Les Chroniques du Torrent

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Lerith Il y a 22 heures et 36 minutes


On s'attendait à ce que rien ne se passe comme prévu, mais tout s'était accéléré en peu de temps et c'est à peu près pendant cette période que le vernis commença à s'effriter. Pour commencer, l'enquête -qui juste là traînait des pieds- après que l'on ai découvert des dizaines de cadavres dans une cavité des gorges foudroyées fit remonter la tension dans le corps et l'esprit de la viéra jusqu'à remonter la piste de Terra Nocta dans les quartiers mal famés de la Gardienne. Un affrontement dans un nightclub plus tard, et à la sortie de l'hôpital, Meleth s'empressa de rentrer en Noscea où l'absence de retours sur une autre enquête commençait à inquiéter sérieusement ceux restés en arrière.
"Des nouvelles de Nazah ?"," Que fait-on, capitaine ?", "Est-ce que tu sais où on va avec cette affaire ?"
Dans son bureau, la viéra tournait en rond de plus en plus nerveuse ; une nervosité qu'elle ne voulait surtout pas transmettre à ses camarades déjà accaparés par le sort des alexandrins assassinés ou celui d'Akira, en plus de leurs problèmes personnels. Il fallait qu'elle agisse d'une façon ou d'une autre, qu'elle trouve le moyen d'aider Nazah. Secouer le bocal pour faire remonter l'air comme disait Ganelon. Vint alors l'erreur, son erreur, qui précipita Lysia dans la tourmente. Elle avait sous-estimé les risques, elle avait surestimé l'impact de la miqo'te pensant frapper fort sur le terrain de l'adversaire. A cause d'elle, Lysia risquait son avenir à la guilde des Arcaniste et elle ne se le pardonnait pas. Le tourment et la confusion de ses camarades se mêlant à sa propre culpabilité et son inquiétude vis à vis de l'Eternal ne firent qu'empirer le phénomène qu'elle choisit de cacher, pour ne pas empirer les choses. Trois personnes étaient au courant, dont deux extérieures à la compagnie et le troisième occupé avec les rôdeurs-vipères à l'autre bout du monde, suffisamment détaché de tout cela pour n'affecter personne. Même maître Dadjeel, pourtant si perspicace, ne parvenait pas à trouver l'équilibre.
"J'ai l'impression de revoir la funambule qui dansait au bord du vide il y a trois ans. 'Faut que tu t'accorde ma grande, t'es plus une gamine."
Le grand raen serra sa grande main au-dessus de son épaule, presque compatissant.
"Aller, debout. On reprend du début. Si je ne peux pas te remettre en posture droite, je peux t'épuiser suffisamment pour que tu ne provoque aucune catastrophe."
La méthode sembla un temps porter ses fruits. Chaque fois que ses nerfs étaient à vifs ou la pression trop forte, Meleth cherchait à s'épuiser par tous les moyens possibles, tout en alternant de longues périodes de réflexion pour arranger la situation, et des périodes d’exutoire en dehors de la compagnie. Sa hantise était d'ajouter malgré elle un problème aux problèmes qu'elle avait déjà causé par excès de confiance.

Par chance le tournois de Halone occupait les esprits, par chante Akira se réveilla -elle ne dirait jamais ouvertement sa joie de savoir le domien réveillé- et par chance, les piliers de la compagnie tenaient bons pour soutenir les autres. A quelques jours du bal de clôture, la viéra se sentait plus apaisée en se rendant chez maître Démesure pour les dernières retouches sur sa robe. Le couturier s'était surpassé.
"Démesure vous l'avait bien dit !" s'exclama t-il, toujours aussi enthousiaste, alors qu'il ajustait la ceinture de voile sur ses hanches. "Les brassards ne sont pas de trop, vous allez les éblouir !
- C'est le mot juste au vu du tissus que vous avez choisi."

L’œil brillant de l'elezen suffisait à la mettre en confiance. Face au miroir, elle se trouvait belle.
"Pensez à me dire ce que votre ami en aura pensé" Ajouta t-il, amusé en la regardant se tourner.
Elle sourit un peu plus, songeant au regard de Ganelon lorsqu'il la verrait se présenter à ses côtés en danseuse exotique au milieu des nobles dames en velours et cachemire. Elle allait détonner mais c'était le but.
"Pensez-vous qu'on me remarquera ? Je ne voudrais pas non plus manquer de respect à nôtre hôte.
- Oh croyez-moi ma chère, ils le remarqueront. Vous êtes splendide !"

Il n'avait pas menti. Outre le regard à la fois amusé et appréciateur de son cavalier elle reçut de la part de la dame de Valdis un regard des plus appréciateurs en descendant les marches au bras du marquis. Le tissus choisi par Démesure étincelait à la lueur des chandeliers. Comme pour s'ajouter à la bénédiction de l'univers, la salle de bal était entourée d'eau ruisselant le long de cascades artificielles et de fontaines. La Fille du Torrent se trouvait dans son élément. Cette nuit-là elle se sentit belle. Elle s'amusa, se détendit. Ganelon avait toujours le mot pour la faire rire en commentant les discussions autour d'eux tels de viles commères qui ne faisaient toutefois de mal à personne. Elle voyait les autres s'amuser aussi, Mahruvvet danser avec tout le monde. Albynn riait. 
Lysia souriait à un xaela, assise sur la terrasse au clair de lune, Astera papillonnait de convive en convive traînant derrière elle une Floerswys coincée entre l'ennui et la bienveillance. Pour quelques heures au moins, elle sentait que toute la tension dans son corps s'évanouissait comme si tout était normal. Même Ganelon s'était exercé à la danse et semblait bien plus à l'aise. Alors quand Galen vint lui tendre sa main en une invitation complice, elle n'hésita pas une seconde une fois que son cavalier eut consenti à la laisser filer quelques minutes.
"Voyons si le soldat est bon danseur.
- J'attends ce moment depuis longtemps, si tu savais.
- Eh bien, montre-moi."
Galen ne manqua pas de la surprendre. La modération n'était pas son fort et cela fit le plus grand bien, emportée par cet élan d'audace lorsqu'il la fit tournoyer dans tous les sens pour mieux la soulever de terre. Elle riait, ils rirent tous les deux, se donnant en spectacle sans aucune gêne au milieu des danseurs bien formels. De toute façon la plupart de les remarquaient même pas, trop engagés dans leurs propres échanges et puis il y a toujours quelques excentriques dans ce genre de soirée. Au final, cela lui fit le plus grand bien. Elle avait vu Silius, en forme et même enclin à une pointe d'humour dans son choix de vêtement. Nazah était sereine, Ivanhault confiant. Même Yone, qui ne venait jamais à se genre de soirée, occupait le buffet en compagnie d'Eva. Elle commençait à se dire qu'elle avait peut-être un peu exagéré l'ampleur de la crise, qu'elle pouvait se reposer sur les autres et se consacrer à Lysia pleinement une fois que tout serait rentré dans l'ordre. Même si le bal fut écourté par l'arrivée tardive d'une funeste nouvelle à leurs hôtes, sa dernière promenade sous les étoiles dans les Contreforts lui promettait une nuit apaisée et des journées plus légères.

Cela ne dura que jusqu'au lendemain soir. Mahruvvet leur avait offert à tous des billets pour un concert à Solution Neuf. Meleth était ravie d'y aller sachant que plus de la moitié de la compagnie s'y rendait. Cela renforçait sa conviction que l'esprit de corps prenait le dessus, qu'ils resserraient les rangs. Et c'était le cas. Dans son bureau, elle passa plus d'une heure à métamorphoser cette coincée d'Irdel en fêtarde de Vraie Vision puis l'emmena rejoindre les autres.
"Silius va nous rejoindre sous peu.
- Quelqu'un a vu Mahruvvet ?
- Qu'est ce que vous faites avec votre mémoquartz capitaine ?
- Je prends une photo, regarde on est plutôt pas mal, non ?
- Dommage que Vanish ne soit pas venue.
- Je vous présente Ulysse, un camarade de l'académie."

Pour la deuxième fois de suite, la soirée s'annonçait sous les meilleures auspices et même s'ils faisaient la queue à l'entrée du bâtiment sans aucune nouvelle de Mahruvvet, s'imaginant la raenne déjà à l'intérieur jouissant du carré V.I.P en ricanant derrière un cocktail, ils pensaient que rien ne pourrait arriver.
C'est alors qu'il eu un premier mouvement de foule, banal presque anodin, l'empressement de quelques alexandrins sans doute d'accéder au spectacle. Puis il y eut un tir, et un cri. Une sentinelles venait de blesser un civil en pleine rue. Le doute survint mais l'esprit de Meleth ne voulait pas croire que tout recommençait.
"Tiens, un délit de fuite ? Elles sont plus discrètes normalement."
Un attroupement autour du blessé fit monter la tension d'un cran mais il y avait toujours ce voile par-dessus la raison qui hurlait au danger comme si son cerveau ne VOULAIT PAS voir que tout recommençait exactement comme la dernière fois. C'était impossible. Zoraal Ja était mort, il n'y avait plus personnes pour ordonner aux sentinelles de...
Un autre tir au loin, des cris dans l'avenue principale de Vraie Vision. La voix d'Ivanhault s'imposa comme un coup de tonnerre.
"Ne restez pas plantés là, ils se font tuer !"
Meleth sortit de son état de sidération. Elle n'avait pas une seconde à perdre.
"Yone, avez moi !" s'écria t-elle en courant vers Vraie Vision. Le samourai la suivit, ainsi que d'autres. Ils se séparèrent en plusieurs groupes. Elle entendit Sagramor embarquer plusieurs personnes vers l'orphelinat et Floerswys prendre la direction des quartiers résidentiels. Ce n'était plus le moment de réfléchir au pourquoi du comment. 
Ce fut encore une nuit de panique et de feu. Encore une fois, personne ne comprenait ce qui se passait ni pourquoi certaines sentinelles s'en prenaient aux civils. Cela ne fit que raviver le traumatisme de la première attaque et les nombreux morts laissés derrière eux. Il y eut de nombreux morts même s'ils purent sauver quelques vies à l'échelle de leur groupe. Tous en sortiraient éprouvés mais pour Meleth, ce fut une plongée dans les ténèbres quand tout lui revint : la peur dans les yeux des habitants, l'urgence dans ceux de ses camarades. La panique, le feu du combat qui s'empare des corps, un sentiment de rage et d'injustice face aux questions sans réponse. Tous ces sentiments la traversaient comme un miroir de ses propres tourments. 
Elle avait pourtant tout fait pour empêcher cela. Elle avait dansé, dansé jusqu'à l'épuisement. Elle avait exprimé sa rage et sa frustration dans les îles d'Ombra, détruisant des morts-vivants à n'en plus finir jusqu'à ne plus tenir sur ses jambes, jusqu'à ce que les ténèbres s'apaisent avec la fatigue de l'esprit. Elle avait noyé le mal par la raison, s'était accrochée à la lueur que représentaient ses amis, à son désir de faire de son mieux pour eux, pour réparer ses erreurs et ses rêves de voyage.

Trop tard.

La colère gronde sous la surface. Pourquoi, pourquoi veut-on les empêcher de vivre ? Elle n'avait rien demandé, rien ! On lui arrache son navire comme on l'a arraché à sa vie en l'emprisonnant sous un dôme pendant trente ans. On détruit tout ce que ses camarades et elle ont passé tant d'années à construire. Silius, Mahruvvet, Albynn... Et elle n'était même pas capable de tenir le coup pour eux, de les protéger. Lysia, elle aurait dû protéger Lysia au lieu de la jeter en pâture aux calomnies. Et tout cela pourquoi ? Pour rien. Parce qu'ils n'ont rien fait pour mériter cela. Il n'y avait rien à perdre, rien à leur prendre. Et ces gens, tous ces gens que qui le sort s'acharne. Pourquoi massacre t-on les alexandrins pacifiques ? Imparfaits, endoctrinés par ce système de régulateurs contre-nature à ses yeux, mais pas moins meurtris injustement par le destin. Le hurlement coincé dans sa gorge se libéra lorsqu'elle reçut un tir dans la jambe en voulant couvrir Silius cherchant à arrêter l'une des sentinelles hostiles.
L'eau noire se manifesta, attirée depuis sa propre gourde, pour prendre la forme de glace. Une glace noire s'élevant en piques tranchantes reflétant son visage comme un miroir. Elle n'était plus que rage, la fureur du torrent sauvage. Cette même glace qui lui scarifia les mains et les poignets s'abattit sur son adversaire alors qu'elle hurlait toujours.

Elle ne vit pas la fin du combat, ni les appels d'Astera soucieuse de soigner ses plaies. Lorsque le feu retomba, elle avança toujours plus jusqu'aux dernières tables retournées proches de l'Arcadion. Ses iris noir comme l'obsidienne, son esprit brumeux. Elle n'entendait plus rien si ce n'est sa voix tapis dans l'ombre ; murmure lointain et obsédant dont elle ne savait déchiffrer le sens. Jusqu'à ce que Yone se dresse sur son passage et la saisisse par les épaules.
"Meleth ! Meleth ça va ?!"
Le regard du hyurois mêlant inquiétude et incompréhension la fit émerger des brumes. Elle s’effondra dans ses bras, tremblante, la tête reposant contre son épaule. Ses mains fébriles se cramponnaient à sa veste comme s'il était son seul ancrage à la réalité.
"Yone... je... j'ai voulu retenir... l'empêcher. Pardon... pardon !"
Elle ne savait même plus pourquoi elle demandait pardon. Pour ce qui venait de se passer ? Pour Lysia ? Pour Jasper ? Pour son incapacité à tenir ou sa fuite en avant vers les ténèbres ? Elle voulait hurler et ravaler sa peine en même temps. Elle voulait se réveiller mais aussi se perdre, se noyer dans ces profondeurs oubliées où personne n'aurait à subir son manque de contrôle. Si seulement elle avait été plus forte, si seulement elle avait pu trouver Ouran avant de disparaître sous le dôme, si seulement elle avait été un meilleur capitaine, si seulement elle avait demandé de l'aide au lieu de vouloir être celle qui vient en aide aux autres.
La main de Yone sur son dos calma les tremblement. Celle d'Astera soignait ses plaies. Autour, les civils hagards cherchaient du soutient dans le regard des plus solides. Elle se souvint alors qu'elle devait compter parmi les esprits inébranlables. Alors elle se leva, certaine de savoir ce que l'on attendait d'elle.

Parce que Meleth est forte.
Parce que Meleth va toujours bien.
Parce que Meleth s'en sort toujours.

Parce que Meleth n'a jamais perdu le contrôle.

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