Les Chroniques du Torrent

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Lerith Il y a 3 mois et 1 semaine


Les semaines passant, le sommeil s'accoutumait à ces rêves et ce sentiment d'appréhension devenu familier. Ses tourments apaisés par le quotidien auprès des membres de la compagnie, Meleth passait de longues heures à l'Escale à travailler dans la salle des cartes, son regard se perdant parfois en direction de la fenêtre ; le soir elle s'en retournait à la chaumière pour retrouver sa sœur dont le regard fatigué trahissait des journées similaires. Lors de la visite des Fils du Torrent l'autre soir, tous les quatre s'étaient entendus sur l'importance de ne pas se laisser sombrer à attendre l'inévitable. Lhei se sentait déjà suffisamment coupable d'être possiblement la cause de ce qui arrivait ; elle avait fait le vœu de trouver le Dévoreur mais c'était peut-être lui qui les avait trouvé ou en tout cas, il avait senti sa présence.

"Il ne cessera de vous pourchasser. Il ne saurait trouver le repos que lorsqu'il aura dévoré jusqu'à la dernière Fille du Torrent."

Ces mots, prononcés par Noah il y de nombreuses années, revenaient sans cesse dans son esprit. L'aîné avait déjà sombré dans les abysses et luttait chaque jour pour ne pas s'y perdre, et voilà que Luka y avait mis un pied par crainte de ne pas être assez fort. Voyant l'inquiétude de Lhei, et ne connaissant que trop bien le revers de cette plongée, elle avait tout fait pour l'en dissuader, l'exhortant à trouver une autre force dans les opportunités qui s'offraient à eux depuis qu'ils avaient découvert Mélune et l'existence des autres temples.
"Deux, on peut gérer" avait dit Lhei, rassurante mais surtout en quête de réconfort. "Trois ce serait impossible."
Leurs discussions se retrouvaient vite au même point, sur leurs recherches des autres sanctuaires pour le plus grand soulagement de Meleth. Quelle hypocrisie de retenir ainsi Luka alors qu'elle se trouvait elle-même au bord du précipice. Est-ce vraiment inévitable ? Pour Noah, il n'y avait plus aucune chance, pour Luka cela semblait compromis. Mais Lhei avait démontré qu'il était possible d'emprunter un autre pouvoir que celui que Thlaloc leur avait accordé à la naissance. Seulement, à quel prix ? Ils en savaient si peu sur leur héritage et leur ennemi n'attendrait pas indéfiniment avant de venir les trouver. S'ils se détournaient du Torrent Noir ils perdraient un pouvoir considérable, mais s'ils acceptaient son tribu ils pourraient perdre bien plus encore. Cette question hantait Meleth désormais : "Notre salut se trouve-t-il sans la source qui nous a donné la vie, ou bien en poussant les portes d'un inconnu qui pourtant nous les lié ?"

Leurs vision du temple sous-marin les avait conduit une première fois dans l'archipel d'Ori exploré par la Rose des Vent, à ouvrir la porte du sanctuaire de Mélune. Dès lors, ils avaient découvert six autres portes dont l'une portait l'emblème du serpent noir de la Terre des Torrents. Chacun de ces esprits gardiens semblait lié aux autres et tous portaient un secret, héritage d'un passé peut-être aussi vieux que la Mère-Forêt. hélas, chaque porte demeurait scellée y compris la porte d'entrée du temple qu'il leur était impossible de quitter afin d'en localiser la position.
Après des lunes d'étude des symboles ils trouvèrent toutefois une concordance avec une tribu des Mers du Nord : les Joküns, des roegadyns isolés dans les glaciers, plus au nord encore qu'Ilirslaent déjà très hostile en terme de climat. A la fin de l'automne, ils partirent tous les quatre en quête de cette tribu et de ses réponses. Hélas ils arrivèrent trop tard, le Dévoreur les avait précédé. Par chance toutefois, il n'avait dévoré personne et pour cause : les Joküns avaient anticipé sa venue ils n'auraient du dire comment et s'étaient enfui à temps. Où ? impossible de le dire mais au moins ils étaient vivants quelque part et le sanctuaire de la Dame de Givre semblait intact. Le gardien local était toujours présent, et à l'image du Miroir de Glace que Meleth avait eu tant de mal à maitriser mais dont se peuple semblait s'être fait une spécialité, la Dame de Givre gardait avec elle les réponses sur un lointain passé, du moins une partie d'entre elles.
Ouran, c'était le nom d'une antique cité insulaire engloutie par les flots lors du Sixième Fléau. C'est là-bas que tout a commencé pour les sept gardiens, et aussi pour le Dévoreur. Tout ce qu'ils ont besoin de savoir s'y trouvait probablement, y compris le temple dont ils ne peuvent sortir. Mais comment trouver une cité engloutie il y a plus de 1600ans quelque part dans l'immense Océan Indigo ?


"Donner vie à mes créations aquatiques ?"
Cette idée pouvait sembler saugrenue, même complètement irréalisable. Sa première réaction à la suggestion d'Isaudorel fut de sourire ; elle avait l'elezen aussi brillant qu'excentrique dans ses domaines d'étude. Comment pourrait-elle donner à l'eau une forme déterminée ? Sa maîtrise n'avait rien de comparable à la création de golems ou l'invocation de créatures aquatiques -ce n'était certainement pas ce peureux de Tae qui allait se battre à ses côtés ! - alors ses serpents d'eau, à l'image des trois dragons de la déferlante de Noah, n'étaient rien de plus qu'une image de son esprit sur la matérialisation d'une attaque puissante. Isaudorel, pourtant, semblait très sérieux. Depuis le temps qu'il voyait Meleth s'entraîner, et les années ayant posé les bases d'un début d'amitié avec cet elezen grincheux, lui et sa science des cristaux s'étaient maintes fois rendus utiles dans la gestion de son équipement. Voilà qu'il suggérait de nouvelles idées pour son entraînement.
Sur la plage autour d'eux, ceux qui la regardaient danser sur son rocher quelques instants plus tôt suivaient à présent la discussion et les propos d'un Isaudorel sans tabou, dont le voix basse étaient moins la volonté du secret que la fatigue. Il n'était pas du genre à dissimuler ses théories.
"Avec un catalyseur. Une gemme de scrutation."
Elle haussa les sourcils, première fois qu'elle entendait ce terme.
"De quoi s'agit-il, au juste ?"
Toujours dubitative, elle écouta l'explication et ne fut pas la seule. Autour d'eux semble t-il, plusieurs esprits savants ou curieux tendirent l'oreille, il faut dire que la plage n'était pas très discrète.
"Ce sont des moines... apparus à la quatrième ère astrale. Ils se servaient de pierres, des gemmes de scrutation. L'histoire dit qu'elles permettaient de soigner les maladies du cœur en pénétrant dans l'esprit de ceux qui souffrent. Ils employaient ce don afin d'altérer l'éther mémoriel des gens. Ainsi, ils pouvaient effacer les souvenirs de ces expériences atroces et les remplacer par d'autres, permettant ainsi à leur patient de reprendre goût à la vie. Ce sont des méthodes controversé et contraire à l'éthique en Sharlayan.
- Oui, j'imagine... ce n'est pas non plus la vocation de la Kriegstanz de modifier les souvenir et les émotions artificiellement..."

Elle ne songeait plus à la maîtrise de l'eau pour le coup, et n'avait toujours pas compris où son médecin de bord voulait en venir. Utiliser une gemme de scrutation pourrait amplifier les effets de ses techniques mais si la méthode était controversée, et si les gemmes modifiaient les souvenirs ce ne serait certainement pas une bonne idée de les utiliser.
"Un être vivant est fait de trois types d'éthers : l'éther corporel pour la force vitale, l'éther spirituel pour l'âme et enfin l'éther mémoriel pour les souvenirs. Un fileur de songe peut, grâce à leurs gemmes de scrutation, accéder à l'éther mémoriel des gens. C'est une base de mes recherches, mais elle est déjà partiellement pratiqué par les arcaniste et les carbuncles. C'est pour cela que je laisse le miens... aussi longtemps possible en activité.
- C'était plutôt Hotaru la fileuse de songe..."

Sur la plage les spectateurs indiscrets gardèrent le silence sans doute aussi circonspects qu'elle l'était. Elle n'entendait plus les bavardages ou les commentaires ce qui, d'un côté, accéléra sa propre réflexion :
La Kriegstanz nous permet de matérialiser les émotions négatives afin d'en libérer ceux qui sont sous l'emprise de leurs propres ténèbres. C'est une pratique délicate mais avec un catalyseur comme celui-ci nous pourrions faire de sérieux progrès. Et pour ce qui est des techniques de renforcement, si nous parvenons à toucher l'émotionnel avec plus de précision en éveillant des souvenir, cela pourrait stimuler l'Akasha et donner de meilleurs résult-...
Elle cligna des yeux et leva la tête subitement ; l'elezen n'avait pas bougé d'un cil et n'exprimait aucune émotion particulière, pas même la satisfaction de la voir enfin percuter l'information essentielle de cette conversation.
"... Si on peut matérialiser les émotions négatives, l'Akasha doit certainement rendre possible la matérialisation des émotions positives !"
Il hocha la tête sobrement. Meleth leva ses mains, comme si elle prenait conscience de ce potentiel.
"Les serpents, les dragons... chaque fois que j'utilise mon ether l'eau prend la forme de ce que mon esprit visualise. Si je pouvais catalyser cette image, la stabiliser à l'intérieur de l'eau... je ne serais pas seulement capable de donner corps aux ténèbres intérieures mais aussi aux émotions positives !"

L'enthousiasme commençait à monter au creux de son ventre, autant de possibilités de de longues heures et mêmes lunes d'entraînement mais elle voyait là une façon d'associer son héritage aux techniques de l'Ecole du Chaos. Elle repensa à Hélène, et à ce qu'avait dit maître Dadjeel à propos des techniques de la causalité : on ne peut changer ce qui est ni ce qui doit être, mais on peut accélérer le processus et ainsi donner l'illusion que nous en sommes la cause. Elle ne serait jamais capable de créer des golems, elle n'avait pas la moindre intention de se prendre pour le maître des eaux mais elle pouvait en donner l'illusion, comme ce fut le cas face aux pirates de J'sparoh. Et plus ces émotions seraient puissantes, plus elle serait puissante.
"Peut-on encore se procurer ce genre de gemmes ?
- Ils proviennent de l'ancien peuple Bozjien, ou l'Histoire penche plutôt à un ancien héritage Allagois repenti au peuple Bozjien après la guerre...
- Bozja...? Voilà qui complique davantage les choses... "

La saison des expéditions étant terminée, il n'était pas question d'envisager une expédition à Bozja avant le printemps, d'autant que la compagnie avait pour ambition de s'inscrire sur les listes d'explorateurs pour Mare Lamentorum, autrement plus important qu'une chasse aux gemmes perdues pour une quête personnelle. Peut-être trouverait-elle le moyen de s'y rendre avant, peut-être pas, mais en tous les cas elle garderait cette idée dans un coin de sa tête jusqu'à ce que l'occasion se présente et jusqu'à ce qu'elle trouve le moyen de se rendre en terre inconnue...
"Je vais m'entraîner à matérialiser mes émotions. L'autre jour je crois que j'ai même réussi quelque chose du genre. J'ai créé une sorte d'oiseau aqueux... !"
Levant la tête avec détermination, elle baissa les épaules aussitôt en s'apercevant qu'ils n'étaient toujours pas seuls et que la moitié des occupants de la plage avaient entendu toute la conversation. Discrétion en ce jour ne fut pas son fort.



Quand le voile de la nuit se pose sur la forêt, loin des lanternes qui dessinent le chemin des voyageurs vers Gridania, l'ombre d'une silhouette danse près de la rivière. Ce vieux pont de pierre qui ne doit plus être emprunté que par les rares habitants de ces bosquets isolés fait office de scène pour un spectacle que seuls les arbres, le oiseaux de nuits et les esprits peuvent contempler. Sans ses éventails, la viéra n'a que ses rubans aqueux pour accompagner une danse serpentine au rythme de ses pieds et ses mains qui frappent tels des tambours contre la pierre ou l'un contre l'autre. L'eau couvre à peine sa voix tantôt profonde, tantôt montant dans les aigus, comme des cris poussés dans la nuit. Son corps ondule et dessine une arabesque, le dos arqué vers l'arrière tandis qu'elle hurle à gorge déployée. Elle la sent, cette force obscure qui bouillonne en elle. La lune étincelle pour mieux révéler l'obscurité qui l'entoure, cette obscurité qui l'attire inexorablement.

Trois fois, trois fois tu es descendue. La première était un accident, la seconde un appel, la troisième par excès de confiance et deux ont manqué de mourir noyés. Chaque fois il t'es plus difficile de remonter car chaque fois que tu t'approches de lui tu deviens un peu plus lui et un peu moins toi. Un jour, tu ne seras plus capable de remonter à la surface...

Un nuage cache la lune. Un grondement sourd résonne sous ses pieds juste avant que ne se déchaîne la fureur du Torrent Noir. Un instant, sa silhouette disparait dans une obscurité totale, avant que les rayons argentés viennent à nouveau se poser sur le pont. Elle se trouve là, immobile, éprouvée, elle chancèle avant de tomber à genoux. Ce soir encore, elle a résisté à l'appel, mais elle ne peut nier cette excitation dans son ventre, ce goût du pouvoir qui éveille ses sens et un désir contenu de se laisser emporter par cette vague pour ne faire qu'un avec elle. Dans le ciel, les nuages s'accumulent et les premières gouttes de pluie viennent à tomber. En quelques minutes, c'est une averse qui se transforme en déluge mais rien ne saurait la sortir de ses pensées.
Au moment où le premier éclair déchira le ciel, elle se leva, le regard brûlant d'une colère mal contenue. A plein poumons, elle s'écria alors vers le ciel, les esprits et tous ceux qui pouvaient l'entendre perdus dans ces bois sombres.
"C'est nous qui allons te traquer tu m'entends ?! Je ne laisserais pas la peur me guider !"
Sous l'orage d'une pluie battante, tandis que les feuilles mortes emportées par un vent de tempête se noyaient dans les rapides, la Fille du Torrent dansait à en perdre son souffle, à en perdre la raison. Ses émotion, son pouvoir, continue de croître d'autant plus qu'elle connait son ennemi. L'ombre du grand serpent noir continuait à se mouvoir sous la surface, jamais bien loin de son esprit, sous l'œil silencieux d'un ancien Gardebois perché dans les arbres. Comme toutes ses sœurs avant elle, comme Lhei aussi tôt ou tard, Meleth cèderait à l'appel des abysses et deviendrait une sombre guerrière imprégnée d'eau noire. Il savait qu'il ne pourrait rien empêcher.
...A moins qu'Ouran ne leur offre une autre voie.
Lerith Il y a 3 mois et 1 semaine


Une autre fête des Étoiles passa dans la chaumière de la Fille du Torrent. La tradition de s'entasser toujours plus nombreux dans son salon le soir du solstice se perpétuait et se transmettait aux nouveaux venus. Cette année-là, Liiz lui avait fabriqué un mini-orchestrion portatif comme cadeau sur l'idée de Valorius. A'iko avait même fait des biscuits (que Kiip s'était empressé de faire disparaitre) et Noah avait accepté de porter un pull-over de saison ; la première fois qu'il ressentait vraiment le froid et le besoin de dormir au chaud.
Un an déjà, et l'an dernier à cette époque les réjouissances furent loin d'être aussi paisibles, le monde entier dans la tourmente... s'ensuivit une année de reconstruction, de questionnements et d'explications sur ce nouveau monde qui s'offrait à eux et ses possibilités. Finalement, ce n'était pas l'Apocalypse qui avait tout bouleversé, mais ce qui s'était passé ensuite. Elle avait perdu une amie mais elle n'était pas la seule à voir sa vie renversée au cours de ces dernières lunes. Tous ces remous, tous ces changements entraînaient d'autres changements et tout le monde s'en trouvait affecté d'une manière ou d'une autre et tous le ne vivaient pas forcément très bien.
Pourtant, dans ce chaos organisé où rien ne reste statique, la jeune capitaine trouvait une paix inexplicable. Comme lorsque Ivanhault prétend qu'il adore travailler dans la foule ce que la plupart des gens trouveraient absurde, Meleth trouvait le repos et la tranquillité au milieu de l'agitation. Les voir s'affairer avec enthousiasme, que ce soit sur des choses sérieuses ou plus frivoles comme les fêtes saisonnières suffisait. Même les disputes et les remises en question individuelles ne la dérangeaient plus et c'est au cours de cet hiver-là qu'elle découvrit enfin ce pourquoi elle était un pilier pour ses compagnons : la confiance. Elle nourrissait en son cœur une confiance si grande, si infaillible, que peu importe les épreuves elle pouvait dormir paisiblement. Elle savait, comme si on l'avait gravé dans le marbre, que rien ne briserait le lien qui les unissait.

Et la nouvelle année commença sur un sentiment de paix et de renouveau. Tous ces changements commençaient avec les Lunaris qui devaient à présent reprendre leurs spectacles sans l'un des membres fondateurs. Ils avaient déjà discuté de recruter de nouveaux membres dans la troupe mais pas tout de suite, un jour. Ils ne voulaient pas remplacer Hotaru juste pour le principe de la remplacer. Cehwi'to surtout le vivait mal, d'un naturel réfractaire au changement il se braquait très vite. Il avait même songé à tout arrêter mais fort heureusement l'appel de la musique resta le plus fort. Et un beau jour, à Brumée...
"Cehwi'to !
- ... Heh ?!"

Le miqo'te n'eut pas le temps de se retourner lorsque la viéra déboula dans le studio de répétition et lui sauta au cou. Il sembla que tout son corps vibrait d'une joie immense, trop grande pour être contenue. Meleth était du genre à doser ses émotions, bien qu'elle les exprime avec facilité, mais cette fois elles débordaient comme un vase trop plein.
"J'arrive du Samsara, lâcha t-elle en serrant son ami dans ses bras. Contrat prioritaire, deux concerts par lune et l'inauguration le 23.
- Et c'est ça qui te met en joie, plus de travail ?"
répondit le miqo'te, faussement étonné.
Il savait parfaitement ce qui la rendait si heureuse. Depuis qu'elle avait commencé à apprendre -vraiment- la kriegstanz avec ce maître à danser de l'école du Chaos, Meleth rêvait de se produire sur une scène thavnairoise, dans un décor inspirant et reflétant les origines de sa discipline. A Radz-at-Han les professionnels ne manquaient, les meyhanes n'avaient pour la plupart que faire d'une élève étrangère -quand bien même son professeur serait le grand Dadjeel Rise- quand les danseurs locaux sont populaires et ont déjà faits leurs preuves. Bien qu'elle le comprenne, sa déception grandissait à chaque refus. De plus, la fermeture des Deux Renards avait porté un sérieux coup au moral du groupe ; bien qu'ils se produisent ailleurs cet établissement tenait une grande place dans leur cœur et leur esprit créatif, et depuis le Paon d'Or avait décidé de faire peau neuve, magnifique toujours mais sans thématisation orientale ; autant de petites choses qui pesaient sur les épaules d'une danseuse en quête d'inspiration. Alors, quand elle avait vu l'affiche du Samsara...
"Si tu voyais l'intérieur, Cehwi'to, on se croirait à Thavnair en plein Brumée."
Une fois la surprise passée, le miqo'te frétilla des oreilles tout sourire.
"Raconte-moi, et ensuite on se met au travail."

Ce fut difficile les premiers temps. Un pas après l'autre, Lunaris avançait, en duo pour l'instant soutenus par Noah comme musicien. Ils voulaient danser, chanter, ressentir, c'est tout ce qui importait et que son mentor appréciait. A Thavnair, la viéra continuait de se rendre régulièrement à Radz-at-Han auprès de Dadjeel et suivait ses leçons de Kriegstanz.
"Alors tu penses que tu es prête, hm ?"
Le grand raen n'avait aucun mal à parler tout en enchaînant ces mouvement que Meleth avait encore bien du mal à suivre, rester synchronisée accaparait toutes ses pensées et elle ne pouvait qu'écouter sous peine de perdre la cadence, faire un faux pas, et se trouver bonne pour faire la toupie pendant une heure en châtiment ; maître Dadjeel ne plaisantait pas.
"Ce que vous dégagiez comme énergie à trois, vous ne le perdez pas à deux mais elle se transforme, ce sera différent. Cette énergie va se convertir en akasha, et ta danse va la transmettre car telle est la nature de la Kriegstanz. Est-ce que tu penses vraiment pouvoir la contrôler, ma petite funambule ?"
Voyant que son élève ne pouvait répondre, trop occupée à maintenir la cadence de leur entraînement, il se stoppa et se tourna vers elle en croisant les bras. Meleth se pencha en avant, mains sur les genoux pour reprendre son souffle.
"Un grand maître m'a dit un jour... que je devais apprendre à lâcher prise si je voulais percevoir l'étendue de mon potentiel..."
Il put discerner un demi-sourire derrière ses cheveux ébouriffés, lorsqu'elle releva la tête dans sa direction, et leva les bras d'un air consterner pour dissimuler une certaine fierté.
"Eh bien soit, petite funambule, voyons ce que nous pouvons tirer de cette nouvelle vague d'énergie sur laquelle tu as décidé de te laisser porter."
Son ton se fit plus dur, et son regard retrouva en un éclair toute sa sévérité.
"On reprend depuis le début."
Le moins qu'on puisse dire, c'est que ses longues séances d'entraînement la fatiguaient à tel point qu'elle en oubliait ses soucis. Elle pouvait se focaliser sur ce qui comptait, sur de petites choses qui rendent la vie précieuse comme la respiration de Lhei endormie dans sa chambre de l'autre côté du palier lorsqu'elle rentre tard le soir, comme ses amis affalés dans un fauteuil du salon privé de l'Escale. Ivanhault le nez dans ses cartes. Silius le nez dans son café, ou Nazah d'ailleurs. Iko, ses chaussons mog et sa guitare. Lysia qui montre ses outils de menuisière et se demande à chaque nouvelle découverte si c'est comestible. Il y aurait tant à citer, tant de petites choses pour lui donner le sourire chaque fois qu'elle y repense. Elle voulait juste que ça continue, que ce sentiment de paix ne disparaisse jamais.

Tout doucement, un pas après l'autre, elle prenait conscience de là où se trouvait sa véritable force.
Lerith Il y a 3 mois et 1 semaine


Ce mandat l'avait tout de suite interpellée lorsque Ivanhault lui en avait parlé la première fois. Elle n'avait pourtant pas la fibre "mercenaire" ; la prime elle s'en fichait et l'idée de "prendre" -ou même "voler"- une pierre dans les profondeurs d'un lac sombrelinçois pour le compte d'un tiers motivé par l'avidité lui posait un certain cas de conscience. L'elezen avait cependant touché au cœur de ce qu'elle aimait le plus au monde : nager, et percer les mystères des milieux aquatiques.
Elle avait plongé dans ce lac pensant y découvrir un reliquat d'une ancienne magie des esprits de la Sylve égarée, elle y avait découvert un monde enchanteur de poissons brillants comme l'argent, et un gigantesque serpent blanc profondément endormi.
L'enquête qui suivi la première plongée mit au jour la légende autour de cette créature. Celle d'un antique gardien de la Sylve sacrifié pour enfouir un mal au fond de ce cratère que le temps et la nature avaient transformé en lac après le départ des humains qui vivaient là. Plus que la prime, plus que la pierre, Meleth se sentait proche de cette entité qui n'était pas sans lui rappeler un autre serpent, lui aussi Gardien d'une autre forêt, plus sombre et plus sauvage que celui-ci qui transpirait la bonté et la bienveillance. Les autres membres du groupe le sentaient eux aussi, que ce soit lors de la première ou de la seconde plongée. Ivanhault le laissait bercer par cet ether, Djazah'ir faisait de son mieux pour endosser le rôle du chef d'équipe puisqu'il avait pris sur lui de diriger ce mandat et le miqo'te faisait de gros efforts pour réfléchir à un moyen de remplir le mandat tout en évitant de dénaturer le lac.
Ils étaient là pour une pierre, ils tenteraient de rapporter ce qui ressemblait à un oeuf que couvait le serpent plongé dans un sommeil magique. Meleth, la meilleure nageuse, irait le prendre couverte par Ekoko et Duugui. Ivanhault lui avait placé un bouclier astral au cas où l'œuf enverrait une décharge ou que le serpent s'éveille, Djazah'ir se préparait à utiliser un sort de secours s'il fallait atteindre la rive rapidement, surtout pour la lalafelle qui peinait à évoluer à cette profondeur.
"prêts ? J'y vais !"
Et lorsqu'elle posa sa main sur l'œuf, elle sombra dans un profond sommeil, son corps devint lui aussi translucide sous le regard de ses compagnons. Intangible, et hors du temps.

Lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle se trouvait dans le rêve du serpent. Il était là, bien vivant et nageait dans l'eau claire en la regardant. Il n'était que douceur et bienveillance. Elle lui parlait, et sans pouvoir lui répondre par des mots il transmettait ses intentions. Il était "tombé" ici, s'était attaché aux humains et avait voulu les protéger quand le "mal" était venu à son tour.
"Comment vous aider, comment vous sortir de ce sommeil ?"
Sur le moment elle ne pensait plus du tout à la gemme, au mandat ou quoi que ce soit d'autre. Elle était redevenue la Fille du Torrent en quête de ses semblables à travers le Monde.
Le serpent répondit que si un cœur suffisamment pur et généreux acceptait de lui servir de vaisseau, il pourrait se libérer. Intérieurement elle sourit, on aurait dit l'un de ces romans d'aventure remplis de quêtes de vertu et d'amour, le genre que Silius et Nashasha adoraient. Mais elle, était-elle suffisamment pure et généreuse ? Ce seraient aux trois serpents qui gardent les piliers maintenant le sort d'en juger ; elle allait tenter sa chance et il fallait faire vite car le reste du groupe devait certainement se mobiliser pour tenter de la sortir de son sommeil. Ils la pensaient sans doute en danger, et à leur place elle penserait de même.

Le premier des "petits" serpent jaugea sa générosité et son désir de leur venir en aide. Elle n'était pas ici pour la prime, même si elle avait pris part au mandat. D'ailleurs l'idée de prendre l'œuf lui posait toujours un sérieux cas de conscience si cela devait nuire à cet endroit. Le serpent posa sa tête contre sa main et disparut comme si elle l'avait absorbé, laissant une marque sur sa main.
Le deuxième serpent jaugea de ses intérêts. Cherchait-elle la gloire ou la puissance en venant à leur rencontre pour absorber leur pouvoir ? Non, bien sur que non. Meleth redoutait ce genre de pouvoir, elle ne savait que trop bien quelle catastrophe elle pouvait déclencher lorsque la furie du Torrent Noir la traversait. Elle ne désirait qu'une chose : se laisser glisser sur le courant et voir le monde pour rencontrer d'autres peuples comme le sien. Le serpent posa sa tête contre sa main et disparut à son tour.
Au troisième pilier fut jaugée de sa pureté, si elle avait déjà pris la vie d'un autre et fait couler le sang. Meleth ferma les yeux, acceptant son sort. Oui, elle avait déjà tué pour défendre les siens mais elle ne cherchait ni la mort ni même l'affrontement. L'Eternal évitait toujours le conflit quand c'était possible, au point de se compliquer la vie parfois comme lors du combat contre le Pischacha à Thavnair pour ramener des écailles à Milah. Plutôt que de tuer la bête pour sa peau, ils l'avaient endormi pour en prélever quelques écailles et en avait ramassé d'autres dans son nid. Non, elle n'était pas une tueuse, même si elle avait déjà tué. Le troisième serpent posa alors sa tête contre sa main, faisant d'elle le vecteur qui pourrait ramener le grand serpent blanc à la vie.
Le temps filait à toute allure, ses amis allaient sans doute la réveiller d'une seconde à l'autre. Elle revint près de l'entité qui la soumit à sa dernière épreuve : ouvrir son cœur sans retenue. Ca, c'était la partie facile curieusement. Pour un autre, un étranger et même avec la meilleure volonté du monde Meleth aurait eu bien du mal à y parvenir, mais pour cet esprit si familier, si fortement similaire aux siens, elle n'eut aucun mal à l'accueillir et à partager tout ce qu'elle était au plus profond d'elle. Elle le sentit la traverser, et à son tour elle ressentit ce qu'il avait dans le cœur lui aussi : un amour profond pour l'humanité, une bonté si grande, si pure, était-ce seulement possible ? En cela il différait de Thlaloc, le torrent sauvage et destructeur. Elle se sentait bien, si légère, comme lavée de tout le sang qu'elle avait versé. Pendant un instant elle ne connaissait ni peine ni douleur, et elle ouvrit les yeux.

Djazah'ir était tout près d'elle, il venait de poser la main sur l'oeuf sans doute pour la rejoindre dans son sommeil ne sachant quoi faire de plus. Elle sourit, ses iris d'un bleu déjà lumineux, luisaient plus que jamais. Et le serpent s'éveilla, il se mit à nager dans le lac comme s'il dansait et dans un éclat de rire, d'une impulsion des pieds, elle dansa avec lui.
Une telle beauté valait toutes les primes du monde à ses yeux, mais hélas il faudrait bien rapporter quelque chose à l'Entrepôt. En récompense, le Serpent leur offrit à chacun -sauf le xaela qui préféra partir pour une raison inconnue à la vue du Serpent- une pierre de souhait, un petite pierre iridescente blanche. Cette pierre exaucerait n'importe quel souhait s'il était assez pur et généreux. Meleth aurait volontiers offert la sienne pour le mandat, elle avait déjà sa récompenser, mais Ekoko la devança. La lalafelle ne voulait pas d'un vœu exaucé autrement que par ses propres forces, elle comprenait cela. Comme Djazah'ir, elle donnerait sa part de la prime pour elle qui avait fait déjà bien des efforts pour nager dans ce lac malgré la pression de l'eau sur son corps. Le serpent disparut peu après, et ils purent quitter ses eaux paisiblement. Une fois sur la rive, Meleth se jeta au cou d'Ivanhault en le remerciant mille fois de l'avoir fait venir sur ce mandat, de lui avoir offert de vivre cette expérience et de faire cette extraordinaire rencontre.
La nature du lac n'avait pas changé, les serpents qui gardaient les piliers dormaient paisiblement et l'œuf devenu noir resterait scellé au fond du cratère. C'était lui, le mal, et il demeurerait enfoui ici.

De retour dans la chaumière près de l'eau, Meleth se lova entre les coussins, serrant entre ses mains la petite pierre iridescente. Elle voulait graver dans son esprit chacune de ces sensations, ce précieux souvenir continuerait à l'habiter et à nourrir son pouvoir. Sa kriegstanz n'en serait que plus belle, ses chants plus puissants. Le chant du Torrent ne pouvait être seulement ombre et mystère, il pouvait être clair et pur comme l'argent, bon et généreux. Il y a de belles choses en ce monde, aussi brillantes que cette pierre. Tel était son vœu : les rencontrer ; Et elle n'avait besoin d'aucune magie pour cela.

"Je crois que j'ai trouvé ton cadeau d'anniversaire, Valorius."
Lerith Il y a 3 mois et 1 semaine


Des lunes s'étaient écoulées depuis les troublantes révélations de la Dame de Givre dans le village des Joküns. Un hiver, un printemps, puis l'été s'était installé en Noscea accompagnant les premières expéditions de la saison. Meleth et Cehwi'to avaient entreprit de trouver un équilibre musical et la troupe s'était agrandie non pas d'un mais deux membres. Le miqo'te, contre toute attente, fit le premier pas en invitant directement Albynn à les rejoindre. Depuis le temps que le lalafell assistait aux spectacles et répétait de lui-même les chorégraphies pour le plaisir, ce fut un vrai bonheur de l'accueillir. La seconde fut U'liiz, qui après des lunes à offrir aux Lunaris des gadgets pour leur faciliter la vie, admit à Meleth qu'en plus de nourrir une passion pour la danse depuis l'enfance elle avait toujours eu secrètement l'envie de les rejoindre. Ce fut un succès. Cet été-là, la troupe fêterait ses deux ans au sein de plusieurs établissements.
Il y avait aussi ce voyage à Mare Lamentorum, ils l'attendaient et tant d'efforts avaient été fournis pour que finalement elle n'en tire qu'une conclusion : Aetherys est tellement vaste, tellement magnifique vue du ciel. Poser le pied sur la Lune devait être un accomplissement mais n'avait fait que lui montrer à quel point tout restait encore à accomplir. A quoi bon le ciel et les étoiles quand elle n'avait exploré qu'une infime partie de tout ce qui se trouve en bas. Meracydia, le Nouveau Monde, Hingashi même ! Elle parlait hingashien comme un chat que l'on égorge mais qu'importe, tous ces voyages lui tendaient les bras. Elle n'avait pas oublié sa quête et les recherches qu'elle menait avec Lhei, Luka et Noah -quoi que ce dernier passait plus de temps seul à chasser que dans une bibliothèque à la recherche d'informations- et plus encore, elle avait la compagnie et leur nouvelle quête : les Saphirs de Rhotano.
La Lune n'était rien finalement, rien de moins d'un exploit de plus mais ces saphirs... ils faisaient battre leurs cœurs à l'unisson. Trente gemmes uniques éparpillées à travers le monde, la moitié dans un coffret où le capitaine Ako Rahz les avait rassemblé avant de disparaître, et la suite de l'histoire entre leurs mains. Ces saphirs sont intimement liés à l'Eternal même si on ignore pourquoi ou comment il y a un lien entre ce navire, le projet Aethernal des nymiens, et eux. Ce n'était pas juste un trésor enfoui, une énigme quelconque, c'était leur histoire. C'est exactement comme ce qu'ils vivent à chaque fois qu'ils retournent dans l'Archipel Paradis devenu un second foyer. C'est d'ailleurs ici qu'ils se trouvaient ce soir-là lors d'une grande fête en l'honneur de la fille du capitaine Al-kabar.

Dans la lumière des flambeaux, Meleth arpentait les allées du Souk en quête d'un accès à l'auberge. Jamais elle n'avait connu de telle liesse en ces lieux, pourtant occupés par d'anciens pirates, contrebandiers et autres personnes de ce genre promptes à faire la fête. De partout les Jenny's affluaient, plateaux de bières et de victuailles ne tardant pas à se vider.
"Servez-vous braves gens, le prince rince gratis ce soir !"
Elle avait pris de l'avance sur ses compagnons, mais c'était elle qui s'était perdue entre les étals ; trop de monde ! Elle croisa G'krayn Nunh entouré de deux chasseresses de sa tribu, plusieurs plongeurs de Hualani montés sur les épaules de corsaires pour applaudir les musiciens du pavillon, ceux qui ne dansaient pas peinaient à circuler entre les étals mais aucun ne venait casser l'enthousiasme.
"Par la Mère-forêt, s'exclama-t-elle. On croirait que tout l'Archipel s'est réuni ici ce soir !
- Tout l'Archipel et au-delà, confirma une voix chevrotante. Les marchands ont afflué pour l'occasion, même ceux qui ne viennent qu'une ou deux fois par semaine ou par lune."
En baissant les yeux, la viéra les posa sur le chef Kaluha coiffé de son habituel bonnet de paille tressée orné de bijoux en bois.
"Oh, chef Kaluha ! Que se passe t-il donc ce soir, jamais mes hommes et moi n'avons connu telle euphorie sur ce marché !"
Le vieux lalafell émit un rire taquin tout en venant se réfugier près des jambes de son alliée pour éviter toute bousculade.
"Les corsaires fêtent l'anniversaire de leur nouvelle princesse ce soir. C'est qu'elle est choyée cette enfant, ce qui n'est pas sans nous rappeler notre regrettée danseuse écarlate n'est ce pas ? Venez, tirons-nous de ce pétrin nous sommes trop près des Délices de Bertille."
A grand peine le duo s'extirpa de la masse. De tous les étals près duquel elle aurait pu s'égarer elle avait choisi le plus prisé, pas étonnant qu'elle en ai fait sept fois le tour avant de trouver une issue. Les affamés faisaient la queue depuis la clinique de Tobias pour acheter à manger. Fanny et Frani avaient même installé des tables de jeux devant la porte pour faire patienter... et se faire quelques paris bien pesés. Le pari que fit Meleth avec elle-même fut qu'avant la fin de la soirée ces tables seraient devenues la seconde animations de la soirée. Même ceux qui n'attendaient commençaient à s'approcher avec leurs cartes de Triple Triade. C'est d'ailleurs là qu'elle laissa le chef Kaluha pour reprendre son périple vers l'auberge. En chemin, elle entendit les rires de ses propres compagnons et entre le bras et les côtes d'un grand hyurgoth elle les aperçu. Mimina dansait joyeusement avec un autre lalafell aux manières galantes. Lysia, enlevée par deux Jenny's lui tenant chacune un bras, était bien forcée de suivre la cadence en imitant leurs pas mais elle semblait s'amuser plus qu'elle ne le montrait ; moins qu'Iko pourtant ballottée dans tous les sens et même lancée en l'air par un roegadyn qui la rattrapait au vol pour la faire danser sans que ses pieds touchent le sol. Le rire de la miqo'te retentissait plus fort que la musique par moment ce qui arracha un sourire heureux à son capitaine. Les autres ne devaient pas être loin dans son champ de vision limité. Il lui sembla apercevoir la tignasse blonde de Yone derrière une chope de bière, une sulfureuse rouquine pendue à son cou.
"Il y en a qui se mettent bien ce soir !"
Elle les rejoindrait plus tard, mais déjà les savoir profiter de la fête la remplissait de joie. Elle se dépêcha de gagner l'auberge en contournant les spectateurs et atteignit enfin les marches au moment où le capitaine Ak-Kabar sortait, accompagné de Tsukiko et d'une escorte de trois miliciens. La domienne tenait dans ses bras une petite fille de un an à peine aux yeux noir comme des perles, de la même couleur que ses boucles déjà bien fournies pour son âge. Elle avait le teint halé thavnairois et le sourire charmeur de son père.
"Ah, capitaine Esthar ! s'exclama le corsaire en lui ouvrant ses bras. Vous ne pouviez choisir meilleur soir pour venir me saluer !"
Sans attendre qu'elle répondre ou tente de s'enfuir, le hyurois baraqué lui donna l'accolade.
"Je constate, répondit-elle dans un sourire sobre. C'est la plus... impressionnante fête d'anniversaire qu'il m'ai été donné de voir pour les un an d'une petite fille.
- Ah, vous ne connaissiez pas encore ma Zoé, pour elle je ne regarde pas à la dépense.
- Kozue,
corrigea Tsukiko en fronçant les sourcils ce à quoi son mari répondit d'un immense sourire.
- Pas ce soir mon ange d'orient. Les hommes attendent, faisons que cette fête soit mémorable et notre fille le joyau de cet archipel ! Tu m'ouvriras le ventre avec ton katana ensuite."
Meleth sourit un peu plus, songeant que cette débauche de victuailles et de rhum n'était certainement pas destiné à une petite fille qui ne s'en souviendrait probablement pas mais Hassim était ainsi, et c'est ainsi que ceux qui l'aiment et le suivent veulent le voir. Au regard de la mère secouant la tête mais un sourire dans le regard, elle comprit que Tsukiko partageait son avis.
"Venez donc à ma table capitaine, enfin si on vous trouve une place, haha !"
La table en question ressemblait plus à une pyramide de présents venus de partout, c'est à peine si elle devinait la couleur de la nappe. Elle se situait sur une petite estrade en bois, rudimentaire mais bien entourée, face au pavillon et aux musiciens. Meleth perdit son regard quelques instants sur la statue récente représentant le vieux Mac Coff dans toute sa gloire, entourés des victimes de l'Apocalypse dont Hélène dans sa tenue de danse. Ses yeux passèrent de la défunte "princesse" du Souk à la nouvelle qui entendrait certainement un jour l'histoire de sa tante enlevée par son désespoir et changée en Hérésiarque. Une pointe de tristesse pinça son cœur à ce souvenir mais il ne dura pas longtemps. Hassim avait suivi son regard s'était levé. Alors qu'elle pensait avoir manqué de manières en lui rappelant de douloureuses épreuves, il se contenta de lui tendre la main et déclara d'une voix à la fois confiante et presque sereine :
"Accordez-moi cette danse, capitaine Esthar."
Elle entendit les applaudissements tout autour, le geste ne passerait pas inaperçu pas plus que sa réponse. Elle n'attendit pas et hocha la tête tout en prenant sa main tendue. Les cris de joie s'intensifièrent tandis que la foule se fendait pour les laisser passer.
"Ouais, ça c'est mon capitaine !" S'écria Iko entre deux vols planés dans les bras de son cavalier.
Elle n'avait pas peur, pas vraiment, elle avait déjà dansé avec Valorius de cette façon il y a quelques années. La musique était plus rapide, la danse moins protocolaire, mais elle connaissait les bases au moins. Hassim la rassura d'un sourire amusé, le prince autoproclamé du Souk tenait sa réputation de bon danseur en plus de beau parleur. Les tambours et les percussions marquaient le rythme, elle n'avait qu'à suivre, guidée par la main posée sur sa taille. En fait, c'était facile ! Le duo s'élança sur la piste et c'est avec légèreté que la danseuse viéra se perdit dans la musique. Pas de scène ou de jupon qui vole, pas de projecteur et le public était moins là pour elle que pour son partenaire. Entre deux passes virevoltantes sous le bras de Hassim elle vit Ivanhault adossé à un mur qui souriait derrière ses lunettes, levant une chope à côté d'un Silius la bouche pleine de beignets au chocolat. Elle éclata de rire, sans raison. Elle se sentait simplement bien.

Cette vague qui me submerge n'est que liesse et espoir en l'avenir.
Elle me traverse, m'emporte, elle déborde et je n'ai pas peur de la laisser glisser sur mon corps.
Ici et maintenant, l'instant, l'étincelle, l'étoile qui d'un coup s'illumine au-dessus de nos têtes...
Je la sens cette énergie ! c'est mon cristal !

Elle sentit que le corsaire lâchait sa main pour la laisser se faire emporter par ses propres pas. Elle ne ferma pas les yeux mais s'élança au milieu des danseurs dans un enchaînement de pas improvisés entre arabesques et jeux de jambes, les bras tendus et le visage tourné vers le ciel. Elle voyait les torches enflammées, les mains levées pour frapper les unes contre les autres ou sur des tambourins ailleurs que dans le groupe de bardes. Elle entendait rires, la joie, les vibrations provoquées par ces émotions fortes mais positives. Un flot de souvenirs récents traversa son esprit.
C'était l'année où Hotaru était partie, où Lunaris avait bien failli s'éteindre entre le contrecoup de ce départ soudain et la blessure de Cehwi'to qui le tint hors de scène durant de longues semaines ; heureusement il y avait eu Liiz et Albynn pour l'aider à se rappeler pourquoi elle dansait. Ce soir aussi elle dansait, et elle ne voulait plus s'arrêter.
C'était l'année où elle était devenue capitaine et accusait le contrecoup de toutes les responsabilités que madame Kurusu ne pouvait plus endosser maintenant qu'elle avait accouché de son quatrième enfant. Tous ces tracas du quotidien chaque fois qu'une mauvaise journée conduit à la confrontation ou au pinaillage. Tous ces compromis qu'elle devait faire, ces décisions difficiles qu'il fallait prendre comme lors de la découverte de L'emaki. Elle avait toujours le poids de ces morts sur les épaules bien qu'ils avaient choisi cette fin eux-mêmes, elle avait décidé de ne pas les arrêter. Elle n'avait pu que tenir la main de Yesmina dans ses derniers instants et ravaler ses larmes face à son sourire.
C'était l'année où elle ne s'était pas sentie à la hauteur pour la première fois de sa vie. Tout lui avait échappé, de son rôle au sein de la compagnie comme l'avenir des Lunaris en passant par le réveil du Dévoreur et la destruction du village des Joküns. Elle avait tout ravalé, tout encaissé en silence parce que le capitaine n'a pas le droit d'aller mal alors que tous comptent sur elle pour s'y accrocher quand eux viennent à douter. Tant qu'elle va bien, ils peuvent se reposer sur elle et panser leurs propres plaies sans se soucier du reste. Pourtant cette année-là, elle avait eu peine à cacher son mal.
Mais cet été là, cette nuit là, tout lui semblait possible. Toutes ces blessures, toutes ces questions ne semblaient plus que cendres emportées par le vent et seule les chants occupaient son esprit. Tout n'est que musique, le Monde est à sa portée.

Voyant son expression radieuse et sereine, Hassim souffla un rire ravi, moins frivole et simple qu'il s'en donne l'air. Lui qui avait presque élevé sa jeune sœur et l'avait vue danser de si nombreuses fois, il en savait assez sur la Kriegstanz pour savoir exactement ce qu'il faisait et il avait sauté sur l'occasion de faire profiter à tous, autant qu'à son alliée, des bienfaits de ses pouvoirs.
"Tu es un odieux manipulateur, Hassim.
- Et je n'ai pas le moindre regret mon ange."

Il saisit une chope au passage d'un des plateaux et contempla satisfait le fruit de son petit tour presque innocent. Meleth bondissait entre les danseurs au rythme porté par les musiciens et spectateurs. l'énergie confluait autour d'elle, venant de partout, et passait à travers son corps qui la renvoyait accompagnée d'une onde ethérée porteuse de bienfaits pour tous ceux qui s'étaient rassemblés autour du Pavillon et même un peu plus loin. Plus il y a de monde, plus l'énergie est dense. Cela durerait jusque tard dans la nuit à n'en pas douter, la fête elle-même ne devait pas se terminer avant les premières lueurs de l'aube. Hassim tendit les bras et souleva Zoé afin qu'elle puisse voir tout ce à quoi désormais le Souk associerait le jour de sa naissance.

"Ma princesse, c'est une nuit que l'on n'oubliera pas."
Lerith Il y a 3 mois et 1 semaine


De tous les aspects de son rôle au sein de la compagnie, il en était un particulièrement désagréable mais qu'elle prenait toujours avec des pincettes. Ce menu-détail tenait en deux mots : Akira Kurusu. Par la Mère-Forêt que cet homme pouvait se montrer agaçant ! Provocateur, pinailleur au possible et prompt à sauter sur n'importe quelle occasion de la faire passer pour une idiote. Ne devrait-il pas plutôt se satisfaire de la voir occuper un poste qu'il désapprouvait pour sa femme ? A chaque fois qu'il passait à l'Escale, Meleth prenait sur elle sachant qu'à un moment ou un autre le tigre allait bondir sur sa proie et s'amuser avec. Et bien sur, personne ne disait rien à part elle ! Que voulez-vous, le mari de la directrice, personne n'avait envie de se la mettre à dos, et A'iko n'en parlons pas ! Son admiration pour cet homme la rendait lâche au possible ! Oh parfois ce qu'elle aurait voulu le renvoyer dans ses cordes au lieu de garder son calme. Mais le plus agaçant avec Akira Kurusu, c'est qu'il avait deux visages et elle ne pouvait ignorer le second. Il lui avait déjà sauvé la vie, à charge de revanche elle l'avait couvert plus d'une fois, on ne peut pas détester un homme qui s'est tenu à vos côtés pendant les pires heures de l'Apocalypse. De plus, et personne ne l'ignorait, il n'avait pas cessé de renflouer les caisses de la compagnie chaque fois que les recettes de l'établissement ne suffisaient pas à couvrir les frais de leurs expéditions. Ce n'était pas un acte bénin et pourtant il n'en parlait jamais, ne s'était jamais mit en avant sur ce sujet bien qu'il ne manque pas une occasion d'asseoir sa position sur tout le reste et surtout quand c'est inutile et irritant. Cela voulait forcément dire que d'une certaine manière, il croyait en eux, et c'était ça le pire ! Elle le respectait autant qu'elle ne le supportait pas, elle lui était reconnaissante autant qu'il pouvait lui donner envie de hurler !
Et puis un soir, il y eut ces quelques mots sur la linkperle. Au détour d'une conversation badine entre camarades cherchant une occupation pour la soirée, l'on évoqua un duel entre Ivanhault et Akira. Ce n'était pas la première fois que les deux hommes réglaient leurs différents par les armes, mais le sujet du conflit la fit bondir : elle. Akira l'avait une fois de plus traitée de bécasse et cette fois l'elezen n'avait pas voulu laisser passer. Et il avait remporté la victoire au prix de quelques blessures. Akira lui devrait des excuses, une première dans l'histoire de leurs rapports.
"Je ne vous mérite pas comme second, Terrechant" avait-elle lâché en lui enserrant la taille. Et ce fut ce même soir que Tarha quitta la Noscea pour la saison des ombres. Elle aussi, ce qu'elle pouvait se montrer agaçante ces dernières lunes à toujours se victimiser quand tous faisaient leur possible pour la repêcher tout en passant pour des oppresseurs à ses yeux. Elle ne voulait plus s'épuiser en vain.
Quelques jours plus tard, les lumières du Samsara dansaient au-dessus de la scène quand les Lunaris présentaient pour la première fois leur nouvelle version de Samhain. Liiz était enthousiaste, Albynn terrorisé et Noah plongé dans son silence habituel. Malgré l'absence de Cehwi'to dont la blessure ne lui avait permit de danser avec eux pour la première, le public était au rendez-vous. Pendant quelques heures Meleth pouvait oublier ses responsabilités et les tracas de son quotidien en tant que capitaine, elle n'était plus que l'artiste.
"♪ La lumière a déchu, l'ombre s'étend sur le Monde, Démons et sorcières chantent sous la lune. ♪"
Que de monde dans cette meyhane bruméenne où elle aimait tant danser. ici elle pouvait tout laisser de côté pendant un instant. Akira, Tarha, tout. Parmi les quelques membres de la compagnie venus profiter de la soirée, un elezen avait trouvé sa place dans le fil des conversations. Ganelon Mainzanet ainsi qu'on l'appelait, chevalier d'Ishgard dont la réputation de fine lame talonnait celle du coureur de jupons le plus galant. Elle l'avait rencontré quelques jours précédant le spectacle et avait découvert qu'il connaissait plusieurs membres de la compagnie qui fréquentaient l'Entrepôt, un comptoir de mercenaires à Ishgard.
"Toujours un plaisir, capitaine."
L'elezen leva son verre à son intention tandis qu'il la regardait danser. A'iko riait aux éclats en grande conversation avec un serveur hrothgar et faisait de grands signes à Liiz. Derrière ce sourire, Meleth savait que son maître d'équipage peinait à dissimuler le tourment d'un retour de mission difficile à Ilirslaent. Rien n'était facile pour personne en ce moment et c'est précisément dans ce genre de situation qu'elle se doit de paraître sereine et inébranlable ; comment disait Ivanhault : soyez la lumière. Quand tout est sombre alentours, une lueur persistante suffit à donner du courage aux Hommes. Ce soir sur scène, rien ne lui semblait plus vrai.
"♪ Que les dangers ne nous égarent que pour nous trouver. ♪"
Comme toujours, danser lui permettait de faire le vide même au milieu de la foule, et remettre de l'ordre dans ses pensées. Quand l'horloge sonna minuit et qu'elle quitta la loge en dernier, la salle se vidait doucement mais le personnel du Samsara assurait le service pour les clients les plus tardifs. Noah s'était éclipsé dès leur sortie de scène, Liiz avait rejoint les bras d'Iko et Albynn bavardait avec tous ceux qui croisaient son chemin jusqu'à la sortie. Ney était venu lui aussi, et attendait près de son verre. "C'était différent ce soir, dit-il dans un sourire. J'ai senti que votre énergie... était différente."
Le perspicace viéra n'attendit pas de réponse et se contenta de lui indiquer la porte de l'autre côté de la pièce tout en portant son verre à ses lèvres.
"Quelqu'un t'attend, tu devrais y aller."
Il n'en dit pas plus mais à son regard Meleth sentit que c'était à la fois important et sans doute quelque chose de spécial car une étincelle de malice brillait dans ses pupilles. Elle n'eut guère le temps de se poser plus de question car une fois dans le vestibule elle reconnut la silhouette du domien dont la taille légèrement inférieure à celle des autres hyurs ne parvenait à diminuer son aura impérieuse. Tout dans son attitude transpirait l'assurance et l'ambition.
"Enfin." Déclara t-il en la voyant arriver. Elle ne releva pas, cela ne lui était sans doute pas adressé bien qu'il n'ai jamais caché ne pas apprécier son art. Elle ne s'en offusquait pas, les goûts et les couleurs.
"Bonsoir monsieur Kurusu.
- Bonsoir Meleth. Nous avons à parler."

Elle le suivit jusqu'à l'Escale, tant pis pour son dernier verre. Elle se doutait bien sur de la teneur de leur conversation mais appréhendait tout de même un peu sachant la façon dont l'homme la traitait à chacune de leurs rencontres. Contre toute attente il se montra correct, sans aucune provocation ni la moindre critique gratuite ou infondée. Il s'excusa simplement pour l'avoir traitée de bécasse et elle accepta ses excuses. Le plus surprenant vint ensuite, lorsqu'ils commencèrent à discuter de l'avenir de la compagnie et du tournois qu'il voulait organiser. Il se disait prêt à augmenter les gains si un des membres de l'Escale de Llymlaen remportait la victoire en portant l'insigne. Une fois encore, sans en donner l'air et sans le revendiquer, Akira leur apportait son soutient à sa manière.
"Merci monsieur" fut tout ce qu'elle trouva à répondre, puis ils se quittèrent en plus ou moins bons termes. Il ne l'apprécierait pas davantage mais au moins le statut quo était prononcé.
"C'est tout ce que je pouvais attendre, et rien de moins que ce que je pouvais espérer."


A partir de ce jour -ou plutôt cette nuit- tout sembla s'arranger, ou presque. Pour commencer, il n'y eut aucune séquelle morale trop impactante à déplorer vis à vis de la situation à Ilislaent. Zephyrien avait perdu sa main dans les combats mais il accusait le coup avec l'aide et le soutient de l'équipe. Iko fit le choix de lutter contre ses doutes par l'investissement. Avec l'accord de madame Kurusu elle et Kyuuji prirent en charge l'organisation des futures missions, à la fois de ravitaillement pour les survivants et la chasse aux monstres pour reprendre le territoire. Ganelon Mainzanet se proposa de les aider et fut le premier participant aux mandats çà s'inscrire sans être membre de la compagnie. Meleth pouvait souffler, se reposer sur quelqu'un d'autre que son second.

"Il serait plus que temps que tu te repose un peu toi aussi" confia Lhei un soir qu'elles rentraient de leurs courses en ville. Gridania à quelques jours de la Veillée des Saints fourmillait déjà de monde et il faisait déjà nuit lorsque les deux Filles du Torrents regagnèrent enfin leur petite chaumière.
"Je sais, mais je dois encore répéter ce soir; on a un autre spectacle en fin de semaine."
La pluie qui les avait accompagné tout le long du trajet s'intensifia au moment où elle tourna la clé dans la serrure ; elles s'engouffrèrent dans la maison juste avant qu'un violent coup de vent ne fasse violemment claquer la porte derrière eux. Au même moment la grande fenêtre du salon s'ouvrit sous une forte bourrasque et Meleth se précipita pour fermer les volets pendant que Lhei rangeait leurs provisions pour la semaine dans le garde-manger.
"Bon sang, l'automne arrive tardivement mais il sait s'annoncer !
- Tu penses que je devrais sortir deux assiettes de plus ce soir ?
Demanda Lhei. Noah et Luka ne vont pas passer la nuit dehors par ce temps.
- Mhm. Tu t'occupes du dîner ? Je vais nourrir les bêtes."

Très vite la modeste chaumière s'éclaira d'un feu de cheminée réconfortant. La tempête pouvait bien hurler dehors, l'intérieur sec et chaleureux offrait aux deux viéras tout le confort dont elles avaient besoin entre les coussins du salon et tous leurs petits animaux que Meleth rapportait de ses voyages ou sauvait du marché noir.
"Tiens, c'est bizarre qu'aucun d'eux ne soit déjà accouru dans la cuisine épier le repas...?"
Meleth réalisa brusquement que toute la maison était silencieuse. Elle vit les oreilles de Lhei se dresser sur sa tête alors qu'elle croisait son regard, partageant sa révélation. Ni une ni deux, elles posèrent ce qu'elles avaient en main pour monter les escaliers quatre à quatre et entrer dans leurs chambres respectives. Chez Lhei tout était normal mais de l'autre côté du palier Meleth poussa une exclamation de surprise.
"Mais que s'est-il passé ici ?!"
Avant que l'autre se précipite à son secours, elle s'était avancée jusqu'à sa table de travail où la cage à oiseau qui contenait l'ahriman qu'elle avait rapporté de Keanu attendait, sagement enfermé, d'être confié au cirque intercontinental qui régissait chaque année le festival de la Veillée. Meleth s'était assurée qu'il soit rationné en ether et demeure le plus faible possible tant qu'il ne serait pas sous la tutelle d'experts en créatures du néant. La cage était à présent grande ouverte, la clé avait été sortie du tiroir de sa commode et le loquet tiré proprement sans aucune trace de force. Quelqu'un était entré chez elles pour libérer -et probablement emmener- la bestiole délibérément.
"Par la Mère-Forêt ! s'exclama à son tour Lhei en constatant l'effraction. Si ce petit monstre est lâché dans la nature il pourrait s'en prendre à n'importe qui !
- Vu son régime actuel il n'aurait même pas la force d'assommer un pigeon, répondit Meleth. Mais tu as raison, on ne nous aurait pas cambriolé juste pour un ahriman à moins d'avoir une idée en tête."
Un petit couinement attira l'attention des deux femmes qui se tournèrent aussitôt vers le lit. D'un signe de tête entendu, elles s'agenouillèrent chacune d'un côté pour soulever tout doucement les couverture et nombreux coussins qui la recouvraient. Une demi douzaine de paires d'yeux les fixèrent, tétanisés, avant de se jeter dans leurs bras en reconnaissant leurs maîtresses. Ils tremblaient de peur comme s'ils avaient tous vu un fantôme ou un démon supérieur.
"Je n'y comprends rien."
Dehors la tempête continuait de malmener les arbres près de la chaumière. Les volets claquaient, les carreaux tremblaient sous la pluie torrentielle. On n'y voyait pas à dix yalms et pourtant quelqu'un s'était introduit chez elles par ce temps avec une idée bien précise en tête car rien d'autre n'avait été volé. Les gils pour les courses, les bijoux sur lesquels travaillait Lhei, tout était bien à sa place.
"Je vais prévenir les autres, et Mimina, peut-être qu'il y a eu d'autres vols de ce type récemment. Après tout c'est la saison des monstres..."
Pendant que Lhei s'occupa de rassurer les animaux et de s'assurer que rien d'autres n'avait disparu, elle décrocha sa perle et ce fut Mahruvvet qui répondit :
"...Attends, t'es en train de me dire que tu viens de vivre un phénomène bizarre, une présence invisible qui cause du grabuge un soir de tempête ? Je crois qu'on a un gros problème...
- Tu m'expliques ?
- Il s'est passé la même chose à l'Escale. Ney est resté enfermé presque une heure dans le cellier à cause d'une présence invisible qui a fermé à clé derrière lui. Elyaska a vu des rats courir dans son dos et des livres qu'elle n'a jamais acheté sont tombés de sa bibliothèque... et moi je me réveille tous les matins avec le contenu de la caisse de l'Escale dans mon lit non mais tu te rends compte ! Si j'avais voulu voler, je m'y serais pris mieux que ça !"

Sous le sarcasme de l'ancienne voleuse hannoise, Meleth sentait que cette dernière s'inquiétait d'être accusée d'un crime qu'elle n'avait pas commis. La directrice semblait croire en son innocence mais cette succession de phénomènes étranges, et surtout le vol de l'ahriman, ne pouvait qu'avoir de mauvais desseins qui qu'en soit l'auteur.
"Alors ? Questionna Lhei une fois qu'elle eût raccroché.
- Alors on dirait bien que mes soirées vont être longues durant les prochaines semaines..."
Elle sourit mais avec bien peu de convictions. Heureusement, la soupe aux popotos de Lhei valait bien tous les encouragements du monde. Cette nuit elle ne pourrait rien faire de plus mais dès demain elle se rendrait dans les bois à la recherche de son pensionnaire disparu. Bien qu'elle soit certaine qu'il avait été enlevé et donc ne risquait pas de se promener librement dans Sombrelinceuil, elle ne voulait prendre aucun risque tant qu'il était sous sa responsabilité.
"Dire que dans deux jours j'étais sensée le présenter à sa nouvelle famille..."

Meleth demeura pensive ce soir-là, même lorsque les deux Fils du Torrent vinrent frapper à la porte bien plus tard dans la soirée, trempés et maudissant en silence le froid de ce pays si différent de leur jungle où leurs abris arboricoles suffisaient à les protéger d'une tempête tropicale. Dehors l'orage s'intensifiait d'heure en heure et le vent balayait la cime des arbres. Emmitouflée dans une épaisse couverture, la Fille du Torrent réfléchissait :
"Si tout la compagnie est touchée, cela ne peut concerner que l'ahriman. La dernière fois qu'une telle présence s'est fait ressentir à l'Escale il ne s'agissait que d'un mog... et seules quelques bouteilles ont disparu. Un mog ne serait pas si mesquin. En tout cas, pas un mog ordinaire."
Elle repensait à Tarha, l'amie des mogs. Impossible que la miqo'te soit à l'origine de ces "farces" de mauvais goût qu'importe leur différent. Pourtant, elle ne pouvait s'ôter de l'esprit leurs derniers échanges, les rites de son clan, son héritage et ses reproches à Ivanhault qui soit disant l'avait forcée à renoncer aux anciennes pratiques. Ivanhault n'aurait jamais fait une telle chose bien qu'il ai fait au mieux pour la conseiller, ce sont surtout les rites mentionnés qui l'interpellait. Ils n'avaient reçu aucune nouvelle depuis son départ et mettaient cela sur le compte de la brouille, rien d'alarmant. Et si tout ne s'était pas si bien passé avec son clan ? Elle repensa au vieux saule et au démon qu'elle avait voulu montrer à Hotaru l'an dernier. Peut-être que cela n'avait aucun rapport, peut-être pas...
... Décidément, rien ne va plus.

Lerith Il y a 3 mois et 1 semaine


L'enquête sur le mystérieux cambrioleur qui avait aussi enfermé Ney dans le cellier, volé la caisse de l'Escale pour la glisser dans le lit de Mahruvvet et la faire accuser de vol, avait conduit la fine équipe jusque dans le marais où sommeille le vieux saule que Tarha avait voulu montrer à Hotaru un an plus tôt. Ils avaient trouvé le saule mort et le sceau brisé. Pour ne rien ajouter à l'inquiétude de Meleth, de sombre rêves hantaient ses nuits depuis qu'elle avait tenté de voir dans le miroir de glace quels évènements s'étaient déroulé en ce lieu. Très vite elle avait compris que le démon s'était libéré et qu'il s'en prenait à eux en représailles envers Tarha, profitant de la Veillée des Saints. L'enquête d'Elyaska durant le festival les conduisit à rejoindre à leur tour la fête mais de l'autre côté du voile, là où les humains ne sont pas admis et où la Dame Citrouille réunit sa cour. C'est là-bas qu'ils retrouvèrent le démon toujours prisonnier dans un corps d'écureuil, et Tarha venue négocier avec leur hôte pour s'assurer que "Mr. Pom" ne fasse de mal ni à son clan, ni à ses amis.
"C'est bien cette femme à tête de citrouille que j'ai vu dans ma vision. C'est elle qui a brisé le sceau ?
- Mhm. Elle dit que mon clan n'est plus capable de le garder."

La miqo'te semblait abattue autant qu'elle était surprise de les trouver là, surtout Ivanhault au vu de leurs rapports explosifs juste avant son départ. L'elezen s'affichait particulièrement à son aise dans ce décor à la fois festif et dérangeant. Silius déjà perdu au buffet, pour peu l'on aurait pu croire qu'ils étaient chez eux ici.
"Je sais ce que vous traversez" assura t-il à la jeune miqo'te. "Pour mon clan aussi le changement fut particulièrement rude mais dites-vous que c'est une chance de renaître autrement."
Au moins elle allait bien, c'est ce que Meleth voulait retenir de cette aventure saisonnière. Il y avait donc une petite chance que son amie puisse redevenir la jeune barde enthousiaste qui rêvait de voir le monde et raconter des histoires. Ce chaton gris qui s'était retrouvé aux prises avec ses obligations et que sa matriarche n'avait pas hésité à mettre en porte-à-faux de toutes les façons possibles.
"Je suis toujours en colère contre toi, confia t-elle, mais je veux que tu rentre à l'Escale, nous le voulons tous.
- Je ne voulais pas vous causer plus de problèmes..."

Elle ne lui avait pas encore dit pour Ilirslaent, mais elle aurait été bien tentée de lui répondre qu'ils n'attendaient pas après elle pour cela, ils le faisaient très bien tout seuls et le jour du départ approchait. Au moins une partie de ce tracas qui pesait encore sur son esprit venait de se lever. Restait à aborder un sujet délicat : l'ahriman.
"C'est Mr. Pom qui l'a enlevé, et qui a aussi tourmenté les autres pour se jouer de moi. Je ne voulais pas qu'il le fasse, je suis désolée..."
Dans le petit cimetière mitoyen au domaine ils pouvaient discuter en paix, enfin presque. A quelques pas les rires et la musique discordante résonnaient à travers l'étroit passage rocheux.
Elyaska montait la garde au cas où mais leur attitude ne tarderait pas à les démasquer. Les oreilles basses, Tarha se balançait d'une jambe sur l'autre entre deux sermons de Silius toujours aussi peu compatissant, quoi qu'il avait déjà été pire. Elle tenta de s'expliquer au mieux. Elle avait voulu faire au mieux et tenter d'aider les siens malgré sa jeunesse et son inexpérience. A bien y réfléchir, Ivanhault trouva cela cohérent : à laisser une enfant choisir on ne pourrait rien lui reprocher. Meleth souffla par le nez, loin de ces considérations pragmatiques elle ne voyait que l'impact d'une telle pression sur les épaules de son amie et cela avait bien failli les diviser pour toujours.
"Il faut que tu parles à la femme citrouille, elle a de grands pouvoirs elle peut le museler si ton clan n'est plus assez fort.
- Oui mais-...
- Pas de mais."

Silius ne lui laisserait pas le luxe de tergiverser, il prit les devants et Tarha n'avait plus qu'à suivre, de toute façon les négociations étaient déjà en cours. Meleth se recula de quelques pas, laissant à ses deux compagnons elezens le soin de mener l'échange. Son regard lunaire balaya les environs. Elle croisa celui de fantômes, démons et esprits qui s'entremêlent, du plus malicieux des imps de Sombrelinceuil aux succubes venues du Thanalan, sans parler de toutes ces âmes égarées que de joyeux monstres à tête de citrouille guidaient depuis les nombreux accès au jardin. Elle aperçut un ou deux ahrimans voletant avec les chauve-souris mais aucun d'eux ne ressemblait au "sien", tous bien trop gros et vigoureux à moins que...
"Tu cherches Ari ? Demanda Ney d'une voix douce.
- Je suis sure qu'il est ici mais je voudrais en avoir le cœur net, répondit-elle.
- J'ai vu un ahriman près du potager des citrouilles pendant qu'on cherchait Tarha, suis-moi."
Ney ne tenait pas non plus à étouffer la miqo'te déjà bien entourée de sermons -mérités, mais tout de même !- il sauta sur l'occasion de s'éclipser lui aussi de même qu'Elyaska et Mahruvvet qui en profitèrent pour explorer le domaine. La raenne s'était déjà trouvé un cavalier en la personne d'un elezen blond aux canines pointues et aux yeux rouge, les oreilles d'Ely dépassaient derrière le buffet, il était préférable de ne pas trop s'attarder mais elle voulait retrouver son petit protégé, s'assurer qu'il était bien ici et bien portant. Certes, il s'agit d'un démon mineur pas d'un petit animal égaré et elle ne l'admettrait jamais devant Silius mais... elle s'y était malgré tout attaché. Elle espérait juste lui dire aurevoir sachant qu'il serait bien traité avec la femme citrouille, et qu'il ne ferait de mal à personne puisque cette mystérieuse créature désormais à la tête du comité d'organisation de la Veillée s'assurait que sa cour ne s'en prenne pas aux humains.
"Regarde, c'est lui ?"
Ney pointa du doigt un arhiman glouton près du panier à pique-nique. L'animal attrapait tout ce qui passait à sa portée comme sucrerie avec sa langue et l'avalait tout rond pour le plus grand plaisir d'un groupe d'imps qui s'amusaient à lui faire manger tout et n'importe quoi.
"Ah..! Ah, non ce n'est pas lui."
Sur le moment elle crut le reconnaître mais de près la couleur n'était pas tout à fait la même. Déçue, elle secoua la tête. Ney se frotta la nuque prêt à se confondre en excuses mais un bruit d'ailes le fit lever les yeux vers un des arbres décorés de toiles d'araignées en gélatine.
"Hé, regarde !"
Il pointa du doigt en direction d'un essaim de chauve-souris parmi lesquelles un minuscule démon ailé s'agitait, tentant d'en assommer une sans succès, ne récoltant que des coup de griffes. Aucun doute sur le fait qu'il s'agissait d'Ari. Le visage de Meleth s'éclaira d'un sourire lorsqu'elle l'appela.
"Ari !
- Tiiiiii !"

L'arhiman la reconnut et, à sa grande surprise, plongea en piquet pour se réfugier dans ses bras. Elle l'avait toujours gardé en cage depuis sa capture et n'imaginait pas qu'il puisse avoir développé lui aussi une forme d'affection au-delà de la faim.
"Tu... pleures ?"
Il couinait contre sa poitrine, frustré plus qu'affamé. Quelle honte pour un arhiman de ne pas pouvoir ne serait-ce qu'étourdir un moineau. Meleth posa sa main sur sa tête ronde.
"Ils vont prendre soin de toi ici, t'apprendre à te nourrir seul et à ne pas t'en prendre aux humains. Tu vas grandir et l'an prochain quand nous nous reverrons, tu seras bien différent.
- Tiiii...!"

Ney s'attendrit en les regardant. Il savait son capitaine prompte à s'entourer de petits animaux étonnants qu'elle sauvait du marché noir avec la complicité d'un marchand du Souk mais la voir avec un arhiman dépassait l'entendement. Elle lui fit ses adieux comme on se sépare d'un animal pour son propre bien, et le serra au moins quatre fois dans ses bras avant de le lâcher.
" Sois sage, d'accord ? mange raisonnablement et écoutes ce que te dis la femme citrouille.
- Tiii ! Tiiiii !"

Finalement, elle le laissa s'envoler, lui offrant un dernier sourire encourageant. Ney vint la soutenir d'une main posée sur son épaule et ajouta à voix basse :
"Je pense qu'on devrait y aller maintenant. Mes oreilles ont entendu le cavalier de Mahruvvet lui dire qu'elle avait une superbe carotide..."
La viéra hocha la tête, elle ne voulait pas non plus laisser la tristesse s'installer pour ce qu'elle estimait être la meilleure des fins possible à cette étonnante aventure. Le duo se hâta de rejoindre le bal pour tirer la raenne des griffes de son soupirant douteux avec l'aide d'une Elyaska les bras chargés de confiseries à emporter qu'elle partagerait avec le groupe sur le chemin du retour. Silius et Ivanhault encadraient Tarha et Noah les attendait au portail à l'entrée. Le Fils du Torrent s'était à peine mêlé aux invités pour une obscure raison totalement différente bien sur de son lamentable échec à se faire passer pour une créature démoniaque.
"C'est bon, on peut rendre Noah-le-démon-mangeur-d'enfants tout à fait crédible.
- Hmmmm..."

Ceux qui ne rirent pas le continrent dans une bouchée de muffin ou derrière leur talent passif d'elezen à ne rien laisser transparaître. Ney, pas avare de soutient, donna une légère tape dans le dos de son congénère gardebois l'invitant à suivre le mouvement. Tarha les quitta à l'entrée du domaine mais fit la promesse de rentrer à l'Escale dès qu'elle en aurait terminé, cette fois la miqo'te semblait un peu plus sûre d'elle. Peut-être que de cette aventure provoquée par les vilains tours d'un démon aigri et revanchard finirait bien aussi pour le clan N'bolo. Si elles ne pouvaient plus assurer la garde des démons à la source de leurs pouvoirs, peut-être qu'il était temps -comme le disait Ivanhault- de tout recommencer, aussi difficile que ce puisse être de perdre leurs pouvoirs et une grande part de leur identité, Tarha avait le pouvoir d'en tirer le meilleur. Elle serait libre de choisir vers quoi se tourner, vers qui aussi. Au fond d'elle, c'est ce que Meleth espérait, que son amie retrouve sa joie de vivre et le plaisir de conter ses voyages. Et tandis que la barque s'éloignait et que les lumières de la Veillée des Saints s'estompaient dans la brume, elle vit le souhait de revenir l'année prochaine avec Tarha et les autres.

"J'espère que Mr. Pom nous laissera dormir en paix maintenant."
Lerith Il y a 3 mois et 1 semaine


"Aller, courage ! on doit continuer d'avancer !"
Le traineau de plus en plus lourd les ralentissait mais il était primordial que le chargement arrive intact jusqu'au castrum abandonné où les derniers survivants d'Ilirslaent avaient trouvé refuge. Tous volontaires pour cette mission, les civils n'en menaient pas large malgré la présence de Kyuuji. L'un d'eux avait frôlé la crise d'angoisse et pour les combattants de l'Escale de Llymlaen le constat n'était guère plus réjouissant. Pour ne rien arranger, des bêtes de l'apocalypse semblables à des loups dont le dos hérissés de piques sombres les suivaient en silence, tapis dans l'ombre hors du halo rassurant de leurs lanternes. Ils rôdaient autour du convoi à l'affût de la moindre opportunité et à chaque fois que le groupe se voyait contraint de s'arrêter ne serait-ce que quelques secondes, ils attaquaient par vagues successives, fondant sur tout ce qui passait à portée de leurs crocs avant de se replier dans le noir. La tension était constante, et les blessures en plus du froid mortels se multipliaient.
"Ne vous arrêtez pas, continuez ! Chaque pas nous rapproche un peu plus de notre destination !"
Pour se réchauffer, Ganelon ouvrit sa visière pour s'allumer une cigarette mais il ne reçut qu'une volée de poudreuse portée par le vent. Lysia avait fini par s'écrouler à force de les couvrir Marhuvvet et elle dans les assauts répétés tandis que Ney et Elyaska trouvaient refuge à couvert de l'elezen. Malgré les soins efficaces de Kyuuji, la miqo'te tomba sur les genoux et Mahruvvet s'empressa de la ramasser pour la traîner jusqu'au traineau avant qu'elles ne sortent de la lumière et que les loups n'en fassent qu'une bouchée. La malheureuse s'écroula sur l'arrière du traineau, ne pouvant plus aider ses camarades qu'au moyen de ses yeux habitués à la nuit et une main toujours proche de sa gunblade au cas où les loups attaqueraient ceux qui le poussent.
"Dans cette tempête, on ne tiendra pas longtemps !" s'écria l'un d'eux.
Et il avait raison. Le vent déjà très fort en bas de la côte se mit à hurler et balayer la neige par bourrasques sitôt qu'ils arrivèrent au sommet de la colline. Leur souffle gelait sitôt sortit de leurs bouches, avancer d'un seul pas devint un effort considérable, et pourtant il leur semblait apercevoir au loin la silhouette imposante et métallique du castrum dans les ténèbres de la nuit. Combien restait-il, un malm, cinq-cent yalm ? En descente le traineau serait moins lourd mais leurs corps, eux, risquaient fort de ne pas tenir. Déjà engourdie depuis un long moment, Meleth commençait à sentir ses doigts se rigidifier et ses pieds elle ne voulait pas y penser. Les sentait-elle encore ? La peur pouvait lui faire imaginer le pire, elle aussi. Alors elle se concentra sur sa tâche et quand les loups reculèrent enfin quand ils amorcèrent la descente, elle attendit d'être certaine qu'ils renonçaient à leur traque et se joignit à l'effort des civils pour ne penser à rien d'autre qu'à cela.
"Aller, on y est presque ! répétait-elle à la fois pour eux et pour elle.
- Cornegidouille c'est qu'il commence à faire froid !" Renchérit Ganelon qu'elle voyait à peine.
Elle aurait ri, en d'autres circonstances, du vocabulaire si poétique des elezens dont elle en avait adopté certains exemples tels que les "morbleu !" et "foutreciel !" d'Ivanhault. Hélas, en ces instants au bord du précipice elle ne pensait qu'à avancer, avancer avant de perdre conscience.
"Tiens bon, Mahru !" s'exclama Elyaska lorsque la raenne tomba à genoux dans la poudreuse. Meleth les entendit mais ne pouvait tourner la tête de peur de lâcher prise. Mahruvvet se releva, soutenue par la cartographe qui passa un bras dans son dos pour l'aider à avancer. Le blizzard leur brouillait complètement la vue, à combien étaient-ils à présent, avaient-ils seulement avancé ?
"On y est presque !"
Ney ouvrait la voie, faisant de son mieux pour discerner la route. Lysia se tenait aux caisses autant qu'elle les tenait en place pour éviter que les vent ne les fasse tomber. Ils arrivaient à bout de forces quand la lumière violente des projecteurs les aveuglèrent. Cette lueur n'avait peut-être pas le pouvoir d'éloigner la tempête mais elle leur donna la force de puiser dans ce qu'il leur restait d'énergie. Dix yalms, cinq yalms... et la porte, enfin, qui s'ouvrit devant eux dans un crissement métallique à lui éclater les tympans mais qu'importe, elles étaient bien trop pleines de neige pour cela. D'immenses roegadyns couverts de peaux de bêtes vinrent à leur rencontre pour tirer le traineau sur les derniers yalms et porter les blessés à l'intérieur. A peine eut-elle levé les yeux vers ces visages connus et soulagés de les voir arriver que Meleth s'effondra dans les bras du premier à venir vers elle. Elle ne sentait plus ses pieds, elle ne sentait plus ses doigts. On lui donna à boire de cet infâme thé au goût âcre qui aide à lutter contre le froid, et elle avala en entier le contenu de la tasse. On la tira vers le bâtiment principal avec Lysia et Mahruvvet portées par d'autres habitants tandis que Gimraen, la prêtresse aux atours printaniers, les accueillait avec toute la chaleur dont elle était capable jusqu'ici au milieu de l'enfer des glaciers.
"Voilà on y est, déclara le roegadyn en la posant avec douceur sur un des bancs de la salle chauffée. Vous devriez retirer vos habits et compter vos orteils.
- Merci..."

Il lui couvrit les épaules d'une lourde couverture en peau de bête avant de retourner près du traineau pour aider les autres à décharger le matériel. Kyuuji fit plusieurs allers-retours entre la cour et l'infirmerie en cours d'aménagement. D'une main tremblante, la viéra détacha son col, retira ses chaussures puis ses vêtements un à un jusqu'à ne plus garder sur elle que sa combinaison de plongée imperméable et la peau de bête. L'un après l'autre entrèrent Ney, Elyasla, Ganelon ainsi qu'un homme en armure noire complète. Elle crut reconnaître la coupe garlemaldaise.
"J'imagine que vous êtes Lucius ? Demanda-t-elle.
- Père serait fier de l'entendre."
Elle reconnut la voix juste avant que Silius ne retire son casque. Elle sourit de plus belle devant ce visage grognon mais familier. Gimraen passait entre eux, distribuant son thé et comptant les orteils de chacun avec une sévérité presque maternelle. Ils se détendirent, enfin, et Meleth sentit ses pieds.

se désengourdir petit à petit. Les gelures n'étaient finalement pas si grave mais ce n'était pas passé loin. Lysia descendit de l'infirmerie la première, portée par un autre roegadyn et enroulée dans un burrito de couvertures. On la posa près de Meleth, les deux s'appuyèrent l'une contre l'autre sans un mot ; le regard suffit à exprimer le soulagement. Ganelon leur posa sa propre cape sur les jambes, Ney et Ely commencèrent à discuter contre un mur presque comme si de rien était, c'est de cela dont ils avaient le plus besoin pour se réchauffer l'esprit. Meleth fredonna un air. Enfin, Mahruvvet fut à son tour descendue de l'infirmerie. Bien plus affectée qu'eux par la tempête, l'ex-cambrioleuse hannoise tâchait de convertir la faiblesse en humour. Rire, le meilleur remède.
Meleth finit par porter sa main à sa linkperle :
"Nous sommes arrivés, tous ensemble, et avec tous les morceaux même si ce n'est pas passé loin."
Ensemble, c'est tout ce qui comptait à ses yeux. Le lendemain matin, c'est le nombre de mouchoirs à sa portée qui comptait. Les éternuements de la viéra résonnaient dans tout le castrum. Certes, elle avait échappé aux engelures les plus graves mais en serait quitte pour une bonne crève, avec une fièvre carabinée et cet infâme thé à avaler par litres sous le regard insistant de Gimraen et les sourires amusés de ses congénères. Au moins, elle les faisait rire, se disait-elle, mais sa dignité en avait pris un coup. Elle avait de toute façon prévu de rentrer mais elle reviendrait vite, elle avait une autre mission à remplir ici, et elle ne serait pas seule pour l'accomplir.

Deux jours plus tard, elle retrouvait la douceur du climat Eorzéen en compagnie de Ganelon dont la compagnie allégeait quelque peu le poids de ses pensées, sans cesse tournées vers ses camarades laissés derrière sous cette chape morale générée par l'hérésiarque.
"Il n'y a pas un instant à perdre, dès que je serais prête à y retourner."
Dès qu'elle eut pris congé de l'elezen, Meleth s'en fut vers la première ethérite à destination de Thavnair et la seule personne qui, selon elle, serait capable de tenir le rythme de la Kriegstanz et de la faire tenir quoi qu'il en coûte pour le support moral des survivants d'Ilirslaent. Elle le craignait sans doute autant qu'un hérésiarque mais pour d'autres raisons et c'est courageusement qu'elle frappa à la porte de l'école de danse, s'attendant au pire jusqu'à ce que la voix du raen précède son apparition, non pas à l'intérieur mais dans son dos.
"Qu'est ce que. Tu fabriques. Ici."
Un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale. Lentement elle se tourna et leva les yeux afin d'affronter son regard. Dadjeel Rise, comme bon nombre d'aoras, affichait un visage naturellement contrarié -Kyuuji est vraiment une exception à la règle !- et à voir le sac rempli de victuailles et la bouteille de lassi sur son bras, elle était sur le point d'interrompre l'un de ses rares jours de repos, la poisse. Trop tard pour reculer, elle gonfla la poitrine pour l'affronter.
"Maître Dadjeel, je dois vous entretenir d'une aff-...
- Accouche."

Il fronça les sourcils un peu plus, pas moyen qu'il l'écoute faire son exposé de situation pendant dix minutes sur le pas de sa porte et avec un sac de courses dans les bras ; pas question de la faire entrer non plus, il ne manquerait plus que ça.
"Maître, il y a des gens dans le Nord qui subissent toujours le mal de l'Apocalypse. Leurs terres ravagées, la moitié d'entre eux sont déjà perdus voir plus... ils sont retranchés dans un ancien castrum sous un dome de désespoir. Ma compagnie ainsi que d'autres aventuriers ont commencé à reprendre du terrain mais ils vont avoir besoin d-...
- Putain, gamine, tu fais chier."

Sur cet unique commentaire, il ouvrit la porte et entra. Avant qu'elle l'ai eu le temps d'amorcer un mouvement à sa suite, la porte lui claqua au nez. Interdite, elle cligna des yeux et attendit de longues minutes qu'il réapparaisse, son sac sur l'épaule et en tenue de danse. Il la toisa de toute sa hauteur, sévère comme si c'était lui qui venait de l'attendre pendant presque un quart d'heure qu'elle daigne lui servir de guide.
"Tu attends quoi, que ton hérésiarque prenne des vacances à Radz-at-Han ? En route.
- J-... euh, oui mais...
- Quoi. Encore.
- Hum... vous devriez peut-être prendre un manteau. C'est l'hiver en Mer du Nord..."
Le regard assassin du raen à cet instant lui fit regretter pendant une seconde d'être venu le voir. Il lui claqua de nouveau la porte au nez avez une telle violence qu'elle recula de peur qu'elle ne lui tombe dessus tant les gonds se mirent à trembler. Moins de cinq minutes plus tard, le maître-à-danser se présenta une fois de plus devant elle, un épais manteau de fourrure brune semblable à ceux de la Steppe d'Azim par-dessus l'épaule. Son visage ne laissait place à aucun autre commentaire et Meleth se contenta de lui ouvrir la voie. Ils auraient tout le temps de discuter avant le prochain départ.


Les jours suivants, et tandis que Meleth se donnait corps et âme à ses répétitions, les habitants de Castrum Exilii virent arriver avec les aventuriers un danseur thavnairois massif et imposant aussi dur que la glace qu'il tenait pourtant en horreur. Il avalait le thé de Gimraen par litres et dansait plus qu'il ne parlait. Certains de la compagnie l'avaient déjà rencontré et ne furent qu'à moitié surpris de le voir débarquer sans préavis et sans son élève. Meleth ne les laisserait pas sombrer dans les ténèbres.

"Je reviendrais bientôt."




Lerith Il y a 3 mois et 1 semaine


                    "Tiens, prends ça avec toi, assure-toi que Kyuuji l'ai avant l'audience.
- T'en fais pas capitaine, on gère.""

Après un dernier sourire confiant pour Iko, Meleth regarda partir ses hommes sans un mot. Elle s'était portée volontaire pour les accompagner dans le nord mais au dernier moment madame Kurusu le lui avait interdit, voyant son état de fatigue grandissant ; la danse n'y arrangeait rien. La fin de la sixième lune astrale voyait s'enchaîner les représentations et la suivante ne serait pas moins animée avec la Fête des Etoiles, comme tous les ans. Pourtant, jamais Meleth n'avait ressenti un tel épuisement jusqu'à présent et la faute n'incombait à personne, bien au contraire. Depuis la fin de l'été on lui accordait tout le temps nécessaire, on la poussait même au repos, rien n'y faisait. C'était comme si son corps se réveillait, lui faisant prendre peu à peu conscience des limites qu'elle avait franchi sans s'en rendre compte depuis bien longtemps. Tout lui disait "tu n'en peux plus" et elle, elle ne voulait jamais s'arrêter.
"Ma place est au Nord, avec eux, insista-t-elle auprès de la directrice.
- Votre place est là où vous serez utile, capitaine Esthar. Vous ne servirez à rien ni personne dans cet état de fragilité. Vous êtes une sage guerrière bon sang, faites preuve d'un peu de bon sens. Vous voyez bien que vous n'arrivez à rien."

Fort heureusement, tout s'était bien passé, enfin d'une certaine manière. Kyuuji de retour, il pouvait profiter de son premier anniversaire de mariage avec son épouse tandis qu'à Ilirslaent les réfugiés de Castrum Exilii disposaient de vivres et médicaments. A la fin de la semaine, toute la compagnie ou presque se rassembla pour assister au tournois de Halone à Ishgard organisé par Lucien. Meleth y serait allée bien volontiers si elle n'avait pas eu un spectacle à honorer ce soir-là sur la plage de Brumée et dont la date était fixée depuis des semaines, impossible de reporter. Puis, le lendemain ce fut la vente aux enchères à l'Escale; le moment où les capitaines d'expédition s'effacent au profit de la directrice pour représenter la compagnie.
"Et tout s'est vendu ?
- Tout, je te dis. Tout ! "

A quatre pattes sur le plancher de la mezzanine le lendemain matin, Lysia frappait sur son marteau avec enthousiasme en racontant à la viéra qui finissait de ranger ses livres sur sa nouvelle étagère. Elle en profitait pour se tenir informée du déroulement de la soirée.
"Ivanhault a décidé de jouer le commissaire priseur à la criée alors que ce devait être une enchère silencieuse. Ils ont raconté toutes les histoires liées aux objets de la collection tandis que les mises se gonflaient. J'ai vendu mes verres en bois au triple de leur valeur d'origine tu te rends compte ?!"
La miqo'te se redressa pour tester la stabilité de la rampe. Encore un peu lâche, elle s'arma d'un nouveau clou pour fixer les jointures à la colonne.
"Les oeuvres de Valorius par contre, pfouaaah ! Tu aurais vu cette bataille pour les avoir ! D'un autre côté c'est normal quand tu vois la qualité. Et il était tellement à l'aise pour en parler alors que moi...
- ... J'imagine que tu étais tellement tétanisée qu'on t'as pris pour une statue de cire.
- ... !"

En représailles des copeaux de bois et de la sciure tombèrent sur la chevelure d'ébène de Meleth penchée sur ses cartons. Elle rit tout bas, protégeant ses livres plus que ses oreilles.
"Je ferais mieux l'an prochain tu verras, grogna-t-elle. Hmph !
- J'en suis sure Lysia, répondit calmement le capitaine. Tu avais besoin d'une première fois c'est tout."
La pièce prenait forme petit à petit, et lui ressemblait davantage. L'orchestrion posé sur le rebord de la fenêtre diffusait une douce mélodie sombrelinçoise accompagnée par le bruit des vagues en contrebas. Meleth ouvrit un carreau.
"Voilà, je pense qu'on est bons là-haut. Qu'est ce que tu en penses ?"
En dehors de l'immense mappemonde centrale, ce nouvel espace de travail semblait bien vide mais la viéra le voyait déjà envahi par son chaos bordélique, raison pour laquelle elle en avait tant besoin avant que Kyuuji ne fasse un malaise et qu'Ivanhault ne se mette à tout ranger de manière compulsive chaque fois qu'il entrerait ici.
"S'il te plait dis-moi que ça te plait...
- C'est parfait Lysia, vraiment parfait."

Satisfaite, la menuisière de l'Escale de Llymlaen fit tourner son marteau dans sa main avant de le ranger dans son tablier multi-poches, un large sourire aux lèvres.
"Le bureau parfait pour notre parfaite capitaine ! Lâcha-t-elle joyeusement.
- Merci beaucoup."
Alors qu'elles montaient d'autres cartons à l'étage, la linkperle sonna et les premiers résultats de la vente furent transmis par Gyoban.
"... Nous en arrivons à, attendez je compte... 2 671 100gils. Moins les primes et commissions... Nous en arrivons à 2.336.995gils de bénéfices, cela dépasse toutes nos espérances !"
Meleth et Lysia échangèrent un regard ravi.
"La semaine commence bien dis-donc, c'est une sacrée somme. On va pouvoir réparer l'Abyssius !
- On peut dire merci à Valorius, il a travaillé toute la saison sur ses créations. J'imagine que c'est ce qui a rapporté le plus. Tiens, par curiosité quelle a été la plus grosse mise ?

Il y eu un bref silence le temps que le namazu consulte sa grille d'enchères.
"La perle Trésor de Hualani a rapporté à elle seule 650.000 par un certain monsieur Alberick. C'est la plus grosse enchère de la soirée juste avant le Rêve d'Océan acheté à 600.000gils par monsieur Kurusu.
- PARDON ?!"

Manquant de s'étouffer avec sa propre salive, Meleth dut s'accrocher à la rampe que Lysia se remercia d'avoir sécurisé peu avant, moins une et la viéra basculait par-dessus.
"C'est celle que tu as pêché dans la Barrière de Corail avec Kokonut, c'est ça ? Elle a beaucoup plu, je crois que monsieur Kurusu a même essayé de l'avoir avant s'incliner face à cet ishgardais.
- Mais c'est énorme !"
Souffla Meleth en reprenant ses esprits.
Elle calcula rapidement et de tête le montant de sa prime pour un tel montant. Elle s'attendait à recevoir peut-être deux ou trois mille gils, de quoi faire ramoner la cheminée de la chaumière avant l'hiver et faire un cadeau à Lhei pour la Fête des Etoiles quand celle-ci rentrerait de son voyage dans le Coerthas. Environ trente-mille gils, un peu plus, qu'allait-elle faire de tout ça ?
"Eh, capitaine tout va bien ?"
La mine soucieuse de Lysia la fit redescendre sur terre. Elle n'avait pas décoché un mot depuis une bonne minute alors elle sourit pour la rassurer.
"Oui, j'ai été surprise voilà tout...
- Tant mieux. Bon, alors je vais te laisser finir de ranger il faut que je me remette au travail.
- Déjà ?"

La miqo'te sourit de toutes ses dents et frappa ses hanches en bombant le torse.
"J'ai un projet important sur le feu pour l'une des filles Marsh, je file à mon atelier !"
Avec toute la pression qu'ils ont subi dernièrement, la quête qui leur avait été confié pour la fin de l'année inspirait beaucoup plus de joie et d'apaisement. L'enjeu était pourtant de taille : treize "princesses" à satisfaire pour la fête des étoiles, et un saphir de Rhotano supplémentaire pour leur collection. Lysia fut l'une des premières à présenter son idée et chaque jour la liste se remplissait de volontaires sur le tableau d'affichage. Meleth aussi posa son nom.

Les jours qui suivirent, le calme revint aux alentours de l'Escale de Llymlaen. Aux après-midi paisibles sur le bord de mer, suivirent les soirées conviviales entre les murs de l'établissement ou en dehors. Le Tournois de Halone amassait un peu trop de monde aux yeux de la viéra qui recherchait le calme pour son repos, ce qui ne l'empêcha pas de se rendre à Ishgard en visite chez Lucien, avec Valorius. Ils lui racontèrent toute l'histoire derrière la sculpture de Tefiti ainsi que bien d'autres anecdotes sur l'archipel. Un autre soir, ce fut dame Ancolie, monsieur de Mainzanet et un certain Myphos qu'Ivanhault invita à boire un verre dans leur salon. Toutes ces rencontres ouvraient de nouvelles perspectives quant à l'avenir du capitaine Esthar sur le plan social. Le soir, elle rentrait à la chaumière fatiguée mais moins tendue. 
Lhei absente pour quelques temps encore, elle commença à décorer le salon pour la Fête des Etoiles espérant lui faire la surprise à son retour, ainsi qu'à Luka.
"Et les répétition, ça avance, kupo ?"
Kiip avait décidé de se rendre utile plutôt que de simplement "goûter" aux traditionnels biscuits et pain d'épice dont le parfum embaumait la cuisine depuis quelques jours. La petite mog postière tenait fermement le bout de la guirlande à bout de pattes.
"Nous sommes presque prêts. Les tenues sont arrivées hier.
- Vous avez accepté pour le marché d'Ishgard, alors ?
- Mhm ! Danser juste pour le plaisir sans chorégraphie particulière, une fois de temps en temps cela ne peut pas nous faire de mal."

Une pile de cadeaux se forma rapidement au pied du sapin, au final ses gains furent bien dépensés. Tous n'étaient pour ses colocataires, comme chaque année elle s'attendait à recevoir ses compagnons pour le solstice, une tradition bien ancrée au sein de la compagnie, au même titre que le Bal des Monstres, le concert de fin d'année ou le bol de chocolats de Kyuuji. Parfois, ces traditions varient un peu cependant et à l'idée de danser sur le pavé ishgardais en plein marché lui rappelait ses premières lunes en Eorzéa lorsqu'elle dansait sur le port ensoleillé, rêvant de voyages ; que de chemin parcouru depuis.
L'année en cours fut particulièrement difficile à tous les niveaux, mais Meleth ne voulait pas la voir disparaître comme on rejette un déchet ou quelque chose dont on a honte. Malgré les pertes et les actes manqués, les difficultés et la peine, tant de bonnes choses s'étaient produites qu'elle ne pouvait ni ne voulait oublier. Aussi difficile fut l'épreuve de relever Cehwi'to en début d'année et maintenir à flots Lunaris, la troupe avait gagné deux nouveaux membres et toujours plus d'idées. Le dilemme atroce à L'emaki avait resserré les liens plus que jamais. La presque-déception de Mare Lamentorum s'était muée en tremplin pour de nouvelles aventures. Akira et elle semblaient avoi convenu d'une trêve si ce n'est une paix séparée, A'iko et Mimina en feraient peut-être de même si seulement elle trouvait le temps de les réunir, et Ivanhault voulait se faire de nouveaux amis. Floerswys nommée capitaine, la compagnie se développe et les échanges se multiplient. Ce fut une une année difficile, certes, mais on pouvait en tirer le meilleur à célébrer.
"Meleth, à quoi penses-tu kupo ?"
Aspirée par ses propres pensées, la viéra ne s'était même pas rendue compte qu'elle tenait entre ses mains l'étoile destinée au sommet du sapin depuis plusieurs minutes.
"Hm ? Oh, pardon Kiip, dit-elle en posant la décoration à sa place. Voilà, c'est terminé.
- Alors on peut passer au goûter, kupopo !"

La Fille du Torrent éclata de rire, cette petite mog ne perd pas le nord. Une fois les cartons de décorations vides glissés sous l'escalier, toutes deux se coupèrent une tranche de pain d'épice tandis que le feu crépitait joyeusement dans la cheminée. Sur son lit à l'étage, sa tenue de danse blanc perlé étincelait à la lumière d'un pâle soleil hivernal. Derrière les carreaux sur une branche élevée, le Fils du Torrent finissait de tailler dans le bois une nouvelle flûte de pan. Au pied de l'arbre, son fidèle compagnon Adalgis frissonna dans son sommeil. Bientôt tous deux cesseraient de vivre dehors et, le temps d'une saison, dormiraient au chaud avec le reste de la maisonnée.

                                                                                                                     
La linkperle de l'équipage sonna.
                                                                              "Vous ne devinerez jamais qui est rentré pour les fêtes !"

Lerith Il y a 3 mois et 1 semaine


Cette nuit du solstice d'hiver, la tradition voulait -depuis environ trois ans- que tous les membres de la compagnie disponibles se réunissent dans le minuscule salon de la chaumière de Meleth. Entassés sur les banquettes près de l'immense fenêtre donnant sur la cascade, ils mangeaient de la bûche et s'échangeaient leurs cadeaux. Tous les ans ils étaient plus nombreux, plus serrés, mais pas une fois ils n'envisagèrent d'aller ailleurs ni de célébrer autrement leur dernière "réunion" de l'année. Dès le lendemain ils se sépareraient pour environ deux semaines, chacun ayant une famille ou d'autres proches à retrouver pour les fêtes. Ce n'était pas vraiment le cas de Meleth, en dehors de Lhei qu'elle voyait au quotidien, sa famille c'étaient eux.
"Tiens Meleth, c'est pour toi."
Cette année, Yone l'avait tirée au sort dans leur chasse aux cadeaux. En déballant la magnifique ceinture aux motifs tribaux inspirés de son peuple qu'il lui avait commandé, ainsi que la paire de boucles d'oreilles dans l'écrin juste au-dessus, ses yeux s'illuminèrent.
"Mais c'est magnifique, c'est beaucoup trop !"
Le hyur se contenta de rire et passa une main dans sa chevelure blonde.
"En fait, je voulais aussi te remercier. C'est toi qui m'a présenté à la compagnie et qui m'a aidé à y trouver ma place. Je ne m'imagine pas ailleurs aujourd'hui."
Comme il détournait le regard, il ne vit pas la viéra bondir de ses coussins pour le prendre dans ses bras et le serrer contre elle.
"Moi aussi, je suis tellement contente que tu sois là Yone."
Ils échangèrent un sourire. La fête se poursuivit jusque tard dans la nuit entre gâteaux et présents. Le pégase noir d'Ivanhault broutait paisiblement à l'extérieur auprès de Fallon, ravi de rencontrer un nouvel ami. Tous les petits animaux de la maison s'étaient endormi dans les chambres et au bout d'un moment c'est A'iko qui piqua du nez sur la banquette. Floerswys la couvrit d'un plaid. Minuit était passé, l'enthousiasme festif avait laissé placé à de paisibles conversations menant à l'heure du départ. U'napa resta à la chaumière avec Albynn et se proposa de faire la vaisselle, ils dormiraient sur le canapé à côté d'une Iko déjà roulée en boule dans les coussins. Ney sortit en dernier, remerciant un Noah terrassé par sa dernière part de pain d'épice et pressé d'aller se coucher contre le pelage de son tigre à dent de sabre à l'arrière de la maison. Meleth salua tout le monde à la porte et les regarda s'éloigner. Elyaska, Diana, Liann... autant de nouveaux visages faisant désormais partie de sa vie au même titre que les plus anciens. Il y en aurait bientôt d'autres. Elle fit un dernier signe à Djazah'ir qui serrait dans ses bras la ceinture d'artisan qu'elle lui avait offert, probablement auprès du même artisan que Yone au marché des étoiles. Quelle belle soirée ce fut aussi à Ishgard, d'ailleurs. Quelle belle fin d'année ils avaient eu, rien à avoir avec la façon dont elle avait commencé.
"Meleth, on va ranger les assiettes et après on ira dormir, oui !"
La miqo'te avait toujours les mains dans l'évier et passait la vaisselle à Albynn armé d'un torchon. Il ne manquait plus que Mahruvvet pour la ranger et elle aurait eu l'équipe complète de service de l'Escale pour ranger sa cuisine. Les yeux du lalafell se posèrent sur le portrait des Lunaris posé sur le buffet. Cette image, ils l'avaient prise ce soir-là au Crosseron Précieux après avoir dansé plus d'une heure sur le trottoir en compagnie des bardes de Melodies of Light.
"C'est passé si vite..." souffla t-il.
Meleth hocha la tête. Il y a un an à peine, le timide Albynn n'aurait jamais songé à monter sur scène contrairement à Liiz qui espérait en secret depuis longtemps.
"C'était amusant de danser sur le trottoir sous la neige !"
La viéra sourit un peu plus. Cette nuit à Ishgard resterait gravée dans sa mémoire comme un retour aux sources, le bonheur de danser au milieu de la foule sans qu'ils soient tous assis à les regarder. Si certains s'arrêtaient sur le bord du trottoir quelques instants, c'est à peine si elle y faisait attention tant l'énergie était puissante, exactement comme lors de cette nuit au Souk.
"Tu as raison, Albynn."
Un peu plus tard cette même nuit, le Saint de Nymeia avait encore une dernière livraison à faire avant que le soleil ne se lève. Meleth quitta la chaumière, une boîte percée sous le bras, pour se rendre à Brumée. Elle espérait trouver dans les hauteurs, au milieu des groupes d'aventuriers qui se promènent le long de l'Aqueduc de l'Amirale, une silhouette solitaire qui contemple la mer ou qui s'emploie à charmer une demoiselle de passage. Il se trouvait bien là, seul et silencieux alors qu'à moins de deux yalms trois fêtards poussaient des cris et des exclamations à propos d'on ne sait quel sujet de discussion banal.
"Capitaine, vous ici ?"
Ganelon sembla surpris de la voir. A l'entendre, il avait même oublié qu'elle l'avait invité à se joindre à eux et ne s'attendait pas à ce qu'elle fasse tout ce chemin de nuit pour venir lui porter un présent. Un présent qui remue dans sa boîte. En l'ouvrant, il en sortit un petit gaélichaton emmitouflé dans un manteau bleu.
"J'espère qu'il vous aidera à vous sentir un peu plus chez vous dans votre propre demeure, vous aurez toujours quelqu'un pour vous y attendre."
Mitaine s'attacha vite à son nouveau maître, comme le font tous les félins en s'installant sur lui comme sa propriété. Ganelon non plus ne se montra pas farouche, l'air plutôt ravi de gagner un ami.
"Il me fera penser à vous quand je regarderais son habit bleu" dit-il de son éternel sourire charmeur. Meleth rit tout bas, heureuse de les avoir réuni. Plus que de l'amitié, elle commençais à ressentir de la compassion pour l'elezen, ainsi qu'une profonde tristesse. Il était pourtant tout ce qu'elle ne comprenait pas chez les autres. Cette négation de soi ou de ses propres aspirations pour se sacrifier continuellement, comment la comprendre ? Ganelon assumait totalement de ne vivre que dans la recherche constante du mérite et de la justice, une vie privée de toute ambition personnelle qu'il compense par ses moeurs légères. C'était son choix, elle n'avait pas à le juger ou l'influencer mais si pour n'importe qui d'autre elle aurait simplement passé son chemin, lui était différent. Elle pouvait lire dans son regard, là où tous les autres s'imaginent qu'il ne songe qu'à l'opportunité de séduire, une lueur qu'elle ne connait que trop bien ; cette même lueur qu'elle avait tenté de dissimuler aux sentinelles de Naatu des années durant, avant de finalement franchir la frontière de Golmorre. Un vulgaire coureur de jupons aurait cessé de lui témoigner de l'intérêt sitôt qu'il aurait constaté l'échec de sa tentative, mais pas Ganelon.
En rentrant à la chaumière, Meleth ferma la porte le plus silencieusement possible afin de ne pas réveiller le trio endormi près du sapin. Sur la pointe des pieds elle monta les marches jusqu'à sa confortable mansarde et se faufila jusqu'au lit. Au chevet, près de la fenêtre, se trouvait ce portrait de groupe qu'ils avaient eu tant de mal à faire. Le résultat en valait pourtant la peine. Elle l'avait placée dans un joli cadre et plutôt que de l'afficher dans son bureau à la vue de tous, fièrement, elle le gardait pour elle dans sa chambre. Elle voulait les garder près d'elle et les regarder chaque fois qu'elle serait en proie à un conflit intérieur ou qu'elle aurait le sentiment de se perdre.
"Je n'y serais jamais arrivée sans vous" confia t-elle en se glissant sous les couvertures.


"Arrêtez de pousser !"

"Noah, j'ai ton oreille dans le nez."

"On a fini ?"

"Depêchez-vous le sol est froid..."

"Quelqu'un a vu Ney ?"

"Qui a invité Mimina ?"

"Les grands derrière !"

"C'est quel Terrechant à droite ?"


"Pardon je suis en retard ...!"
"Aie !"


"Plus personne ne bouge !"
- Clic -


Ce fut une année difficile pour Meleth, entre pertes et décisions difficiles, doutes, incertitudes et bon nombre d'erreurs. Plus d'une fois elle aurait abandonné s'ils n'avaient été là, s'ils n'avaient été ce qu'ils sont et si elle ne s'était pas sentie autant à sa place parmi eux. Malgré les tempêtes, ensemble ils avaient exploré Mare Lamentorum, navigué sur la Mer de Sable de Sagolii, dansé toute la nuit avec les corsaires du Souk, traversé les chutes du gouffre de Ridorana et même couru sur les terrasses du phare. Ils avaient partagé leurs histoires à travers l'artisanat, fait tant de belles rencontres, noué des liens nouveaux à Ishgard. Elle s'entendait presque avec Akira à présent ! Non, cette année ne s'achèverait pas sur un sentiment amer, le souvenir du chagrin ou de la peur de l'échec.

Dans ses rêves, elle dessinait un ciel d'azur et une mer apaisée, de nouvelles aventures faites de saphirs perdus et d'épaves en sommeil. Elle entendait comme un écho, le chant de la mer au-dessus des ruines d'une cité engloutie.

"Tant que nous sommes ensemble."
Lerith Il y a 3 mois et 1 semaine


Comment en est-on arrivé là ? Il lui semblait qu'hier encore, elle était cette sentinelle du fleuve tapie entre les arbres, guettant d'un œil méfiant ce groupe d'intrus venu envahir sa jungle. Tant de chemin parcouru, tant d'aventures vécues depuis les ténèbres de l'île de la Flèche jusqu'à la tempête de l'Apocalypse. N'avait-elle pas dansé sur les vents ethéréens d'Abalathia sur le dos d'un pégase, nagé dans les eaux claires de la barrière de corail et plongé dans les secrets obscurs de la Mer du Nord ? Que pouvait demander de plus cette viéra reconnaissante envers tout ce que lui offrait la vie, envers ceux qui se tenaient près d'elle en cet instant, cette main tendue vers la sienne et la voix chaleureuse qui l'appelait :
"Aller capitaine, vers l'Infini..."



"- ♪ - Je veux aller aux Confins de l'Univers."
Elle en avait recraché la moitié de son verre, dont une partie par le nez. Ivanhault avait le don de lâcher ce genre de souhaits -ou d'affirmations- avec un tel calme laconique qu'à l'entendre tout était à leur portée même un voyage à l'autre bout de l'univers. Néanmoins les explications suivirent avant qu'elle ai eu le temps de bredouiller une réponse.
"- ♪ - Le département de recherche sur les ethérites vient d'envoyer des thavnairois participer à une course à Ultima Thulé avec le Guerrier de la Lumière, retransmise à la radio. Les chercheurs ont toujours besoin de volontaires pour récolter des données sur le réseau expérimental."
Il y eut un silence de quelques secondes puis il reprit.
"- ♪ - Je veux y aller."
Dans les minutes, les heures qui suivirent, la fréquence linkperle de la compagnie fut assaillie d'échanges à la fois inquiets et enthousiastes. Serait-ce vraiment possible, fallait il une autorisation spéciale, quand partions nous, que faut-il emporter ? Meleth laissa tomber son livre ouvert sur le bureau et bascula en arrière contre le dossier de sa chaise. Les Confins de l'Univers, Ultima Thulé, cela lui semblait si loin et tellement irréel. Ce lieu existait pourtant bel et bien puisque le plus grand héros de leur époque s'y était rendu et y avait mené sans doute la plus grande bataille pour le salut de l'humanité. Cette expédition impromptue et improbable prenait des allures de pèlerinage, quel explorateur ou même le plus basique des aventuriers ne serait pas enthousiaste à l'idée d'un tel voyage ? Et puis avec le départ d'Iko, elle ne dirait pas non à se changer les idées.
C'est ainsi que la première expédition de l'année fut organisée en quelques jours et avec beaucoup d'avance sur la saison. L'impatience grandissait en même temps que la liste des volontaires. Au soir du départ autour de l'ethérite de Sharlayan, ils étaient plus d'une vingtaine à se rassembler, sac à dos sur l'épaule plus au moins chargé. La quasi-totalité de la compagnie s'était libérée, cela en dit long sur l'excitation ambiante, et quelques invités s'étaient joint au groupe dont Mimina et monsieur Kurusu. Ivanhault lui-même semblait surpris d'une telle effervescence autour de lui mais se montra concis et clair quant aux consignes de voyage.
"Emportez de quoi manger, la téléportation par le réseau expérimental sera fort désagréable et nous n'allons peut-être pas tous arriver au même endroit, ni dans le même état."
On en entendit un ou deux qui déglutissaient d'appréhension mais rien ne saurait altérer la détermination de cette folle équipée qui se dirigea en ordre de marche vers le département de recherches où se trouve l'ethérite expérimentale.

Difficile de décrire les sentiments qui se bousculèrent dans sa tête lorsqu'elle reprit ses esprits, à moitié plongée dans une mare d'eau huileuse -ce n'est surement pas de l'eau d'ailleurs !- au beau milieu d'un nid de dragons apathiques dont l'apparence n'avait rien à voir avec les majestueux prédateurs de Dravania. Son premier réflexe fut de faire l'appel de ceux qui avaient atterri au même endroit, et de rétablir le contact avec le reste de l'expédition dispersée en trois points de téléportation différents sur l'ensemble de la zone. Quelque soient ses émotions elle devait les taire au profit de ses responsabilités, au moins jusqu'à ce qu'elle soit certaine que tout le monde était en sécurité. Après quoi ils reprirent leurs esprits, mangèrent un peu, se renseignèrent et prirent la route en communiquant régulièrement les uns après les autres. Ce n'est qu'à partir de là que le capitaine s'autorisa à s'émerveiller sur tout ce qu'elle voyait.
Il régnait en ces lieux un sentiment de profonde tristesse pour commencer, à arpenter des sentiers déserts sur des amas de mondes détruits ou peuplés de formes vivantes recréées à partir de civilisations éteintes dans la souffrance et la solitude. Face à une telle désolation, Meleth ne put s'empêcher d'imaginer le Guerrier de la Lumière marchand seul ici à sa place, lui qui avait porté sur les épaules tout le poids du Monde, le danger et les incertitudes quant à sa victoire. Qu'avait-il pu penser et ressentir en voyant ce qu'elle voyait ? C'est facile de venir ici, maintenant, et de suivre la route indiquée par les locaux vers ce qu'on leur présenta comme le dernier bar avant la fin du monde, le café des Dernière Réminiscences imaginé par un loporrite après la victoire. Mais avant la victoire, celle-ci était plus qu'incertaine et il n'y avait nulle vie ici, aucun espoir, rien que le silence ainsi qu'un aperçu de leur propre finalité si leur héros venait à échouer dans sa quête. Comment avait-il trouvé la force ? Elle voulait le savoir, elle voulait continuer de suivre ce sentier pas à pas, mais elle ne voulait pas le faire seule. Le premier jour, ils avaient tous marché longtemps, certains plus que d'autres, avant de se retrouver aux Dernières Réminiscences. Ce n'est que le lendemain qu'ils achevèrent l'ascension des dernières marches -au sens propre !- vers le théâtre de cette ultime bataille.

"Qu'est-ce qu-...?"

Elle s'attendait à tout, mais pas à voir s'étendre sous ses pieds un champ de fleurs tapissant ce sol stérile et sans vie. Des Elpis, Ivanhault lui en avait parlé une fois de ces fleurs rares qui poussent à la fois nullepart et n'importe où, et qui réagissent aux émotions. Elle ne fut pas la seule à tomber à genoux à ce moment, nombreuses furent les paires d'yeux à s'ouvrir en grand voir laisser échapper quelques larmes. Certains s'avancèrent les yeux rivés sur la goutte suspendue au-dessus de leurs têtes, d'autres rebroussèrent chemin submergés par un torrent d'émotions mais tous étaient montés ensemble. Meleth resta interdite, cœur battant, réprimant tant bien que mal les sanglots nouant sa gorge. Etait-ce cela la réponse, alors ? Elle était arrivée là où se trouvait la fin de tout et de toute chose pour découvrir qu'on y trouvait... l'image des sentiments, des souvenirs, un reflet de soi-même et de tout ce qui compte à nos yeux. Ainsi, le célèbre héros d'Hydaelyn n'était pas venu tout seul armé de sa seule force légendaire, il était accompagné à sa manière. C'est ce qu'il fallait retenir.
"Dire que j'en suis arrivée là parce qu'une bande de cinglés a voulu un jour s'essayer au rodéo de malboro à Golmorre..."
Elle entendit Nazah éclater de rire bien que sa voix tremblait.
"Oh je m'en souviens encore Meleth..."
Le visage dans ses mains, elle pleura longuement, revivant en un instant toutes les péripéties de ces dernières années. Autour d'elle les fleurs prirent une teinte bleue intense avant de virer vers le pâle puis l'or flamboyant lorsque Yone se pencha au-dessus d'elle lui tendant une main amicale et pleine d'assurance. Malgré l'émotion, le blond souriait de toutes ses dents, fût-il un jour plus heureux ?

"Aller capitaine, vers l'Infini..."

Il lui avait demandé plus tôt, pourquoi elle tenait tant à monter jusqu'ici avec tout le monde. Elle aurait pu grimper dès hier soir comme Akira qui ne s'était pas arrêté ou même Djazah'ir qui ne les avait pas attendu et qu'ils avaient retrouvé ici déjà pensif au milieu des fleurs. A ce moment-là, elle avait simplement sourit en prétextant vouloir simplement vivre cette aventure avec eux d'un bout à l'autre et qu'elle pouvait bien attendre que chacun se soit pleinement remit du mal de téléportation avant de forcer l'allure. Elle avait aussi parlé des pensées qui la traversaient et elle voulait savoir si elle aurait pu, elle aussi, avoir la force d'avancer comme le Guerrier de la Lumière l'avait fait.
"Je crois que j'ai ma réponse, Yone, murmura-t-elle en saisissant sa main.
- Alors, qu'est ce que c'est ?"
Il la souleva d'un mouvement ferme, son autre main saisissant son épaule.
"Je n'aurais peut-être jamais une telle force, mais peut-être que je pourrais moi aussi être une héroïne un jour parce que..."
Les mots peinaient à quitter sa gorge nouée.
"... Parce que c'est vous, mon champs d'elpis."
Elle éclata en sanglot tandis que le domien la serrait dans ses bras. L'instant d'après, Lysia leur sautait sur le dos suivie de Hanbei et même Nazah. Tous les autres étaient déjà redescendus, ils étaient les derniers. Les fleurs d'elpis irradiaient d'une lueur dorée quasi-aveuglante sur un court rayon autour d'eux. Jamais elle n'oublierais ce voyage.
"Ce n'est que le début." Assura Yone, approuvé par son acolyte omnyoji au sourire tout aussi éclatant.

Ici, se tenant face à l'horizon des Confins de l'Univers, ils n'avaient pas trouvé la fin de toute chose mais le début d'une toute nouvelle aventure. Ces nouveaux visages, ces nouvelles ambitions, ces nouvelles erreurs qu'ils allaient faire et ces chemins qu'ils allaient prendre avant de revenir à cette frontière, tout cela s'étendait à présent devant eux. Ils n'avaient plus qu'à faire demi-tour et, les bras serrant leurs tailles et leurs épaules, redescendre vers leurs compagnons, leur vie d'aventurier, leur monde à explorer.



Les jours suivants leur retour d'Ultima Thulé, le monde n'avait guère changé mais à l'échelle de l'Escale tout semblait s'accélérer. Les visiteurs de plus en plus nombreux et différents des clients habituels se succédaient, tantôt attirés par la réputation de l'établissement, tantôt par les histoires qu'on y raconte. "Le monde attire le monde" disait son second, mais le nombre de candidatures croissant était à en perdre la tête pour la viéra pourtant avertie. Kyuuji l'avait prophétisé : avec la baisse de régime des comptoirs de mercenaires, les aventuriers vont se tourner vers les compagnies stables qui ont fait leur preuve, et l'exploration a le vent en poupe. Déjà trois recrues à l'essai, la limite imposée par la direction jusqu'au 15 de la prochaine lune... Ils n'y étaient pas encore que déjà trois autres candidatures étaient attendues.
Iko n'était plus là, mais avant de partir elle avait montré l'Eternal à Elyaska et celle-ci avait demandé à rejoindre l'équipage. Elle disait entendre l'appel, ce n'était pas arrivé depuis un moment maintenant. Pourtant, Meleth le ressentait et plus encore depuis que l'Abyssius avait rejoint la flotte, davantage depuis ce voyage aux Confins de l'Univers : le navire tremblait d'impatience. Neuf semaines en cale sèche, il serait bientôt prêt à reprendre la mer et fendre les cieux.
"Toi Non plus, tu ne tiens plus en place."
Elle s'était inscrite au tournois du Kurusu-Gumi, en réponse à l'invitation tacite d'Akira. Cela l'occuperait un temps mais elle songeait aussi aux différentes missions en cours et à sa promesse d'aider Ganelon. Toujours aucune nouvelle de Tarja, en revanche Mimina avait du nouveau sur l'affaire de la contrebande d'animaux. Son quotidien fourmillait de compagnons fort occupés et elle aurait voulu s'intéresser à tout mais sans y parvenir, il fallait faire des choix tout en faisant confiance. Le deuxième point était sa spécialité.
Je dois reprendre les recherches sur Ouran, bon sang, je ne peux pas laisser Lhei s'en occuper toute seule...!
Comme un coup du destin, alors qu'elle s'appuyait contre son bureau en soupirant de frustration, sa main écarta les papiers en désordre qui s'y entassaient dévoilant une enveloppe qu'elle n'avait pas encore remarqué avant cet instant. Elle reconnut un symbole qui la fit bondir intérieurement.
"Par la Mère-Forêt !"
Le cachet de cire portait l'emblème du Torrent, du moins ce qu'elle avait toujours pris pour tel mais qu'ils avaient retrouvé à Jokün et dans leur vision de la cité d'Ouran. En l'ouvrant, elle reconnut le papier fin de l'académie de Sharlayan mais l'auteur n'était pas membre du département, ni même Sharlayanais.

A Meleth Esthar,

Je me nomme Kirsten de la tribu des Joküns. Avant notre départ de la côte la vision de nos prêtres nous a donné vos noms et celui de votre ennemi. Nous savions que vous viendriez quérir notre savoir et que la Dame de Givre vous attendrait. Nous avons fui, protégeant les nôtres, pour nous établir dans les terres plus clémentes qui bordent la haute mer pendant plus d'un an avant de repartir une fois la menace écartée. Au cours de ce voyage de retour, nous avons croisé des chercheurs curieux de notre migration dont une certaine Léontine qui vous connait et nous a offert de vous écrire.
Nous serons bientôt de retour dans notre village où tout est à reconstruire. Aidez nous, et nous vous aiderons.

Kirsten Jokundir


Cette lettre fut le déclencheur d'une toute nouvelle quête. Bien sûr, Meleth en informa les autres et se rendit plus d'une fois dans la Mer du Nord à la rencontre des Jokün. Elle les aida à reconstruire leurs maisons, leur raconte son histoire et en retour reçut leurs enseignements afin de mieux maîtriser la glace. Ce n'était pas parfait, elle n'était pas native de cette communauté mais au moins elle pouvait appréhender l'inertie sans risquer sa vie à chaque mouvement. Seul le miroir qui permet de voir les souvenirs demeurait un danger, et cela même les Juküns le lui rappelèrent.

Quand vint le début de l'été, elle était prête à entamer un nouveau chapitre de son histoire, à prendre la mer avec ses compagnons en route vers le lointain continent à l'ouest : Tural. Là-bas, parmi les légendes qui parlent des cités perdues, elle savait qu'il en est une quelque part qui attend le retour des Enfants du Torrent. Plus que jamais elle désirait percer les mystères de la cité d'Ouran et obtenir ses propres réponses. Cette quête, aussi périlleuse soit-elle vis à vis de son ennemi, ne lui inspirait aucun sentiment d'urgence et aucun tourment. Elle était impatiente. Grâce à ce champ d'elpis, elle voulait vivre pleinement et savourer chaque minute de cette aventure.

Elle était heureuse, tout simplement.


Fin de la Partie II

Transition vers la 7.0

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