s'était déclenché à la pointe de ses oreilles, comme une complainte tout droit remontée des profondeurs de la terre. Elle était incapable de comprendre de quoi il s'agissait mais plus que jamais elle ressentait le besoin de chanter, de danser, de distiller l'espoir en des temps meilleurs.
"Tout est prêt, nous partons pour Sharlayan dans une heure.
- Oui j'arrive !"


Enfin, ils allaient reprendre leurs affaires et tenter de convaincre l'Académie de Sharlayan des bienfaits d'une collaboration avec l'un de ses départements. Pendant ces quelques jours où elle visita la cité, son seul souci apparent fut cette histoire de collaboration. Elle relativisait, en se disant que cette petite voix soucieuse dans un coin de son esprit finirait par se taire, que c'était normal après tout ce qu'ils avaient traversé. Rien ne laissait présager de quelque catastrophe que ce soit.
Ce matin-là, elle flânait dans les rues quand le Conseil réunit toute la population aux Rostres. Bien que curieuse, elle ne s'y était pas précipitée, s'attendant à ce qu'ils parlent de ce à quoi devait bien servir ce rayon aperçu à la Tour de Babil et quels autres exploits avait accompli ce formidable Guerrier de la Lumière qui avait une fois de plus sauvé le monde. Elle ne s'attendait à rien de précis et c'est en marchant au hasard qu'elle saisit l'annonce en cours de route. Plusieurs de ses camarades étaient là, les yeux écarquillés comme s'ils venaient d'apprendre une nouvelle vraiment extraordinaire dont elle ne savait encore rien. Les premiers mots qu'elle entendit furent : "Hydaelyn a fait de la lune une arche. un gigantesque vaisseau aménagé pour accueillir l'humanité, et la mener vers un nouveau monde où s'installer". A ce moment précis, tout s'arrêta. Le monde disparut autour de la viéra qui ne voyait plus rien, n'entendait plus rien si ce n'est la suite de cette annonce aux allures de fatalité. Apocalypse imminente, abandonner la planète... c'est impossible, ils avaient pourtant gagné, non ?
Autant dire que la fin du séjour fut des plus mornes et les discussions tournaient autour d'un seul et même sujet. Explorer de nouveaux mondes, en soi, aurait pu leur plaire si cela ne voulait dire abandonner leur propre planète sans espoir de retour. Cela voulait dire aussi abandonner l'Eternal car ils doutaient que cette arche, surement déjà réduite pour l'humanité toute entière, puisse aussi accueillir un navire. Ils avaient tant à voir ici, tant de continents à explorer, fallait-il abandonner tout espoir et faire preuve d'une grande force morale pour garder le sourire en remontant à bord, direction le sud de la Mer de Rhotano. Leurs amis de l'Archipel Paradis voulaient eux aussi fêter la fin de la menace. Un grand banquet réunissant les habitants de toutes les îles allait être organisé sur l'Île aux Fleurs. A leur arrivée, on les assaillit de questions sur ce qu'ils avaient vu dans le Nord d'Ilsabard et sur la Tour.
"Gardons cette annonce pour nous, indiqua Kikyo. Pour l'instant du moins, laissons-les profiter de ces instants."



Tout commença avec un rugissement semblant venir d'en bas, sous leurs pieds, alors que la fête battait son plein au milieu des fleurs tropicales. Le temps s'arrêta devant ses yeux, suspendu alors que partout autour d'elle les habitants de l'Archipel Paradis tentaient de reprendre le cours de la fête malgré les regards inquiets voulant croire à une mauvaise blague. Mais pour Meleth, c'était autre chose. De la plante de ses pieds au creux de son échine elle pouvait sentir le mal remonter des profondeurs de la terre, la peur se répandre, presque palpable, jusqu'au cri d'Hélène.
"Qu'est ce que...?"
Elle se trouvait avec Nao Wana'ao à ce moment-là, qui venait de lui apporter un verre. Il venait tout juste de lui dire qu'il avait vu dans les astres que ce n'était pas terminé mais qu'il ne voulait pas gâcher la fête, il n'eut pas le temps d'en dire plus.
"Tu ne comprends rien, tu ne m'as jamais compris !"
La danseuse hurlait son désespoir trop longtemps contenu sous le regard perdu de Hassim. Il n'y avait que lui pour ne pas voir, ou plutôt pour se convaincre qu'il ne voyait pas combien sa sœur était malheureuse et se sentait piégée dans son palais, prisonnière d'un frère surprotecteur. En d'autres circonstances, une telle dispute aurait été bénéfique à long terme, l'occasion pour eux de parler enfin. Malheureusement, ce n'est pas ce qui se produisit et lorsque le corps de la pauvre Hélène s'enveloppa de fumée noire sortie de la terre la peur monta d'un cran. Ils assistèrent impuissants sa transformation en monstre de l'Apocalypse.
La panique gagna l'ensemble des convives. Il y avait des femmes, des enfants, des personnes âgées... Sans réfléchir et voyant ses compagnons se placer aussitôt en défense pour couvrir leur fuite avec les miliciens et les corsaires, Meleth ne perdit pas un instant et empoigna le petit prince des îles sous le bras pour le mettre à l'abri.
"Il ne faut pas qu'on reste là !"
Bien avant de voir les autres victimes de la peur et du désespoir se transformer, elle avait compris, ou plutôt sentit comme si la terre elle-même lui hurlait le danger. Elle faisait confiance aux autres, et tenta d'aider le plus possible de ceux qu'elle croisait, criant vers les hauteurs des arbres pour prévenir ceux restés dans leurs maisons suspendues. Elle fut très vite imitée par d'autres et ses cris furent noyés dans le flot continu. Pas un seul instant elle ne regarda en arrière, elle n'en avait pas besoin pour imaginer ce qui était en train de se passer, ce qui arrivait à ceux qui à leur tour se perdaient dans la peur et le désespoir, ceux qui subitement cessaient de courir. Ce n'est qu'une fois les pieds dans l'eau, et alors qu'elle avançait vers l'une des pirogues de l'île de Keanu pour y déposer le lalafell qu'elle leva les yeux par-dessus son épaule et qu'elle la vit, cette danseuse noire difforme dont la main droite était remplacée par une lame semblable à la rapière de Hassim. C'est là qu'elle se rendit compte qu'elle n'entendait plus rien, enfin, plus rien qui ne soit un son audible par l'homme. Tout ce que ses grandes oreilles de viéra étaient faites pour percevoir, les sons cachés, les vibrations dans l'ether, les variations... plus rien, comme s'il n'y avait plus d'ether ou tout juste assez pour maintenir la vie sur le fil du rasoir.
"Meleth...? Meleth !"
Nao Wana'ao la regardait avec inquiétude.
"Que... quoi ?
- je vais bien maintenant, allez retrouvez vos compagnons, vite."

Il lui sourit avec douceur, prenant dans ses petites mains la sienne et la serrant très fort pour cacher son angoisse. Ce lalafell faisait preuve d'un courage incommensurable. Il décrocha sa main du bord de la pirogue pour l'encourager à retourner dans l'eau.
"Allez-y, maintenant...!"

Elle hocha la tête et courut vers la plage aider les autres. Comme beaucoup elle n'avait pas pris ses armes pour festoyer. Elle ne put que relever les blessés et afficher un visage confiant et déterminé afin de les rassurer. Quelques minutes plus tard, elle aperçut enfin ses amis. Comme on l'aurait supposé ils étaient avec les derniers ne voulant pas abandonner quelqu'un derrière eux. Meleth avait aidé autant qu'elle pouvait l'évacuation grâce à sa maîtrise de l'eau mais commençait à s'épuiser sérieusement. Dès qu'elle les vit monter à bord, elle en fit de même supposant que tout le monde avait pu s'enfuir. Ce n'est qu'une fois sur le pont qu'elle vit, comme eux, la doyenne de l'île restée sur le sable. Ils la virent faire face seule à la nuée de monstres déferlant sur la plage, ouvrir ses bras et réciter une incantation. Du sol, un mur de rosiers se dressa sur leur chemin et se referma sur eux. Ils disparurent, mais Mamie Laura aussi. Elle s'était sacrifiée pour leur permettre de fuir. Le ciel était devenu rouge sang au-dessus de l'archipel. On n'entendit que peu de sanglots ou de cris de douleur, hormis les enfants dans les bras de leurs parents. C'était comme si personne ne parvenait à comprendre, à accepter ce qui venait de se passer.
"Meleth... tu n'as rien."
La voix de Valorius la ramena à la raison, elle se jeta dans ses bras.
"Vous êtes tous là... tout le monde est là ?"
L'elezen la savait sensible mais personne n'aurait pu comprendre ou deviner ce qu'elle ressentait en ce moment, et elle-même aurait été incapable de le décrire par des mots. Un véritable torrent s'agitait en elle, et plus l'Eternal s'éloignait de l'île aux Fleurs plus elle réalisait que cela n'était pas lié uniquement à cet endroit. Ce mal, ce cri... venait de bien plus loin. Mais quand elle porta sa main à sa linkperle, tremblante, aucune réponse ne vint et elle porta son regard sur Noah, dont le visage était plus sombre que jamais.
"Je n'arrive pas à joindre Lhei..."


Ce ciel rouge n'en finissait pas d'affecter le moral de l'équipage. Perchée dans les haubans, Meleth ne pouvait s'empêcher de vouloir dissimuler sa mine inquiète pour ne pas en rajouter, eux qui faisaient tant d'efforts pour que tout se passe au mieux, ne pas se laisser déborder par l'émotion. Après ce qui s'était passé sur l’île aux Fleurs, ils avaient quitté l'Archipel pour se rendre à Thavnair où Akira se trouvait et où -d'après leurs informations- les premiers monstres de l'Apocalypse étaient apparus. Ils avaient compris, à force d'enquête et d'observation dans ce pays ravagé par l'Apocalypse, l'influence émotionnelle sur la propagation du mal. Les mots étaient venus, puis la musique. Elle chantait d'une voix à la fois basse et assurée. Malgré tout ce qu'ils voyaient et le triste tableau qui se dessinait devant elle, elle voulait garder la foi et l'espoir. Il fallait qu'elle chante.
Hotaru et elle avaient entamé les recherches de ce fameux maître Dadjeel, l'ancien mentor d'Hélène, mais en vain. Et l'Ost Rayonnant avait nettement plus urgent à traiter comme affaires que d'orienter une étrangère vers une école de danse particulière que plus personne n'avait vu qui que ce soit pratiquer depuis des années. Elle avait obtenu l'adresse à force de questionner les habitants de Radz-at-Han mais là encore, elle avait trouvé porte close. Ce fameux "maître Dadjeel" avait complètement disparu de la circulation dès les premières apparitions de monstres.

Ils ne pourraient pas se voiler la face bien longtemps, il faudrait parler de la suite, de Sharlayan, de la lune... et de leurs familles.

Etait-ce vraiment la fin du monde ?
Lerith Il y a 5 mois et 14 heures


"Vous savez quoi faire.
- Oui capitaine."

Debout sur le bastingage et après un dernier étirement, Meleth plongea la première dans les eaux claires du récif, et pour la première fois elle ne plongeait pas seule. Un deuxième plongeon suivi de près le sien et force était de constater la puissance du viéra, aussi bien dans ses jambes que dans sa maîtrise de son élément. Entré dans l'eau après elle, il la devança en quelques secondes porté par des courants qu'elle-même devait encore passer de longues secondes à sentir avant de pouvoir se mouvoir en toute sérénité. Malgré tout, elle se sentait bien ici. Sous la surface, le ciel rouge sang d'où tombaient les flammes avait entièrement disparu ; il n'y avait plus que l'azur de l'océan et les couleurs du corail le long des côtes de Thavnair et Uznair, de part et d'autre du détroit. Sous leurs pieds des dizaines d'épaves, malheureux marchands, pêcheurs et autres navigateurs égarés ou malchanceux que les récifs avaient piégés dans ce couloir fatal. Le spectacle aurait pu être morbide mais la Fille du Torrent n'y voyait que la beauté d'un autre monde. Là où la mort avait pris les hommes, la vie régnait en maitre loin de s'imaginer le désastre à quelques brasses au-dessus. Un ban de poissons coloré passa tout près d'elle, et elle les évita de peu. Noah avait déjà pris de l'avance, inspectant chacune des épaves à la recherche du Pandora mais en vain. Elle le vit secouer la tête à plusieurs reprises avant de reprendre leur progression sous-marine.
Durant leur séjour à Thavnair, et malgré les troubles agitant l'île, ils avaient découvert une piste concernant l'Eternal et les quatre autres prototypes du chantier naval nymien. Ce dossier-là, il prenait la poussière dans leurs archives depuis la fin des Quatre Tours et l'ironie voulut que ce fut en pleine apocalypse qu'il trouvent enfin un indice, et une possible avancée dans leurs recherches. Malgré les risques, tout le monde voulait y aller. Peut-être se sentaient-ils poussés par une volonté d'obtenir des réponses avant de partir, si vraiment il fallait abandonner Hydaelyn. C'est pour cela qu'elle et Noah avaient plongé ce jour-là, pour retrouver Pandora le deuxième navire à avoir quitté Nym avec l'Eternal et le Trium.
Son regard fut attiré par plusieurs portes le long de la paroi rocheuse. Ces fameuses portes scellées en forme de cercle, serties de motifs représentant une tête de matanga ou le fameux œil thavnairois.
Elle avait entendu parler des canaux cachés d'Uznair et surement que certains de ces tunnels fermés devaient y conduire, mais ce n'était pas pour les richesses mystérieuses qu'ils étaient là. Quoique... l'une de ces portes, plus bas que les autres, était immense, assez pour qu'on y fasse passer un submersible de la taille d'un navire. Noah ne la remarqua pas tout de suite, son attention focalisée sur les épaves, mais il la rejoignit en voyant qu'elle s'attardait sur celle-ci. Remarquant son haussement de sourcil interrogateur, elle tenta au mieux de lui faire comprendre par des gestes qu'elle voulait passer de l'autre côté et se mit à chercher un accès. Bien que fermée, cette porte était vieille et l'érosion l'avait fragilisée en plusieurs endroits.
Trouvé !
à l'extrémité droite, des pierres s'étaient décrochées, il y avait juste la place de passer un à la fois. Ils s'y engouffrèrent et une fois de l'autre côté et dans le noir, le silence. Une sensation de froid l'envahit, comme si dans l'obscurité la plus totale ses autres sens étaient décuplés. Elle pouvait ressentir une présence, ou plutôt comme si elle n'était plus au même endroit. Elle pouvait sentir l'ombre serpentine onduler autour d'elle, et un frisson remonter le long de son échine.
Que...?
La main de Noah autour de son poignet la fit revenir à la réalité, ses yeux s'habituaient maintenant à l'obscurité et elle reconnaissait l'intérieur de la cavité. Le viéra la tirait vers le haut sans ménagement, avait-il senti quelque chose lui aussi ?
La tête sortie de l'eau, elle prit une profonde inspiration, on pouvait entendre l'écho de sa respiration dans les tunnels. Lentement ils suivirent la "voie" principale, la plus large, jusqu'à atteindre le bout de l'impasse où non seulement la lumière passait au travers de lucarnes naturelles couvertes de végétation au-dessus de leurs têtes, mais les attendait également une grande porte légèrement surélevée au-dessus de l'eau, une porte qui ne portait aucun symbole de matanga mais en lieu et place, ceux de Llymlaen et Oschon, sertis des mêmes joyaux colorés propres au style local. Aussitôt la viéra recentra ses pensées et, se hissant sur le premier rocher à sa portée, s'exclama en sortant de l'eau :
"Nous l'avons trouvé !"


"Bien joué Meleth !"
La main tendue de Yone l'accueillit sur le pont pour l'aider à monter, tandis qu'autour d'eux le reste de l'équipage félicitait les deux plongeurs de retour au bercail après leur longue expédition sous-marine agrémentée d'une randonnée à pieds depuis la grotte. Ils en étaient sortit par les lucarnes afin de permettre aux autres de ne pas avoir à "trop" se mouiller. Il faisait nuit à présent, enfin si on peut parler de nuit quand le ciel nie toute notion du temps quelque soit l'heure du jour ou de la nuit.
"Merci... on devrait pouvoir s'y rendre facilement à présent."
Et comme prévu, l'exploration de ces canaux cachés furent concluants bien que tragique pour ce qui est du sort de la majorité des archives du Pandora si l'ether de Thavnair continuait d'être siphonné par cette "anomalie" venue des profondeurs de la terre. Et comme toujours ils se retrouvèrent à bord de l'Eternal qui s'en retournait vers Radz-at-Han, son équipage à la fois satisfait et la tête pleine de questions.
"Vous croyez que le Pandora était vraiment submersible ?
- C'est possible, puisque l'Eternal vole.
- Mais avec un savoir on pourrait peut-être aller dans l'espace !
- C'est surement pour cela que Sharlayan voulait qu'on vienne voir, je me demande ce qu'il y a dans ces archives...
- Vous vous rendez compte que ça fonctionne sur le même principe que nos artefacts ?"

Les cabines résonnaient des discussions tardives, personne ne trouvait le sommeil. Tout en écoutant ses compagnons parler avec enthousiasme, Meleth souriait sans pouvoir se défaire de la sensation ressentie plus tôt dans l'eau sombre. Toujours la même chose, le sentiment d'un grand danger en approche, malaisant, et paradoxalement il lui suffisait de croiser un de leurs regards pour se sentir mieux et chasser cette idée de son esprit pendant quelques secondes, avant que celle-ci ne revienne au galop. Il fallait bien revenir à la réalité, celle d'un monde en proie à la destruction et contre laquelle ils ne pouvaient rien faire, ou en tout cas ils ne savaient pas comment.
"Tu ne te sens pas bien Meleth ? Demanda Nashasha.
- Si, tout va bien. juste un peu fatiguée.
- Tu m'étonnes,
renchérit Yone. Après une telle épreuve de natation tu vas avoir de sacrées courbatures demain !
- Oh, en réalité je me laisse porter par un courant qui me pousse jusqu-... Hm, trop technique peut-être..."

Les yeux ronds comme des billes de Djazah'ir, impressionné, lui arrachèrent un sourire.
"C'est moins spectaculaire qu'on ne le pense..."
Ils riaient, parlaient, s'enthousiasmaient pour au final rien de plus que se voiler la face, atténuer le trouble de cette incertitude permanente. Ils vivaient comme si de rien était leurs aventures d'un côté, tout en suivant les traces de cette apocalypse dans l'espoir de comprendre, mais au final qu'espéraient-ils ? Puis qu'il fallait quitter ce monde pour en trouver un autre, aller sur la lune... La lune... elle songeait à Hotaru toujours très affectée par ces révélations, bien qu'elle reprenne lentement du poil de la bête. Valorius était plus pragmatique mais il n'avait pas vraiment d'attache sauf peut-être Ishgard. Et Lhei, et Luka ? Que faire... Aller les chercher et leur dire que Golmorre va disparaitre ? Et les sentinelles de Naatu ? Tout cela semblait tellement irréel. Au final, elle était comme les autres, elle se raccrochait au concret, au tangible, au palpable, à la seule ancre qu'elle connaissait et qui ne la laisserait jamais sombrer dans l'abîme du désespoir : eux. Elle sourit un peu plus, ayant perdu le fil de la discussion, déjà bien loin. Elle voulait seulement rester là à les écouter parler de leur dernière mission, elle ne voulait pas y renoncer ni que tout s'arrête pour aller vivre sur la lune. Elle ne voulait pas quitter ce monde dans lequel il y avait tellement à voir encore, tellement à apprendre.

Elle était fatiguée, comme les autres et certainement pas autant que certains, mais elle le ressentait aussi. Entendre ce que d'autres ne perçoivent pas, être sensible au cri de la terre et à la souffrance des humains puisait en elle une énergie insoupçonnée. Si elle voulait continuer de soutenir ses compagnons affectés par ce mal invisible les poussant au désespoir, elle qui était visiblement de ceux qui résistaient le mieux à ses effets, il fallait qu'elle retrouve l'espace de quelques heures la l'harmonie et ce sentiment de plénitude qu'elle ne connaissait autrement que lorsqu'elle plongeait. Plonger lui avait fait du bien. C'est sur cette pensée qu'elle finit par s'endormir.

"Enfin nous vous avons trouvé..."
En ouvrant les yeux, son premier choc fut de croiser le regard de Lhei. A leurs côtés se trouvaient Noah et Luka, tous debout au-dessus d'une eau claire et limpide. D'instinct, elle tenta d'avancer vers sa sœur de westhar mais un mur invisible l'empêchait de quitter la plateforme qui supportait chacun d'eux. Elle la vit tenter la même chose, tandis que les deux fils du torrent observaient les lieux avec méfiance. Cet endroit leur semblait tellement irréel. de l'eau ruisselant des murs, une lumière éclatante venant du dessus, comme s'ils se trouvaient en-dessous de la surface. Ils reconnurent toutefois l'immense forme serpentine qui assombrissait, lors de son passage derrière les vitres, la splendeur des lieux.
"Est-ce un rêve... ?"
Des dizaines de petits créatures aqueuses, toutes identiques à Nix -qui était d'ailleurs auprès d'elle- entouraient le bassin. L'un d'entre eux, plus grand et plus brillant que les autres, arborait une petite couronne d'eau flottant au-dessus de sa tête.
"Non ce n'est pas un rêve, cela fait des lunes que nous vous cherchons. Nous sommes les Nagas, les nixes sont aussi des enfants du Torrent, comme vous.
- Où sommes-nous ?
- Vous êtes dans son véritable sanctuaire, bien loin du temple que vos ancêtres ont défendu."

Le "roi" des nagas virevoltait et tourbillonnait dans une apparente insouciance, mais malgré ses yeux globuleux et son aspect réconfortant, sa voix était soucieuse.
"Si le monde se meurt, nous disparaîtrons nous aussi. Et beaucoup de jeunes nixes sauvages se retrouvent prises au piège du désespoir... nous avons besoin de votre aide !"


En ouvrant les yeux, Meleth trouva sa cabine plongée dans le silence. Nashasha et Hotaru dormaient paisiblement, et deux yeux globuleux apparurent près d'elle, juste avant que Nix ne sorte de l'eau à son tour pour venir flotter près de sa tête.
"Brrruiiil ?
Nix se mit à tournoyer en agitant sa baguette joyeusement, comme s'il savait ce qu'elle avait vu dans ses rêves. Meleth ouvrit les bras pour le recevoir, laissant la petite créature se blottir contre son cœur en larmoyant abondamment quitte à mouiller sa chemise de nuit.
"Je crois savoir d'où tu viens... et d'où je viens moi aussi d'une certaine façon."

Elle ne pouvait pas abandonner maintenant.
Lerith Il y a 4 mois et 3 semaines


Durant les semaines qui suivirent, les bêtes de l'Apocalypse se multiplièrent partout dans le monde et pas seulement là où le ciel était devenu rouge sang. Le Thanalan, le Coerthas, même l'orient voyaient des cas de transformation et l'apparition de nouveaux hérésiarques. Par la force des choses, les explorateurs s'étaient transformés en défenseurs d'un monde à l'agonie ; ils n'étaient pas prêts à le quitter. Ils n'oublièrent pas l'Archipel Paradis, mais pour affronter Paliuili il leur fallait plus d'informations et d'entraînement. Et dans cette lutte, Meleth comprit la raison pour laquelle son esprit était moins affecté que les autres, la réponse tient en un mot : Kriegstanz.
L'idée que les transformations en bêtes de l'apocalypse trouvait sa source dans le sentiment de peur et de désespoir fit son chemin plutôt vite, et Djazah'ir évoqua le concept thavnairois de l'Akasha comme une force liée aux émotions. Bien que ce concept fut très abstrait et qu'il semble difficile de manipuler cette énergie comme on manipule l'ether, le lien avec la pratique de la Kriegstanz et les danseurs thavnairois fut vite établi et mit à profit lors des affrontements qui suivirent, avec succès. Tant que Meleth et Hotaru dansaient, on pouvait espérer à un léger rempart contre ces monstres, pour peu qu'elles soient elles-même en mesure de garder leur esprit serein. Et ce dernier point s'avérait plus compliqué face aux horreurs qui leur faisaient face jour après jour.
Espérer que Lhei et Luka s'en sortent, veiller sur ses compagnons tout en s'activant pour être enfin prêts à affronter un hérésiarque, tout cela accumulait une forte pression sur les épaules de la viéra.
Mais enfin, dans les ténèbres apparut la flamme vacillante d'un fragile espoir. Sharlayan ouvrit ses portes et des personnalités venues de partout se précipitèrent en renfort du Guerrier de la Lumière qui, semble t-il, avait un plan. Qui n'irait pas croire si ce héros y croyait ? Et c'est à Sharlayan qu'ils rencontrèrent enfin le Pr. Blake, son assistante Léontine, et un loporrite du nom de Flyingway qui leur expliqua tout sur le dynamis et le véritable nom de leur planète : Aetherys. Pour eux, et le reste du monde sante doute, cela resterait Hydaelyn mais tout de même le récit de la petite créature lunaire les captiva au-delà de leur seule visite du Labyrinthos. Au retour, ils disposaient enfin de toutes les données nécessaire pour le combat à venir...


Au milieu des feux de camps encore allumés sur la plage, la viéra dansait encore et encore sous le regard médusé des derniers habitants encore réveillés, admirant le spectacle sans fin de ses enchaînements. Les ombres dansaient sur le sable, à la lumière des flammes, le regard encore plus ardent que les braises roulant parfois jusqu'à ses pieds ; elle les évitait sans les voir.
Équilibre, maîtrise, volonté.
Cœur battant, la Fille du Torrent frappait le vide de ses poings serrés pour revenir à un pas plus souple le temps d'un déplacement. Elle ne voyait rien ni personne, pas même le gardien silencieux posté sous les palmiers à l'abri du vent qui soufflait toujours très fort. Il ne ma quittait plus depuis qu'elle avait franchi une étape cruciale dans sa progression quelques jours avant, et ce soir encore il la voyait monter à travers l'écume des vagues pour s'élever dans les airs et venir danser autour des bras de Meleth. Elle avait dominé l'eau noire par sa rage de vaincre, le Torrent avait répondu à l'appel et lui prêtait son pouvoir comme lui-même l'avait reçu ce jour-là pour protéger les siens. Pour l'heure, elle se dominait encore. L'espoir, la volonté de vivre, tout cela la poussait au plus haut de ses capacités. Il en connaissait le prix.
Le pas s'accélère, les pieds s'enfoncent dans le sable. Emportée par sa danse, la viéra répond à un rythme nouveau, celui des tambours lalafells qui se sont rassemblés à quelques pas, les derniers qui ne sont pas encore partit dormir. Ils frappent, frappent, réguliers, rapide, soutenu. Deux miqo'tes se rapprochent, armées de leurs lances, elles observent de loin feignant de monter la garde. Elle sent de plus en plus leur présence, leurs regards, elle fronce les sourcils, l'eau noire tourbillonne et prend plus de place.
"Non. Ne t'arrête pas maintenant."

Comment a-t-il su ? Alors qu'elle sent la main du viéra sur sa hanche, elle garde les yeux fermés, elle le laisse guider ses pas qui accélèrent encore. Dans son esprit se dessine l'image du serpent sombre aux yeux clairs, gigantesque, féroce, qui brise les roches sous le poids de ses anneaux et remonte le torrent sans effort avant de relâcher toute sa puissance. Il oppresse, il étrange, il noie...
Le vent continue de souffler, de soulever ses cheveux, son corps lorsque ses pieds quittent le sol. Elle glisse contre les bras du Fils du Torrent qui la porte et qu'elle cesse bientôt de suivre pour repartir.
"Si tu le retiens, il te prendra par la force. Laisse le couler en toi."

Sa voix murmure à son oreille, elle ouvre les yeux. La danse se fait encore plus rapide, elle ne voit plus rien de ce qui se passe autour et n'entend plus que le son des tambours et la voix du guerrier.
Demain, le Torrent se déchaînera.


Ce fut un combat particulièrement rude au sommet du Palais de Hassim, où l'hérésiarque née du désespoir d'Hélène avait fait son nid. Tous les combattants de l'Archipel s'allièrent pour le prendre d'assaut et combattre les nuées de monstres, tandis qu'un groupe à bord de l'Eternal montait directement affronter la danseuse difforme dont les cris de rage et de douleur pétrifiaient sur place. Face à elle, Meleth avait beau danser et danser, son esprit était lentement rongé par le mal. A un moment, elle les vit tous s'entourer de fumée noire, y compris elle-même. Elle pensa que c'était la fin. Personne ne pourrait venir à bout de ces choses, personne ne peut effacer le malheur de ce monde.

"Moi... je fais le vœu de tous les protéger, oui !"

La voix lointaine de U'napa perça les ténèbres, comme une flamme vacillante. La miqo'te avait fait un vœu auprès d'Ostara, un vœu simple et presque innocent. Jusqu'aux portes de la mort, elle se tenait là, debout son bouclier face à l'hérésiarque, et une aura blanche flamboyante l'entoura. La voix de la sorcière des ronces retentit, provenant d'un passé pas si lointain.

"Le moment venu, je te prêterais ma force."

"NAPA !"
Elle disparut. Meleth tendit la main dans le vide juste avant qu'un éclat de lumière de l'aveugle. Ils pouvaient sentir sa présence tout autour d'eux, elle les protégeait de sa seule volonté plus forte que le désespoir et le chagrin de Palihuili. Qui sait combien de temps cela durerait ? Ils ne perdirent aucune de ces précieuses secondes. Ensemble, ils se ruèrent sur le monstre, et ensemble ils le tuèrent.
L'hérésiarque tombé, ils n'eurent aucun répit conformément au plan. Il fallait évacuer, car Hassim avait ordonné la destruction pure et simple de son palais sitôt qu'ils ne verraient plus l'ennemie dans le ciel. La retraite sonna, l'Eternal s'envola, et cet immense bâtiment dont le maître du Souk était si fier s’effondra sur lui-même suite à plusieurs explosions. Il y eut beaucoup de morts cette nuit-là. Nico, Bertille... Ils pensaient Napa perdue elle aussi mais une petite voix dans la linkperle provoqua quelques larmes de joie. Elle allait bien, la sorcière avait tenue parole. Le ciel retrouva sa couleur et ses étoiles. Pour la première fois depuis environ quatre lunes, la paix régnait enfin, suivie par une exclamation de joie lorsqu'une traînée blanche se dessina au-dessus de leurs têtes : le Ragnarok était de retour. Le Guerrier de la Lumière avait sauvé le monde.

Il n'y eut pas de grande fête pour autant. On veilla les morts, on pensa aux disparus, on profita du calme de la nuit mais ensemble sur les plages de Keanu où tout l'Archipel s'était rassemblé. Hassim pleura sa sœur en silence, maintenant qu'il le pouvait. Il payait le prix fort de ses erreurs mais il devrait se relever pour affronter la vie et élever son enfant. Noah aussi pouvait à présent faire le deuil de son ancienne vie qu'il avait quitté dans la hâte, et Meleth pouvait enfin penser à demain, à Lhei et Luka, à l'exploration... A la musique.


"C'est une nouvelle chanson ?"
Hotaru se pencha, comme elle le faisait souvent, par-dessus l'épaule de Meleth qui s'était vautrée dans les coussins du canapé de l'Escale. Comme chaque fois avant un concert, la viéra prenait un moment pour revoir son répertoire. Ces derniers tempes, beaucoup de chants viéras s'étaient invités dans les concerts des Lunaris, le style tribal constituait une part importante de leur style, presque la moitié de chaque représentation.
"Plus ou moins. C'est un air de chez moi, je tente d'y ajouter des paroles."
Elle jeta un œil sur la pendule. Noah, Lhei et Luka devaient être proche d'arriver à destination à présent. Elle aurait voulu les accompagner mais le groupe comptait aussi sur elle, et puis elle avait confiance. Lhei avait traversé la moitié du monde jusqu'ici avec Luka, tout se passerait bien.
"C'est vrai qu'ils vont venir vivre avec toi ? Demanda à nouveau Hotaru comme si elle avait deviné ses pensées.
- Hm, les hommes viéra ne vivent pas avec les femmes en général. Je pense que les deux frères vont plutôt s'installer un bivouac dans les environs mais Lhei va venir vivre avec moi, oui."
L'Apocalypse les avait contraint à quitter la Terre des Torrents, eux aussi. De toute façon, leur rêve et la menace du Dévoreur ne leur laisserait guère le choix. Plutôt que d'attendre qu'il vienne ravager la forêt, c'était à eux de partir. Cette quête, la leur, commençait à peine.
Ce n'était pas la seule préoccupation du moment, pour sûr. La mise en cale sèche de l'Eternal n'avait rien changé au désir de repartir, le voix du second annonça une offre de mission dans l'Océan Indigo pour la semaine prochaine pendant qu'elle enfilait sa tenue. La voix enthousiaste de Hotaru pourtant juste à côté d'elle résonnant dans la perle : "J'en suis !" et elle se joignit à l'élan. Oui, ils voulaient tous repartir en voyage peu importe où ils iraient, vers de nouvelles aventures et autant de découvertes.
"Bon, c'est l'heure, on y va ?"


Un hochement de tête entendu, un échange de regard, et ce soir-là le rideau s'ouvrit sous les applaudissements. Le projecteur éclairait le visage des trois membres du trio qui s'avança avant que la musique ne commence. Sa voix s'éleva alors au-dessus de la scène, plus éclatante que jamais.

La Fille du Torrent pouvait renaître avec le Monde.
Lerith Il y a 4 mois et 3 semaines


"Noah ne parle jamais de ces choses-là. En fait... Noah ne parle pas du tout."
Elle avait dû couper court à la curiosité de Nashasha sur la cérémonie des Fils du Torrent et du temple de l'Oracle pour se rendre au pied des trois cascades, là où elle savait que son entraînement prendrait bientôt une toute autre forme. Le Fils du Torrent ne parle jamais s'il n'a rien à dire, cela ne l'empêche pas d'être là où il doit être pour s'assurer que l'héritage de son peuple ne puisse mourir avec la dernière guerrière de la rive Est de la Terre des Torrents.
Il se tenait là, le dos droit et le regard dur comme s'il fixait quelque chose caché derrière le rideau des chutes.
"Es-tu prête ?
- Oui."


Si l'Ancienne avait assisté à ce spectacle, elle aurait certainement eu bien des choses à redire sur les règles et les traditions. Jamais un Fils du Torrent n'avait entraîné une de ses sœurs, impensable qu'une guerrière d'Esthar puisse être formée selon les règles d'un homme viéra, mais quel autre choix avaient-ils ?
Les étoiles dansaient à la surface de l'eau, accompagnant les pas d'une viéra guidée par celui qu'on aurait pu, en cet instant, croire qu'il était le maître des lieux. Son aura grandissante influait non pas sur une, mais les trois cascades en même temps qui ondulaient comme des serpents contre toutes les lois de la gravité. L'eau stagnante remontait dans les airs sous forme de fines gouttes scintillantes répondant au tintement des ornements de ses cheveux, et le moindre de ses pas lorsque son pied touchait le sol provoquait une vague venant s'écraser contre le rocher. Chaque mouvement, chaque fibre de son corps jusqu'au bout de ses ongles s'harmonisait avec un volume d'eau si grand que Meleth en ressentait tout le poids et réalisait combien son niveau était limité. Si quiconque les observant aurait cru à une danse synchronisée entre les deux viéras, la Fille du Torrent sentait ses muscles peser, écrasés par la pression de l'eau comme si elle s'était trouvée loin sous la surface. Et plus elle tentait de contrôler cette masse, plus elle se sentait faiblir.
"Ne lutte pas contre lui, on ne domine pas le torrent." Murmura le guerrier en lui prenant la taille à deux mains.
Elle tourna encore sur elle-même, les yeux fermés, levant les bras dans un élan d'ouverture mais son esprit toujours embrouillé par les images du passé : sa colère face à l'ordre de l’œil qui avait voulu tuer ses compagnons, qui avait généré une déferlante incontrôlable ; la même dans les Steppes lorsqu'elle avait senti la peur monter face au monstre. Elle avait failli tuer tout le monde.
Noah la sentit frissonner, et le barrage se reconstruire dans son esprit. Sa prise se serra davantage.
"Plus tu essayes de le contrôler, plus tu vas t'épuiser et c'est lui qui prendra le dessus.
- Je ne peux pas... je n'y arrive pas !"

La force physique du gardien d'Esthar dépassait la sienne en général, mais ce soir le dureté de l'entraînement l'avait épuisée et quand il commença à la pousser dans des mouvements forcés, elle ne pouvait rien faire pour l'en empêcher. Elle sentait sa colère, sa prise plus ferme et plus froide, elle n'était plus qu'une poupée de chiffons entre ses mains, une danseuse dominée par le torrent. Elle avait de plus en plus mal, elle se sentait de plus en plus mal, prise de nausées des larmes au coin des yeux, la pression si forte qu'elle se voyait déjà broyée contre les rochers avant la fin de cette danse.
"Noah... arrête, je t'en prie !"
Il ne répondait plus. Elle ravala ses sanglots et ouvrit les yeux. Son cœur manqua un battement.

Des trois cascades l'eau s'était mélangée pour prendre la forme d'un gigantesque serpent aqueux aux traits si précis qu'elle aurait pu croire à une statue. Elle ne l'avait jamais vu d'aussi près, aussi détaillé même lorsqu'elle avait créé une créature semblable au Frai de Fssichl en se fiant à sa seule imagination pour effrayer les pirates. Contrairement à son subterfuge, la créature de Noah n'était pas totalement artificielle. Le corps était une création, ses yeux étaient réels, perçants, sauvages. Elle savait ce qui allait arriver et dans la dernière seconde, elle cessa de lutter. Elle prit une profonde inspiration, relâchant tous ses muscles, et se laissa dévorer.


Flottant dans les eaux obscures, elle pouvait entendre au loin le souffle haletant du guerrier au bord du gouffre. Les yeux toujours fermés, elle ne pouvait lutter contre les images qui assaillaient sont esprits, défilant à une telle vitesse qu'elle ne su en sortir les détails mais elle savait ce qu'elle voyait. Le Fils du Torrent armé d'une lance et recouvert d'eau sombre luttant avec jusqu'au bout de ses forces contre le Dévoreur nimbé de ténèbres. Elle voyait ce qu'il avait vu, et ressentait toute sa rage et sa douleur comme lorsque le Vermot les liait encore. Elle entendait son souffle, calme et déterminé dans la tourmente ; il avait eu mal comme elle et même pire, mais aucun son trahissant sa douleur ne sortit de sa bouche, pas un mot, pas une prière. Tout ce que Noah voulait dire, il le disait par le regard et sa poigne de fer sur sa lance teintée d'eau noire : "à jamais".
Il se laissa submerger par le Torrent Noire, qu'importe le prix et sa fin. Autour de lui se dessina la forme d'un serpent noir de jais aux yeux d'un bleu luminescent. Gardien de Golmorre et père du peuple du torrent, Thlaloc leur avait donné leurs pouvoirs du fond des abysses. Ni bon ni mauvais, torrent sauvage qui prend la vie aussi bien qu'il la donne, avait ce jour-là répondu aux prières de son fils pour défendre son territoire.

Il était devenu ce jour-là l'image de la violence incontrôlable, et en portait toujours les cicatrices aujourd'hui.


"Le torrent qui s’abat sur les rochers au pied des chutes d'eau ne se demande pas s'il peut les éviter ou s'il va les briser, il s'écrase dessus parce que c'est ainsi que la nature l'a créé. Tu peux lutter pour te maîtriser jusqu'à ce qu'il te noie lorsque tu n'auras plus la force de résister, ou tu peux devenir celle que tu dois être, Fille du Torrent."

La douleur continuait d'engourdir ses membres, elle sentit ses épaules toucher le fond du lac sous les trois cascades. Ouvrant enfin les yeux, elle cru apercevoir la silhouette de Noah debout sur les rochers au-dessus de la surface, éclairé par la lumière de la lune. Entre elle et lui, le serpent aqueux dessinait un cercle, porté par la puissance des trois cascades, ce qui générait un courant si fort qu'il la clouait au fond de l'eau ; elle ne pouvait plus bouger.
On ne peut pas lutter. Même en allant à contre-courant, il est impossible d'inverser le cours d'une rivière... on ne fait que l'affaiblir, et s'affaiblir soi-même.
Ne plus lutter dans ce monde où on vous enseigne qu'il faut constamment se battre pour atteindre ses objectifs prêtait à sourire mais ce n'était ni le lieu, ni le moment. Elle n'avait plus le choix, il l'avait poussée à bout. Il lui sembla un instant voir le jeune Noah à sa place il y a de nombreuses décennies, lui aussi cloué au fond de la rivière par son mentor qui attendait à la surface de voir s'il se décide enfin à lâcher prise. Il l'entrainait à la manière des hommes parce qu'il n'y avait pas d'autre choix, parce que c'est tout ce qu'il connaissait. Oui, c'était aller contre tout ce qu'elle avait pensé avant ce jour, mais elle finit par céder, difficilement et par ac coups jusqu'à ce qu'elle sente le courant violent emporter son corps. Ballottée comme une feuille morte par le vent, le moindre choc contre un rocher lui aurait brisé les os ; elle ne contrôlait plus rien.

"Ne cherches pas à le détourner, suis-le et il te donnera sa force."

L'harmonisation fut quasiment instantanée. Elle suivait le courant et si l'eau avait eu des yeux elle aurait vu à travers elle. Pour le moment Noah contrôlait toujours sa trajectoire mais plus elle le suivait plus elle pouvait l'anticiper, évitant chaque obstacle. Il la faisait tourner sous l'eau, bondir hors de l'eau de façon totalement anarchique. C'en était presque devenu un jeu mais l'esprit de Meleth, maintenant que son corps ne luttait plus inutilement, pouvait se focaliser sur la technique du viéra. On ne peut pas changer le sens du torrent, alors comment fait-il pour détourner aussi le courant de trois cascades à la fois et en garder le contrôle ? Son regard passa rapidement sur les trois chutes, dont le courant déviait au même point : juste avant de toucher les rochers.
Emprunte sa force. c'est ça !
Jusqu'à maintenant elle avait toujours puisé dans ses propres forces pour créer ses déferlantes à partir de l'eau, mais la pression des chutes produit sa propre énergie, voilà comment il pouvait puiser dans les trois en même temps, pour économiser ses forces. Elle avait toujours vu le volume d'eau comme une difficulté croissante mais c'était tout l'inverse et plus elle cherchait à maintenir son contrôle, plus elle s'épuisait en plus de brider son propre pouvoir. Un sourire éclaira ses lèvres quand elle comprit enfin.

Ses forces revinrent, dès lors que son corps ne luttait plus. Elle se focalisa sur une seule des trois cascades et sur la puissance de celle-ci. Son esprit la sépara des autres afin qu'elle puisse s'y harmoniser pleinement... et elle sentit le courant faiblir. Entre ses mains, elle reconnut le contact légèrement huileux de l'eau noire entre ses doigts sans comprendre ce qui se passait. Noah, debout sur son rocher, sourit légèrement.

"L'entraînement est terminé pour aujourd'hui."
Lerith Il y a 4 mois et 3 semaines


L'été arriva bien vite. Après tout ce qu'ils avaient traversé, un peu de calme et de normalité ne ferait de mal à personne. Ivanhault était retourné à ses cartes, Nashasha parlait sans cesse de son projet d'explorer une île légendaire du nom de Hawaiki, Iko avait perdu un œil dans la bataille mais ne se laissait pas abattre, madame Kurusu harcelait Silius pour qu'il l'initie à la noologie... Elle-même n'était pas en reste avec son entraînement ou même la danse. Que ce soit Lunaris sur le point de fêter sa première année, ou son désir de se rendre à Thavnair avec Hotaru pour rencontrer le fameux maître de l'Ecole du Chaos qu'elles avaient manqué pendant l'Apocalypse.

Dans l'Archipel, les habitants s'étaient donné un an pour tout reconstruire en mieux, sauf Hassim qui laissa les ruines de son palais à l'abandon pour s'installer au fort de son épouse. Mais chacun des membres de la compagnie fut tout de même récompensé par un présent inestimable : un titre de propriété. Chacun aurait droit à son lopin de terre, où il le voudrait dans l'archipel du moment que personne d'autre ne s'y trouve. Sans surprise, Meleth avait choisi Hualani. Un petit coin de l'île suffisait à abriter ses mascottes, et Grenat qui n'aurait plus à tourner en rond à la Lavandière durant ses absences. Elle-même venait y passer une partie de son temps libre.
Cela dura un certain temps, plusieurs semaines jusqu'à ce que le solstice d'été réveille les envies de voyage au sein de l'Escale de Llymlaen. Ils avaient suffisamment récupéré de ces terribles épreuves.


Hawaiki était étonnante, à tous points de vue, pas seulement pour la légende et les entités qui l'habitent mais aussi par ses couleurs, ses parfums et son écosystème inédit faute d'être unique. C'est à son étude que Meleth passait le plus clair de son temps tandis que le reste de l'équipage cherchait à résoudre cette énigme toute aussi intéressante qui sommeillait sous leurs pieds ; et ce dès leur arrivée. Elle avait enfourché sa monture et survolé les plages et les plaines de l'ouest pour découvrir ce petit bout de terre inconnu. Hawaiki, l'île vagabonde, gardait pour elle bon nombre de mystères et chacun d'eux méritait que l'on s'y attarde. Toutefois, pour ce premier grand voyage depuis la fin du monde, la viéra voulait surtout profiter du paysage et s'émerveiller devant tout ce qu'elle verrait. Elle avait plongé dans le lagon pour en savourer l'atmosphère, nagé avec les poissons, et dansé sur les rochers... et le soir elle dansait au village.

La joie et la curiosité sont des sentiments universels très communicatifs ; les habitants de Raiatea se montraient accueillants et appréciaient ses histoires chantées, particulièrement sensibles aux effets bénéfiques des danses thavnairoises exaltant leurs propres émotions. Ces récitals improvisés, parfois accompagnés de Hotaru, duraient parfois jusque tard dans nuit, jusqu'à ce que les travailleurs du lendemain soient tous partis se coucher. Ce soir, par exemple, il était minuit passé lorsqu'elle quittèrent les villageois pour regagner l'Eternal désormais posé sur le lac au plus près de la berge. Fallon, le pégase, marchait à leurs côtés en affichant ce regard paisible qu'ont les chevaux sauvages dans les grands espaces.
"Meleth, regarde !"
Elles marchaient côte à côte, les bras chargés de fruits et un peu de ce chocolat violet. La viéra leva les yeux en direction du ciel que lui indiquait son amie et put constater l'immensité de la pleine lune au-dessus de l'eau, et son reflet encore plus grand. Hotaru devait elle aussi sentir cette énergie à la fois hypnotisante et revigorante provenant du fond des eaux.
"C'est le miroir, il reflète la lune et ses rayons remontent à la surface.
- Tu es allée voir là-dessous, c'est vrai.
- Je me demande si ça ne serait pas lui, le "dieu" de ce lac. L'énergie qu'il produit pourrait faire croire aux habitants de jadis qu'un dieu habitait ces eaux."

La raenne hocha la tête dans un de ces fameux "hon hon !" enthousiastes avec accent yanxien. Voyant qu'elles s'étaient arrêtées, Fallon vint frotter son museau contre l'épaule de Meleth pour réclamer un autre de ces fruit, lui n'était pas contre l'idée d'être pris pour un dieu et se voir couvrir d'offrandes de ce genre il faut croire ! Son impulsion arracha un léger rire à sa cavalière qui passa un bras sur son encolure. Elle ne remarqua pas tout de suite que Hotaru avait posé son sac de provisions et avait déjà commencé à retirer ses chaussures.
"Mais qu'est ce que tu f-...
- Et dis donc, c'est la pleine lune et il y a un miroir sous l'eau qui reflète ses rayons tu crois sérieusement que je vais juste rentrer me mettre au lit ? Et dépêche-toi un peu, je ne vais pas arriver en bas toute seule mademoiselle je respire sous l'eau !"

Mains sur les hanches, sourcils froncés et nez retroussé, comment répliquer à ça ? Meleth se résigna à abandonner son panier de fruit à la gourmandise du pégase qui la suivi du regard jusqu'à la rive du lac en contrebas du sentier, où Hotaru trempait déjà ses pieds. Pour peu elle aurait piaffé d'impatience aussi bien que lui.

C'était la nuit, et pourtant sur le lac on entendait les rires de deux jeunes femmes jouant comme des adolescentes au milieu du lac, baignant dans le reflet de la pleine lune. On pouvait les apercevoir depuis le pont de l'Eternal où un viéra, assis sur le bastingage, veillant en jouant un air de flûte. Cet air reposant que Meleth fredonnait encore bien après que son amie se soit endormie dans l'herbe près de l'eau en se servant de son sac de botaniste comme d'oreiller.
Leurs vêtements séchaient un peu plus loin sur une branche d'arbre, elles s'étaient nouées leurs couvertures autour de la poitrine. Il faisait tellement chaud même la nuit qu'elles ne risquaient pas grand chose à quelques pas du campement et de l'Eternal. Pourtant Meleth ne pouvait pas dormir.


Hawaiki s'était montré accueillante. Mais sous ses aspects semblables à l'Archipel Paradis quelque chose en ces lieux l'inquiétait un peu. Les habitants de Raiatea vivaient sous une magie qui les rendait invisible aux yeux de ceux qu'ils appellent les "Marcheurs de Nuits". Ils n'en avaient croisés aucun jusqu'à maintenant, mais pour pousser une population à se cacher sur ses propres terres ce danger devait bien exister. Et il y avait cette forêt morte à l'ouest, le dragon sur le pic orageux et sous terre une entité dont ils s'étaient tous mit d'accord pour ne pas l'évoquer dans leurs rapports publics. Dorénavant, les relations de Hawaiki avec le reste du monde ne dépendrait que de la volonté de ses habitants, s'ils se sentaient prêts ou non à renoncer à la protection de la barrière.
Ce voyage avait eu cependant un effet fort bénéfique : celui de les motiver à voyager toujours plus. La découverte de l'île allait faire l'objet d'une conférence à Sharlayan d'ici l'automne et si Nashasha parvenait à capter l'intérêt des académiciens ils avaient une chance de se faire inscrire sur la liste des explorateurs envoyés à Mare Lamentorum, sur la lune. La lune tout de même, cela semblait toujours si irréel !
Leur prochaine destination serait annoncée bientôt. En attendant, elle pouvait continuer à répéter, et transcrire ses aventures en chansons. Elle trouva aussi une aide un peu plus "matérielle" auprès de ses amis toujours prompts à la soutenir. Liiz, un jour, demanda à la voir.
"Regarde. Tu le mets comme ça et je l'ai modifié pour les oreilles. Par contre pour miqo'te je ne sais pas encore si ce sera confortable."
Une fois dans son atelier, la miqo'te sortit les deux appareils de la boîte. Après plusieurs lunes à les mettre au point dessus malgré la charge de travail qu'elle avait sur les bras, l'ingénieure de l'Eternal était parvenue, en deux jours, à finaliser les derniers prototypes d'amplificateur de voix pour les concerts des Lunaris. Le serre-tête discret et souple se dissimulait dans les cheveux, ne laissant dépasser que la tige-micro près de sa bouche.
"C'est énorme ce que tu viens de faire tu en as conscience, hm ? Déclara la viéra tout en essayant le sien fait sur mesure.
- Oh bah tu sais, à la base c'est une idée de Hotaru et puis c'est pas grand chose !"
Liiz rit bêtement, comme toujours inconsciente de l'importance de ce qu'elle appelle ses "petits gadgets" qui facilitent la vie. "Un, deux." tout fonctionnait parfaitement, il n'y avait que Cehwi'to qui devrait sans doute ajuster un peu le serre-tête vis à vis de ses propres oreilles puisque l'ingénieure n'avait pas pu prendre ses mesures, au moins ils étaient prêts pour la tournée.
"Alors, vous êtes prêts pour le premier concert ?
- Mhm !"

Meleth hocha la tête avec enthousiasme ; elle n'aurait su dire si c'était le concert ou le prochain départ qui l'éveillait à ce point, sans doute un peu des deux. Parce qu'un vote avait eu lieu ce jour-là peu avant, et ses camarades avaient décidé que cet été ils iraient d'abord en orient aider Yone à retrouver son père, puis à Thavnair, aider Meleth et Hotaru à retrouver le fameux maître Dadjeel.

Cet été là, ils voulaient tous croquer la vie à pleine dents.


Lerith Il y a 4 mois et 3 semaines


L'expédition dans les montagnes yanxienne dura plus de quinze jours. Ils n'avaient pas retrouvé le père de Yone, mais elle sentait que leur ami s'était libéré d'un poids, à commencer par celui du secret entretenu par sa famille. Ainsi, Yone était le descendant de la lignée perdue de Yiwang Zhi Gu, la Vallée des Oubliés. Ils avaient rencontré les descendants des derniers villageois de la vallée, visité l'ancien château, le temple en ruines et même la tour où la princesse fut assassinée par son propre frère qui n'avait pas eu d'autre choix. Cette aventure les avait transformé, surtout le blond jovial devenu presque plus sérieux. Même l'absence de sa mère et son départ vers l'inconnu ne l'inquiétait pas plus qu'un fils aimant normalement constitué s'inquièterait pour sa mère. lle s'inquiétait un peu plus pour Ivanhault, qu'elle trouvait plus taciturne que d'accoutumée mais l'elezen avait ses mystères lui aussi, et son caractère. Liiz sortait davantage grâce à Iko, Valorius semblait trouver son équilibre dans l'artisanat où il pouvait se donner à corps perdu sans avoir le sentiment de ne servir à rien, maintenant qu'il travaillait surtout pour lui-même il réaliserait bien vite combien il était aussi utile aux autres. Djazah'ir préparait toujours quelque chose en cachette, elle l'avait vu demander un cheveu à Noah après lui en avoir demandé un.
Quelque chose était en train de changer et le temps viendrait, bien assez tôt, où elle ferait la rencontre de sa destinée. Ce quelque chose qui l'attendait au-delà de l'Horizon, ce qu'elle sentait arriver pas à pas s'était brusquement manifesté à Yanxia au cours de leur aventure dans la forêt de bambou. Elle prenait des initiative, elle ne se contentait plus d'observer d'agir de concert avec ses compagnons. La Fille du Torrent se sentait comme entraînée par un courant invisible toujours plus avant vers... vers on ne sait quoi encore mais elle s'y dirigeait sans résistance. L’École du Chaos, les techniques de causalité, le fameux maître Dadjeel allaient peut-être jouer un rôle dans cette transformation qui commençait à opérer au plus profond d'elle. D'enfant de Golmorre, à viéra exilée puis artiste et exploratrice, elle sentait pourtant que sa place était ici et maintenant mais ce vers quoi elle allait rendrait cette place plus solide, sur ces mêmes fondations qu'elle entretenait, ces certitudes qui la rendaient chaque jour un peu plus forte et - l'espérait-elle - un peu meilleure. La route était claire, bien droite mais elle n'en voyait pas le tracé derrière les collines ; elle savait simplement que ce qu'elle trouverait marquerait un profond changement. Elle se rappelait les mots de Noah, assis sur sa branche en train de tailler un morceau de bois, une des rares fois où il parlait :
"Chaque changement tend vers le meilleur, mais il n'est presque jamais facile. Le bois a besoin d'être taillé, la pierre polie, ces gestes ne sont pas tendres mais il en résulte toujours quelque chose que l'on apprécie plus encore."
Ce n'était pas sans rappeler ce que disait souvent madame Kurusu à propos de son mariage et de son évolution, lorsqu'on osait lui poser la question évidemment. D'ailleurs, avant leur départ pour Thavnair, la dite raenne demanda à la voir dans son bureau, en privé.


L'expédition à Thavnair commença très mal. Très le premier soir à Yedlihmad, Hotaru provoqua une de ces disputes dont elle avait le secret lorsqu'elle explosait de l'intérieur et ravageait tout sur son passage. En un instant, le paisible voyage s'était transformé en un chaos sans nom. Ivanhault était hors de lui, Valorius partit s'isoler dans un coin et le reste complètement abattu et silencieux. Meleth en avait les larmes aux yeux, elle qui se faisait une joie de cette aventure. Mais elle ravala ses sanglots, surtout après ce que Kikyo lui avait demandé elle commençait à sentir le poids sur ses épaules. Quelle ironie, que ses premiers pas sur le sentier de la Kriegstanz se révèle un véritable échec.
Ce fiasco monumental eut au moins pour conséquence bénéfique de faire sortir de l'ombre le maître à danser Dadjeel Rise qui repéra de loin les ténèbres intérieures sur le point de s'emparer des deux danseuses. Le hannois ne se montra ni doux, ni patient lorsqu'il les sermonna comme des enfants irresponsables, prêt à les priver de leur cristal si elles continuaient d'agir comme des imbéciles. Il emmena Hotaru afin de la forcer à se recentrer, et donna ses premières instructions à Meleth sans plus de cérémonies comme s'il était déjà convenu qu'elle lui obéirait. Cet homme n'était pas le genre à se laisser dépasser par les évènements ou à se laisser dire "non" à quoi que ce soit. Il émanait de lui une telle aura d'autorité et de puissance que Meleth la lui enviait.

Le voyage reprit, chaque jour avec son lot de réparation des liens avec ses compagnons tel un vase brisé que l'on recolle morceau par morceau. Elle voulait réussir ses épreuves et se rendre sur les lieux de l'Arche du Chaos au cœur de la Jungle. Elle voulait que Hotaru y parvienne également. Toujours soucieuse de son amie fragile, elle prenait conscience qu'à partir de maintenant elle ne pourrait plus seulement se soucier d'elle puisque madame Kurusu avait convenu qu'à leur retour elle serait nommée capitaine de l'Eternal...
Après quatre jours de voyage dans la jungle, ils arrivèrent enfin devant l'Arche du Chaos, et ses deux portes sous les ailes d'un papillon géant. Une porte pour chacune d'elle, l'une pour apprendre l'équilibre, et l'autre le contrôle. Chacune entra, mais pas seule. Un danseur thavnairois doit avoir des compagnons à qui emprunter leur énergie pour la leur rendre ensuite et les renforcer tous.


Lorsqu'elle vit Djazah'ir tomber au sol, inerte, le temps sembla ralentir alors que pradoxallement la situation devenait critique et même urgente face à cet ennemi issu de leurs propres doutes, de leurs propre retenue. Mais alors qu'elle s'entendait hurler le nom du miqo'te, et voyait ses compagnons serrer les dents ou hurler leur rage face au Miroir du Chaos, la voix d'Ivanhault -pourtant absent- résonnait tel un écho dans sa tête, répétant ces mots prononcés au terme d'une de leurs "disputes" il y a de cela bien des lunes.
"Sérieusement. L'on a déclenché des guerres comme on a sauvé des vies en son nom, l'Homme comme l'animal s'est montré capable de surmonter l'insurmontable tout au long de notre histoire et l'on voudrait me faire taire quand je dis qu'il s'agit là de la plus grande force au monde ? Ne me faites pas rire !"

Son corps s'était figé, tenu par les chaînes d'une peur innommable ayant l'apparence d'un monstre de fumée aux yeux rouge. Elle voulait les sortir de là, elle savait quoi faire puisqu'elle sentait cette force dynamique affluer dans son corps et amplifiée par ce pouvoir qui sommeille au creux de son ventre, mais le laisser sortir risquerait de créer une situation bien pire encore si elle ne parvenait à le contrôler ; c'était pourtant le but de cette épreuve.
"Meleth, c'est pour aujourd'hui ou pour demain ?! On va pas tenir longtemps !"
La voix d'Iko se superposa à celle de l'elezen, ils avaient besoin d'elle autant qu'elle avait besoin d'eux. Nashasha s'était précipitée au chevet du miqo'te, grimoire en mains elle incantait déjà son sort de réanimation tandis que les autres tenaient bon autant qu'ils pouvaient pour la couvrir. Leurs disputes, leurs oppositions, leurs craintes et leurs doutes, tout cela n'était rien à côté de la confiance qu'ils se portaient et leur unité elle en était convaincue au plus profond d'elle-même et pas une fois ils ne l'avaient fait mentir. Ce chaos permanent, imprévisible, mouvement perpétuel tant physique qu'émotionnel générait une puissante énergie qu'elle pouvait ressentir et qui la traversait sans mal, elle dansait pour eux mais jamais elle n'avait osé utiliser ce pouvoir sachant ce qu'il pouvait causer en cas de perte de contrôle. Le souvenir de la seule fois où elle s'était laissée déborder par une telle vague l'avait marquée au fer rouge, elle avait bien failli tous les tuer ce jour-là.
"La plus grande force au monde."
Le temps reprit sa course normale quand la viéra reprit ses appuis, bien posée sur ses deux jambes elle sentit l'énergie s'intensifier autour d'elle prenant la forme d'ailes de papillon ethérées, emblème de l’École du Chaos. Prions pour que Terrechant ai raison, si une telle force serait capable de contenir le torrent sauvage qui gronde en elle.
"J'en appelle à toi qui coule dans mes veines..."


"Je ne te pensais pas capable de faire une telle chose."
La sincérité dans la voix monocorde du viéra la fit s'arrêter au bord de la terrasse. Ils étaient venus contempler les feux d'artifice qu'elle avait promis de lui montrer lorsque commencerait le festival des Feux de la Mort. Le regard fixe, sourcils froncés, le Fils du Torrent ne prêtait guère attention aux couleurs et à la musique qui arrivait jusqu'à leurs oreilles, jusqu'à ce qu'une explosion plus forte que les autres ne le fasse sursauter légèrement ; il leva alors les yeux vers le ciel comme s'il le voyait pour la première fois. Meleth sourit alors en s'approchant.
"C'est exactement ça."
Il tourna son visage vers le sien sans comprendre. Pour la première fois, voilà qu'il était celui à qui elle devait expliquer les choses. Elle s'accouda à la barrière, admirant le spectacle :
"C'est magnifique, pourtant il s'agit d'une explosion, terme qui désigne un danger. Pourtant si on la contrôle et qu'on s'en sert pour faire de belles choses... comme cette fête qui ravive le bonheur chez les eorzéens... on pourrait presque oublier que les feux d'artifice sont composés de poudre en majeure partie.
- ... mhm.
- Je ne me pensais pas capable de contrôler cette explosion, moi non plus. Mais je suis leur capitaine maintenant, et d'une manière ou d'une autre il fallait que j'y arrive, avoir foi en eux ne suffit pas si je suis incapable d'être la première à faire ce que je leur demande."

Il hocha la tête simplement, encore perplexe mais elle ne s'attendait pas à ce qu'il comprenne tout ceci aisément, il commençait tout juste à s'attacher au groupe, il ne concevait pas encore cette force qui sommeille et augmente chaque fois qu'ils combattent, explorent, ou quelque action que ce soit qu'ils feraient ensemble. Il s'était acharné sur son propre reflet dans le Miroir du Chaos, tenus par ses propres chaînes de solitude et sa crainte à lui aussi de céder un jour à la rage du Torrent Noir qui l'habitait ; elle avait toujours senti en lui cette vibration derrière chaque muscle faisant grandir son aura : terrifiant et attirant à la fois.
"Capitaine."
Il prononça le mot platement, le visage à nouveau tourné vers les lumières illuminant le ciel au-dessus de leurs têtes. Il le répéta une seconde fois, plus bas, comme s'il cherchait à s'y habituer. Meleth sourit à nouveau, toujours appuyée contre la balustrade. Elle aussi devait s'y habituer ainsi qu'aux responsabilités allant de pair avec cette charge qu'on ne lui avait pas confié pour rien. Ce n'était pas seulement un devoir, mais aussi un désir d'être à sa juste place. Elle baissa les yeux sur son poignet désormais nu de tout bracelet, cela avait été moins difficile que prévu au final, c'était même évident. Le temps que cela avait pris était nécessaire, tous les éléments s'étaient assemblé de la bonne façon, au moment où il le fallait, comme pour la préparation d'un plat, d'une potion, ou d'un... feu d'artifice.

De nouvelles fusées montèrent dans le ciel, à une fréquence plus élevée pour le grand final de la soirée. Le bruit couvrit jusqu'à la musique provenant de la plage, et les mots du Fils du Torrent qui posa sa main sur celle du nouveau capitaine de l'Eternal. Nul ne su ce qu'il lui dit pour qu'elle se redresse, avant que son bras n'entoure sa taille.
Elle avait maintes fois dompté ses peurs lors de son exil, depuis son premier pas hors de la jungle jusqu'au dernier qu'elle fit dans cette salle des miroirs avant de devenir disciple de maître Dadjeel et danseuse du chaos, mais aucune crainte même celle du Dévoreur ne pouvait submerger la plus solide et la plus profonde de ses convictions : l'Eternal, la compagnie. Ce n'est qu'un mot pourtant, mais pour elle c'était aussi une idée, un monde à l'intérieur du monde, son monde, plus que Dalmasca et plus que la Mère-Forêt. Devenir capitaine de l'Eternal marquait une rupture symbolique très forte avec sa terre natale, que même si on lui permettait de rejoindre, elle ne pourrait reprendre sa vie d'avant. Sa place était ici, pas chez les humains ou dans une compagnie libre, ici avec ces personnes à qui elle vouait maintenant sa vie. Ce n'était ni un devoir, ni un sacrifice, c'était son désir que de lier son avenir au leur.

"Vers l'infini et on verra !"
Lerith Il y a 4 mois et 3 semaines


Les mains sur le gouvernail, Meleth prit une profonde inspiration. Dans son dos, au loin, on entendait les feux d'artifice de la commémoration mais devant il n'y avait que la lune, et le ciel qui se fond dans l'océan. On ne discernait plus l'horizon ou la surface de l'eau comme s'ils naviguaient dans une mer d'étoiles. Sans ses compagnons, ni le second debout à ses côtés, elle se serait déjà perdue dans cette vision familière qu'elle avait jusqu'à lors contemplé depuis les haubans mais ce soir il était hors de question qu'elle se laisse distraire.
Depuis leur retour de Thavnair, la viéra prenait à cœur de se montrer digne de son nouveau statut. A présent qu'elle savait en quoi consistait ce fameux changement et ce que le chaos avait généré, elle voulait s'y consacrer pleinement. Lunaris était officiellement en congé jusqu'à la fin de l'été. D'une part, parce qu'il fallait préparé leur nouveau spectacle "Samhain" mais aussi parce que le nouveau capitaine de l'Eternal avait besoin de temps pour s'acclimater à ses responsabilités et au quotidien de ce que doit être un officier. Tout le monde lui faisait confiance depuis des années, certains lui connaissaient une forme d'autorité naturelle lorsqu'elle prenait des initiatives mais d'autres la voyaient encore comme une jeune fille ingénue qui doit tout apprendre. Ce soir, elle voulait se montrer à la hauteur.
"Le capitaine de l'Insolent affirme qu'ils peuvent gagner le terrain d'entraînement en moins de vingt minutes."
Cette tentative, en théorie, n'aurait eu aucun effet sur la sage Meleth toujours si détachée de la compétition ou des affaires de rivalité ; d'ailleurs elle avait ouvert la bouche pour lui répondre qu'elle n'en avait cure mais de tout autres mots sortirent de sa bouche.
"Dix minutes, hm ?
- Vingt minutes, capitaine.
- Moi j'ai entendu dix.
- ... Mes excuses, j'ai visiblement du mal entendre."

Quel est donc ce souffle étrange qui l'envahit soudainement ? Ce ne peut être le seul désir de faire ses preuves, et elle n'était soumise à aucun envoutement. Le cœur battant dans sa poitrine, la main sur le gouvernail, elle pouvait ressentir les vibrations émanant de tout le navire mais aussi de tout l'équipage. Le cœur, inscrit dans le mat principal et auquel elle était reliée, vers lui convergeait toutes les émotions. En levant les yeux, elle aperçut Ez dans les haubans, lui aussi elle le sentait bien qu'elle ne fasse pas partie de l'équipage. Cette vague assez puissante pour noyer quelqu'un allait les porter, elle en était convaincue.
Tu m'as choisie pour cette raison, j'y crois même à l'impossible.

Deux jours plus tôt, elle s'était adressée à eux dans les jardins de l'Escale, faisant sa promesse de capitaine. Adoubée par l'ensemble, si elle avait eu un égo démesuré sans doute aurait-elle nourrit une assurance profonde, persuadée de n'avoir rien à prouver, mais c'est l'inverse qui germait dans son esprit. Pour tout ce qu'ils plaçaient en elle, elle souhaitait plus que tout leur rendre au centuple. Passer après un meneur comme Kikyo Kurusu, quand on a passé ses trois premières années en retrait à jouer son rôle de soutient pour le groupe, est un pas difficile.
"Tout le monde à son poste, Liiz lance la procédure d'envol !"
Sous les étoiles, les voiles se déployèrent avant de se gonfler sous le vent. Il sembla que le navire lui-même était impatient de gagner le large de la noscea et bientôt il s'éleva dans les airs, faisant chanceler les invitées encore peu habitués. Ez se mit à rire très fort, un rire de joie, s'il y en eut d'autres elle ne les entendit pas cramponnée qu'elle était à la barre. Elle avait annoncé moins de dix minutes, soit la moitié du record battu par l'Insolent et même si eux ne volent pas, cela restait un défi.
Un défi relevé à moins d'une minute près, pour la plus grande fierté de tous.


Debout dans le bureau de madame Kurusu, Meleth se tenait droite le menton levé, attendant de connaître les raisons de cette entrevue. Le plus étonnant était la présence de Milah, discrète, assise sur l'un des canapés. Une large boîte était posée sur la table entre elle et l'armatrice de la compagnie qui, comme à son habitude, ne laissait rien paraître.
"L'on m'a informée de votre performance au site d'entraînement naval du Maelstrom. Vous n'avez pas eu à attendre d'être attaquée par des pirates des cieux pour briller, capitaine Esthar, mes félicitations.
- Le mérite revient aussi à l'équipage, madame. Ivanhault dit que nous avions une synergie de groupe semblable à nulle autre.
- Et vous, qu'en dites-vous ?"

La viéra souffla un rire gêné tout en se frottant la nuque.
"J'étais ailleurs, madame. Je ne pensais plus qu'à mes doigts serrant le gouvernail et l'horizon droit devant. J'aurais été incapable de me rendre compte de quoi que ce soit à ce moment là. Je suis désolée.
- Pas d'excuses, capitaine. Je n'avais pas vu Ivanhault aussi flamboyant depuis longtemps. Le temps vous apportera ce qu'il vous manque, faites-vous preuve d'autorité ?
- Je pense, mais je n'en ai que peu eu besoin jusque là. Ils me suivent avec une grande facilité.
- Plus que sous mon commandement, vous voulez dire ?"

Il y eu un silence durant lequel Meleth changea d'appui. Elle ne pouvait se défiler maintenant qu'elle avait commencé mais elle savait toucher un sujet sensible. Prenant son courage à deux mains, elle répondit enfin.
"Sauf votre respect madame, et malgré la confiance aveugle que nous vous portons tous, je pense que sous mon commandement plus personne n'entend cette petite voix dans un coin de leur tête qui se demandera toujours s'il n'y a pas quelqu'un d'autre qui oriente votre jugement."
La demi-raenne fronça les sourcils, continuant de marcher d'un bout à l'autre du bureau les mains jointes sur son ventre. Meleth retint son souffle, redoutant plus ou moins sa colère, mais elle savait aussi sa supérieure lucide à ce sujet.
"Vous commencez à parler comme votre prédécesseur. Si vous persistez à dire de front et avec autant de calme ce que nul n'aime entendre, la lune de miel ne durera guère, ma chère."
- Je le prends comme un compliment, madame. Vous avez été plus qu'un bon capitaine et tous s'accordent à le dire. Je souhaite être digne de cette charge à mon tour, a ma façon."

Un sourire fugace apparut au coin des lèvres de Kikyo pendant moins d'une seconde ; Meleth souffla de soulagement avant de retenir un hoquet de surprise lorsque l'armatrice reprit, une main posée sur la boîte :
"Le Capitaine Chaos, hmm ?"
Elle ne répondit rien, mais suivit du regard l'ouverture de la boîte. Les oreilles de Milah tiquèrent un peu son attention soudain piquée. Une fois le couvercle soulevé, elle découvrit un superbe brocard plié au col de soie. Kikyo s'en saisit avec précaution afin de soulever le tissus et de présenter à la viéra l'ensemble complet, constitué d'une chemise et d'un gilet en tissus plus épais et solide.
"Soie de cocon doré et kudzu blanc renforcé, alliage en métal, matériaux choisis et assemblés par Milah. Elle a pris soin de tenir compte de vos goûts et de vos besoin en terme de mouvement. J'ai pris la liberté de le faire commander à notre retour de Thavnair ; puisse t-il servir vos intérêt et ceux de l'équipage de l'Eternal que vous représentez à présent."
Les yeux de Meleth s'étaient ouverts en grand, le souffle court, tandis qu'elle admirait la coupe et les détails de son premier habit officiel.
"Ne me décevez pas, capitaine Esthar."


De retour dans sa chambre au premier étage de la petite chaumière sombrelinçoise, Meleth enfila avec précaution la chemise et le gilet avant d'y ajuster les ceintures et épaulière, par dessus la capeline. Sans conteste, c'était plus couvert et plus lourd que ses tenues habituelles mais pas une entrave. Milah avait pensé à ses mouvements et même à une attache pour ses éventails lorsqu'ils sont fermés.
Face au miroir elle contempla son reflet, et ajusta le pendentif offert par Lhei par-dessus son col. Capitaine, mais aussi Fille du Torrent. Elle se souvint de l'amerrissage, un papillon sur une fleur, personne n'avait rien sentit comme si le contact naturel qu'elle avait avec l'élément eau s'était prolongé à tout le navire ; finalement n'était-elle pas faire pour ce rôle ? L'admettre serait une offense à madame Kurusu qui l'avait commandé avec compétence et dignité durant tout ce temps, mais à ce moment précis le capitaine Esthar aimait la vision qui s'offrait à elle dans ce miroir.

"Je suis à ma place."
Lerith Il y a 4 mois et 3 semaines


Et le vent se lève, décrochant les premières feuilles des arbres qui se parent aux couleurs de la terre. Il fait plus froid, le ciel se charge de nuages et le soleil devient plus pâle. Le chant des rivières, immuable autant qu'il est changeant, rappelle ainsi la nature à son cycle éternel ; rien ne meurt tout renaît. Et c'est sur la scène du Paon d'Or que cette nuit-là, elle célébrait l'équinoxe à venir. Toutes lumières éteintes pour n'éclairer que la scène, à genoux, sa voix remonta du plus profond de sa poitrine avant qu'elle n'ouvre les yeux. Son corps paré de multiples peintures tribales que Noah avait choisi et tracées commença à se mouvoir.
Cette nuit n'est pas comme les autres...
Elle voyait dans les yeux de ceux installés au premier rang une forme de fascination qui n'avait rien à voir avec ce qu'elle produisait d'habitude. Elle entendit d'ailleurs, non sans sourires, les commentaires enthousiastes sur les côtés et le fond de la salle : "Attends de voir le groupe entier, tu vas halluciner !" ; Trois ils étaient, quatre avec le viéra près d'elle, mais toujours tapis dans l'ombre, dont la flûte accompagnait la voix grave et vibrante. Sans Hotaru et sans Cehwi'to, évidemment ce ne pouvait être la même chose elle en avait bien conscience. Elle était plus froide ce soir, plus sombre malgré le sourire sur son visage. Un voile de mystère s'était posé sur la danseuse qui tournoyait sur une scène entre ombre et lumière sous le regard d'un public conquis dont les applaudissement marquaient le rythme de chansons nouvelles. C'était pourtant la même musique que d'habitude, des chorégraphies répétées encore et encore avec passion et assiduité.
C'est... différent.
Elle bascula sur le bras tendu du Fils du Torrent, effectuant une roulade sur son dos dans un élan acrobatique qui fit voler son jupon au-dessus de ses genoux. Retenue par son autre bras, elle posa le pied au sol gracieusement et acheva ainsi la représentation un genou à terre à ses côtés. Le silence ; il n'y avait jamais eu de silence à la fin de ses concerts avec Lunaris. Pendant une demi seconde elle eut un doute... et puis ce fut un tonnerre d'applaudissements dans la salle, presque brutalement. Le souffle court, les yeux rivés sur le sol, elle ne réagit qu'à la main tendue de Noah qui l'aida à se relever afin qu'ils s'inclinent tous deux. Le viéra était sortit des ombres pour la sortir de sa torpeur.
"Bravo, bravo !"
Elle offrit un sourire gêné à ceux qui l'accueillirent à la descente de scène. On lui offrit à boire, elle répondit aimablement à toutes celles et ceux venant à sa rencontre mais Meleth ne parvenait pas à sortir de la brume. Elle pensait que cela était dû à la représentation et à l'équinoxe d'automne qui apporte le vent du changement. Elle n'avait plus peur du changement depuis l'Arche du Chaos, son corps débordait d'énergie et pourtant, chaque nuit à partir de celle-ci fut hantée par de sombres rêves. Dans certains de ces songes, apparaissaient Hotaru et son compagnon hanyo face à l'orée d'une forêt. D'autres, elle voyait plusieurs de ses compagnons dans ce qui ressemblait à une cité souterraine face à une silhouette sombre la faisant penser à Ivanhault tout en sachant qu'il ne s'agissait pas de lui, ni l'un de ses frères et sœurs. Une nuit ce furent les abysses qui l'engloutirent, dans une eau plus sombre que l'âme la plus noire, plus froide que les glaces du Coerthas, et plus silencieuses que la mort ; elle avait vu les visages de Lhei et de l'Ancienne, sa mère et toutes celles dont les âmes guerrières dansent à présent au Cœur du Torrent.

Une autre de ces nuits peu communes, à force de tourner et se retourner dans son lit, elle renonça et se glissa sans bruit sur le palier pour ne réveiller ni sa sœur dans la chambre d'en face ni les gardiens sans doute sur le toit ou non loin de la chaumière. Avec la température plus froide, les hommes ne pourraient pas dormir dehors pendant l'hiver, ils n'étaient plus dans la jungle. Nix dormait paisiblement dans l'évier, ronflant des bulles dans un petit "brruiiiuiuiuiuiiiil" terriblement mignon, mais Meleth n'avait pas l'esprit à s'attendrir. Poussant la porte de la salle de bain, elle ne trouva un peu de paix qu'au son de l'eau qui s'écoulait naturellement dans la cascade artificielle directement reliée à la rivière en dessous. Elle n'avait qu'à ouvrir un coffre afin d'y prendre quelques éclats de feu qu'elle poussa dans l'eau pour la chauffer.
"Quelque chose approche. Je le sens dans ma chair comme dans mon âme. J'entends leurs cris, leur souffrance, j'entends leurs voix qui appellent à la vengeance. J'entends cette colère qui gronde en moi alors que je ne ressens nul désir de destruction. Je le sais, c'est sa marque qu'il a posé sur moi et qui lui dit où aller... nous ne pourrons pas nous cacher. J'ignore ce qui l'a réveillé, mais il s'en vient... et si nous ne le trouvons pas avant qu'il vienne à nous, il détruira tout ceux que nous aimons et à qui nous nous sommes attachés depuis que nous avons quitté nos terres."
La peur est un poison insidieux, et dans toute son imperfection Meleth se laissa cette nuit-là traverser par chacune des sombres pensées qui l'assaillirent. L'eau dans laquelle ses jambes étaient plongées devint noire, lisse comme un miroir dans lequel se reflétait son visage meurtri par de sombres souvenirs, ceux de l'ombre aux yeux de feu qui se dresse devant elle prêt à la dévorer. Za'or El'rak, le Dévoreur.

Les jours devinrent des semaines, et l'automne fut particulièrement difficile. Si ce débordement d'énergie semblait palier à ses mauvaises nuits, une fois madame Kurusu partie se reposer avant la naissance imminente de son quatrième et dernier enfant, Meleth accusa le poids de son absence. C'est à elle que tous les problèmes venaient se signaler, et c'est elle qui se pensait responsable de leur gestion. Et parmi tous ces problèmes, il y en avait un qu'elle pensait avoir laissé derrière eux à Thavnair mais qui refit surface au beau milieu de l'automne.

Madame Kurusu allait accoucher d'un jour à l'autre, chaque vaquait à ses occupations de fin de saison des expéditions. Meleth enquêtait sur l'un des dossiers de longue date de la compagnie, le Conte des Neuf Cavaliers dont chaque chapitre révélait une énigme à résoudre et une relique à trouver. A cette période, les aventuriers faisaient beaucoup de fouilles sur le site de l'ancienne cité jumelle d'Uldah, Sil'dith, et un heureux hasard voulut que l'une des énigmes évoquait possiblement ces tunnels reliant jadis les deux cités. Sur un site de fouilles, elle retrouva Mumuni Muni l'archéologue en charge du chantier naval nymien et fit la connaissance de sa soeur jumelle, Mimina Mina. Cette dernière aimait moins les vieilles pierres que les animaux, elle se revendiquait "lalactiviste" écologiste pour la cause des monstres. Une enquiquineuse pour les pauvres aventuriers et archéologues venus fouiller les environs car cet endroit aurait été l'habitat naturel des chauves-souris à duvet mauve. Meleth ne put s'empêcher de sourire et d'apprécier la passion qu'elle mettait dans ses convictions. Une chose en entraînant une autre, elle descendit avec Mimina afin de vérifier ses dires et ainsi régler la question. Elle ne pensait pas qu'un acte spontané, sans aucun impact -à priori- sur quoi que ce soit d'autre allait provoquer l'effondrement d'une amitié en même temps qu'une autre commençait à voir le jour.

"Prête, Mimina ? Aller, on descend !"
Lerith Il y a 4 mois et 3 semaines


Brumée, toujours aussi animée que ce soit la journée ou le soir, fourmillait de monde et en grande partie d'aventuriers de passage ou locaux. Entre rencontres et éclats de voix le long de la jetée, chaque jour y était différent bien qu'à la longue on y retrouve les mêmes visages, les mêmes sujets de conversation et ce qui faisait sa singularité faisait maintenant partie du décor comme cette viéra sombre aux yeux clairs qui dansait sur la plage, elle n'était d'ailleurs plus la seule depuis quelques lunes. Mais c'était bien elle ce soir-là, debout sur son rocher à danser en rythme avec le flux et le reflux des vagues, comme chaque jour ou presque depuis trois ans. C'était une soirée comme les autres, ou presque.


Après que son incursion dans les tunnels ai suscité l'intérêt de plusieurs de ses camarades qui la rejoignirent eux aussi à l'improviste, Hotaru l'avait mal pris mais n'évoqua pas vraiment ses raisons. Elle disparut quelques temps jusqu'au mariage de Kyuuji, avant de disparaitre complètement. On annonça son décès en orient sans en faire étalage bien que le deuil fut porté et les hommages rendus par sa famille. Kikyo n'en parla pas. Elle venait d'accoucher de son quatrième et dernier enfant dans la douleur personne n'avait envie de lui poser la moindre question. Meleth s'inquiéta, doublement car Valorius aussi disparut un long moment. Ce n'est que plusieurs semaines plus tard, vers les premiers jours de la sixième lune ombrale, qu'enfin elle reçut une lettre sans nom ni adresse d'un expéditeur.

"Ma très chère Meleth."

Elle reconnut immédiatement de son écriture. Elle avait d'abord été surprise de recevoir une lettre plutôt qu'une visite mais son amie ne faisait rien sans raison. Installée dans un fauteuil du salon, plusieurs de ses mascottes entassées devant le feu de cheminée pour se tenir chaud, Meleth se décida à ouvrir l'enveloppe. Lentement, au fur et à mesure des lignes un sourire se dessina, pas un sourire triste bien que les mots pèsent un peu, c'était du soulagement, un véritable souffle.
"J'ai décidé de disparaitre"

Hotaru avait toujours été du genre à penser qu'elle devait s'effacer, qu'elle dérangeait, mais pas cette fois elle ne le faisait ni pour ni contre les autres, elle le faisait pour elle et seulement pour elle. Dès lors, il n'y avait pas lieu de s'affoler ou même d'être triste d'autant que son amie lui assurait qu'elle allait bien, et qu'elle ne voulait pas que quiconque s'inquiète.
"Hotaru a disparu pour laisser place à une autre personne."

Depuis l'Apocalypse finalement, la destruction du sanctuaire de Tenshi-Ka avait déjà conclu l'amorce d'un changement plus ancien encore chez cette jeune femme en perpétuelle évolution. Le chaos à l'état pur, couplé aux émulsions de la jeunesse et aussi de sa sensibilité, la comprendre n'était pas aisé mais Meleth avait toujours eu ce sentiment qu'elle en était capable ; elle avait naturellement plongé dans son monde comme une évidence, et même aujourd'hui là où n'importe qui pourrait interpréter cette fuite comme lâche, coupable ou à l'inverse culpabilisante, elle n'y voyait qu'un vœu pour l'avenir. Qu'on y adhère ou pas, Hotaru ne reste jamais centrée sur un problème, elle change, elle transforme, parfois compulsivement ce qui peut être très épuisant pour ceux qui ont besoin de s'arrêter une minute pour souffler et faire le point, elle ne s'en rend pas toujours compte malheureusement. Ses émotions aussi violentes qu'incontrôlées lui faisaient autant de tort qu'à son entourage, mais comme elle se pensait toujours insignifiante, elle niait jusqu'à l'impact évident de ses coups d'éclat sur tout le monde. C'était sans doute la fois de trop.
Un rire bref s'échappa des lèvres de la viéra, songeant à tout ce qu'elles avaient vécu ensemble du meilleur comme du pire une chose demeurait inchangée : elle y va toujours à fond, donne tout ce qu'elle a. D'ailleurs, elle le disait elle-même au fur et à mesure que Meleth poursuivait sa lecture, elle faisait le constat de ce changement et de la distance qu'elle prenait avec tout le monde en conséquence sans qu'il y ai derrière le moindre ressentiment, son instinct avait agi avant qu'elle n'en prenne conscience.
Oui je te connais Hotaru, je sais ce que tu veux me dire.
Son sourire s'élargit mais cette fois une larme perla au coin de son œil gauche, une larme de joie. Pour la première fois depuis longtemps, sa très chère amie semblait voir l'avenir de façon positive, libérée des chaînes qu'elle s'était elle-même forgées. Meleth replia l'enveloppe et tendit le bras pour saisir son carnet posé sur la table du salon. Elle y glissa la lettre, et armée de sa mine de plomb commença à croquer le visage de son amie. Elle n'était pas la plus grand des artistes mais elle voulait que ces mots demeurent avec ses souvenirs et une image de son visage dans son esprit, à cet instant précis. Elle imaginait un papillon attiré par la flamme, mais qui parvint à s'arracher à cette attraction pour disparaitre dans le ciel sous la forme d'un bel oiseau, un petit oiseau scintillant.
Je sais que tu n'as jamais rien demandé à personne, mon amie. Mais au fond de toi tu voulais tellement qu'on t'aime, tu avais si peur...


Elle s'arrêta pour souffler. Il était tard et peu à peu la plage se vida. Elle salua, non sans sourire malgré tout, les derniers spectateurs qui lui firent un signe de la main mais elle n'avait pas le cœur à les rejoindre pour connaître au moins leurs noms comme elle le faisait la plupart du temps. Sous les étoiles, elle questionnait la mer changeante et l'horizon lointain en silence. Jouant avec un de ses minces filets d'eau, elle fit ce qu'elle faisait toujours lorsqu'elle voulait s'apaiser l'esprit : elle chanta. Les yeux fermés, elle visualisa sa chaumière paisible et la chaleur de son foyer, ces premières soirées d'automne près du feu à écrire dans son carnet tandis que Lhei lui parlait de la guilde des orfèvres et que la porte s'ouvrait sur Noah et Luka apportant le repas du soir sans un mot. Le pont de l'Eternal grinçant à cause de l'humidité après les premières pluies, et les difficultés du quotidien qui semblent parfois insurmontables jusqu'à ce que son regard croise celui d'un membre d'équipage, surtout celui d'Ivanhault ces jours-ci qui débordait de joie de vivre et d'enthousiasme. Rien n'est insurmontable, rien ne saurait entamer sa foi même les pensées les plus sombres et c'est de là que venait sa musique.
Elle songea à son amie, à son dessin, à son envol et soudain l'impensable se produisit. Elle sentit que l'eau entre ses mains commençait à se mouvoir et en ouvrant les yeux, elle vit un bel oiseau, pas très grand mais très joli, ouvrir ses ailes et s'envoler vers les étoiles. Il ne fit que quelques battements d'ailes avant d'éclater en une pluie de fines gouttes scintillantes qui retombèrent sur les vagues. Elle entendit applaudir depuis la plage ; plusieurs personnes étaient revenues même à cette heure tardive, par curiosité ou par hasard ils avaient rebroussé chemin juste à temps pour assister à ce spectacle. Deux miqo'te, une raenne et un hyur qui déclara : "Votre magie est aussi belle que votre voix, Fille du Torrent."
Elle ne devait revoir Hotaru, même si pendant quelques temps son amitié lui en intimait le désir. Environ six lunes plus tard, leurs routes se sépareraient pour de bon. Elle avait toujours voulu le meilleur pour son amie, sa sœur de lune. Quelque soit le nom qu'elle prendrait, quelque soit la vie qu'elle choisirait et les lieux où elle se rendrait, elle l'imaginait trouver enfin la paix et peut-être même le bonheur un jour. Au fond de son cœur cette amitié, bien que réduite au silence, ne cesserait jamais. Jamais elle n'oublierait la luciole légère et imprévisible flottant à ses côtés, inconsciente de sa propre lumière. Jamais elle n'oublierait un lien aussi fort et toutes ces danses partagées qu'elles soient sur scène ou dans les lieux les plus isolés et insolites.
Dire qu'elle ne pleura pas cette séparation serait mentir, elle pleura pendant des jours. Et durant les lunes qui suivirent, elle verserait encore bien des larmes. Que ce fut ou non pour leur bien à toutes les deux, ce serait un déchirement qui ne laisserait pas la Fille du Torrent indemne et elle aurait besoin de temps, de beaucoup de temps, pour qu'enfin la plaie commence à se refermer.

Celui qui cesse un jour d'être ton ami ne l'a jamais été,
Celui qui l'est réellement ne cessera jamais même s'il disparait pour toujours.

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