Lerith Il y a 1 semaine et 5 jours


Le bruit assourdissant des canons ne se taisait jamais sur cette plaine ravagée par la guerre ; voilà bien un carnage auquel ses yeux ne pouvaient s'accoutumer. Son coeur se serrait tandis qu'elle courrait sans pouvoir s'arrêter en plein milieu du champ de bataille, sacoche sous le bras bien serrée, surtout ne rien perdre.
Les premiers jours, elle n'avait pu retenir son esprit qui s'imaginait ce qu'avait pu être ce pays, l'ancienne Bozja, ces ruines à l'époque de leur plus grande gloire avant que l'Empire ne détruise tout, savait-il faire autre chose que détruire ? Si Golmorre avait eu plus d'intérêt pour eux, plus de ressources exploitables, voilà à quoi elle ressemblerait peut-être à ce jour. Mais il n'y avait ni temps pour les larmes, ni pour le doute. La guerre, au-delà de tout ce qu'elle pouvait imaginer, anticiper, s'y préparer, la guerre dans son plus proche enfer.

Il fallait continuer à courir, du front à l'arrière puis de l'arrière au front, tantôt avec des messages ou des médicaments. Elle n'était pas soldat, elle n'était pas de la résistance, tout ce qu'elle pouvait faire, tout ce qu'elle pouvait offrir à ces gens c'étaient ses jambes et son agilité.
Une bombe explosa à moins d'un yalm de son pied droit, manquant de lui faire perdre l'équilibre, le stress était permanent et ces gens devaient y vivre constamment. Quelques jours à peine et elle n'en pouvait déjà plus. Mais il le fallait, courir encore, plus loin qu'hier et toujours plus de morts à ses pieds. Si elle avait le malheur de les regarder, de croiser leur regard vide à moitié couvert de terre, elle ne serait plus capable de continuer. Elle avait appris à ravaler ses larmes et feindre l'indifférence, laisser son cœur saigner en silence devant la terre à l'agonie, souillée par les montagnes de cadavres et de machines démembrés.

"Attention mademoiselle !"
Elle ne vit pas le regard de l'homme qui la plaqua au sol alors qu'elle allait enjamber un talus. L'instant d'après, une nouvelle bombe explosa à l'endroit où elle aurait du poser son pied. L'homme était un hrothgar, imposant, sale et bien amoché.
"Vous allez où ? L'interrogea t-il entre deux souffles.
- Campement de Steva, j'apporte des medipacks."
Une nouvelle explosion, tout près, les fit se plaquer au sol mains sur la tête. Le bozjien la couvrait à moitié.
"On ne peut plus passer par ici, lui cria t-il du mieux qu'il pouvait. Ils nous balayent avec leurs machines depuis hier !
- Par où alors ?! répondit-elle en hurlant tout autant.
- Contournez la crête, vous devriez être à couvert mais vous perdrez une dizaine de minutes ! soyez prudente !"
Elle crut l'entendre crier "on vous couvre" avant que de nouveaux tirs résonnent dans son dos. Elle s'élança dans la direction qu'il lui avait indiqué, sans regarder derrière elle. Elle ne connaissait ni son nom, ni son histoire, elle n'avait même pas le temps de prier pour qu'il survive. Il n'était pas le premier à l'aider, il ne serait pas le premier à mourir, mais si elle devait le connaitre ne serait-ce qu'un peu et qu'il arrivait malheur ce serait insurmontable.
La guerre rend indifférent, mais on ne s'y habitue pas. L'enfer, c'était bien cela.
Arrivés sur la crête les tirs diminuaient en intensité. Les rochers étaient trop escarpés pour que les machines passent, ou que les hommes y circulent en nombre, mais pour une viéra aux longues jambes rien d'impossible. Elle y perdrait du temps mais au moins les médicaments arriveraient. Le terrain accidenté ne lui facilita pas la tâche, d'abord en montée puis une descente par glissade dans les cailloux et les rochers pointus comme des rasoirs. Elle se blessa à la cuisse, entaillée presque profondément. Son cri n'alerta personne, il se perdit dans le tonnerre des canons magiteck.

De là où elle était, elle pouvait voir le plateau Bozjien ravagé, la cendre et la fumée à perte de vue. Il lui semblait qu'elle n'était plus du tout dans le même monde, sur la même planète. Pour ne rien arranger, les éclairs déchiraient le ciel et frappaient parfois le sol, attirés par les champs magnétiques ou la magie. Ce tableau apocalyptique se dessinait devant ses yeux comme un une vision prophétique de ce qui attend le reste du monde s'il poursuit dans cette voie.
Elle secoua la tête.
"Ce ne peut être le seul chemin."
En contrebas, elle vit les lumières du campement de Steva et ses nombreux blessés qui ne pouvaient encore être rapatriés à l'arrière. Elle avait déjà perdu bien assez de temps et celui qu'elle cherchait se trouvait peut-être parmi les blessés.

Sitôt arrivée, le chirurgien se rua vers elle et la sacoche qu'elle lui tendait. Il était lui aussi au bout du rouleau, couvert de sang et le regard aussi vide qu'un mort. Une douzaine de rebelles blessés portaient de longs manteaux sur lequel était peint un nénuphar bleu sombre, de ceux qui poussaient non loin de l'orée de la jungle quand le camp rebelle s'y trouvait. Les rebelles d'Esthar, si seulement ce pouvait être ce qu'elle esperait.
Mais pour cela, il fallait qu'ils survivent.
"En quoi puis-je vous aider ?" Demanda t-elle au médecin déjà penché sur l'un des hommes de Dalmasca.
Il n'eut pas le temps de répondre, une violente explosion les secoua, le sol trembla sous leurs pieds. De l'autre côté de la crête, la terre avait jaillit brutalement sous l'impact d'un violent assaut aéroporté. L'image du hrothgar qui l'avait sauvée moins d'une heure plus tôt passa dans son esprit. Et si...? Pourvu que...
Les larmes lui brûlaient les yeux, elle n'avait rien d'un soldat malgré toute la bonne volonté qui l'avait mené jusqu'ici en même temps qu'un bon nombre d'aventuriers dont plusieurs de ces camarades bien qu'elle n'en ai pas croisé au cours de ces trois premières semaines. La libération de bozja toucha jusqu'aux hautes instances eorzéennes déjà impliquées dans celles de Doma et Gyr Abania. L'Empire de Garlemald perdait en influence dans bon nombre de ses colonies, un peu partout la résistance commençait à sortir au grand jour, les bozjiens en tête de liste. C'était la guerre ici, un front ouvert et tout ce qu'il implique en bombardements et empilement de cadavres. Meleth n'était pas naïve, elle savait parfaitement ce qu'elle verrait ici, mais il y a le savoir et le vivre... rien ne peut préparer à cela.
Trois semaines déjà qu'elle avait interrompu son entraînement pour venir prêter main forte, et déjà elle se sentait proche de ses limites. Les mains serrées autour de sa tasse de thé âcre parfumé à la cendre qui leur tombait dessus continuellement, elle voyait aller et venir tous ces soldats, ces aventuriers, tellement habitués aux bombardements à quelques centaines de yalms d'ici qu'ils levaient à peine les yeux lorsqu'un bruit d'explosion leur semblait plus proche que les autres. Elle se demandait où ils puisaient leur force. Toute sa vie elle avait défendu Golmorre, mais il est facile de prétendre que l'on protège quelque chose quand rien ne peut vous atteindre de l'extérieur, du moins rien de tel que ce que les bozjiens vivaient ici. Le prix à payer en valait-il la peine ?
"Meleth ?"
Elle vit sortir Valorius d'une tente médicale, les mains ensanglantées sous un torchon. Avait-il sauvé une vie ou avait-il tenté en vain ? Elle voulut lui demander mais au lieu de cela, elle marcha lentement dans sa direction et laissa son front tomber contre son épaule, les bras le long du corps.
"Comment est-ce possible, Valorius ? Comment le monde peut-il être à la fois si beau et si laid ? Je ne parviens même plus à faire danser la moindre goutte d'eau tant que je reste ici."
La main de l'elezen lui frottait les cheveux en silence. Il n'y avait rien à répondre, rien de cohérent qui aurait pu la rassurer. Elle devait encaisser tout ça, l'assimiler, apprendre à vivre avec et découvrir par elle-même où puiser la force d'endurer de telles horreurs. Cet automne-là, la viéra reçut une autre leçon sur elle-même et l'humanité : les liens tissés entre les êtres vivants ne sont pas qu'un réconfort. Ceux qui montent à l'assaut peuvent compter les uns sur les autres et développent bien plus qu'une simple amitié ; ce qu'ils vivent, et s'ils s'en sortent, ils le partageront tout le reste de leur existence. Si au début elle affichait un visage morne et fuyait les interactions, elle finit par se mettre à danser au milieu du camp après quelques semaines et parvint à donner un peu de baume au cœur à tous ces vaillants rebelles prêts à tout pour libérer leur nation. Elle continua de se porter volontaire comme estafette messagère jusqu'au début de l'hiver quand le front se figea. Les lignes ne bougeaient plus et elle-même finit par être blessée à la jambe, assez sérieusement. Il s'en fallut de peu qu'elle ne puisse plus danser, heureusement Valorius avait veillé à ce qu'elle soit très bien soignée.


La Fête des Etoiles ramena la neige des Saints en Eorzea, et pour la deuxième fois Meleth décora sa chaumière dont le nez de chaussée était à présent terminé. Ses nouvelles fenêtres aux vitres épaisses gardaient le chaud à l'intérieur et la grande baie vitrée qu'elle avait payé avec les mandats d'Azurée éclairait le salon, donnant une vue imprenable sur la cascade. Comme l'année précédente, le soir du réveillon elle fut envahie par une horde de ses compagnons les bras chargés de cadeaux et de victuailles. Et comme l'année précédente, elle leur ouvrit la porte avec le sourire. C'est là qu'elle commença à vraiment comprendre le sens de leur amitié et la force qu'elle y trouvait alors qu'à des milliers de malms la guerre faisait rage, que les horreurs se perpétuaient, que le monde était peut-être en train de mourir à cause de tous ces conflits et toute cette destruction.
Cette nuit-là, la neige tombait en continu sur la forêt de Sombrelinceuil, et le jardin dormait paisiblement sous l'épais manteau blanc tandis que la cheminée fumait toujours. Valorius était monté se coucher, Meleth finissait de ranger la table du salon et les quelques restes de leur repas. Louah avait mangé tellement de sa bûche au chocolat avec glaçage à la cerise qu'il en avait presque fait une indigestion, ce garçon mangeait pour dix mais au moins il faisait honneur à sa cuisine ; il s'était finalement endormi sur le tapis devant la cheminée et plutôt que de le réveiller, elle avait préféré le couvrir d'une couverture.
Son regard clair se perdit à travers la fenêtre. Après un premier réveillon avec l'Eternal, et après qu'elle et Fjrn aient trouvé la grotte "où la foudre touche l'océan" en Mer de Rubis, elle pouvait bien s'accorder une soirée de repos. Elle entendait au loin derrière la maison la grande cascade qui tombait sur les rochers glacés, et quelques chants s'élevant des maisons voisines où l'on faisait encore la fête, mais à l'intérieur de la chaumière tout était silencieux si ce n'est le tintement du carillon à l'entrée et le léger ronflement de Kiip couché contre Louah, les mains sur son petit ventre mog.

Elle n'avait pas envie de monter dans sa chambre, ni de dormir, aussi c'est tout naturellement que la viéra s'installa près de la grande fenêtre sur salon, les pieds sur le canapé et adossée contre l'accoudoir, à contempler la forêt sous la neige. Ce spectacle qui n'arrivait qu'une fois l'an valait bien la peine qu'on reste éveillé un peu plus longtemps. c'est alors qu'un mouvement étrange capta son attention sur le pont de bois qui contournait la maison et donnait sur la cascade, elle crut d'abord à un animal couvert de neige avant de réaliser que cela ressemblait à une créature entièrement faire de neige et de glace, comme un gros flocon vivant, qui se promenait dans la nuit. Il était apparut de nulle part comme s'il était remonté directement de la rivière et regardait partout avec curiosité, de ce qui semblait être deux yeux globuleux comme des gouttes d'eau. Incrédule, Meleth resta figée une main sous le menton, ne pouvant détacher son regard de la créature qui n'avait pas l'air d'avoir remarqué qu'on l'observait.
"Qu'est ce que...?"
En le voyant s'éloigner petit à petit, Meleth réagit enfin et bondit du canapé pour enfiler ses chaussures et atrapper son manteau, sans vraiment savoir pourquoi elle se sentait si curieuse à son tour. Louah se réveilla en sursaut, ainsi que Kiip, lorsqu'elle ouvrit la porte et qu'un courant d'air transporta un peu de neige à l'intérieur de la confortable chaumière, mais le temps de lever la tête, elle avait déjà disparu.

Hélas, le temps de rejoindre la route derrière la maison, l'étrange créature avait disparu et Meleth ne put que constater sa bêtise. Elle se retrouvait toute seule, quasiment en chemise de nuit, dehors dans le froid en plein hiver. Elle se frotta les bras, regardant partout autour d'elle.
"C'est vraiment stupide... mais, il y a quelqu'un ? hého ?"
Aucune réponse, la viéra leva les yeux au ciel, dépitée par sa propre stupidité. Elle s'apprêtait à faire demi-tour quand ses yeux croisèrent deux billes translucides chacune de la taille d'un bol. Elle était là, la petite "chose" flottait à quelques yalms
, accrochée à ce qui ressemblait à une baguette magique comme on en voit dans les livres. Sa petite voix fluette avait bien du mal à se faire entendre, couverte par le bruit de la cascade.
"... Tu peux me voir ? Qui es-tu ?"
Meleth ouvrit la bouche, puis la referma, complètement abasourdie. Cette créature pouvait réellement parler ? Si elle n'avait pas déjà vu tant de choses étranges avec ses compagnons, elle aurait pu croire qu'elle s'était simplement endormie sur le canapé et tout ceci n'était qu'un rêve. Ou alors elle devenait folle, auquel cas, autant aller au bout de sa folie :
"Je m'appelle Meleth, répondit-elle. Êtes-vous un esprit de la rivière ?
- Brrruiiiiiil !"

C'est avec surprise que Meleth le vit s'approcher et put discerner ses traits d'un peu plus près. Il semblait effectivement constitué d'eau, mais sa surface était gelée et couverte de givre. Malgré son absence de bouche, il pouvait s'exprimer et afficher des émotion telles que la confusion et la timidité en ce moment même. Quand il fut assez près, il posa son "nez" contre le sien et plongea ses yeux globuleux tout mouillés dans son regard de la même couleur que lui.
"Brrrrrruiiiiiiil...!"

Elle apprit le lendemain qu'il s'agissait d'une nixe, un petit esprit élémentaire d'eau qui nait à la source des rivières mais que certains mages peuvent invoquer et domestiquer comme des familiers. Certaines peuvent même parler ! Celle-ci s'était perdu dans le courant et probablement retrouvé ici par hasard, elle s'était attachée à la viéra dû à son affinité avec l'eau, qui décida de la garder. A partir de ce jour, la Fille du Torrent sortit presque toujours une gourde à la ceinture contenant son amie à la fois curieuse et trouillarde qui ne lui serait jamais d'aucune utilité en combat mais pouvait s'infiltrer à peu près partout sous forme liquide. Elle avait au moins le mérite de redonner le sourire et une étincelle de vie en ces temps bien sombres.

C'est ce à quoi Meleth aspirait à être désormais.


Lerith Il y a 1 semaine et 4 jours


Comme toujours, il y avait du monde ce jour-là aux abords de l'ethérite de Limsa Lominsa, et comme toujours il s'en allait et venait vers et de la camelotade toujours aussi animée. Le soleil d'un printemps en avance, mais encore timide, baignait de lumière le pavé blanc sur lequel la viéra dansait et virevoltait pieds nus, au son du violon d'un barde inconnu de passage, et des mains qui frappent l'une contre l'autre quand certains passants en venaient à s'arrêter pour profiter du spectacle.
Elle ne savait pas son nom, elle s'était simplement arrêtée pour l'écouter jouer, et naturellement, son corps avait commencé à bouger tout seul, l'entraînant dans une danse légère et joyeuse. Il avait sourit, elle le lui avait rendu, et depuis les notes défilaient au fil de la vie qui s'écoule.
Dans le sourire des limséens, elle oubliait tout. Pourtant, elle avait beaucoup à refouler ces derniers temps, entre Hotaru en proie à des tourments pour lesquels elle ne pouvait rien faire, certaines missions dangereuses qui avaient vu la perte de certains compagnons, moins proches d'elle que ceux de la compagnie mais cela demeurait triste.
Autant que possible, elle restait à l'écart de tout cela, non pas par mépris pour ces périls mais ils étaient bien assez nombreux à mener la danse, elle n'aiderait que s'il y avait besoin d'elle vu ce qui s'était passé lorsqu'elle avait sauvé Alexois en posant un pied dans la rivière des âmes ; en attendant d'autres âmes venaient quérir son talent.

Il en vint de partout, des aventuriers de passage ou locaux, qui se rassemblèrent autour d'elle et du barde inconnu sur la place. Certains applaudissaient ou poussaient des cris d'encouragement ce qui ne faisait que galvaniser le hyur talentueux. Quelques gils volèrent à leurs pieds, tintant et roulant sur la pierre blanche ; elle ferma les yeux. Un souffle d'enchantement s'éleva du petit atrouppement, tandis que la danseuse viéra libérait son corps dans une chorégraphie moins timide. Ses bras s'ouvrirent, ses jambes bondissaient de parts et d'autres du barde dont le sourire s'élargit plus encore, le menton posé sur son violon. L'archer glissait sur les cordes avec tant de passion que Meleth ne pouvait se contenter d'une ou deux pirouettes. Tous ces sons entremêlés à la musique lui procuraient un sentiment de paix intérieure, et un regain d'énergie constant. Soudain, un tambourin se joignit aux notes. Un autre barde venait de s'asseoir près du premier. Très vite, la place de l'ethérite fut d'un quart envahie par les spectateurs que Meleth, toujours les yeux fermés, ne voyait pas. Elle entendit d'autres instruments : une lyre et une flûte.  Les applaudissements continuaient mais ne lui semblaient pas être plus nombreux. Elle tourna, et tourna, elle ne sentait presque plus le sol sous ses pointes de pied. Tout en dansant, elle se mit à chanter sans paroles et sans penser, simplement sa voix suivant les notes.

Le rythme, c'est tout ce qui importe.

Sous ses cheveux, accroché à sa barrette de perles, elle sentit son cristal vibrer doucement. Ce n'est qu'après de longues minutes et un tonnerre de cris enthousiastes qu'elle ouvrit enfin les yeux et réalisa l'ampleur de ce qu'elle venait de faire. Si elle ne l'avait eu si noire, le rouge lui serait monté aux joues. De tous côtés les gens applaudissaient et se rapprochaient pour les féliciter, surtout celui qui avait été à l'origine de cet échange spontané : le barde avec le violon. Ce dernier serra les mains des autres musiciens mais quand il se tourna, le visage radieux, vers la petite danseuse, celle-ci avait disparu dans la foule. Vite éclipsée, ses pas la portèrent inconsciemment jusqu'à l'Ancrage où elle pouvait voir le soleil se coucher lentement derrière la ligne d'horizon, étendant une dernière fois sa lumière et sa chaleur dans les cieux dorés. Un long soupir s'échappa de ses lèvres. Seule, les membres vibrant toujours de cette musique de la rue, elle se remit à danser pour elle-même loin de la foule et des regards qu'elle se contenta d'imaginer. Tant de sourires, de chaleur chez l'être humain, que son cœur se mettait à battre plus vite lui aussi. Et son cristal, lui, vibrait toujours.
Depuis plus d'un an déjà ses compagnons l'encourageaient à monter sur scène, à essayer de se produire dans une taverne ou une salle de spectacle. Elle s'y était toujours refusée pensant que cela risquait d'altérer son art si elle commençait à danser non pas par spontanéité mais pour qu'on la regarde. Elle voulait partager et non recevoir de l'attention.

"Mon art est tiré d'émotions saisies sur le moment, il est spontané, impulsif, mon coeur bat la mesure au rythme de la rue et guide mes pas. Comment pourrais-je retrouver une telle chose sur scène où l'on me demanderait de préparer un spectacle, de répéter, où l'attention sera portée sur moi en continu ?"

Mais depuis quelques temps, elle y songeait avec plus de recul.

Hélas, les prémices de cette nouvelle ambition fut tuée dans l’œuf lors d'une mission d'exploration sur l'île de Nynceryil qui tourna très mal. Dans un marais en proie à la propagation d'un parasite végétal, Meleth fut infectée alors qu'elle tentait d'en sortir U'napa, prise au piège par des animaux contaminés. La viéra ne contrôlait plus son bras et commença à attaquer ses camarades, forçant Shana à lui percer la gorge afin d'en retirer l'insecte à l'origine du mal. Bien sûr, la miqo'te fit tout son possible pour ne pas la tuer et les soigneurs se précipitèrent auprès d'elle. Ses cordes vocales furent néanmoins touchées. Parler était devenu difficile, chanter impossible.
"Il vaut mieux perdre sa voix que d'être la cause de la mort d'un camarade", c'est ce qu'elle se répéta sur tout le trajet du retour, ou encore "mieux vaut mes cordes vocales qu'une jambe ou un bras, je peux toujours danser". Elle ne manquait ni de soins, ni d'encouragements. Ivanhault avait toujours été gentil avec elle, il voulait l'aider. Shana la première n'avait eu de cesse de se confondre en excuses, tout comme Napa, toutes les deux lui avaient pourtant sauvé la vie, c'était peu cher payé plutôt que de finir comme ces abominations du marais, peu cher payé quand on sait que ce pauvre Lexale avait failli y rester dès le premier soir de l'expédition.
"Si votre voix ne s'est pas arrangée d'ici la fin de la semaine, consultez Valorius."
Ce qu'elle fit, la semaine suivante. Et si l'elezen dissimulait fort mal le mauvais diagnostic, elle ne fut pas plus capable de lui cacher sa profonde tristesse. Comme à son habitude, Valorius si prompt à voir le verre à moitié vide pour lui-même s'accrochait au moindre petit espoir pour les autres. Paradoxalement, l'écouter énumérer les multiples hypothèses et solutions envisageables ne fit que la conforter dans l'idée que la guérison serait difficile, voir impossible.
Ne dit-on pas qu'on ne se rend compte de la valeur des choses que lorsqu'on les perd ? C'était comme si une partie d'elle s'était évanouie, une partie d'elle qu'elle n'avait pas eu le temps de vraiment connaître. Dire qu'une semaine plus tôt devant sa maison, elle disait à Cehwi'to et Miraven qu'elle apprendrait volontiers à chanter un peu mieux si elle en avait l'occasion. Ces pensées, fugaces et innocentes, s'étaient évanouies en silence en même temps que la berceuse de sa mère, prisonnière de sa gorge meurtrie. Cela passerait, forcément, avec le temps se disait-elle. Nul n'était coupable, elle avait échappé un sort tellement plus funeste, pourquoi pleurer, pourquoi souffrir ? Pourtant, elle souffrait.

Les lucioles dansaient sur la rivière cette nuit-là, l'eau claire ruisselait entre les rochers, il faisait encore trop froid pour s'y plonger entièrement mais la viéra ne résista pas au désir de retirer ses chaussures afin d'y tremper ses pieds. souleva le jupon de coton pour ne pas le mouiller, elle soupira d'aise, laissant la rivière caresser ses chevilles. A cette heure, la forêt était tout sauf silencieuse, c'est une autre vie qui s'animait entre les hauts arbres. Elle voulait danser, saisir de ses mains les étoiles qui semblaient descendues du ciel pour se baigner à ses côtés. Elle voulait fredonner avec la rivière, répondre à cette mélodie qui faisait vibrer son corps.Sans qu'elle ne s'en rende compte, les larmes avaient commencé à rouler sur ses joues, et ses mains lâchèrent le tissus de sa robe pour accompagner ce nouveau rythme lent et triste dans une danse aérienne.
Pourquoi est-ce donc si douloureux ?
Elle tomba dans l'eau, noyant ses sanglots dans le courant glacé, sans entendre le bruissement des arbres de l'autre côté de la rivière, ni les ronces qui poussaient tout autour et venaient s'enrouler autour des rochers. La sorcière était pieds nus elle aussi, sa chevelure d'ébène flottant dans l'air comme s'il était chargé d'ether. Il l'était, à son approche, elle pouvait le sentir. Son aura inspirait à la fois la crainte et la fascination, mais son visage n'affichait aucune expression menaçante ou mauvaise, elle semblait tout aussi surprise de la trouver là au milieu de nulle part.
"Qui êtes-vous ?" Demanda Meleth, toujours assise dans le lit de la rivière.
La sorcière l'observa en silence, son regard rouge et noir glissant sur sa robe mouillée pour remonter à son cou bandé que sa main tentait de dissimulé. Elle pencha la tête, à la vue des sillons creusés par ses larmes, et fit quelques pas dans sa direction. Lorsque sa main se tendit vers elle, un parfum de rose envahit les abords de la rivière, ainsi que du bois et un léger musc encore lointain. Les ronces se retirèrent près avoir touché l'eau, la lune éclairait leurs visage et leurs regards se croisèrent enfin. Un frisson les parcourut, l'une comme l'autre.
"Tu es une fille de l'eau" Souffla la sorcière, tendant sa main un peu plus. Meleth hésita.
"Qui êtes-vous ?" Insista-t-elle.
Dans la rivière, une présence se fit sentir. La sorcière aussi semblait l'avoir remarqué. Elle se redressa, éloignant sa main de la jeune viéra dont la méfiance laissa place à de la curiosité. Tant qu'il serait là, elle avait le sentiment qu'il ne lui arriverait rien.
C'est finalement d'une voix douce mais sérieuse, que la sorcière répondit enfin à sa question.
"Quelqu'un qui peut t'aider, assurément.
- Qui vous dit que j'ai besoin d'aide ?"

Le silence retomba, Meleth en profita pour se relever. A présent debout dans la rivière, elle faisait face à celle qui se tenait debout parmi les ronces.
"Moi. Parce que je sens que tu peux m'aider aussi."



Dans la pénombre des escaliers, les clients affluaient pour l'inauguration de la taverne nommée "le Jardin de Nhamaa" et les lumières azur du lustre cristallin faisaient ressortir la couleur des nombreuses roses assorties aux couleurs naturelles de la viéra. Autant d'attentions et de préparatifs pour elle qui ne s'était jamais produite sur une quelconque scène ne faisait qu'augmenter sa nervosité. Elle fit quelques pas, écoutant le discours du propriétaire célébrant ce grand évènement et remerciant tous ceux qui l'avaient aidé, mais jetait fréquemment des coups d'oeil par-dessus son épaule : il arrivait toujours plus de monde mais pas celui qu'elle attendait.
Où sont-ils...?
Ivanhault, Silius et Valorius, ils avaient dit qu'ils viendraient. Elle n'y arriverait jamais sans eux sur qui porter son regard et se rassurer. Et à leur place, toujours plus de clients entraient et s'installaient face à la scène, il y eut bientôt plus de monde que de places disponibles, le pavillon était bondé. Enfin, Ivanhault entra, seul, juste avant que Halfdàn ne l'appelle sur scène. Elle ne pouvait plus reculer. Angoissée comme jamais, elle se prit les pieds dans sa robe dès la première marche, et manqua de faire tomber l'une des lampes de scène en tentant de se rattraper, le rire du xaela lui donnait envie de courir se cacher. Elle avait beau se confondre en excuse, tous ces regards sur elle la terrorisait. Comme un animal acculé au fond d'une crevasse, elle n'avait plus d'autre choix que d'aller au bout puisqu'elle avait accepté. Et puis, soudain, elle vit le visage de Valorius juste derrière l'épaule d'Ivanhault. Il était venu. Juste après lui, ce fut Silius qui entra. ses yeux se fixèrent sur le trio debout près de l'escalier qui ne la lâchait pas du regard.
"A toi la scène, Meleth" Murmura gentiment Halfdan avant de la laisser seule face à son public.
Elle hocha la tête. Les épreuves de ces dernières semaines lui revinrent en mémoire, et la rencontre avec la Sorcière des Ronces qui lui avait rendu sa voix sans rien demander en échange. Ivanhault la connaissait, il disait que son acte avait forcément un but et que quoi qu'il arrive Meleth allait devoir payer pour son service bien qu'elle n'ai rien demandé. C'est d'ailleurs le seul point qui perturbait le Terrechant : si Sairen était si pressée d'user de sa magie sur la Fille du Torrent, c'est qu'elle même doit être aux abois.

Chante, Meleth.


Le spectacle commença. Inspirée par les lueurs bleutées sur les roses et les murs de végétation, la viéra se mit à chanter Golmorre et le territoire des rivières. Elle voyait dans l'auditoire certaines viéras émues par ses paroles. Sa voix portée par ce cadeau de la sorcière adoptait des similitudes avec celle de Sairen, cela était indéniable, mais c'était bel et bien elle qui chantait et voyait ses émotions glisser sur les notes. Son corps était fait pour danser, et elle le laissa faire ce qu'il voulait sans que cela ne perturbe son chant.
Durant les longues minutes et la dizaine de chants qui couvrirent la salle, elle se berça elle-même, essuyant quelques difficultés et presque une fausse note lorsque Silius s'avança pour lui sourire et lever son pouce. Un geste de soutient qui, hélas, troubla sa concentration encore friable, elle n'était après tout qu'une amateure dans ce domaine. Par chance, personne ne sembla lui en tenir rigueur même s'il était évident qu'un tel couac ne pouvait avoir échappé à l'auditoire attentif.
Elle avait commencé son récital sur la berceuse de Moy'rhana, elle la terminerait sur le chant de Banshee, ou du moins ce qu'Ivanhault avait suggéré comme tel quelques jours plus tôt et qui avait fait tant de bien à Miraven, Frederick, et ce soir... à Cehwi'to. Le miqo'te avait fermé les yeux dans un coin de l'auberge et elle voyait ses oreilles se balancer en mesure. Que lui fallait-il de plus, si un seul aimait l'entendre chanter, alors qu'elle continue.

Danse, Meleth.


Elle ne voyait plus cette foule, ces visages, mais elle ressentait toute l'énergie de ces personnes comme une déferlante semblable à la sienne, un trop plein d'émotion submergeant son corps lorsque les combats de lutte commencèrent en même temps que la seconde partie du spectacle. Tout avait été coordonné avec Halfdan, mais c'était bien là tout ce qui l'était. En bonne danseuse de rue, elle n'avait presque rien préparé bien qu'elle se soit exercée des soleils entiers à ces mouvements. Elle n'avait plus qu'à se laisser porter par la musique, le tambour et les percussions.
Et puis, ses chakrams volèrent au-dessus de sa tête, elle les lançait et les relançait, étirant son corps pour mieux soulever ses jambes, plier les genoux, allonger les bras, tourner, virevolter, toujours en équilibre sur la petite scène ronde. Chanter avait réveillé les émotions, danser les exprimait, elle se sentait tellement bien en cet instant comme si elle se trouvait sur le pavé limséen en compagnie de bardes itinérants dont elle ne connaissait même pas les noms. Parfois, entre deux danses, elle entendait les murmures de ces parfaits inconnus envoutés par sa performance.

Cinq danses, elle ne put aller au-delà, déjà épuisée par la première partie de la soirée et toute l'angoisse accumulée bien qu'elle ai totalement disparu à présent. parfaitement synchronisée avec le combat qui s'achevait, elle laissa son corps s'affaisser sur la scène. Genou à terre, comme pour saluer le public à sa façon, elle baissa la tête pour reprendre son souffle.
Le silence, et puis l'ovation.
Elle leva les yeux, incrédule, voyant que même autour du carré de lutte on levait les mains dans sa direction. Les sourires sur les visages, l'émotion, les applaudissements, était-ce cela de réussir un spectacle ? Avait-elle vraiment apporté du rêve et de l'apaisement à tant de personnes ?
Meleth quitta la scène pour la dernière fois de la soirée, maladroitement, mais sans faire tomber de lampe cette fois. Elle avait les jambes en coton, les bras tremblant, et des fourmis dans tout le corps. L'un des serveurs lui apporta un grand verre d'eau et des félicitations. Certains vinrent la voir, d'autres se contentant d'un signe afin de la laisser respirer, il y avait même Lelevin et d'autres membres de la Division Ardente dans un coin. La viéra sentit un sourire s'installer sur ses lèvres.
J'ai réussi, j'ai... vraiment réussi ?
Elle aurait aimé rester plus longtemps, mais c'est à peine si son corps la portait encore. Après un dernier verre d'eau fraîche et après avoir souhaité un bon anniversaire à Alexois, elle salua Halfdan et le remercia d'avoir tant insisté pour qu'elle se produise sur scène. Il n'était pas le seul, mais cela avait fini par arriver au bout de presque deux années à refuser toute représentation. Elle quitta le Jardin de Nhamaa en compagnie des trois elezens sans qui elle n'aurait jamais eu la force d'aller au bout de cette expérience. De retour à la chaumière et lorsqu'elle se glissa enfin sous les draps, son cœur tambourinait encore dans sa poitrine. Elle s'endormit, au rythme de la scène, et les derniers mots de la Sorcière des Ronces en tête.

"La nuit de l'équinoxe de printemps, tu viendras danser dans mon bosquet et je vous dirais tout."
Lerith Il y a 1 semaine et 4 jours


Dans les bois résonnent les chants des elezens célébrant l'Homme Vert, les tambours et les cordes se mêlant au rythme de sa danse. La lune à son premier quartier divisait en deux le ciel et s'accordait parfaitement à la dualité de la viéra sombre vêtue de blanc. Sa robe légère, était trempée à la fois de rosée et d'eau de la rivière mais elle n'avait pas froid. Dans la nuit bat le cœur de la Sylve, et ces sensations à la fois proches et bien différentes de ce qu'elle éprouvait au sein de la Mère-Forêt. Elle ne vit pas les arbres s'assombrir, ni l'astre de nuit devenir rouge sang l'espace d'une seconde lorsque minuit sonna. Les pulsations étranges dans sa poitrine passèrent pour les battements de son cœur éprouvé par l'effort physique. Son ether vrillait, ce n'était que la danse. Elle ne fut interrompue que par l'écho de son propre nom et une voix qui la fit sortir de sa transe.
"Meleth !"
Valorius était là, il était en nage lui aussi d'avoir couru si loin pour la trouver. Son visage affichait un degré d'inquiétude qui la déstabilisa, comme si quelque chose de grave s'était produit. Un membre de l'équipage ou de la Ligue avait-il eu un accident ? Ce qu'est qu'en posant le pied sur la terre ferme, après avoir cessé tout mouvement, qu'elle ressentit toute la lourdeur de son corps et tomba dans les bras de l'elezen. Elle avait dansé des heures durant sans s'arrêter alors qu'elle aurait juré que cela faisait moins de vingt minutes.

Au loin les tambours résonnent, des plumes volent dans l'air plus doux d'un printemps enfin là, elles viennent se mêler aux feuilles et aux fleurs qui éclosent par dizaines comme si la vie était ici plus présente, plus croissante. Et dans la Sylve un murmure circule tel un bruissement entre les arbres.

"Ostara... Ostara..."

Au cœur du bosquet de la Sorcière des Ronces, ils eurent une réponse de celle-ci, sur le sort qui lui était destiné ainsi qu'au monde. Sairen avait toujours été profondément égoïste même du temps où elle était humaine, et prête à tout pour repousser les limites. Ivanhault la connaissait très bien mais pas autant que son jumeau Isarmaux qui leur raconta toute l'histoire -ou du moins la partie qu'il connaissait- de cette femme dont l'orgueil n'avait d'égal que la folie du jeu. Elle joue avec le Monde, avec sa vie, elle joue tant qu'elle gagne et jusqu'à ce qu'elle perde. Des années durant elle avait enchaîné les victoires, certaines plus douteuses ou contestées que d'autres, jusqu'à ce qu'enfin elle connaisse la défaite par excès de gourmandise. Elle vendit son âme aux esprits de la Sylve pour le pouvoir, pensant conserver sa liberté de mouvement, mais se retrouva asservie, assermentée et prisonnière des arbres qui ne la laissaient plus ressortir. Elle qui fut jadis une grande chanteuse n'était plus qu'une servante condamnée à suivre la meute du Veneur jusqu'à ce que ce dernier se lasse de sa présence. Néanmoins elle avait acquis de nouveaux pouvoirs et entendait les murmures des esprits, la peur grandissante lorsque les premières Tours de l'Apocalypse étaient apparu un peu partout dans le monde, et pour elle aussi.
Ivanhault avait décidé de tuer le Veneur, mais la sorcière avait ses propres plans. Elle avait éveillé un esprit ancien né à partir d'une âme humaine : Ostara. Si elle accomplissait le rituel de renaissance, elle deviendrait un esprit à part entière capable de protéger la Sylve et de survivre à l'Apocalypse mais tant qu'elle était soumise à la volonté du Veneur elle ne pouvait planter la graine dans son propre corps. Elle avait choisi Meleth, une fille de l'eau, pour la porter. Elle pariait à nouveau sur son propre destin, incluant celui de Meleth car il se pourrait très bien que ses amis décident d'achever le rituel pour elle ou de l'interrompre. Ils firent le choix d'aller au bout mais ne savaient pas encore s'ils laisseraient la Sorcière des Ronces disposer d'un tel pouvoir. Ils avaient jusqu'au solstice d'été pour découvrir la vérité sur le temple d'Ostara et faire en sorte que cet esprit né d'une âme humaine soit bénéfique pour tous.


Comme chaque soir, Meleth dansait et chantait sur la plage de Brumée, les pieds nus sur ce rocher glissant enfoncée dans l'eau et d'où elle pouvait rythmer ses pas sur le flux et le reflux des vagues. Ses entraînements étaient devenus de véritables spectacles spontanés autour duquel les gens de Brumée venaient se rassembler, confortablement installés sur le sable. Halfdan, Lenile, Mako... mais aussi de parfaits inconnus dont elle ne réalisait pas toujours la présence jusqu'à ce qu'elle entende des applaudissements. Ces sourires, qu'ils soient sur leurs lèvres ou dans leurs yeux, ravissaient la viéra qui n'en mettait que plus de cœur à l'ouvrage, dire qu'elle avait esquivé la scène si longtemps, elle découvrait une nouvelle motivation. Bien sur, Valorius s'inquiétait et redoutait qu'une part de ce nouvel essor soit dû à Ostara où à la volonté de la Sorcière elle-même, mais Meleth avait des doutes. Elle se sentait vraiment, sincèrement, et totalement envahie par... autre chose. Plus elle chantait, plus elle sentait une force grandir au creux de son ventre qui n'avait rien à voir avec un esprit de la Sylve. Elle sentait une présence familière, elle entendait le chant de la rivière et les ondulations de l'eau.
Des applaudissements, encore, cette fois il s'agissait de deux orientaux assis derrière qui commentaient sa performance, se réjouissant de voir et d'entendre autre chose qu'une rixe de plage. Elle ne connaissait pas leurs noms, mais elle les salua en quittant son rocher pour regagner la plage.

Cette même nuit, elle s'en alla danser dans la Haute-Noscea. Quand l'aube pointa sur la colline face au Palais du Vagabond, au sommet des ruines à moitié immergées sous les eaux du Lac d'Airain, une silhouette noire vêtue de blanc perlé virevoltait et tourbillonnait sous les étoiles mourantes dans le ciel azur. Le vent qui souffle n’altérait pas la précision de ses geste et glissait sur la surface de ses éventails. Vylbrand s'éveillerait bientôt mais la cité des eaux restait endormie. L'eau se souleva de son lit une dizaine de yalms plus bas et vint se mêler à la danse, fluide et multiforme. Elle s'éclatait contre les ruines alentours, glissait le long de ses bras et de ses jambes, tourbillonnait autour de sa silhouette. Très vite, Meleth sentit sa présence dans son dos, il était là, elle pouvait entendre sa voix.
"Danse encore."
La fatigue sembla disparaitre, tandis qu'elle bondissait pieds nus sur le sommet des ruines. Peu importe où elle regardait, dans quelle direction elle se tournait, il était là juste derrière elle. Elle pouvait le sentir la soulever chaque fois que ses pieds quittaient le sol, accompagner ses mouvements chaque fois qu'elle étirait ses bras, plus elle dansait et plus il devenait tangible, toujours invisible, mais physique.
"Qui es-tu ?"
A ses pieds s'élevaient des vagues de plus en plus hautes, jamais le lac tranquille n'avait connu pareil remous. Meleth ne pouvait plus s'arrêter de danser ce duo imprévisible dont elle ne pouvait croiser le regard de son partenaire. Était-ce un souvenir, était-il vraiment là ? Elle ne se rendit pas compte que sous ses pieds l'eau avait commencé à geler. Au loin les premiers rayons du soleil commencèrent à poindre sur la jungle noscéenne ; les étoiles avaient presque toutes disparu. Cette force à la fois attractive et terrifiante continuait de pousser la viéra au bout de ses limites. Elle ne sentait plus ses membres, seulement la caresse de la brise matinale rafraichissant son corps brûlant de cet effort prolongé. Elle était trempée, à deux doigts de défaillir, et c'est au moment où son regard commença à se voiler qu'elle sentit enfin que la danse s'arrêtait peu à peu. Elle ne voyait plus le paysage nymien, ni le Palais du Vagabond, elle n'entendait plus les oiseaux mais seulement le chant assourdissant du torrent. Elle se sentit soulevée de terre et blottie entre deux bras puissants, c'était bien le buste d'un homme mais elle ne pouvait lever la tête pour le regarder. Elle se sentait comme une enfant qu'on venait de sortir des ténèbres. Elle en était sûre, elle avait déjà vécu cet instant. La glace avait cristallisé un de ses souvenirs perdus, elle avait réussi à maîtriser le miroir de glace, seule, pour la première fois. Pourtant il était là, elle avait l'étrange sensation que cet homme existait quelque part et qu'il avait, d'une façon ou d'une autre, essayé de lui parler à travers le miroir. Mais comment est-ce possible ?
"Je te connais..."
Ce fut le dernier mot qu'elle entendit avant de sombrer, à bout de forces.


"Je pense que c'était une image, un souvenir que tu as invoqué, le souvenir d'une personne réelle. Il a accompli sa mission et tu te souviens de lui, il n'avait plus de raison d'être."
Valorius s'en était voulu de ses propos, réalisant dans la minute la portée terrible de cette hypothèse et la douleur derrière le sourire et le "bonne nuit" de celle qu'il appelait sa fille. Elle était montée dans sa chambre et s'y était enfermée avec ses livres. Pas de danse le lendemain matin, ni de chant dans le jardin, et même s'il essaya tant bien que mal de se rattraper il semblait évident que Meleth se réfugiait dans ses leçons de chant avec Lady Lenore afin de se donner un air moins mystique et plus rationnel quand à son apprentissage. Ces temps-ci beaucoup de monde avait abordé la jeune viéra si solitaire et réservée, que ce soit pour admirer son entrainement sur la plage -qui jusqu'à ces dernières semaines était longtemps passé inaperçu- ou pour lui proposer de se produire ailleurs. Valorius projetait d'emménager dans sa propre demeure à Ishgard bientôt, l'affaire de quelques lunes le temps de stabiliser sa situation. Alors, bien qu'elle conserve la chambre de ce dernier, elle réfléchissait au moyen de se réapproprier sa demeure en la peuplant de toutes les plantes exotiques qu'elle trouvait. Elle s'occupait l'esprit malgré ses tourments. Personne ne le remarqua, et pour cause, il y avait bien plus important à commencer par Hotaru toujours au plus mal. Le simple fait d'être incapable de l'aider rendait Meleth encore plus fuyante et incapable d'utiliser ses pouvoirs sans provoquer une catastrophe.
Et pourtant elle ne pouvait s'empêcher d'essayer encore, essayer d'en savoir plus sur cette ombre cachée dans un coin de son esprit.

Grand, mince mais les muscles bien dessinés comme ceux d'un elezen ou d'un grand hyur, le corps recouverts de tatouages sur le dos, les bras et les clavicules, une sombre, grisonnante comme celle des miqo'tes lunaires peut-être même noire comme la sienne, et dans les mains une lance au manche de bois sculpté à la main et sertie de gri-gris, de plumes et de petits os. La rivière pliait sous la puissance de ses coups tandis qu'il noyait la sombre créature à sa poursuite une déferlante en tous points semblables à celle qui s'était abattue sur les membres de l'Oeil un an auparavant.
Il se tourna vers elle, elle ne voyait pas le haut de son visage.
"Il ne cessera jamais de te poursuivre ; tant qu'il n'aura pas dévoré la dernière Fille du Torrent, rien ne pourra calmer son appétit."


Dans la forêt de l'Est, les cerfs bondissant dans les fourrés jouaient à faire la course, mais aucun de pouvait dépasser la fille du torrent qui courrait à grandes foulées le long de la rivière, toujours plus vite comme si le vent pouvait sécher ses larmes. La nuit abritait son tourment, et l'obscurité noyait son chagrin.
Seule, désespérément seule.
Sourde au Vermot, loin de chez elle, définitivement coupée de ce qu'elle chérissait et même "lui" n'était qu'une création de son esprit, un fragment de mémoire cristallisé réveillé par le chant de la cantatrice à qui elle devait ses progrès. Il n'était plus là, elle prenait conscience que tout ce temps il n'avait été qu'un palliatif, une illusion pour la bercer et adoucir quelque peu la plaie qui venait de se rouvrir béante. Il n'avait jamais été là, s'il avait existé il se trouvait bien loin d'elle à présent, s'il était ce qu'elle pensait elle ne le reverrait sans doute jamais. A cette pensée, un noeud se forma dans son ventre.
"Tu n'es qu'une idiote, une pauvre idiote !"
Tout quitter, tout abandonner pour retrouver une personne qui n'avait peut-être jamais quitté Golmorre, cruelle ironie. La viéra courait toujours plus vite, comme si elle voulait dépasser la vitesse du torrent à ses pieds. Les biches lui coupèrent la route pour traverser, elle continua tout droit, vers les rapides. L'eau jaillissait de toutes parts autour d'elle, mais jamais elle ne tomba lorsque ses pieds se réceptionnèrent sur les rochers glissants. Les oiseaux de nuit la regardaient passer en silence. Et puis soudain le saut. Du haut d'une cascade, au-dessus de la Forêt du sud, elle se jeta dans le vide sans hésitation. Sur les bords de la rivière, deux vigiles sombres levèrent les yeux, persuadés de voir un oiseau déployer ses ailes avant de réaliser qu'il s'agissait d'une jeune femme au moment où elle plongea dans la rivière. Ils se précipitèrent dans sa direction, persuadés vu la profondeur qu'ils allaient retrouver un cadavre, mais rien, il n'y avait rien à la surface. Avaient-ils rêvé ?
Dans les profondeurs des abysses, Meleth se laissa lentement couler. Ses larmes noyées dans les ténèbres de l'eau noire, elle percevait les mouvements autour d'elle, cette puissante entité qui avait donné naissance à sa tribu, son véritable père, la source de tout ce qu'elle était. Il embrassait tout son être, terrifiant et attirant en même temps. Un murmure, une fois rauque et surnaturelle vint résonner entre ses oreilles.
"UNE FOIS ENCORE, TU VIENS A MOI..."
Elle se retourna, faisant face à l'obscurité, descendant irrémédiablement. Elle ne le voyait pas mais elle pouvait sentir ses nombreux bras tendus dans sa direction. A son tour elle lui tendit la main, l'appelant enfin malgré la peur qu'il lui inspirait. Et tandis qu'elle disparaissait au cœur du torrent, l'écho de nombreuses voix chantant au loin accompagnaient sa prière.

"Père, je t'en prie aide-moi..."


Lerith Il y a 1 semaine et 1 jour


Danser, toujours et encore. L'été approchant, Meleth multipliait les représentations et les contrats. Elle qui avait tant rechigné à monter sur scène se découvrait un véritable succès. Les regards sur elle changeaient, surtout depuis qu'elle avait accepté l'invitation des bard's Lament à participer à l'un de leurs spectacles dans une salle comble. Elle y avait retrouvé Lady Lenore qui lui avait exprimé sa fierté l'autre soir après sa représentation, juste avant de remonter elle-même sur scène. Son mentor avait été la voix principale de ce spectacle quand elle n'avait elle-même fait qu'interpréter un des personnages secondaires, elle n'aurait jamais cru se faire remarquer à ce point. elle aussi invitée, et y avait interprété une danseuse de rue invoquant la pluie et les émotions ; un rôle pour elle d'après ses compagnons.
Depuis ce jour, les offres s'étaient multipliées. La viéra se sentait à la fois touchée, heureuse que sa performance plaise mais aussi intimidée. Elle n'aimait pas tant que cela monopoliser l'attention et la scène. Elle en avait parlé à Hotaru, et à Cehwi'to sur la plage de Brumée. Elle espérait qu'ils suivent son idée de monter une sorte de troupe, un trio. L'énergie est différente à plusieurs. Mais en attendant leur réponse elle poursuivait seule au Jardin de Nhaama ainsi qu'au Kenkyo. Elle ne s'attendait pas à une telle ovation, de la part d'un public qui ne la connaissait pas, qui ne l'avaient même jamais entendu auparavant, encore moins vu danser. Orphéa la serveuse lui avait offert des sourires et de grands signes de la main pendant toute la durée du concert, les deux patrons s'étaient arrêtés à plusieurs reprises pour l'écouter et elle avait noté leur regard approbateurs.
"Je crois que... cela signifie que mon contrat va être prolongé ?"
Trouver le juste équilibre entre la musique et les expéditions n'était pas chose impossible, il fallait cependant trouver le bon dosage et se mettre d'accord avec les patrons d'établissement sur les contrats longue durée. Il fallait qu'elle fasse le point avec toutes les offres qui lui avaient été faites dernièrement, afin de ne pas se laisser déborder dans les semaines et les lunes à venir. Déjà, prévoir son absence durant l'expédition en mer du Nord après le solstice.
Voyons, il me reste encore le concert au Pleincoeur cette lune-ci, et au début de la suivante à la Rose des Vents -surtout me montrer à la hauteur, dame Lenore croit en moi- Hm... cela fait beaucoup d'un coup, mais cela devrait s'espacer petit à petit lorsque les représentation mensuelles se mettront en place je pourrais adapter les dates...
Elle réfléchissait encore en sortant de la douche, serviette dans sur la tête, lorsque son regard perdu dans le vague se posa par hasard sur son sac, celui où elle rangeait ses habits de scène comme ses affaires de voyage. Sur la boucle du fermoir pendait le petit talisman en os acheté à la Penne avec Hotaru lors de leur premier voyage ensemble la rappela à l'état de son amie. Elle ne pouvait oublier que si la plupart des membres de l'équipage n'avaient pu venir ce soir, et à raison, c'était parce qu'elle était sortie du comas et qu'ils s'étaient précipités à son chevet. Elle l'aurait sans doute fait elle aussi s'il n'y avait pas eu ce concert, et son amie l'aurait sans doute sermonnée d'avoir manqué la scène pour venir faire le plancton devant son lit à lui poser les mêmes questions. Elle avait aussi chanté pour son amie ce soir, et pour tous ses compagnons. Il serait toujours temps de célébrer sa rémission. En passant la porte de la loge, elle pu constater que la plupart des clients étaient encore là. Nazah et Napa l'attendaient au bar.
"Ah tu vois, elle n'a pas mit vingt minutes, oui !
- Ouais. Napa disait que tu prenais trop de temps, elle a même dit que tu allais mettre vingt minutes pour chaque oreille.
- Eh, c'est même pas vrai, oui ! C'est toi qui l'as dit !"

Un sourire illumina le regard plus que les lèvres de la viéra qui exprimait toujours ses émotions de façon mesurée. Ce soir-là elles discutèrent un bon moment sur le chemin du retour. Elles parlèrent du rituel bien sur, et de l'expédition au Temple d'Ostara qui avait révélé les origines humaines de cet esprit qui renaissait sans cesse, et pour cause chacune de ses incarnations fut le fruit du sacrifice volontaire d'une jeune femme à des époques différentes, dont la volonté était de protéger les siens. Aujourd'hui, le village bordant le temple n'existait plus et il n'y avait plus personne pour prier, ni devenir la prochaine Ostara, d'où les intrigues de la Sorcière des Ronces afin de contourner la règle. Plus les semaines passaient, plus la viéra se sentait en osmose avec la nature, avec le printemps. Bien que ce sentiment soit des plus agréables, et lui rappelait en partie cette harmonie qu'elle avait connu à Golmorre, elle ne voulait pas devenir un esprit. D'ici le solstice, il faudrait donc soit détruire Ostara, soit la transmettre à cette femme.
Mais dans cette communion, il y avait aussi une énergie capable de fissurer légèrement la glace qui scellait sa mémoire. Il s'était passé quelque chose dans le temple, elle ne savait pas quoi exactement mais cette nuit-là elle fit un rêve moins sombre que les autres, un songe baigné de lumière et d'eau claire.


"Meleth ? Dépêches-toi, elles sont arrivées."
Un sursaut étouffé répondit à la sentinelle qui secoua la tête, main sur la hanche tandis que l'autre tenait fermement la lance à pointe brillante. Même aujourd'hui, il ne fallait pas baisser totalement la garde, la jungle reste dangereuse et Moy'rhana avait toujours eu des sens particulièrement affûtés. La paire d'oreilles dépassant du tronc d'arbre, en hauteur sur sa droite, ne lui avait pas échappé.
"Qu'est ce que tu fais encore là-haut ? Aller, descends ou je viens te chercher."
Les deux oreilles disparurent, la viéra fronça les sourcils, mais avant qu'elle n'ai à mettre sa menace à éxécution, l'enfant se laissa glisser le long de l'arbre pour la rejoindre, penaud, dévoilant ses cheveux emmêlés et remplis de brindilles ; sa tunique de cérémonie et sa coiffe de plumes bleues, si longues et si pénibles à lui attacher mèche après mèche pendant des heures, était ruinée, un véritable désastre sans parler des traces de terre et autre saleté. Et tout cela pour quoi ? L'enfant serrait maladroitement entre ses mains une petite fleur bleue dont les pétales faisaient penser à des ailes de papillon.
"On.. on n'en trouve que sur la rive Est, alors je me suis dit ... que..."
Moy'rhana leva les yeux au ciel.
"Pas le temps d'arranger ça, nous sommes déjà en retard il va falloir te présenter comme ça. Aller, passe devant, vite."
Sans attendre, Meleth trottina jusqu'à sa mère, en direction du fleuve. C'était un jour important, toutes les Filles du Torrent se réunissaient pour célébrer leur père et la fondation des deux tribus sœurs d'Esthar et Westhar. A cette occasion, les Fils du Torrent et peut-être d'autres gardiens des environs, quittaient aussi pour un temps leur vie solitaire et il arrivait qu'ils en profitent pour rentrer dans leurs villages respectifs ; cela n'arrivait pas tous les ans, ce n'était d'ailleurs pas arrivé depuis un certain temps.
Meleth courrait à côté de sa mère dont les longues jambes la dépassaient encore, elle n'eut pas le temps de s'attarder sur les décorations florales suspendues aux branches qui dessinaient un chemin vers le lieu des réjouissances. On entendait le chant des cascades qui se rapprochaient, mais aussi le son des tambours et les chants des sirènes dansant sur les rochers.
"Ils ont déjà commencé, pesta Moy'rhana en accélérant le pas. Vite, Meleth."
En débouchant sur le fleuve, elles franchirent le pont construit sur un arbre déraciné par le courant d'une ancienne crue et qui s'était effondré en travers de la rivière jusqu'à atteindre le bord d'un ilot verdoyant dont le quart était noyé sous la chute d'eau, dissimulant l'entrée d'une lagune couverte. Elles pouvaient apercevoir entre les arbres plus d'une trentaine de viéras riant et chantant en cercle autour de six d'entre elles en tenue de cérémonie. Les décorations étaient plus nombreuses, et de l'autre côté de l'îlot un autre pont, celui-ci fait de lianes et et branches, poursuivait le chemin floral jusque sur la rive Ouest du fleuve.
Meleth plissa les yeux, éblouie par le soleil rayonnant qu'elle voyait peu dans la sombre forêt. L'enfant suivit sa mère jusqu'à ses soeurs. Dans cette effervescence, nul n'aurait su distinguer les filles d'Esthar et de Westhar tant elles se ressemblaient, les tribus jumelles portaient bien leur nom. Assises sur un grand rocher plat, l'ancienne conversait avec la chamane de l'autre village, jetant par moment des regards impatients sur l'assemblée. Meleth déglutit, elle savait qui était attendue. Quand le regard de la vieille chamane croisa le sien, et fronça les sourcils, elle osa un regard vers sa mère qui se contenta de la pousser doucement dans le dos pour la faire avancer.

"J'ai bien cru qu'un tigre vous avait dévoré" déclara l'ancienne en se redressant, elle s'adressa alors à l'autre chamane. "Ma sœur, je vous présente notre plus jeune, Meleth, qui présente des capacités exceptionnelles pour son âge bien qu'elle ne soit pas le fruit d'un Fils du Torrent."
L'autre hocha la tête, faisant tinter les nombreux bijoux pendant à ses cheveux dont un cristal au symbole que l'enfant ne connaissait pas encore mais qu'elle avait déjà vu, sur le collier de l'ancienne. Elle n'eut guère le temps de s'y attarder, car sur un signe de tête, une autre sentinelle sortit du groupe, poussant elle aussi devant les deux chamanes un enfant viéra légèrement plus petit que Meleth, aux oreilles plus larges mais dont la tenue de cérémonie avait été tout autant malmenée que la sienne. Le visage confus et honteux, ses mains se serraient l'une contre l'autre. La doyenne de Westhar leva les yeux au ciel.
"Par le Torrent, Lhei tu es vraiment... où as-tu encore traîné ?"
Pour toute réponse, l'enfant desserra lentement les mains, dévoilant un petit caillou blanc étincelant. Meleth n'en avait jamais vue de semblable mais on lui en avait déjà parlé.
"On... on en trouve pas sur la rive Est... a-alors j'ai pensé... que..."
Le regard des deux enfants se croisèrent, semblant aussi surpris l'un que l'autre. Lhei leva son regard des pieds jusqu'à la pointe des oreilles de Meleth, puis redescendit vers ses yeux et timidement, lui tendit la fleur. En réponse, Meleth ouvrit machinalement ses mains pour lui tendre le petit caillou noir brillant.

Un peu plus loin, deux hommes viéra se faisaient face. Un jeune âgé d'une quinzaine d'année ressemblant beaucoup à l'autre, adulte. La peau aussi sombre que le jeune, le corps couvert de tatouages récents et le regard dur et les cicatrices de la vie en solitaire dans la jungle. Il jeta un regard dans sa direction, mais semblait s'intéresser au jeune qui hocha la tête et empoigna son arc avant de partir avec un troisième homme viéra au teint plus clair. Il prononça quelques mots envers une des prêtresses, probablement sa mère, avant de s'éloigner à son tour.


Meleth s'éveilla en silence longtemps avant l'aube, les yeux humides. Ce souvenir heureux, ces visages et ces noms lui rappelaient le funeste sort qui leur fut réservé quelques années plus tard. Sa mère, Lhei... elle se souvenait de Lhei cette petite fille qui sans le savoir, sans le vouloir, avait eu la même idée qu'elle. Elles étaient devenues amies. Elle se souvenait à présent de son village et des deux tribus sœurs de la Terre des Torrents. Et elle se souvenait de cet homme au regard de glace, ce n'était pas qu'un rêve. Il était en vie, elle en était certaine.
Comme chaque fois qu'elle avait besoin de faire le vide, elle descendit à la rivière et se laissa couler lentement. Le silence et la paix sous la surface de l'eau transportaient son esprit loin dans sa mémoire brisée. Elle voulait revoir ces visages, encore et encore pour ne jamais les oublier, le fleuve, les cascades, la chaleur de ce jour de fête, tout ce qui avait un jour compté avant que le Dévoreur ne le lui arrache. Il lui faudrait un jour l'affronter, venger ses soeurs ou les rejoindre... Mais avant cela, elle avait des amis à protéger, Hotaru avait besoin d'elle, l'équipage était sa nouvelle famille.
"Il faudra bien que je retourne là-bas. Ne serait-ce que pour revoir la terre où je suis née, celle où elles sont toutes mortes... Je n'attends pas de le revoir, de toute façon je suis une indésirable maintenant, la Mère-Forêt ne me reconnaitra plus."
L'eau claire scintillait sous la lumière de la lune, qui venait toucher les pierres blanches du fond de la rivière. L'été imminent voyait s'ouvrir les fleurs dont les pétales se détachaient au soir tombé, parsemant la forêt de mille couleurs ; dans ce décor nageait cette sirène sombre dont les yeux couleur de l'eau savouraient la beauté de cette nuit tropicale. Les plantes aquatiques dansaient avec le courant tiède, et la silhouette ondulant bien loin de la surface, glissant sur le sable et les galets avec aisance. Elle pouvait sentir l'eau s'insinuer entre ses orteils, le long de ses jambes, entre ses doigts, dans ses cheveux qui avaient repris leur teinte bleutée. S'il était une vision du Paradis pour Meleth, elle ressemblerait fortement à celle-ci. Remontant à la surface, la viéra pris une grande inspiration. Tout en démêlant ses cheveux le long de son épaule, elle se mit à chanter, se laissant bercer par un chant qui n'était pas le sien.

Assis sur la branche courbée d'un grand arbre, au-dessus du fleuve, un chasseur entonnait le même chant d'une voix grave et profonde. Sa peau sombre était marquée de lignes claires, des tatouages représentant la forêt et la rivière, ses yeux aux couleurs d'un ciel de nuit cueillaient les étoiles tombées à la surface de l'eau. Appuyé sur sa lance, il ne bougeait pas et laissait simplement la caresse de l'eau effleurer son pied droit pendu dans le vide. Sa main tenait une flûte de pan en bois sombre, assez ancienne, et de ses cheveux dépassaient plusieurs perles en bois pour décorer une tresse tombant devant son oreille. A son cou, pendait un éclat de glace fermement attaché à une cordelette qu'il tortillait entre ses doigts.
"Je t'attends."
Elle sursauta. Il lui semblait avoir entendu le son des tambours mais venait-il de Sombrelinceuil ou de son imagination ?

Elle n'avait pas le temps de penser à Golmorre, les jours suivants ne lui laissèrent d'autre choix que de mettre de côté cet appel vers son passé. Ses amis avaient besoin d'elle, sa famille était désormais ici. Hotaru l'inquiétait beaucoup par ses états d'âme, la raenne semblait constamment dans la souffrance physique et émotionelle. Et puis il y avait Ostara allait peut-être pouvoir rendre à Nazah et à Ivanhault ce qu'ils avaient sacrifié pour eux il y a maintenant une année. La fin du monde annoncée semblait tellement lointaine, et pourtant il suffisait de lever les yeux dans une certaine direction pour apercevoir le rayon pourpre provenant de l'une de ces maudites tours qui déformait le ciel.
"Ce monde en vaut la peine. Je n'ai pas le temps d'être égoïste."




Assis sur la branche courbée d'un arbre mort, au-dessus du fleuve, le chasseur fredonnait d'une voix grave et profonde, la main tendue vers la surface de l'eau. Appuyé sur sa lance, il fronça les sourcils. Si le mal qui gangrène ce monde venait à passer les frontières de la Mère-Forêt, si le monde courrait à sa perte, si l'apocalypse approche... alors plus rien ne pourra retenir le fléau endormi dans les profondeurs...
"Urgh !"
Ses doigts se crispèrent si fort sur la branche qu'il en arracha l'écorce, et sous ses pieds l'eau jusque là aussi claire que le cristal devint plus sombre que les abysses. Pour l'heure, il y résistait encore, mais depuis que le sceau avait cédé, le reste du barrage ne tenait plus qu'à un fil.
Il n'était pas encore prêt à faire son choix, la Mère-Forêt appelle à protéger ses enfants, et la guerre est proche.
Lerith Il y a 1 semaine et 1 jour


De tous les côtés, le sol tremblait sous les assauts aériens et Meleth parvint in-extrémis à passer la barrière avant qu'un tir magitech ne fasse exploser le rocher sur lequel elle venait de prendre appui. Le souffle a fit basculer en avant, sur un soldat blessé qui poussa un cri de douleur.
"Je suis désolée !"
Il ne dit rien, la viéra s'écarta pour laisser les soigneurs le ramasser. Trois autres soldats passèrent la barrière, tenant un quatrième à bout de bras.
"Dix-sept, compta l'un des soigneurs après les avoir vu. Il nous faut plus de matériel de l'arrière !
- Seulement ? G
rogna l'un des hrothgars après avoir installé son compagnon sur une civière. Nous étions quarante neuf !
- Ils ont du rester coincés derrière la crête."

De l'autre côté de la barrière, le bombardement se poursuivait, toujours plus intense.
"Ils sont fichus, on ne peut pas aller les chercher."
La froideur du médecin trahissait sa difficulté à rester impassible, sa main tremblait sur sa trousse mais il fallait avant tout sauver les survivants. Le hrothgar gardait les yeux rivés sur la barrière, les poings serrés, impuissant. Inutile d'être un voyant pour deviner la nature de ses pensées. Certains de ses hommes étaient sans doute encore vivants, à moins d'un malm du camp et pourtant hors d'atteinte sous les bombardements et les assauts des drones.
La main de Meleth se posa sur sa manche et il posa son regard sur le sien.
"Je vais les chercher Ivan.
- Sois pas stupide, tu vas te faire tuer avec eux. On ne peut pas se permettre de perdre encore un soldat dans un sauvetage.
- Je ne suis pas soldat, et je suis déjà passée plusieurs fois par cette crête pour apporter du matériel médical je peux y retourner et les guider. Laissez-moi y aller tout ce que j'ai à offrir à votre combat ce sont mes bonnes jambes."

Le hrothgar lança un regard vers les soigneurs.
"Si on les perd, tes jambes, elles ne pourront plus porter de matériel à l'avant pour d'autres blessés.
- Si vous continuez de perdre des hommes à ce rythme, l'avant risque de reculer jusqu'ici."

Un nouveau tir percuta la barrière, faisant trembler le sol et s'effondrer plusieurs rochers à proximité. Le soldat se redressa et tendit ses mains pour saisir la viéra par les épaules.
"Hors de question que tu aille au casse p-.."
Ses mains saisirent du vide, Meleth venait de traverser la barrière en courant après les tirs, profitant du temps de recharge très court des canons magitech. Il esquissa un mouvement pour la suivre, mais les tirs reprirent de plus belle et Ivan du s'accrocher aux barricades pour ne pas tomber, le regard rivé sur la silhouette qui dévalait la pente entre les escarpements, rapide mais pas assez discrète. Les drones mitraillaient le sol sur ses talons et chacun des renfoncements où elle se mettait à couvert.
"Tu vas te faire tuer idiote !"
Ses cris se noyèrent dans le tonnerre et le grondement des armes ; la guerre sur les hauts plateaux de Zadnor était plus meurtrière que jamais. Meleth courut jusqu'à atteindre la crête, manquant plusieurs fois de se faire abattre mais par chance plus que vaillance elle atteint les pics rocheux et le passage qu'elle empruntait depuis maintenant des lunes chaque fois qu'elle venait aider les bozjiens, ce même passage que lui avait indiqué ce soldat dont elle ne connaissait pas le nom, qui lui avait sauvé la vie pour mourir juste après sous les bombes qui défiguraient la terre du front sud.
Les tirs pilonnaient la route, elle les entendit siffler derrière elle et démolir l'entrée du passage où elle s'engouffra sans s'arrêter, et même après ils continuaient de s'acharner. Elle sentait les vibrations au-dessus de sa tête alors que le gravier tombait dans la tranchée ; courir encore, courir plus vite. Elle esquiva de peu un petit éboulement et manqua de heurter un autre de ces rochers tranchants. Pas le temps d'avoir peur. Après de longues minutes de course, les tirs finirent par cesser, ils l'avaient perdue de vue. De l'autre côté de la crête, les cadavres fumants jonchaient le sol, certains récents, d'autres à moitié noyés dans la boue depuis longtemps. Elle s'arrêta, son regard balayant les étendues désertes survolées par les impériaux. Au loin de l'autre côté, leur immense vaisseau demeurait silencieux et immobile, rien qui la rassurait pourtant.
"Où êtes-vous bon sang ? maugréa-t-elle tandis que l'inquiétude montait.


S'ils étaient déjà tous morts... Non, une douzaine d'hommes venait d'apparaitre devant-elle, à une vingtaine de malms, dissimulés derrière la carcasse d'un chasseur magitech. Ils ne pouvaient la voir et si elle leur faisait signe, c'était cuit : elle risquait d'attirer l'attention des patrouilles qui se feraient une joie d'ostruer leur voie de sortie. Elle pouvait les contourner sur une courte distance afin de brouiller les pistes mais elle ne pourrait pas les rejoindre sans être vue, tant pis. Elle s'avança prudemment, contournant l'objectif, avant de se mettre à courir jusqu'à eux. Elle traversa le cratère en quelques secondes et glissa sous l'amas de feraille provoquant le sursaut des soldats terrés ici.
"Idiote tu vas nous faire repérer ! s'écria un hyurgoth.
- Je suis venue vous chercher, vous êtes hommes d'Ivan ?
- Dix d'entre nous seulement, les deux autres viennent d'une autre unité qui s'est fait décimer. Je suis Stern.
- Meleth, faut pas qu'on reste ici."

A peine eurent-ils entamé l'échange que les premiers tirs se firent entendre, des morceaux de métal volaient en éclats de tous côtés provoquant la panique chez les plus jeunes soldats.
"On va se faire trouer !
- On n'a plus le temps, suivez-moi vite !"

Sans attendre elle sortit de sa cachette, et entendit Stern et les autres la suivre. Ils n'étaient pas arrivés de l'autre côté du cratère qu'un tir plus fort réduisit la carcasse en poussière, et avec elle deux soldats qui n'avaient pas eu le temps ou le courage de sortir, mais cela la viéra ne le vit pas. Elle fonça jusqu'à la crête, guidant le plus de monde possible dans son sillage.
"Par ici, l'avant-poste n'est qu'à un malm au Sud-Ouest, vite !"
Pas le temps de se retourner, cette fois les tirs n'allaient pas s'arrêter. A elle seule, elle pouvait se soustraire à leur champ de vision mais toute une escouade, impossible. Et les drones les attendaient surement à la sortie.
Pas le temps de penser, elle se focalisa sur l'écho de leurs pas dans son dos.
"Merci, souffla Stern en voyant le bout de la crête se dessiner devant eux et le plateau sud. On vous doit u-...
- Vous me remercierez quand on sera arrivés, pas avant !"

Comme elle l'avait pressenti, à peine sortit de l'escarpement rocheux, les tirs qui avaient à peine diminués reprirent de plus belle et il fallait maintenant remonter la pente quasiment à découvert jusqu'à atteindre le campement. Elle avait de l'endurance, mais eux avaient déjà essuyé un premier bombardement. Pourtant l'espoir sembla les galvaniser à la vue de la barrière et elle les sentit courir plus vite.
Le bruit assourdissant des canons l'empêcha de penser à autre chose, le moindre ralentissement pouvait la tuer, elle et d'autres, pas le temps de se retourner, pas le temps de parler, pas le temps de penser ou même de sentir la douleur lorsqu'un tir de drone lui perça le mollet ; pas le temps de hurler. Le campement n'était plus qu'à quelques yalms, elle vit les premiers passer la barrière, elle avait réussi. Ses genoux touchèrent le sol, un deuxième tir la manqua de peu, un troisième toucha son épaule après avoir été dévié. Elle sentit le bras de Stern autour de sa taille.
"ON Y VA !" rugit-il.
Ils traversèrent la barrière juste avant de s'écrouler l'un à côté de l'autre. La voix du médecin résonna comme une délivrance.
"Sept, huit. On passe à vingt-quatre !"
Huit seulement. Non, elle en avait ramené huit, il fallait le voir ainsi, huit étaient sauf. Elle ne pouvait plus bouger, ni se redresser, mais elle sentit le sang couler contre son ventre. Ce n'était pas le sien, mais celui de Stern couché sur elle. Elle le vit sourire et murmurer un "merci" avant de rendre son dernier souffle. Deux bras la soulevèrent et la voix connue d'un elezen à la peau sombre rectifia les paroles du soigneur.
"Non, sept."
Elle perdit conscience avant de pouvoir crier.

Le lendemain dans la tente, elle ne prononça pas un mot jusqu'à ce qu'Ivanhault vienne la trouver pour lui annoncer que la guerre était finie, que Bozja était libre et Dalmasca aussi. Tout s'était débloqué en quelques heures grâce aux exploits du Guerrier de la Lumière pour changer. Les larmes de Lenté rentraient au pays, il était temps pour elle d'en faire autant... dans un autre pays que le sien mais qui était son foyer désormais.
"Nous irons à Golmorre, ne vous inquiétez pas." Souffla t-il amusé en la poussant vers l'aeronef, son sac sous le bras qu'il lui rendit juste avant le décollage pour être sûre qu'elle partait. A son arrivée, Valorius l'attendait.
"Vous ne laissez décidément rien au hasard."


On aurait pu croire que le front bozjien libéré, le calme reviendrait, pourtant au lieu du calme elle trouva une Eorzéa des plus agitée. Aux Tours de l'Apocalypse suivaient les abominations primordiales de l'Apocalypse. On les appelait "luna-primordiaux", de fausses invocations générées par les songes de pauvres victimes tribales enlevées et séquestrées dans les tours par un nouveau genre de subjugués. Toutes les cités état organisaient la riposte. Les autorités faisaient circuler l'information en poste autour d'un périmètre bien délimité : interdit de s'approcher. Des équipes d'aventuriers et de volontaires dotés de l'échos seraient envoyés successivement chaque fois qu'un luna-primordial ferait son apparition.
Depuis sa chaumière, Meleth voyait les gens autour d'elle changer à commencer par ses voisins. Ils sortaient moins souvent, sur le marché on parlait de toutes ces rumeurs sur l'Apocalypse et sur les refuges possibles du meilleur au pire scénario. Personne ne savait exactement ce qui allait se passer ni même à quoi pouvaient servir ces tours si ce n'est qu'elle siphonnent l'ether dans le sol ; pour en faire quoi ? Le Monde semblait pris dans une spirale d'angoisse. Par chance, elle pouvait compter sur la musique, et sur ses deux amis danseurs, Hotaru et Cehwi'to. Les répétitions s'enchaînaient depuis son retour et plus que le succès, Meleth aimait ce qu'ils étaient en train de créer : leur propre troupe. Plus que le succès elle y trouvait la paix et, grâce à eux, c'est en paix qu'elle vit enfin venir le solstice d'été et le rituel d'Ostara.
Détruire Ostara dans de telles circonstances aurait pu priver la Sylve d'une potentielle défense supplémentaire au cas où le pire arriverait.
Nazah et Ivanhault avaient jadis sacrifié une part importante d'eux-mêmes afin d'acquérir le pouvoir de briser le sceau des Quatre Tours. Au temple, ils avaient découvrirent qu'Ostara avait le pouvoir de restaurer ce qui fut perdu comme les fleurs qui renaissent au printemps. Si elle pouvait le leur rendre, alors ce ne serait pas vain mais sans doute que Sairen avait misé là-dessus. Gagnerait-elle une fois de plus ? Devant la porte du temple ce soir-là, un dernier doute subsistait mais Ivanhault l'assurait avec force : cette femme aussi sournois soit-elle, n'avait qu'une parole et tiendrait la sienne. Alors, quand les symboles s'illuminèrent sous les rayons de la première lune d'été, Meleth s'écarta et la sorcière apparut à l'ombre des arbres.
"Merci."
Ses mots semblaient sincères, mais pouvaient-ils vraiment la croire ? Elle franchit le seuil du temple et une lueur brillante s'échappa des ténèbres. Nul n'entra mais des papillons bleu et rouge en sortirent. Nazah, qui n'avait pas confiance, s'était détourner mais Ivanhault se sentit enveloppé d'un halo blanc et sentit qu'il retrouvait progressivement sa magie. La surprise fut lorsque U'napa témoigna du même phénomène. La miqo'te sursauta mais dégageait une aura de profonde détermination.
"Moi... moi ce que je souhaite c'est tous les protéger contre le mal qui arrive, oui !"

"Le moment venu, je viendrais à ton secours."

La voix s'évanouit dans les airs, ce fut la fin. La Sorcière des Ronces avait disparu, laissant derrière elle son humanité et tous ceux qui l'avaient suivi jusqu'à lors. Elle était devenue autre chose. Avait-elle gagné ou avait-elle connu son ultime défaite ? Avait-elle fui la mort ou gagné l'immortalité ? D'une façon ou d'une autre c'en était terminé de cette femme. Albynn pleura, Valorius le consola. Le lalafell était bien le seul avec Alexois à lui trouver un bon fond. Ils ignoraient s'ils la reverraient un jour, sous sa nouvelle forme.
Une page se tournait et le monde dans la tourmente continuait de tourner. Dans les rangs de la compagnie le bruit commença à courir. Si une personnalité comme la Sorcière des Ronces avait pu sombrer dans une telle folie cela voulait-il dire que le risque à venir était réel ? Eux aussi commencèrent à envisager la possibilité de chercher un endroit sûr pour mettre leurs familles à l'abri loin de l'influence néfaste des tours.
Lerith Il y a 1 semaine et 16 heures


Après toutes ces aventures, lever l'ancre pour de nouvelles contrées fut plus que bienvenue pour Meleth qui embarqua sur l'Eternal avec l'enthousiasme d'une enfant en route vers l'aventure. Cet été-là, deux expéditions devaient la conduire d'abord dans la Mer du Nord, puis dans un archipel au sud de Rhotano. Dans leur cabine, Nashasha, Hotaru et elle avaient déjà marqué leur territoire à l'aide de coussins, peluches, livres et pots vides prêts à accueillir des plantes inconnues. Les quatre malles de la raenne occupaient un tiers de l'espace libre déjà pas énorme mais elles s'en fichaient. Ils partaient tous, enfin, leur premier long voyage depuis Nynceryil.
Le nouveau projet de madame Kurusu depuis quelques lunes consistait à attirer l'attention des sharlayanais afin d'obtenir une autorisation d'entrer dans leur cité et d'avoir accès à de nouvelles cartes nautiques. Silius et Ivanhault sont Sharlayanais, ils peuvent de ce fait aller et venir sans contrainte, c'est ainsi que Silius parvint à faire sortir une vieille carte de la Mer du Nord. Leur mission était simple : achever l'exploration d'un territoire nommé Ilirslaent.
Le voyage ne fut pourtant pas de tout repos. Avant même d'arriver l'Eternal fut attiré vers une turbulence ethérée qui manqua de le détruire, elle y perdit même un manacutter mais ce fut surtout la "faute" de leur nouvelle recrue : Yone. Meleth l'avait rencontré au hasard sur la plage, fait connaissance avec cet aventurier populaire auprès des différents comptoirs de mandats (et des filles) qui voulait plus que des gils et s'était rapidement fait une place dans le groupe. Par contre, les machines ne l'aimaient pas, mais alors pas du tout. Allez savoir pourquoi dès qu'il en touche une, ça tourne mal ils le découvrirent ce jour-là. Heureusement, lui l'avait rien.
En arrivant sur les rives d'Ilirslaent, l'équipage aperçut à l'horizon voilé par le froid polaire, une autre tour de l'Apocalypse était donc sortie de terre jusque dans cette région isolée.
Cela ne les arrêta pas cependant, et pendant presque deux semaines ils arpentèrent le sol gelé d'Ilirslaent à la rencontre des différents villages et points d'intérêt de la région. Bien des mystères dormaient sous la glace, tous ne furent pas accessible et les roegadyns locaux se montraient plutôt froids quant à leurs secrets mais accueillants vis à vis des voyageurs. Certains s'y firent des amis ou de bons contacts, il fut même question de commercer puisque la compagnie discutait de moyens de s'auto-financer au moyens de comptoirs commerciaux. Ce n'était pour l'heure qu'un projet mais il fallait bien commencer quelque part. La tour inquiétait les locaux mais ils avaient eux-mêmes pris des mesures de leur côté afin d'éviter à quiconque de l'approcher, les informer du peu qu'ils savaient ne les avançait pas à grand chose si ce n'est à renforcer leurs échanges. Les derniers jours furent consacrés à la remise en service d'une ethérite jusqu'ici laissée de côté, avec l'aide d'un sharlayanais du nom de Marsh. Ils quittèrent finalement Ilirslaent satisfaits, certains de revenir un jour.
Alors que les membres de l'équipage sortaient de leur cabine les uns après les autres, sac sur l'épaule, pressés à la fois de rentrer chez eux mais n'ayant sur les lèvres déjà que l'enthousiasme du prochain voyage, Meleth était l'une des dernières à sortir. Premièrement, parce qu'il avait fallu aider Hotaru à descendre ses QUATRE MALLES de vêtements sur le quai et faire venir un docker pour les transporter jusqu'à Brumée, mais aussi parce que malgré son impatience à retrouver sa chaumière, son jardin, Grenat et tous les autres petits locataires animaliers, elle n'était pas pressée de quitter ce minuscule espace qu'elle partageaient à trois, ce hublot au travers duquel elle regardait le ciel, des clous auxquels elle suspendait les plantes récoltées dans la journée, les livres de Nashasha traînant partout comme ses chaussons carbuncle, transformant le peu de place au sol en un champ de mine dangereux le matin quand il fallait se lever tôt.
"Hé, Meleth, tu viens ?"
Yone venait de passer la tête dans l'ouverture, en chemin vers la passerelle lui aussi.
"Oui, j'arrive !"
Un dernier sourire vers sa couchette dont les draps avaient été retirés pour être envoyé au lavage, et elle sortir à la suite du hyur pressé de mettre le pied à terre. Ce sentiment d'être enfin de retour, tout en pensant au prochain voyage, était une contradiction parfaitement logique pourtant.
La chaleur de l'été fut la première bonne chose à savourer, après deux semaines perdus dans un froid glacial sans pouvoir dormir autrement qu'avec trois couvertures sur le dos. Les musiciens de la camelotade jouaient des chansons joyeuses sous les applaudissements des passants. Même à cette heure, les rues étaient toujours très animées et pas seulement par les ivrognes.
"Je vous rejoins plus tard !"
La tentation était bien trop forte. Laissant ses chaussures sur le coin du pavé, la viéra pieds nus courra les rejoindre sous les cris enthousiastes des marins qui la connaissaient. "Elle est de retour !" chanta un vieux loup de mer en levant sa bière. Très vite, la musique amplifia et dans la rue, les chants redoublèrent. Elle n'était qu'une petite danseuse parmi d'autres, ils étaient aussi heureux de la revoir qu'elle était heureuse de rentrer.


L'expédition suivante conserva cette ambiance. La mer bleue, des marins et des corsaires, des lalafells réunis en tribus semblables à celles dont Nashasha lui parlait lorsqu'elle racontait ses histoires sur les Mers du Sud, le berceau de son peuple dont elle s'était fait une spécialité en tant qu'archéologue et future érudite. L'Archipel Paradis portait, semble t-il, très bien son nom.
Envoyés à la demande du Maelstron -c'était donc un mandat officiel !- afin d'explorer cet archipel à la fois connu et méconnu de la Noscea, car sous le contrôle d'un ancien pirate reconvertit dans la gestion d'un port libre, ils passèrent moins de temps à enquêter sur les possibles activités frauduleuses de l'individu qu'à en apprendre plus sur lui mais aussi sur tout le reste de l'archipel.
Le Souk était en proie à une guerre de succession, le vieux pirate avait deux lieutenants qui se disputaient la place. Mais le Souk se présenta lui aussi comme une fantastique tapisserie humaine. Pour peu que l'on soit peu regardant sur la provenance des marchandises, on y trouve de tout et on y rencontre des personnages venus des quatre coins du monde. Ils visitèrent les autres îles, l'île aux fleurs, les Cultures de Nanapi et sa tribu miqo'te solaire, la barrière de corail...
Le Nord de l'archipel était occupé par trois tribus lalafelles. Les habitants de Keanu les accueillirent avec toute la chaleur bienveillante possible, à l'opposé de la méfiance des roegadyns d'Ilirslaent. Le chef Kaluha leur expliqua que c'était dans leur culture même si cela pouvait leur causer bien du tort comme ce fut le cas de Kilipili, l'île interdite dont ils levèrent le mystère lié à deux divinités et une horrible trahison. Ils visitèrent Hualani dont les plongeurs surpassaient de loin la capacité de nage de Meleth. Elle avait tant à apprendre à leurs côtés et ne s'en priva pas. Ils se lancèrent aussi dans une chasse au trésor avec la bénédiction du vieux Mac Coff, et dans l'exploration de l'Île Noire réputée maudite. Trois semaines au total furent nécessaires à remplir leurs objectifs, et pour leur plus grand bonheur il n'y avait pas de tour de l'Apocalypse dans l'Archipel Paradis. Si les choses tournent mal, ils pourraient y mettre leurs familles et leurs proches en sécurité avec l'accord des locaux.
Les feux d'artifice explosaient dans le ciel de la Noscea depuis des heures quand l'Eternal entra dans le port de Limsa Lominsa. Le premier jour du festival des Feux de la Mort voyait les habitants veiller très tard dans les rues et sur les quais, dansant et chantant sous les étoiles au milieu des lanternes bombos et des vendeurs de friandises. Cette année la glace était à l'honneur avec des produits arrivés de la Mer du Nord, et Meleth souriait depuis les haubans songeant qu'ils y étaient il y a encore fort peu de temps, le genre de signe de la providence qu'Ivanhault appréciait. Le second était d'ailleurs particulièrement de bonne humeur ce soir, autant que Bjarnulf qui jouait de la musique assis contre le mat.
En réalité, sur l'Eternal personne n'était pressé de rentrer dormir cette nuit-là, le spectacle était bien trop beau. Un ciel éclatant de mille couleurs accompagnait leur retour, et pas seulement en Noscea. On voyait le ciel s'éclaircir à l'horizon, là où les habitants de la Baie des Vêpres et du comptoir argenté devaient eux aussi faire la fête.

Deux ans aujourd'hui, qu'elle avait posé le pied pour la première fois en Eorzéa, au premier jour du festival des Feux de la Mort. Elle était arrivée dans ce pays sous la lumière des feux d'artifice, les yeux remplis d'étoiles malgré sa méfiance et ses appréhensions. Le monde était bien pire qu'on le lui avait décrit, et à la fois tellement plus beau.
"Regardes ce ciel, Nix. Il est le même et pourtant, au-dessus de la mer il parait plus grand encore.
- brrrrruiiiiiiiil...."

La petite créature aqueuse flottait à côté de sa tête, ses grands yeux mouillés rivés sur l'immensité bleue, sans fin. A cette heure où le ciel et la mer sombre se fondaient en une même couleur, l'Eternal semblait voler dans une mer d'étoiles. Il n'y avait guère plus que le bruit des remous contre le bois grinçant pour les maintenir dans la réalité. Tout l'été elle avait voyagé, découvert le monde ainsi qu'elle en rêvait, vu et entendu des choses extraordinaires. Ils avaient remplis leur mission, y compris celle d'établir un premier contact avec Sharlayan et convenu d'un refuge dans l'éventualité d'une apocalypse imminente. Que feraient-ils à présent, une fois le festival terminé et les feux d'artifice éteints ? Le visage de son amie d'enfance refit surface, après qu'elle l'ai dissimulé dans un coin de son esprit pendant plusieurs semaines. Et si... elle leur demandait de l'accompagner à Dalmasca, de traverser une fois encore la frontière interdite ? Ce serait folie, et terriblement égoïste.

Et ce n'est pas d'elle que vint cette initiative.
Lerith Il y a 1 semaine et 14 heures


Quelle folle elle avait été, réalisant l'ampleur de sa bêtise lorsque l'obscurité avait commencé à se mouvoir dans les profondeurs. L'idée était venue d'Ivanhault dont elle ne pouvait présumer des motivations : curiosité, empathie, orgueil ? L'elezen n'était cependant pas stupide et s'était aperçu, depuis des lunes maintenant, des cachoteries de sa camarade vis à vis de son passé. Les rêves, les images, les noms, tout cela elle l'évoquait à peine et balayait le sujet lors des conversations au profit de leurs expéditions ou des problèmes des autres. Et un beau jour, peu de temps après leur retour de l'archipel, il était venu la trouver pour lui demander :
"Montrez-moi ces abysses où vous vous perdez."
Elle les avait entrainé avec elle, à leur demande peut-être mais elle avait accepté. Depuis la rivière près de sa chaumière, elle se laissa glisser dans l'eau noire et les deux elezens la suivirent. C'était la première fois qu'elle ne descendait pas seule. Il y eut l'obscurité, puis la sensation d'étouffement et d'oppression mais pour eux ce fut bien pire. Arrivés tout en bas, le silence qui régnait fut troublé par les profondes inspirations de Silius qui avait du mal à reprendre son souffle. Ils avaient réussi à la suivre, ils se trouvaient à présent dans son antre. Mais on ne berne pas ainsi le Torrent Noir, sa dangerosité déjà avérée ne faisait que croître comme la terreur qu'il inspirait à la viéra. Comment avait-elle pu penser, imaginé un seul instant, qu'ils pourraient communiquer avec lui eux aussi. Ivanhault avait toujours été capable de tout et même du plus absurde, elle avait peut-être espéré que... et elle l'avait mit en danger délibérément pour ça.
Dès qu'elle toucha du pied le sol elle sentit les vibrations, elle avait compris. Elle les avait fait plonger vers le trépas, là où elle-même était l'enfant soumise à la volonté du père, ils n'étaient pas sensés être là, ils n'existaient pas.

"Je suis toi, tu es moi. Tu n'as besoin de personne."

Ce n'était même pas de la colère, pas même du mépris, tout au mieux de l'indifférence qu'il balayait de sa puissance. En voyant ses amis se faire emporter par un courant soudain, entraînés dans un tourbillon au fond des abysses elle poussa un cri étouffé par l'eau trouble.
"Non, non pitié !"
L'immense entité continuait de se mouvoir dans le noir, heurtant les rochers qui se brisaient sous son poids, tournoyant de plus en plus vite. Les deux elezens furent emportés sans qu'elle ne puisse rien faire, pourtant elle essaya malgré la peur qui lui tordait le ventre. Elle tenta de les rattraper, le bras tendu elle heurta quelque chose qui lui bloqua le passage en passant à toute vitesse. Un serpent ? une tentacule ? c'était long, énorme et puissant. Elle fut à son tour propulsée contre les rochers. Incapable de bouger, condamnée à voir ses deux amis se noyer par sa faute dans le tourbillon du Torrent Noir.
"Ivanhault...! Silius !"
Le désespoir emplit son cœur sans qu'aucune larme ne puisse couler au fond de l'eau. Son corps tremblait, elle avait envie de hurler. Elle sentait la pression de l'eau sur son corps, une sensation familière. A la silhouette des elezens se superposa celle d'une viéra emportée par les flots loin d'elle, sans qu'elle puisse nager à sa poursuite. Elle commença à entendre des échos de ses souvenirs lointains.

"Arrête Lhei, ne fais pas ça !
- C'est de ma faute Meleth.
- Recule, recule tout de suite !"


"Son appétit ne saurait être rassasié tant qu'il ne les aura pas dévorées jusqu'à la dernière."


"Je n'ai pas peur !"

"Je ne peux pas faire ça...!
- Fais-le maintenant !"


"Il n'y a pas d'autre solution."
La pointe d'une flèche de glace apparait.


Il y eut comme un flash. Elle se vit au sommet d'une cascade, serrant dans ses bras le corps meurtri de Lhei. Toutes deux avaient entre quatorze et quinze ans, cela voulait dire que Lhei avait survécu au Dévoreur ? Face à elles, la silhouette de deux hommes viéra l'un armé d'une lance et l'autre d'un arc dont la flèche pointée dans leur direction est faite de glace. Vont-ils les tuer ? Un grondement se fait entendre tout proche. L'archer sembler hésiter une fraction de seconde, et tire. Elle se sent tomber en arrière, transpercée par la flèche mais le sang ne coule pas. Ce sont ses souvenirs qui lui sont arrachés. Elle chute. Son corps et celui de Lhei disparaissent dans les eaux tourbillonnantes. Ce même tourbillon dans lequel elle voit à présent ses deux compagnons se noyer.

"Arrêtez ça... arrêtez je vous en supplie !"

Un courant puissant venu de son dos caressa sa nuque, avant de devenir plus violent, la repoussant presque de l'autre côté des rochers. L'immense serpent tapis dans l'obscurité gronda légèrement, c'était plus un vrombissement comme si le sol était soumis à un tremblement de terre sous-marin. Il faisait noir et pourtant, c'était comme si ce courant nouveau apportait un peu de clarté. Il sortit de nulle part, porté par l'eau et filant droit vers le tourbillon qu'il brisa en deux. Une lance apparut, elle ne vit que sa silhouette et ses oreilles de viéra.
"C'est toi...?"
Elle le vit à peine passer, il se mouvait dans l'eau avec une aisance qui dépassait de loin les capacités de la jeune viéra. Il venait de briser en deux la prison aqueuse des deux elezens avant de joindre ses mains comme s'il incantait quelque chose, moins de cinq secondes plus tard il leva les bras comme s'il poussait vers le haut, Ivanhault et Silius furent propulsés par ce courant tiède et disparurent en direction de la surface. L'ombre des tréfonds ne chercha pas à les en empêcher comme s'il s'en moquait alors qu'un instant plus tôt il semblait les avoir condamné à mort. Il continuait de resserrer autour de la viéra un étau toujours plus oppressant; elle était tétanisée, les yeux rivés sur celui qui venait de sauver ses amis et se dirigeait à présent vers elle à vive allure, d'une simple poussée sur ses jambes.

"Tu es... un Fils du Torrent."

L'obscurité l'empêchait toujours de discerner ses traits avec netteté, mais elle reconnut ses yeux bleu clair, sa peau sombre comme l'eau noire et pourtant si calme, à la fois sauvage et rassurant. Il ne prononça pas un mot. Il lui prit la main. Elle se sentit à son tour soulevée par le courant tandis qu'il l'attirait vers la surface. Tout se passa très vite, même si cela lui sembla durer des heures. L'ombre serpentine les accompagnait sans chercher à les retenir, elle l'entendait gronder dans le noir toujours plus près d'eux ; elle voyait presque ses anneaux ressortir de l'eau trouble. Quand la lumière au-dessus de la surface surgit au loin dans l'obscurité. Elle sentit les mains du viéra la prendre par la taille et la soulever au-dessus de lui pour la laisser remonter tandis que lui restait en bas. Leurs regards se croisèrent, celui de Meleth rempli de questions qu'elle n'avait pas le temps de poser. Elle s'attendait à un mot, un geste, un signe, n'importe quoi... il n'en fut rien. Il la lâcha simplement et elle le vit disparaitre progressivement sous ses pieds, portée par ce courant surnaturel. Elle aurait voulu dire quelque chose, mais rien ne vint, le temps qu'elle y réfléchisse il s'était évanoui dans l'abîme.
La tête de la viéra émergea de l'eau en silence, elle pris une grande inspiration. Ivanhault et Silius étaient déjà là, tous deux marqués au dos par le symbole de sa tribu. C'était la même énergie que celle qui contrôlait le courant qui les avait fait remonter à la surface. Quel que soit son nom, il venait de sauver ses deux compagnons. En levant les yeux elle vit la lune. Son cœur battait la chamade, mais il lui semblait entendre autre chose au loin... des... tambours ? Des tambours de guerre viéra. Etait-ce seulement son esprit où le Torrent l'avait-il reconnecté temporairement à la Mère-Forêt ? Elle ressentait l'appel de sa terre.
"Eh bien, souffla le Terrechant. Ce fut, ma foi, instructif."
Silius se contenta de grogner, assis sur l'herbe humide.
"Je suis tellement désolée ! s'excusa Meleth.
- Ne vous excusez pas, c'était mon idée. Nous avons maintenant un prétexte pour nous rendre sur la Terre des Torrents, n'est ce pas ?"
En fin de compte, c'était peut-être tout ce qu'il voulait depuis le début.


Sur la rive du fleuve, une main sortit de l'eau brusquement pour s'agripper à la première branche assez solide pour l'aider à se hisser sur la berge. Le viéra rampa lentement sur l'herbe, épuisé, il se laissa tomber avant de rouler sur le dos, le visage face à la lune, le temps de reprendre son souffle. Lorsque son regard se posa sur le sommet de la tour sombre dépassant des arbres à quelques malms des cascades, il serra dans sa main le cristal de glace qui pulsait contre sa jambe, de moins en moins fort jusqu'à s'éteindre complètement.
Tout ce temps elle était restée cachée, hors de portée. Mais voilà qu'un nouveau péril plane sur la Terre des Torrents, et que le Père de la tribu rappelle à lui ses dernières filles survivantes. Il ne leur laissera pas le choix, même si cela signifie qu'une menace encore plus ancienne risque de réapparaître, réveillé par son appétit insatiable.

"Nous ne pouvons plus éviter la guerre, mon frère."
Lerith Il y a 1 semaine et 11 heures


"Là d'où je viens, on m'a enseigné que l'équinoxe est un jour important ; le point de départ de chaque cycle dont le solstice est l'apogée. Selon la façon dont tu vas vivre et ressentir cette transition, tu dessines les traits de la saison qui s'annonce. S'il est marqué par la sérénité, et du positif, tu poses oriente ton prochain cycle en ce sens.
- Et à l'inverse, si c'est négatif je provoque du négatif si j'ai bien compris. C'est ça ?"

Meleth hocha la tête face au miqo'te qui baissait les oreilles l'une après l'autre dans un effort de réflexion. Autour d'eux, les clients du Kenkyo commençaient à remplir la salle et Hotaru ne devrait plus tarder. Ce n'était pas un soir comme les autres, ce n'était pas non plus une lune comme les autres, ce soir elle serait pleine.
"Bonsoir à tous."
La raenne avait passé la porte sans se faire voir, discrète comme toujours, le trio était désormais complet.
"Comme il y a du monde ce soir.
- Faisons un beau spectacle."

Les lumières tamisées du Kenkyo dont les fenêtres laissaient voir les premières feuilles d'automne tomber sous les arbres offraient un cadre idéal pour cette représentation particulière. Pieds nus sur la scène en bois, ils battirent la mesure d'une première chanson.
"Et voici les Lunaris !"
L'automne apporte le vent du changement, mais cette année-là le changement était synonyme de craintes pour l'avenir. La situation vis à vis des tours s'enlisait. Des luna-primordiaux continuaient d'apparaître à intervalles réguliers mais les grandes compagnies, soutenues par les compagnies d'aventuriers, maîtrisaient la situation et limitaient les pertes humaines. Pendant trois semaines l'Eternal fit ses préparatifs, et leva l'encre au lendemain de la Veillée des Saints en direction de Dalmasca. Ils contournèrent Thavnair et se tinrent à distance de la côte bozjienne encore un peu agitée, puis firent une première escale au port de Valnain la nouvelle capiale de Dalmasca maintenant que Rabanastre avait été rayée de la carte par la répression garlemaldaise. On y trouvait de tout et surtout des Larmes de Lenté, la résistance qui devait à présent réorganiser un pays libre. Ils n'y passèrent qu'une seule nuit, et le lendemain l'Eternal entama sa lente remontée du fleuve en direction du seul village viéra susceptible de ne pas les chasser à coup de flèches et de lances : Naatu.

"Tu n'as jamais quitté la Mère-Forêt, tant qu'une partie de toi y demeure."
L'ancienne de Naatu la fixait de ses yeux gris perçant, c'était là ses premières paroles avant même que Meleth ne fut assise face à elle, de l'autre côté du foyer. Shamti choisit de rester debout près de la porte, sentinelle jusqu'au bout. Meleth les fixa tour à tour, d'abord sans comprendre et puis ses oreilles commencèrent à percevoir un souffle de vent comme un murmure, le même qu'elle avait perçu quelques heures plus tôt sur les remparts de la forteresse de Valnain.
"Je l'entends... je pensais cela impossible. Ancienne, qu'est ce que cela signifie ?"
La vieille viera ferma les yeux, concentrée sur la voix de la forêt. Elle demeura silencieuse de longues minutes avant de répondre.
"Nous avons toujours su qu'il te manquait quelque chose mon enfant, depuis que tu es arrivée dans notre village. Ta mémoire, mais aussi une partie de toi demeurée cachée précieusement et profondément au coeur de la jungle.
- Pourquoi ne l'ai-je jamais senti jusqu'à maintenant ?
- Je la sens moi aussi, renchérit Shamti. Nous avons senti ta présence ici il y a des semaines, nous n'avons pas compris. Tu avais disparu depuis deux ans, nous avons toutes perçu ton départ et ton lien avec nous s'éffriter jour après jour, nous t'avons senti disparaitre..."

La tête de Meleth se baissa à ce souvenir, se remémorant à son tour ces longues semaines de solitude et de souffrance, devenant chaque jour un peu plus sourde au Vermot. Neuf lunes au total donc elle avait senti chaque pincement au coeur à chaque minute de chaque heure.
"Et voilà que brusquement tu réapparais, émergeant de nullepart comme si tu renaissait. Je ne comprennais pas.
- Shamti a cru te voir il y a environ deux semaines, remontant le fleuve avec la même aisance. Elle t'a cherché en vain, elle a marché jusqu'à Valnain pensant que tu étais peut-être restée là-bas au lieu de suivre ces étrangers dans leur pays.
- Que vous disent les esprits, Ancienne, suis-je malgré tout indésirable ?"

A nouveau le silence remplaça la réponse immédiate. Les volutes de fumée au parfum d'encens entouraient la chevelure de l'ancienne lorsqu'elle communiait avec les esprit. Ses oreilles tombantes frémissaient sous la brise qui s'infiltrait dans sa cabane décorée de toutes sortes de symboles.
"La Forêt est en colère. Ces étrangers lui ont enlevé une autre de ses enfants, ce ne sont pas les premiers..."
Meleth serra les dents, ne pouvant dissimuler son inquiétude vis à vis de ses compagnons. Elle savait qu'ils risquaient leur vie à l'instant même où ils posaient le pied sur la berge du fleuve.
"... Mais les esprits ont tourné leur attention sur cette tour qui déchire l'ether et les âmes. Elle est meurtrière, mortifère, et nous ne savons pas ce qu'elle veut. Les étrangers ont des réponses que nous n'avons pas, vous devez continuer votre route vers le Nord."
Elle baissa les yeux sur la fille du torrent qui la fixait avec surprise. Avait-elle bien entendu ?
"Ils ne sont pas les bienvenus ici Meleth, mais notre Mère ne les arrêtera pas dans leur périple du moment qu'ils poursuivent le sentier qu'elle a dessiné sous leurs pas. Tu sais où aller n'est-ce pas ? Elle te l'a montré.
- Mon rêve ?"

L'Ancienne hocha la tête sombrement.
"Shamti veillera sur vous jusqu'à votre départ, et sur cet étranger marqué par une autre forêt. J'aimerais que tu me parles de ce que tu as vu dans le monde avant de les rejoindre..."
Un mince sourire se dessina sur le visage de l'Ancienne tandis que Shamti soupirait, amusée, laissant les deux femmes à leur conversation. Elle se posta sur une plateforme à t'extérieure, d'où elle pouvait voir le pavillon ouvert assigné à ce groupe d'étrangers tenus malgré tout le plus à l'écart possible du village. Les viéras de Naatu les évitaient ou leur jetaient des regards méfiants voir hostiles. Certaines se demandaient pourquoi on les avait accueillis ici au lieu de les jeter dans le fleuve mais malgré tout elle entendaient la voix de la Mère-Forêt, et celle de l'Ancienne.
Ils semblaient pacifistes, différents, fascinés par ce qu'ils voyaient et respectueux de leur prise de distance comme s'ils comprenaient le pourquoi de ce rejet. Shamti les trouvait presque sympatique, au fond, mais la loi est ainsi faite. La Forêt parle, et ne voulait pas d'eux par ici.
Moins d'une heure plus tard, Meleth sortit à son tour et vint la rejoindre.
"Alors, que vas-tu faire maintenant ? demanda Shamti.
- Ne pas vous imposer notre présence plus que nécessaire. Demain je retournerais à la cabane chercher quelques affaires et nous reprendrons notre route.
- Tu pourrais rester, tu sais. Après tout, c'est comme si tu n'étais jamais partie."

Meleth sourit, une main sur le coeur. C'est vrai elle se sentait bien, de retour.
"Je ne peux pas rester."
Son regard suivait l'activité dans le pavillon. Ceux qui se balançaient dans les hamacs en riant, ceux qui discutaient plus calmement, assis autour de leur repas, ceux qui s'isolaient un peu pour observer le village depuis le bord avec curiosité. Même Miraven, le plus isolé de tous, semblait émerveillé par ce qu'il voyait. Shamti soupira à nouveau.
"Tu veux repartir avec eux, quoi qu'il arrive.
- Oui."

Elle n'ajouta rien. Les deux amies restèrent un long moment debout à observer les lumières de Naatu dans l'obscurité de Golmorre. Meleth se sentait bien, étrangement bien, reconnaissante comme un condamné qui aurait été gracié alors qu'il n'y croyait pas ; consciente de la chance qui lui était offerte mais aussi des questions auxquelles il fallait des réponses. Pourquoi cette partie d'elle demeurée dans la jungle s'était subitement réveillée, et où était-elle ?
"Tu ne vas pas courir les bois vêtue comme une aventurière. Viens, je vais te donner quelque chose."


Elle avait retrouvé les atours d'une sentinelle, ses repères dans la région et le sourire de Valorius qui pensait naïvement que c'était là le signe qu'elle avait retrouvé sa place. Meleth était rassurée, songeant aux mots de l'Ancienne, la Mère-Forêt ne les empêcherait pas de continuer leur route du moment qu'ils s'y tenaient. Elle ne pensait plus qu'à la suite de leur voyage lorsqu'elle monta jusqu'à son ancienne chaumière en haut de la cascade, accompagnée par une dizaine de ses compagnons curieux de connaitre l'endroit où elle vivait et pourquoi à l'écart de Naatu. Elle ne s'attendait pas à voir de la fumée sortir de la cheminée, et deux silhouettes près de la porte.
"Qu'est-ce que...?
- Sont-elles de Naatu elles aussi ?
- Non... restez ici, ne bougez pas."

Afin d'éviter tout risque, Meleth s'avança la première jusqu'à celle qui semblait monter la garde et protéger la seconde qui dansait sur un rocher. Un loup blanc était debout à côté, et un tigre à dent de sabre plus en amont de la rivière là où Grenat chassait habituellement.
"Je suis Elyth de Watharan, que venez-vous faire ici ?
- c'est... c'est chez moi ici."

Elle n'avait pas trouvé d'autre mot, prise de court. Elle le fut encore plus quand l'autre viéra se tourna vers elles.
" Lhei...?
- ... Meleth ?"

Un véritable chamboulement dans sa tête et dans sa poitrine. Elyth la gardienne ne semblait pas comprendre, contrairement aux autres qui s'approchèrent lorsqu'ils virent Meleth se précipiter dans la rivière pour aller saisir l'autre fille du torrent dont ils avaient vu les traits se dessiner dans l'eau noire.
"c'est toi, c'est bien toi ?
- Je savais, j'ai toujours su que tu étais vivante !"

Les retrouvailles furent agitées, évidemment. d'un côté les deux filles du Torrent semblaient se redécouvrir l'une et l'autre, chacune ayant toujours plus de question, et en même temps la confrontation entre les deux viéras de Watharan qui ne s'attendaient pas à de la visite, encore moins celle d'un groupe d'étrangers en compagnie d'une sentinelle de Naatu. Méfiance, provocation, menaces en sourdine, la gardienne Elyth était sans conteste sur la défensive et bien sur Ivanhault et Isaudorel n'étaient pas du genre à se taire face à l'hostilité. Une flèche sortie de nullepart lorsque Ivanhault tenta un geste amical vers Lhei, qu'il trouvait déjà symaptique, n'arrangea rien. Il partit en colère, retournant sur l'Eternal "en sécurité".
Heureusement, Napa était là pour désamorcer la situation comme elle savait si bien le faire. Elyth semblait être une radicale, et prise de court il lui faudrait certainement du calme avant d'entendre la volonté des esprits. Quand bien-même, cela sera certainement difficile à accepter et Meleth ne le savait que trop bien. Elle aussi avait besoin de temps.
"Alors toi aussi tu ne te souviens de rien."
Lhei hocha négativement la tête.
"Les Watharan m'ont trouvée et élevée comme l'une des leurs. Je ne savais pas que j'avais un... peuple, une tribu."
Elle semblait tout aussi perdue, de la même façon qu'elle deux ans plus tôt. Juste des sensations, une présence, un lien spécial avec l'eau et une attirance pour les humains étrangers dont elle collectionnait les objets du quotidien. Elle avait entendu un appel quelques temps plus tôt et avait remonté le fleuve jusqu'ici, guidée par cette voix. c'était elle que Shamti avait aperçu. Elyth était son amie, elle l'avait accompagnée.

Elles discutèrent un long moment, pendant que les autres faisaient tout leur possible pour apaiser la méfiance de la gardienne en se montrant le plus respectueux et pacifiques qu'ils le pouvaient. Mais comment résumer en quelques heures ce qu'elles avaient vécu l'une et l'autre, comment expliquer qu'elle était partie pendant deux ans mais qu'une part d'elle qu'elle ne savait même pas existante était demeurée dans la jungle ce qui expliquait qu'elle soit encore reconnue. Comment expliquer l'Eternal, ses voyages et le vaste monde en si peu de temps ? Comment lui parler de ses visions, du Dévoreur, de cette ombre qu'elle aussi sentait depuis longtemps. Il fallait laisser digérer les informations, aller à l'essentiel et au plus important :
"Tout ceci n'arrive pas sans raison, n'est ce pas ?"
Assises au bord de la rivière, les deux Filles du Torrent levèrent les yeux vers l'immense tour de l'apocalypse qui déchirait le ciel, à la fois encore loin et trop près. Les Watharan aussi subissaient sa présence et avaient perdu des sentinelles, comme Naatu, comme tous les viéras de Golmorre.

"Rentrons chez nous."
Lerith Il y a 6 jours et 13 heures


Bien qu'elle s'attendait à ce que son retour soit difficile, la beauté de la Terre des Torrents apaisait la douleur d'affronter le passé. Dès leur arrivée, ils virent perchés au sommet des immenses chutes d'eau marquant l'entrée du territoire de ses ancêtres les deux gardiens viéra, de trop loin pour les discerner en détails mais ils étaient là. depuis combien de temps les derniers Fils du Torrent vivaient-ils seuls sur ces terres abandonnées, à veiller sur l'ombre qui someille et faisait taire jusqu'à la nature elle-même dans cette partie de la forêt ?
"Est-ce que ça va aller, Meleth ? Lui demanda Valorius.
- Oui. Oui, je suis prête."
Vingt ans d'absence, de mémoire fragmentée, de questions sans réponses et d'appels silencieux. Il était temps que Meleth du village d'Esthar, dernière fille du torrent de la rive est, retourne dans son village. Lhei était là, mais elle aussi devait retourner sur le lieu de sa naissance, le village de la rive ouest.
Plus on s'éloignait du fleuve, plus le sol disparaissait sous les racines des arbres, si grandes et si épaisses qu'elles s'entremêlaient pour former des sentiers sous lesquels on pouvait entendre l'eau qui s'écoule ; rares étaient les recoins où l'on touchait terre. Les années n'avaient pas épargné les maisons en bois perchées dans les arbres au milieu des ruisseaux et des cascades. Tandis que les autres membres de l'expédition exploraient les différentes habitations abandonnées, avec son accord et dans le respect de sa culture, Meleth descendit lentement jusqu'à la cascade principale. Elle avait sentit la présence du gardien dans les environs, méfiants et peu enclin à se montrer, encore moins face aux étrangers qu'elle avait amené avec elle ; mais à ce moment précis, elle était seule lorsqu'il sortit. Posé sur une branche, en équilibre sa lance dans une main, les trois fauves l'accompagnant sortant la tête des buissons, il la fixait à la fois avec sérieux et une pointe de soulagement.
"Noah, souffla-t-elle.
- ... Tu m'as retrouvé."

Il fit un pas dans sa direction.
L'aîné des Fils du Torrent lui inspirait un profond respect plus que de la peur. Gardien solitaire, silencieux depuis tant d'années, il avait continué de veiller sur une terre meurtrie et inhabitée par loyauté et devoir. Croisant son regard à la fois paisible et sauvage, elle ne put que s'incliner profondément.
"Je suis de retour, j'ai entendu l'appel... mais j'ai besoin de réponses.
- ... Réponses ?"

Il fit un pas de plus, la branche craqua légèrement sous le poids des deux viéras à présent seuls au-dessus de l'eau. Il tendit la main pour lui soulever le menton, la touchant à peine.
"C'est toi, la réponse."
Il plongea sa main sous sa propre tunique, et lui montra le cristal de glace. A sa vue, Meleth se figea. Tout ne lui revint pas en mémoire d'un seul coup mais elle revit sa dernière nuit au sommet des cascades, lorsque l'autre Fils du Torrent pointa sur elle une flèche de glace, cette même flèche qui emprisonna sa mémoire dans ce fragment que Noah lui tendait. Elle entendit sa propre voix exhorter cet archer à tirer tandis qu'elle serrait contre elle le corps inerte de son amie.
"Fais-le, maintenant !"
Elle se souvint de son nom. Luka.


La consultation de l'Oracle dans le temple du Serpent Noir apporta quelques réponses supplémentaires mais le plus sacré de tous les sanctuaires pour les Filles du Torrent se trouvait bien loin de la splendeur des pyramides dépassant la hauteur des arbres et des statues de pierres se dressant au-dessus des visiteurs. C'est dans cette petite clairière sur l'une des îles traversant le fleuve, au centre de la Terre des Torrents, que se trouvait son cœur. Et c'est là que s'éveilla l'abomination née des Tours de l'Apocalypse : Luna-Tlaloc. Né de la peur et de la corruption grâce à l'essence du Dévoreur endormi en ces lieux, se nourrissant de la force du torrent, l'ether vicié et l'influence des tours n'avaient fait que donner l'impulsion qui manquait à sa matérialisation.
Mais dans ce combat, elle ne serait pas seule. Ses compagnons étaient là ainsi que leurs alliés, Lhei et sa sœur de watharan, Elyth, venaient d'arriver et sans hésiter dégainèrent leurs armes. Dans les arbres au-dessus d'eux, retentirent les cris de guerre des deux Fils du Torrent demeurés jusque là invisible au regard de la plupart des intrus.
Ce fut un rude combat, face à une créature de l'apocalypse les blessures furent aussi nombreuses que l'utilisation de boucliers et de magie curative fut nécessaire, épuisant les mages poussés au bout de leurs capacité tandis que les autres combattants ne reculaient devant rien, qu'importe la douleur qui déchirait leurs muscles chaque fois que la créature de l'ennemi les submergeait de sa vague toxique. Ils l'acculaient sous une pluie de coups pour certains parfaitement coordonnés pour le toucher. Dans la mêlée, Meleth et Lhei sentaient la puissance de la corruption faiblir en même temps que celle de Tlaloc. S'ils continuaient ainsi, le serpent noir gardien de leur tribu mourrait en même temps que cette chose.
"Il faut le sauver !" s'écria Meleth lorsque, à l'agonie, leur adversaire se désintégra pour laisser la place à une sphère aqueuse sombre de plus en plus instable.
II avait besoin d'ether pour se régénérer avant qu'il ne soit trop tard. Les deux viéras se lancèrent une danse tout droit sortie de leur inconscient plus que de leur mémoire. Elles avaient ça dans le sang, accroché à leur instinct. Hotaru les suivit, Kyuuji et tous ceux qui ne pouvaient suivre leur pas tendirent leur main pour leur envoyer de l'ether. Il y avait encore une chance, rien qu'une chance...

...et puis le silence.

De longues secondes s'écoulèrent dans l'incertitude... Jusqu'à ce qu'un rugissement remonte des profondeurs du fleuve qui entourait le sanctuaire. L'ombre d'un gigantesque serpent noir s'échappa de la grotte où se trouvait le cœur du torrent, passa au travers du groupe à une vitesse folle pour aller se jeter dans le torrent. Il était immense, magnifique, ses écailles d'obsidienne étincelant sous la lumière de la lune et les reflets de l'eau. Il émanait de lui une aura puissante difficile à décrire, le sentiment qu'il aurait pu tous les écraser sur son passage sans ménagement s'il avait été tangible et en même temps qu'il ne cherchait pas la violence. Thlaloc, le Gardien de la Terre des Torrents n'était ni bon ni mauvais, il était sauvage comme les rapides et brutal comme les chutes d'eau qui s'abattent sur les rochers. Une part de lui coulait dans les veines de ses filles, plus encore dans le corps de ses deux fils.
Les tambours résonnèrent dans les bois, comme venus d'un autre plan. Portés à leur tour par l'instinct, les deux hommes viéras se mirent à courir, bondissant sur les arbres de façon parfaitement synchronisée, appelant dans une langue étrange l'eau claire des chutes qui inonda le sol de l'île sur une vingtaine de centimètres, arrivant aux chevilles des combattants -ou presque à la taille de Nashasha- une eau pure qui nettoie, fit disparaitre la corruption de ces terres à tout jamais. Un profond sentiment de soulagement remplaça le malaise précédant le combat. C'était terminé.



Cette nuit-là, Meleth retrouva sa mémoire perdue en plongeant l'éclat de glace dans le cœur du Torrent et s'y baigna. Les minutes, leurs heures passèrent et peu à peu les souvenirs remontèrent à la surface, trouvant leur chemin vers son esprit. Elle se souvint de tout, du moindre détail depuis son enfance à Esthar, sa mère, et les fêtes du Solstice près du temple où les hommes venaient leur rendre visite. Elle se souvint de ce jour où elle vit pour la première fois Lhei, mais aussi Noah alors déjà adulte et Luka, adolescent sur le point de quitter Westhar. Elle se souvint de cette nuit d'horreur où toute la tribu avait invoqué le Dévoreur. Elle était à l'époque trop jeune, on l'avait éloignée du rituel, sans doute que ce fut le cas pour Lhei aussi. Elle revit ce monstre à ses trousses sur le point de la dévorer, et Noah fendre les airs armé de sa lance pour la protéger. Elle l'avait cru mort cette nuit-là, et continua de le croire mort jusqu'à ce que bien des années plus tard elle et Lhei le revirent à nouveau. Elle se souvint de ces années d'errance sur un territoire dépeuplé, quand elle n'avait que Lhei et Lhei n'avait qu'elle, et Luka qui leur apportait des vivres et les protégeait sans se montrer. Puis, leurs pouvoirs s'étaient développés et pour elle ce fut difficile car elle portait la marque du Dévoreur. Lhei avait voulu l'aider, elle s'était rendue au temple de l'Oracle, et en réveillant Thaloc... le Dévoreur réapparut. Cette nuit-là, ils comprirent tous les quatre qu'il ne les laisserait jamais en paix.

"Il ne cessera jamais de te poursuivre, son appétit ne sera satisfait que lorsqu'il aura dévoré jusqu'à la dernière Fille du Torrent.
- Fuir ne servira à rien !
- Je peux sceller ta mémoire, extraire tout ce qui faisait de toi une Fille du Torrent. Il ne te trouvera pas.
- Continue de veiller sur Lhei. Elle va bientôt découvrir sa propre maîtrise de l'eau. Éloignes-la d'ici."

Au sommet de la cascade, Luka banda son arc. Noah resserra sa prise autour de sa lance et jeta un regard en arrière.
"Fais-le vite mon frère, il arrive.
- Puisse le fleuve vous conduire toutes les deux en sécurité."

Le jeune viéra décocha sa flèche et transperça Meleth sans la blesser. Ses souvenirs devinrent glace et elle sombra dans les remous agités. Sa main lâcha celle de Lhei, elles furent emportées loin au sud. Cela n'expliquait pas son changement d'apparence mais en revivant cette scène il lui sembla entrevoir une silhouette entre les arbres et le visage familier d'un elezen aux cheveux blanc qui ne la quittait pas des yeux alors qu'elle tombait.

Un frisson remonta le long de son dos quand ce dernier souvenir reprit place dans son esprit. Elle était entière, elle était redevenue Meleth Esthar. Son oreille tiqua lorsque Hotaru, qui se baignait avec elle, se rapprocha avec inquiétude.
"Meleth, est-ce que ça va ? On dirait que tu as vu un fantôme.
- Hm ? Oh, oui ne t'inquiète pas."

La menace de la tour de l'Apocalypse était toujours présente, mais il semblait que pour un temps, la Terre des Torrents aurait un peu de répits. L'Eternal pourrait reprendre la mer dans quelques jours une fois leurs derniers travaux d'observation et d'étude achevés.

"Tu sais ,Hotaru, je pense que je vais rester ici quelques temps..."
Lerith Il y a 6 jours et 10 heures


L'ombre des arbres résonnait du chant des ruisseaux et des pas frénétiques de la viéra qui courrait à en perdre haleine, bondissant de racine en racine sur cette terre où me torrent est maître. Elle traversa les ponts et les rochers sans remarquer le regard des gardiens qui se tournèrent en la voyant passer, toujours cachés dans les arbres. L'eau claire jaillissait de partout sur son passage, accompagnant sa course. Meleth courrait ici comme si elle y avait toujours vécu, évitant chaque tronc, chaque pierre, le moindre obstacle avec aisance pour atteindre son but.
Enfin, se dessinèrent les hauts des chutes devant elle, le fracas du torrent couvrait en grande partis les cris en contrebas dont un qu'elle reconnut.
"Levez l'ancre, cap au sud !"
Non, pas encore...


Ils lui avaient fait leurs aurevoirs la veille, après un début de soirée compliqué pour lequel Ivanhault s'était une fois de plus excusé de son comportement. Elle avait sourit, pris dans ses bras U'napa qui cachait ses larmes de peur d'avouer sa peur de ne jamais la voir revenir, elle avait sourit devant leurs rêves de repartir et de "sauver le monde" à leur façon, elle avait ri face à l'innocence d'Albynn et salue chacun d'eux avant qu'ils ne rentrent sur l'Eternal. Son seul regret était de n'avoir pu trouver Hotaru, trop affectée sans doute, qui s'était isolée quelque part. Elle aurait voulu que cet aurevoir soit aussi paisible pour tous.
Et pourtant elle ne le pouvait, elle ne pouvait pas les laisser repartir ainsi. Elle avait réfléchi toute la nuit, entre insomnie et rêves troubles, pensant d'abord qu'il valait mieux pour tous qu'elle ne les regarde pas partir, elle l'avait cru jusqu'au dernier moment, la dernière seconde.

Attendez...!

Arrivant en haut des chutes, elle vit le vaisseau toutes voiles dehors qui s'éloignait vers le Sud, déjà hors de portée. Les larmes lui montèrent aux yeux, songeant à tout ce qu'ils avaient fait ensemble et tout le chemin parcouru.
Les Quatre Tours, la Trame, les quêtes insensées et les disputes stupides, le temps du réconfort et des réconciliations, les fêtes de l'Escale, les sources chaudes, les nuits de musique et de danse, les petites excursions devenues de grandes expéditions, trois en l'espace de quelques lunes. Tant de chemin parcouru ensemble, et tant d'aventures encore à vivre. Elle avait fait le choix de rester ici le temps que la Terre des Torrents soit à nouveau stable, que ses affaires soient en ordre, qu'elle puisse laisser Esthar entre de bonnes mains et retourner à son exil sans avoir de regrets ; un exil sans espoir de retour cette fois-ci... à moins que la Loi du Vermot change un jour, et que la Mère-Forêt s'ouvre au monde.

La main tendue vers ses compagnons déjà si loin, la Fille du Torrent laissa rouler quelques larmes sur sa joue bien qu'un sourire rempli d'esoir se dessinait sur ses lèvres. Ce voyage les avait tous transformé, mais elle, sa transformation venait à peine de commencer. Comment leur reviendrait-elle, l'accepteraient-ils toujours avec la même gentillesse et la même compréhension avec avoir partagé un peu de son pays natal, connu la beauté mais aussi les travers du peuple de la jungle ? ce n'était pas seulement une question de devoir et de sacrifice, pour traquer le Dévoreur et protéger sa terre de l'extérieur, ce n'était plus uniquement ce qu'elle avait considéré jusque là comme un choix nécessaire incluant cette fatalité douloureuse, que leur affection atténuait. Plus que tout, elle voulait les retrouver, retourner danser dans les haubans en chantant à pleine voix, découvrir ce qui lui était encore inconnu, et les suivre encore et toujours dans leurs aventures, jusqu'au bout du monde...
Bien sur qu'ils l'attendraient, elle le savait, elle en était persuadée. Peu importe le temps qu'elle passerait ici, et comment elle leur reviendra, ils ne cesseraient jamais de croire, d'affirmer avec fermeté qu'elle reviendra, qu'elle doit être avec eux car c'est ainsi.
Meleth tomba à genoux, laissant ses larmes se mêler à l'eau des cascades qui lui étaient si chères.
"Pardonnez-moi, Mère-Forêt, de renoncer si facilement à la seconde chance qui m'a été donné. Golmorre sera à jamais dans mon cœur, et le Torrent vivra en moi à jamais... mais ma place est auprès d'eux je le sais."
Il serait mentir que de prétendre qu'elle ne ressentait aucune douleur, qu'il n'était pas difficile de choisir l'exil à nouveau et de savoir qu'elle allait abandonner son peuple une nouvelle fois. Valorius l'avait qualifiée de pont, un pont qui un jour permettrait aux viéras de s'ouvrir au monde. Qu'il y en aurait d'autres comme elle, et qu'un jour peut-être, grâce à eux, la loi changerait. Mais pour cela, il lui fallait consentir à ce déchirement une dernière fois ; juste un peu de courage pour clore ce chapitre.
"Je vous le promet, je vous retrouverais bientôt."

Plus loin à l'Est, la sombre tour défigurait toujours le paysage, menaçante et imposante. Les évènements qui allaient bientôt secouer le monde entier ne prenaient aucun cas des épreuves de chacun hélas, et "bientôt" allait venir bien plus tôt que prévu.


Fin de la Partie I

Transition vers la 6.0

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