[Kikyo] II - Coeur de Diamant

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Lerith Il y a 12 mois et 3 jours

Bien qu'il se déplace appuyé sur sa canne, le plus droit possible, le raen dégageait toujours cette aura puissante inspirant le respect et parfois la crainte, comme si son infirmité n'était pas. D'un battement de cil, cet homme marqué par la guerre et les complots aurait pu la raccourcir d'une tête sans que l'on voit venir sa lame, elle en était intimement persuadée. Kakita no Yaten était plus qu'un modèle, plus un daimyo, il était maintenant un mythe.
"Doji no Sanjuro, vous tenez entre vos mains l'avenir, les attentes et l'honneur de la Grue."
A l'instant où il posa sur le front du duelliste la tiare d'argent, elle retint son souffle. Elle n'était plus seulement l'épouse d'un chef d'un clan, elle était la sœur d'un autre. Elle qui avait toujours détesté la politique, voilà qu'elle endossait un rôle majeur dans cette alliance entre le Lotus Blanc et la Grue. Elle le sentit, pendant quelques brèves secondes, les regards tournés vers elle comme si subitement le monde prenait conscience de son existence, et celle de l'enfant assise à ses côtés : Kimiko Kurusu, héritière du Lotus, liée par le sang au seigneur Doji no Sanjuro.
"Ainsi la lignée Doji reprend ce qui lui revient de droit, et la famille Kakita le servira jusqu'à ce que le monde s’effondre."
Kakita no Yaten recula, et pour la première fois elle le vit s'incliner. Il n'était plus daimyo, mais autour d'elle chaque tête aux cheveux d'argent s'abaissa jusqu'à ce que leur front touche le sol. Si elle n'avait été l'épouse du Tigre, elle l'aurait fait elle aussi. Elle avait fait le choix de ne pas décolorer ses cheveux ce soir, bien qu'elle ai revêtu l'habit bleu ciel en hommage à son frère et sa jeune épouse. Elle se contenta d'imiter son époux qui inclina la tête humblement, face à son égal.

A la fin de la cérémonie, une fois que les hommages furent présentés aux mariés et les cadeaux préparés remit en mains propres, le couple se retira. Il était bien tard pour la petite princesse du Lotus qui s'était bien tenue malgré son jeune âge. Il était temps de lui retirer son kimono, et de la coucher. Un enfant doit rester un enfant, autant que possible.

"Vous êtes songeuse."
Difficile de ne pas le remarquer, quand d'ordinaire elle frémissait telle une jeune vierge chaque fois qu'il posait les mains sur elle. Ce soir elle posa simplement sa tête contre son épaule, les yeux fermés sans que son souffle n'éveille ses sens. Elle soupira.
"Je repense à mon frère, à mes devoirs et mes décisions."
Il savait très bien de quoi elle voulait parler. La simple présence de Shiroyume sur le support en tête de lit plutôt que près de son armure en disait long. Sanjuro avait prêté serment en mentionnant le bushido, les valeurs de la Grue et intrinsèquement des Kakita, il devait recevoir les hommages de chaque samourai du clan dans les jours à venir, et cela éveillait à nouveau le doute en elle, sans parler des allusions à son père.
Le Tigre se mit sur le dos, fixant le plafond. Impossible de dire s'il était vexé ou non dans la pénombre, silencieux. Kikyo finit par se redresser et quitta le lit puis la chambre. Les nuits devenaient plus fraîches en ce début d'automne, le vent d'Est annonçait les premiers orages alors que quelques feuilles déjà tombaient sur l'herbe à ses pieds. Pieds nus elle ne quitta pas le jardin. Assise sur les marches, elle ne tarda pas à sentir le frottement du museau du jeune tigre venu ronronner à ses côtés. Akio était partit quelques jours, laissant ses pensées s'exprimer sans réponse.

Si je renonçais, même partiellement, à la Voie de la Grue et aux traditions du iaijutsu, ce serait une insulte à mes ancêtres, à mon frère... Je sais qu'Akira-sama ne m'en voudrait pas, il trouve même cela intriguant. Non, en fait, c'est à lui que je penses sans relâche.

Par "lui", elle parlait de son père. Kakita no Masaru, dont le nom avait été clairement évoqué pendant la cérémonie, lui dont elle n'avait jamais vu le moindre portrait, tous détruits dans l'incendie de l'ancien Palais de la Grue. Elle ne le voyait, ne l'imaginait qu'au travers de son frère bien aimé qui, disait-on, lui ressemblait tant. Elle le voyait, le rencontrait à travers lui, à travers ses yeux dont elle avait hérité aussi. Son père, qu'elle voulait voir en héros mort en martyr face à l'armée impériale, ce duelliste vertueux qui n'avait dans sa vie commis qu'une seule faute. Si elle déviait ne serait-ce qu'un instant du iaijutsu, surtout maintenant que son frère portait l'honneur de tout le clan sur ses épaules et que les regards se porteraient sur elle plus encore. Elle sentit remonter dans son ventre ses plus vieilles angoisses.
Fille illégitime, imparfaite, incapable... incapable d'honorer les siens ; incapable d'être une duelliste à la hauteur de son demi-frère si parfait, si vertueux. Même pas une Grue, seulement une moitié de Kakita, une insulte à la mémoire d'un grand homme.
Nul ne sait combien de temps elle resta assise sur le perron ; des minutes, des heures ? Elle ne pouvait rester ici jusqu'au matin et s'afficher devant les servantes. Elle finit par se lever, retourna à l'intérieur, et monta les escaliers. A mi-chemin, elle entendit Kimiko s'agiter dans son berceau. Toutes ses pensées s'envolèrent momentanément, l'instinct maternel reprenant le dessus, elle se précipita dans la chambre.
"Là, ça va aller. Tu as fait un cauchemar ?"
Sitôt dans les bras de sa mère, les gémissements de l'enfant s'arrêtèrent. Elle ne pleurait quasiment jamais mais elle gonflait les joues et respirait fort, lâchant parfois quelques sanglots difficile. Kikyo la berça tendrement.
"Ça va aller, je suis là..."
Vite calmée, Kimiko saisit dans sa petite main le tissus du yukata de sa mère qui plongea son regard dans le sien. Elle avait le don d'apaiser son esprit, plus rien ne comptait à part elle dans ces moments là. Et bientôt elle ne serait plus seule. Un doux sourire se dessina sur ses lèvres, visiblement seulement par l'enfant.
"Je me demande si ton frère ou ta sœur aura ce même regard, ou s'il aura le miens. Quand tu seras plus grande, je te parlerai de ton grand-père comme ta grand-mère me le racontait."
Kimiko ouvrit la bouche, essayant de répondre avant que sa bouche ne s'étire en un bâillement fatigué. Il était temps de se rendormir. Ses doigts minuscules relâchèrent lentement le tissus et le petit lotus replongea dans un sommeil profond, bercé par sa mère qui la replaça dans son berceau.

Elle aurait bien d'autres façons d'honorer la mémoire de Kakita no Masaru, et de se montrer digne de lui. Elle donnerait à son époux assez d'enfants pour leur parler de lui, leur apprendre ce qu'elle sait et le maniement du sabre, et faire qu'à travers eux il continue de vivre.
De retour dans la chambre, elle ne s'attendait pas à voir la silhouette de son époux assis dans un rayon de lune, adossé au mur les draps sur les genoux.
"En avez-vous enfin terminé ? Demanda t-il, impérieux.
- Haï."
Son yukata glissa sur le sol.
Lerith Il y a 12 mois et 3 jours

Il était assis sur le lit, les draps retirés, les yeux dans le vague. Presque deux semaines s'étaient écoulées sans qu'il ne sorte, constamment maintenu sous sédatif dans le quartier de confinement. A son approche, il écarquilla les yeux avant de se rigidifier à l'idée obscure qui venait de traverser son esprit.
"Vous ? Que faites vous ici ?
- Je suis venue vous voir."

Elle tira le rideau et s'installa sur le fauteuil près du lit, sans qu'il ne la quitte du regard.
"Cela fait plus d'une semaine que vous êtes maintenu sous sédatif, j'ai jugé qu'il était désormais moins risqué de vous rendre visite.
- Vous avez oublié votre arme du crime ...
- Vous pensez que je suis venue vous tuer ?
- Pourquoi seriez vous venu autrement ?
- Et pourquoi serais-je venue pour cela, quelle raisons aurais-je de vouloir vous tuer ?"

La conversation aurait pu plus mal débuter, bien qu'il se défende de son mieux par l'attaque. Domiens barbares et meurtriers, collaborateur de l'ennemi des peuples, autant de dogmes et d'insultes qui l'auraient poussé à le tuer sur le champ si son endoctrinement par l'inquisiteur n'avait pas été avéré.
"Gggh ....Maudit soit cette drogue que l'on m'injecte ..."
Elle l'observait, neutre, parfois avec pitié. Comment cet homme avait-il pu tomber si bas ? Alors qu'il parlait et qu'elle répondait de sorte qu'il ne puisse plus rien dire, réalisant que ses paroles n'avaient aucun fondement, elle réfléchissait.
"Hmpf ... Un peuple perdant, perdra toujours je ...Mon esprit est ...Confus...
-Évidemment qu'il l'est, voilà plus de quinze jours que vous n'avez pas été endoctriné. Vous recommencez à réfléchir par vous-même. Plus personne pour faire de vous une arme sans volonté."


Il résistait, encore, ne jurant plus que par ses frères et sœurs de foi. Kikyo demeurait immobile, intraitable, ce qui semblait pousser à bout le hyurgoth encore davantage. Elle savait que d'autres lui avaient rendu visite, faisant germer le doute dans son esprit sans de réel progrès. Néanmoins ils avaient fertilisé le terreau, semé une graine, il ne manquait plus que l'eau de pluie pour la faire germer.
Et plus il s'obstinait, plus elle voyait poindre la petite cassure, ce petit nuage noir sur ce ciel radieux qu'était le Culte du Soleil à Douze Branches. Elle n'avait pas perdu de vue son objectif premier : trouver la faille non pas de Frederick, mais de celui qui l'avait endoctriné.
"L'inquisiteur me retrouvera, il DOIT me retrouver ! Sinon ...Sinon je vais encore ...Je vais encore m'égarer !"
Elle le vit secouer la tête, le regard plissé. Ah, enfin, une crainte. Il fallait qu'il parle de l'inquisiteur.
"Oui, c'est tellement plus facile n'est ce pas ? Souffla t-elle.
- ..."
Il leva les yeux Kikyo, ne répondant pas, passant une main sur sa tempe. Elle décida de poursuivre en contournant le sujet.
"Avoir quelqu'un pour vous dire quoi penser, comment penser, quoi dire, qui est le bon et qui est mauvais. Je me demande comment tout cela a commencé.
- A commencé ...Quoi ?
- Tout cela. Vous, votre inquisiteur... comment en êtes-vous arrivé à le suivre.
- ... Il est arrivé, lorsque les ténèbres m'ont enveloppé ... Il a été ma flamme lorsque ..."

Il ne termina pas sa phrase, fixant le vide en face de lui. Kikyo, elle, n'hésita pas. Elle avait l'intuition qu'elle tenait quelque chose d'important cette fois ; il fallait insister même s'il était encore assommé par les sédatifs. Qu'importe que ce soit une méthode peu loyale.
"...Pourquoi devrais-je vous en parler ?" tenta t-il pour la repousser.
Elle ne bougea pas, son regard azur figé dans le sien.
"Parce que personne ne vous a jamais posé la question."
Une évidence, bien qu'au fond elle n'en savait rien, mais c'était clair comme de l'eau de roche. S'il avait eu quelqu'un pour en parler, n'importe qui, il n'aurait pas été à ce point retourné par une secte. Il y avait quelque chose là-dessous, inachevé, une douleur latente, peut-être un vide que l'inquisiteur avait comblé.
Il ne répondit pas, mais il ouvrait la bouche, il était sur le pointe de craquer.
"Tout le monde prétend savoir ce qui est mieux pour vous, mais personne n'a demandé ce qui enserre votre cœur depuis si longtemps."
Et il cracha enfin le morceau. Deux jumeaux inséparables jusqu'à ce que l'un des deux soit assassiné, un lien naturel et un vide soudain couplé à un sentiment d'injustice, le désir de vengeance, la perdition, et cet inquisiteur soudain sortit de nulle part pile au bon moment. Bien sur l'assassin était un samourai miqo'te associé à Garlemald, ancien membre de la compagnie que lui et son frère avaient rejoint, quoi de mieux pour attiser le racisme et le couper de tout ses liens ?
Elle l'écouta sans broncher jusqu'à ce que...
"Qu'es que cela peut vous faire a vous ? Je ne suis plus votre pion !"
Elle avait eu ce qu'elle voulait. Il pouvait bien s'énerver à présent. Quoique...
"Sournoiserie ... C'est juste ... De la sournoiserie ...
- Vous savez ce que je trouve sournois ? C'est d'envoyer dans mes rangs un de ses pions pour me surveiller, et ensuite le rappeler à lui quand il réalise que ce pion retrouve peu à peu son libre arbitre. Car c'est bien pour cela que vous êtes venu aux Quatre Tours, n'est ce pas Frederick ?"

Il tenta de nuer, en vain. Plus il lui répondait, plus il bredouillait, paniquait. Il était à deux doigts de effondrer mais elle ne pouvait prendre pitié de lui, pas si près du but.
"Votre inquisiteur, il a peur de moi depuis cette affaire avec André, depuis qu'il a tenté par votre biais de nous utiliser et qu'il a réalisé son erreur car nous avons découvert le secret de cet artefact.
- Nous ne connaissons pas la peur.
- Oh si vous la connaissez. C'est la peur qui le motive, et l'a poussé à sa première erreur : vous envoyer à nous."


Elle finit par se lever, glaciale, et quitta la cellule après l'avoir salué froidement. Lorsqu'elle quitta l’hôpital, elle savait ce qu'il lui restait à faire : d'abord, prévenir les autres. Ils étaient plus avancés qu'elle concernant l'enquête et ces révélations pourraient bien les aider. Ensuite, elle jouerait sur la peur de son côté, puisqu'elle inspirait la crainte de la part de cet inquisiteur il fallait en jouer. Toutes les pièces de l'échiquier seraient bientôt en place.


Il ne lui échapperait pas.
Lerith Il y a 12 mois et 3 jours

"QU'ATTENDEZ-VOUS POUR LE TUER ?!"
Sa lame de diamant s'enfonçait profondément dans ce corps difforme refusant de mourir. Elle avait voulu couper la tête du serpent pour que tout cela cesse, que Meryl et Fjrn ne soient plus sous son emprise, qu'ils ne soient pas forcés de les tuer alors qu'elles n'y étaient pour rien, que ces spectateurs à l'esprit embrouillé cessent de se massacrer les uns les autres, un bain de sang. Ivanhault était déjà gravement blessé, Alexois se vidait de son sang, ils ne pouvaient attendre de neutraliser leurs deux comparses pour éradiquer le mal à la source et ils l'avaient bien compris. Pourtant, tout semblait vain, comme si le sort s'acharnait contre eux, ralentissant leurs mouvements, déviant leurs coups.
Ce n'est pas possible, aucun dieu ne soutiendrait pareille folie !
Ce qui fut autrefois l'inquisiteur Beledwin gémissait, à l'agonie, et pourtant persistait à les repousser tout en maintenant son emprise sur toutes ces personnes. L'angoisse commençait à gagner Kikyo. Pouvait-elle échouer ? Elle ?

Elle se sentit soulevée de terre, étranglée par les bras difformes de celui qui pensait pouvoir devenir un dieu. Son regard se tourna difficilement vers les deux elezens blessés derrière. Ces quelques dizaines de secondes qu'avait duré le combat lui avaient semble des heures, durant lesquelles Alexois et Ivanhault se vidaient de leur sang sur les marches de ce sanctuaire impie.
Jamais... pas sous mon commandement... Tant que j'aurais encore la force de respirer... nous ne connaîtrons pas l’échec !
Mourir faisait partie des risques, échouer faisait partie du jeu, mais pas comme ça. Pas ainsi, alors qu'aucune erreur tactique n'avait été commise, qu'aucun n'était à blâmer, que tout avait été préparé avec soin et même l'imprévu parfaitement coordonné. Non, elle n'échouerai pas ici, pas ce soir, pas avec ce qu'elle devait protéger. Son rugissement résonna dans les souterrains.
"TU NE TOUCHERAS PLUS A AUCUN DE MES HOMMES, CHIEN !"

Portés par leur propre rage de vaincre, les derniers membres encore debout, et même Fjrn qui se détachait petit à petit de son emprise, achevèrent la créature qui s’effondra. Ivanhault avait trouvé la force de lancer un dernier sort avant de sombrer dans le comas, Kikyo relâchée tomba au sol mais se rattrapa sur ses bras. Elle n'attendit pas de savoir s'il était vraiment mort, elle poussa sur ses jambes de toutes ses forces pour se ruer vers Alexois, débouchant sa seule potion de soin pour la vider dans la gorge de l'elezen. On l'avait prévenue que trop de potions de soin pouvait nuire à l'organisme mais qu'importe il devait se lever.
"Aller, Alexois, ne me lâchez pas ! réveillez-vous, vous seul pouvez sauver Ivanhault !"
Itaru avait pu récupérer Licinia, atteinte de multiples fractures mais bel et bien consciente, qui lui donna une autre potion pour le Terrechant. Alexois toussa un peu, ne parvenant pas à émerger, mais il finit par bouger un peu sous les appels de son Haut-Commandeur.
Je suis désolée, je suis tellement désolée...!

A l'hopital, elle tournait en rond dans le hall sous le regard inquiet de Gualeb qui avait aidé à préparer les salles de soin et le personnel pour leur retour. Fjrn et Meryl avaient été emmenées en salle de repos pour un examen complet suite à leur contrôle mental, Licinia était en salle d'opération pour ses multiples fractures, Ivanhault et Alexois toujours en soins intensifs. Frederick et Itaru, les seuls à tenir à peu près debout, étaient retournés dans la forêt s'assurer que le repaire du Soleil à Douze Branches soit définitivement rayé de la carte. Elle ne le pouvait pas, elle restait là à tourner en rond comme si elle voulait creuser une tranchée dans le carrelage. Comment était-ce possible, comment avait-elle pu frôler à ce point l’échec ?
"Ce n'est pas votre faute, Haut-Commandeur... On connait tous les risques..."
Il ne comprenait pas, comment le blâmer ? Il n'avait pas vu cette chose, faible et rachitique, incomplète, pathétique... et pourtant capable de résister à tous leurs assauts. Elle n'avait rien pu faire, elle se sentait coupable d'avoir été si impuissante.

Jusqu'à maintenant, ses plans même modifiés, même ajustés au dernier moment, même touchés par l'imprévu auquel elle avait toujours su palier par des décisions et des ordres rapides, clairs, avaient toujours marché. Elle avait toujours fait en sorte de minimiser les risques pour ses hommes et ils lui faisaient confiance pour cela. Ils avaient cru en elle et avaient eu raison jusqu'à ce soir. La stratégie et la préparation ne suffisaient plus... et ça, c'était difficile à avaler.
Elle s'en voulait, sans avoir la moindre raison valable. Elle s'en voulait, tout simplement, incapable de considérer le facteur chance.

Seule la fatigue grandissante parvint à lui faire quitter les lieux, elle ne serait de toute façon d'aucune utilité ici. Elle devait retirer son armure, prendre un bain, rentrer chez elle dormir... et terminer le travail. Demain, elle se rendrait au Maelstrom pour remercier la caporale Firaah et lui faire son rapport. Les Deux Vipères ne tarderaient pas à entendre eux aussi parler de ce qui s'était passé sous leur nez tandis qu'ils prenaient à la légère ses avertissements. Incompétents.
Peut-être allaient-ils enfin l'écouter à l'avenir ?

"Merci caporale, enfin... Sergente Firaah. Bonne journée à vous.
- Vous en faites pas Haut-Commandeur, on va ferrer tout ça !"

Le reste ne dépendait plus des Quatre Tours, qui avaient déjà risqué leur vie plus que de raison dans ce dossier. Avec l'appui du Maelstrom qui avait, grâce à eux, réalisé le meilleur coup de filet de la semaine sur une organisation criminelle, les Deux Vipères et le Maelstrom ne mettraient pas longtemps à appréhender ce qu'il restait du Culte du Soleil à Douze branche. Désormais privés de leur Inquisiteur, et pour la plupart désorientés, ils se rendaient spontanément aux autorités. Elle s'attendait à recevoir d'un jour à l'autre les excuses en bon et dû forme des Immortels, on peut toujours rêver.

Du calme, enfin. Des blessés, mais du calme, et la possibilité de réfléchir posément à tout ceci. Une fois la tension retombée elle avait enfin pris le temps de réfléchir à la difficulté de la mission. Hors de question de considérer le facteur chance, ou de croire que celui-ci est une fatalité. Non, ce qu'il fallait, c'est améliorer encore et encore ses tactiques et le Conseil allait l'y aider : ils allaient mettre au point un nouveau protocole pour les soigneurs de terrain. Les jours suivants seraient alloués à cette tâche dans son emploi du temps, pendant que tout le monde profitait d'un repos bien mérité.
Autre chose, toutefois, occupait son esprit. Alexois avait confirmé ses inquiétudes juste avant le conseil, elle l'avait bien sentie cette présence heurter les barrières magiques de l’hôpital. Ce n'était pas un ennemi, mais c'était dangereux malgré tout.
"Bientôt, Fille des Songes..."
Oui, c'était "lui". Il était intervenu d'une manière ou d'une autre dans la survie miraculeuse d'Ivanhault et allait certainement venir réclamer son dû : une vie pour une vie. Alexois voulait gérer cela seul, comme d'habitude il en faisait une affaire personnelle dès qu'il s'agissait d'Ivanhault, sa plus grande faiblesse.
Mais bien sur, elle ne lui laisserait pas le choix.
Debout, face au miroir, elle voyait cette lueur blanche dans son dos.



Le Cerf Blanc est une manifestation de son rêve.
Pourtant, il existe. Se pourrait-il...?
Lerith Il y a 12 mois et 3 jours

Bien sur qu'elle avait raison, bien sûr que ses paroles étaient sensées, bien sur qu'elle avait vu Oyuun brisée sur le sol enceinte de quatre mois après avoir affronté André, mais c'était le mot de trop. Quand la miqo'te osa faire la comparaison entre les deux femmes, Kikyo se leva d'un bond, plaquant ses mains sur la table, fixant son commandeur de ses yeux glacés.
"Tu crois peut-être que j'ai le choix ?! Tu crois que vous envoyer à la mort va préserver mon enfant, tu ne penses pas qu'elle va vouloir le prendre ensuite ?!"
Elle avait senti, dans son rêve, l’empreinte de sa lame dans son corps et la douleur de l’échec. Elle avait observé, écouté ses hommes de retour de l'entraînement avec les occultistes, lui faire part des corrections à apporter à commencer par la présence indispensable d'un tacticien sur le terrain. Mais Nazah ne l'entendait pas de cette oreille, ni de l'autre d'ailleurs. Les deux femmes s'affrontaient du regard, un mélange de respect mutuel et de rage mal contenue.
"j'ai vu ce dont elle était capable, vous croyez qu'une monture vous aidera à fuir si nous perdons l'avantage ?
- Si nous perdons ce combat, rien ne l'empêchera m'avoir moi aussi que je sois ou non avec vous. Alors je viens avec vous, et je ferais ce que je dois.
- Si vous ne vous étiez pas amusée à jouer les mères pondeuse on n'en serait pas là !"


Et la dispute continua, sous le regard contrit de Frederick qui ne savait plus comment les arrêter ; aucune des deux ne voulait céder. Elle l'aurait giflé, mais cela aurait été inutile, la miqo'te n'en pensait pas un mot de ces insultes, elle avait juste peur, qui n'aurait pas eu peur après la déculottée que Béatrice avait mit à ses hommes en les prenant par surprise ? A ses yeux, tout aurait été préférable à ce que Kikyo expose ainsi son enfant à naître dans cette bataille.

"...Trouves-moi un autre tacticien, compétent, et je resterais ici. Sinon, je viens avec vous."
Le ton était fermé, assuré, moins froid qu'elle l'aurait voulu face au jeune commandeur.
"Tu sais très bien que c'est impossible."
Impossible, oui. De toutes les imperfections d'une compagnie d'aventuriers, il en était une à corriger ici rapidement mais il était hélas trop tard pour ce combat. L'Ordre avait toujours misé sur un seul stratège, qui ne leur avait jamais fait défaut certes, mais qui ne pourrait être toujours là. Mais pour défaire cette ancienne sorcière aux multiples artefacts, il faudrait une synchronisation parfaite et la présence d'un tacticien réactif, hors du combat, pour donner des ordres au bon moment était indispensable.
"Le rapport d'entraînement est clair, je n'ai pas le choix."
Cela ne plaisait pas à Nazah, clairement pas. Cela ne plaisait pas non plus à Kikyo.
"Très bien, si vous voulez venir avec nous c'est d'accord. Mais s'il arrive quoi que ce soit à votre bébé, je démissionne.
- Entendu. A l'inverse si il ne m'arrive rien tu cesseras de remettre en cause ma raison et ne m'insulteras plus.
- Si vous vouliez un Commandeur gentil avec vous, il fallait nommer une autre suivante à ma place !"

Frederick se plaqua les mains contre son visage, persuadé que la dispute allait reprendre. Kikyo fronça les sourcils.
"Tu sous-entends qu'elle est incapable de me contredire ?
- Non mais... enfin je la vois tellement mal vous dire non... "

Un sourire, et puis le calme. Au fond, comment en vouloir à Nazah qui ne cherchait qu'à protéger l'enfant ? Ils étaient simplement au pied du mur, et c'était difficile à avaler après tous les succès enchaînés pendant des mois, le risque d'un seul échec pourrait être fatal et pas seulement à l'Ordre.

De retour à Ten no Tsuki, Kikyo monta directement dans la chambre de Kimiko. La petite était assise dans son berceau, jouant avec sa peluche préférée, celle en tigre blanc que Lantis lui avait offerte. Ce serait sans doute sa préférée jusqu'à ce qu'on lui en offre une autre, cette enfant aimait la découverte plus que l'accumulation de biens.
"ma" !" lâcha l'enfant en tendant les bras vers sa mère. Kikyo la saisit par la taille, la soulevant avec précaution.
"Encore un effort, petit lotus. Tu as rendu ton père si fier hier... je le voyais dans ses yeux."
Kimiko s'accrocha à son col, sans rien dire. Les syllabes devenaient fréquentes mais les mots encore difficile ; "papa" lui était venu naturellement, un mot simple mais clair et assuré afin de faire savoir sa volonté.
"Si tu savais comme je suis fière de toi mon ange."
Quelques gazouillis joyeux, mais discrets, se firent entendre dans cette étreinte qu'elles seules pouvaient partager. Aussi sévère soit la mère, elle en restait une. Il serait si facile d'attendre sagement ici, de tout miser sur la chance et la confiance qu'elle plaçait en ses hommes, et s'il échouaient de laisser le Lotus Blanc s'en charger. Ce serait si facile de n'être qu'une mère, elle comprenait pourquoi les épouses domiennes ne cherchaient plus à se trouver d'autre occupation que celle-ci. Une vie simple, une vie de paix.
"Je te promets, petit lotus, que je ne mettrais pas ton frère en danger, murmura t-elle comme si elle partageait un secret. Maman va détruire cette sorcière qui a osé le menacer. Elle ne sera plus qu'un souvenir que j'espère, tu n'auras pas à entendre dans le futur qui sera tiens."
Serrée contre son cœur, le visage dans ses cheveux, la petite fille souffla un autre "Ma' !" fatigué. Bercée par les bras d'une Kikyo délicate, elle ferma les yeux. Un sourire se dessina petit à petit sur les lèvres de la demi-raenne, empreint d'une infinie douceur. Elle se remémorait les paroles de Nazah, lancées sous le coup de la colère et du désir de protéger ce qui comptait le plus à ses yeux. "Si on en est là, c'est parce vous êtes mère"... oui, c'est vrai.

Peut-il seulement y avoir de paix si les mères de ce pays ne peuvent se battre pour la gagner ? Qu'y a t-il de plus déterminé qu'une mère qui se bat pour l'avenir de ses enfants ? Elle ne risquerait pas la vie de son fils sans raison. Elle resterait à l'arrière, avec les soigneurs, et donnerait tout ce qu'elle a pour que cette chose ne puisse pas faire un seul pas dans sa direction.
Chacun de ses compagnons était suffisamment fort pour affronter cette danse des éléments qui s'annonçait, ensemble. Une tempête dont ils ressortiraient victorieux pour peu que chacun tienne ses positions.

Il ne restait plus qu'une seule inconnue dans cette équation : Roite, et peu de temps pour en percer les secrets, et les faiblesses.


Jouer contre le temps, elle n'en était plus à ça près.
Lerith Il y a 12 mois et 3 jours

Le soleil déclinait sur les montagnes de Gyr Abania tandis que Kikyo observait ses hommes silencieux. La mort faisait partie de leur lutte, mais la mort avait frappé juste avat ce combat décisif. Arkael, Yamiko... elle avait voulu croire jusqu'au bout qu'ils rentreraient sain et sauf, elle avait cru en eux, en Khaidai, elle croyait toujours, mais la mort fait partie de la vie. Pourtant, ils ne pouvaient repousser cette opération, se laisser atteindre, échouer.
"Ecoutez-moi tous."
Ils levèrent la tête. Certains plus solide que d'autres, le poids du chagrin se lisait dans leurs yeux malgré tout.
"Cette perte... aucun de nous ne s'y attendait. Comme vous, j'ai espéré chaque fois que le combat nous fut imposé, que Yamiko et Arkael nous soient rendu afin qu'ils se tiennent à nos côtés. Leur volonté était d'entrer aux Quatre Tours, et d'en porter le combat. Le sort a voulu que leur vie s'achève avant qu'ils n'aient le temps de s'impliquer comme ils l'auraient voulu. Vous qui êtes allé les cherché, comme ceux qui sont restés en retrait tout en veillant sur vos actions, je partage votre peine.
Mais nous n'avons pas le choix, pas plus que nos compagnons ne l'avaient lorsqu'ils se sont retrouvé face à leur destin. Si nous laissons les larmes couler maintenant, c'est la mort qui nous attend et qui restera t-il pour pleurer leur mort si Béatrice devient assez puissante pour tout détruire ?"


Le silence en réponse, elle ne faisait qu'énoncer l'évidence après tout, une évidence qu'il est parfois nécessaire d'entendre à nouveau. Une main sur la garde son katana, elle se redressa un peu plus, parlant d'une voix forte qui couvrait l'ensemble du pont supérieur et le bruit des moteurs.

"Itaru et Frederick, vos armures ont été serties d'éclat de terre qui devraient vous permettre de résister à ses assauts de foudre.
Byakuya, tu connais la rotation des éléments transmise par Zaurak, essaye d'anticiper ses sorts au maximum en te servant de l'ordre optimal comme base, mais méfies-toi elle pourrait en changer pour tenter de te berner. Souviens-toi, ton rôle n'est pas de l'attaquer mais d'absorber ses sorts uniquement.
Meryl, vous serez en charge de protéger les soigneurs et moi-même, vous aussi êtes en possession de cristaux de terre pour absorber les choc.
Tous les autres, tâchez de vous adapter au terrain. Votre première pensée doit être le positionnement, la seconde d'attaquer non pas individuellement mais tous en même temps chaque fois que Itaru, Frederick ou Byakuya ouvrir une faille dans son armure. Protégez-vous les uns les autres, favorisez les attaques combinées, et gardez un œil sur l'ombre. Licinia, je vous la confie, j'espère que votre idée va marcher... c'est la seule inconnue de ce combat.
Nous rentrerons tous ensemble cette nuit, et demain vous pourrez pleurer les Lohikaarme. Je tiens à ce que vous soyez tous vivant pour leur rendre hommage à leurs funérailles. Haut les cœurs, et que vos dieux vous accompagnent dans ce combat. "


Elle inclina la tête. Les longs discours inspirant n'étaient pas son fort mais la raison suffirait le temps qu'elle apprenne. Ils étaient prêts, autant qu'ils avaient pu se préparer en moins de dix jours. Béatrice les attendait peut-être, mais qu'importe.
"Arkael-san, Yamiko-san, pour vos enfants l’Équilibre reviendra."
Elle avait encore beaucoup à faire, elle devrait revoir Kyuuji pour les obsèques, que l'Ordre tout entier puisse leur rendre un dernier hommage comme l'un des leurs. Elle devrait informer le clan, parler à Khaidai, s'assurer avec lui que les enfants soient en sécurité.


Elle avait plus que jamais une bonne raison de détruire tout ce qui attrait à l'abus de la magie.




En retrait, Kikyo criait ses ordres, avisant ses hommes par des mots et des signes qu'ils comprenaient. Ce combat, difficile, était le leur et elle devait se maintenir à l'écart, ne pas risquer sa vie ou celle qui grandissait dans son ventre ; elle devait aussi garder un recul suffisant pour analyser, décider et manœuvrer avec intelligence.


"Maintenant, Byakuya !"

"Avancez à couvert dans les escaliers, Licinia à vous !"
"Nazah, Fjrn, Ayumi, occupez-vous de l'ombre ! Itaru et Frederick continuez de l'occuper, ne lâchez rien !"


"Travaillez-la au corps, encerclez-la, restez unis !"

"A distance les uns des autres, ne vous gênez pas ! Evacuez Gualeb !"



"Soignez ceux qui sont encore conscients, il faut finir ce combat !"

"Achevez-la !"


Finalement, Béatrice s’effondra sur le sol, reprenant sa forme humaine en rendant son dernier soupir. Moins pour faire bonne figure que pour s'assurer qu'elle ne se relèverait pas, Licinia s'avança vers elle l'arme au clair prête à la décapiter. A l'arrière, Kikyo reprenait ses esprits.
Aucun n'avait démérité, tous avaient suivi les ordres tout en faisant preuve de jugement. Ils s'étaient préparé, coordonnés, même Itaru avait fait preuve d'une discipline irréprochable... même Ivanhault.
"C'est... terminé."

Aucun blessé mortel, une chance mais pas seulement, c'était le fruit de leur entraînement et de leur sérieux. Ce soir-là elle rendit visite à tous ceux restés en salle de soin à l’hôpital ; le seul à ne pas s'être réveillé était Byakuya. C'est à son chevet qu'elle reçut la visite de Kyuuji, et discuta avec lui des modalités des funérailles à venir. Elle l'avait dit : nous prendrons le temps pour Yamiko et Arkael après ce combat. Les corps ne resteraient pas indemnes indéfiniment, il faudrait les inhumer selon la volonté des défunts, il faudrait s'occuper de leurs biens, de leurs enfants... et cela ne pourrait se faire qu'une fois qu'ils sauraient quels étaient leurs souhaits.

A'ghono non plus ne semblait pas dans le meilleur état. Physiquement il allait bien mieux, mais sa conscience semblait comme éteinte. Il souriait, reconnaissant, mais aussi perdu comme une âme qui n'a plus de raison d'être. Quand il lui demanda à sortir, sans avoir opposé de farouche résistance à son prochain retour en prison, elle comprit ce qu'il cherchait.
"Gualeb, Romarique, accompagnez-le s'il vous plait."
Il partit, elle le regarda s'en aller sans un aurevoir, se doutant qu'elle ne le reverrait plus. Elle ne fut pas des plus aimable par la suite, avec Maeva qui ne pouvait s'empêcher de pratiquer on ne sait quelle magie sur Byakuya qui avait pourtant besoin de repos, ni avec les deux personnes venues la visiter pensant qu'elle était blessée. Elle ne se détendit vraiment qu'une fois Gualeb et Romarique de retour pour lui annoncer la mort du miqo'te. Ils l'avaient emmené sur la tombe de sa fille, là-bas il avait réclamé qu'on le tue, allant jusqu'à agresser Gualeb pour le forcer à commettre l'irréparable.

Plus tard dans la soirée, Kikyo marchait seule sur le quai à Port-aux-Ales, contemplant au loin la brume qui entourait les îles d'Ombra. Elle devrait annoncer à Nazah ce qui s'était passé mais surtout, s'assurer qu'Akame ne sache rien de tout ceci. Inutile de lui apprendre le retour de son ancien mentor, si c'était pour lui annoncer sa mort dans la foulée, autant la laisser dans l'ignorance et cet homme reposer en paix dans la même tombe que la fille qu'il avait tant aimé.
"Yamiko et Arkael aussi ont choisi de rester ensemble."
Cette pensée lui arracha un sourire silencieux tandis qu'elle levait son regard vers les étoiles. Ensemble, ils avaient vaincu un ennemi puissant ; ensemble ils iraient dire au revoir à leurs compagnons disparu, deux domiens, deux xaelas, deux membres de l'Ordre des Quatre Tours. Sur son bureau au Relais attendait le testament scellé dont elle irait prendre connaissance de la liste de personne devant qui elle l'ouvrirait, elle n'en avait rien dit jusque là pour ne pas provoquer d'émoi à l'issue d'une bataille. Les dernières volontés de Yamiko et Arkael seraient respectées à la lettre, mais un autre hommage leur serait rendu là où tout avait commencé il y a plus de 1600ans, en mer de Rothano.
Le vent souffla sous sa longue robe ébène, ses mains jointes posées sur son cœur, elle pria en silence.


Je n'oublierai aucun de vous.
Lerith Il y a 12 mois et 3 jours

Sitôt la porte fermée, Kikyo monta dans la chambre. Elle eut un bref regard dans la chambre de Kimiko, s'assurant que celle-ci dormait profondément, mais ne posa pas une seule fois les yeux son son époux rentré à sa suite. Une fois dans la chambre, elle retira ses chaussures à talon d'un mouvement délicat avant de les lancer avec violence contre le mur au moment précis où le seigneur du Lotus Blanc passait à son tour la porte de la chambre conjugale.
"Comment pouvez-vous me faire cela ?!"
Il se rapprocha d'elle, imperturbable.
"Parce que vous ne prenez aucune mesures.
- Vous ne me laissez pas la moindre opportunité d'en prendre ! Ce mandat est à peine posé, que vous prenez des mesures avant même que je ne puisse réfléchir à MA façon de leur faire payer ce qu'ils sont en train de faire ! c'est à MOI, à MA compagnie que Jo'lyne Bayushi a voulu s'en prendre, Akira !
- Suis-je supposé ne pas profiter de l'opportunité ?"

Un peu plus bas sur le palier, les deux dernières servantes restées tard afin de veiller sur la petite princesse restèrent interdites dans les escaliers, mains sur la rambarde, stupéfaites par les cris provenant de l'étage d'ordinaire sur calme. C'était la première fois que l'on entendait, à l'intérieur de Ten no Tsuki et en présence des domestiques, Kurusu-tsubone s'en prendre ainsi verbalement à son époux. Elle toujours si sereine, inexpressive, même lors de ses colères elle se montrait froide et réservée, tout dans la retenue.
Et le plus surprenant, peut-être, était le calme indéfectible du Tigre qui lui répondait sans hausser le ton ni même la renvoyer dormir en bas.
"Comme je l'ai dit. Je laisse votre commandeur récupérer cette relique, vous et Shinme m'avez convaincu. Tout ce que je souhaite, c'est la dissension dans les rangs du Scorpion, et Tetsuo entre mes mains. C'est une voie que j'avais vu, la votre était meilleure. Vous hurlez, pourtant vous êtes parvenue à me faire changer d'avis."
La voix de Kikyo s'évanouit un instant, avant de reprendre, moins forte mais toujours aussi glaçante.
"Votre appétit ne connait-il aucune limite...
- Je vous l'ai dit cette nuit sous les étoiles, un peu plus en amont d'ici. Je veux dévorer le monde."

L'une des servantes esquissa un mouvement pour monter les marches, inquiète, l'autre la retint. Elle ne parvenaient plus à entendre ce qui se disait bien qu'il fut évident que derrière les portes coulissante, l'échange se poursuivait.

"...Elle a osé s'adresser à moi et me faire cette "offre", me considérant comme rien de plus que votre subalterne et ma compagnie comme un moyen de vous atteindre. Je veux lui faire ravaler son audace et que cette indigestion la marque à vie, qu'elle se souvienne de qui je suis."
Akira posa sa main sous le menton de Kikyo, le lui relevant. les yeux plissé, il paraissait pour la première fois intrigué par l'attitude de son épouse.
"Voilà une attitude pleine d'orgueil qui n'est pas vraiment digne d'une Grue gracieuse. Vos yeux sont féroces, anata.
- Cette affaire était la mienne, celle de ma compagnie."

La Grue de Diamant soutint son regard avec détermination. Elle lui en voulait, oui, même s'il avait changé d'avis. Pendant près d'une heure il avait envisagé de s'en mêler, de profiter de l'occasion sans la moindre considération pour ses hommes, pour sa compagnie, pour SON droit de revanche à ELLE. Que d'autres considèrent les Quatre Tours comme de vulgaire sous-fifres du Lotus Blanc ne l'atteignait pas plus que ça, mais que lui se sente le droit de lui voler sa revanche, inacceptable.
"Intéressant. Elle est votre. Prenez pleine autorité. Impressionnez moi. Montrez moi vos crocs et vos griffes. Ce qu'il arrive à ceux qui rentrent dans la tanière de la tigresse."
Il n'y eut rien de plus. Elle cligna des yeux, le trouble s'ajoutant à la colère, juste avant que leurs lèvres se touchent. Elle lui en voulait, elle lui en voulait beaucoup, sa main tremblait d'envie de le gifler mais le reste de son corps frémissait d'un tout autre désir, un désir réciproque.

Sur le palier, le visage des servantes se teintèrent de rouge, elle choisirent de filer discrètement.

La demi-raenne marchait seule, pieds nus dans un désert de sel. Il faisait aussi sombre au-dessus de sa tête que le sol était blanc. Pas un souffle d'air, pas une seule étoile, elle n'était pas dans le monde réel pas plus que dans le passé ou le futur. Autour d'elle, quatre tours plantées dans le sol commençaient à se fissurer. Il y eut un grondement sourd, lointain.
"Qu'est ce que..."
Avant qu'elle n'ai le temps de réalisé ce qui se passait, les quatre tours s’effondrèrent sur elles-mêmes, en même temps. Elle n'avait rien pu faire...



Ses yeux s'ouvrirent en grand, il faisait encore noir. Aucun rayon de soleil ne passait au travers des lourds rideaux du lit à baldaquin. Le feu crépitait dans la cheminée, éclairant faiblement la pièce. Son corps était encore chaud, blottit contre celui du Tigre endormi le visage dans ses cheveux, elle n'avait pas dormi longtemps, et lui ne dormait pas profondément. Sitôt qu'il la sentit bouger, elle croisa son regard améthyste.
"Encore un de vos rêves ?" Demanda t-il.
Il n'attendit pas la réponse, resserrant son étreinte, et l'embrassa de nouveau. Elle aurait facilement succombé à ce nouvel élan dominateur mais au lieu de cela elle choisit de ne pas céder tout de suite. Posant son front contre le sien, elle murmura :


"Je dois me rendre dans les Steppes, demain soir."
Lerith Il y a 12 mois et 3 jours

"Madame, ils vous attendent.
- Bien, tout me semble prêt."

Kikyo se leva de son bureau, délaissant le pinceau sur la lettre vierge. Elle n'était pas parvenue à écrire le moindre mot à l'attention des habitants de Kutsuki et de leur daimyo. C'était inutile de toute façon, elle ne savait que dire sur Honoka et son esprit ne parvenait pas à se concentrer même sur de simples formules de circonstances. Les centres de Yamiko et Arkael étaient à peine envolées que l'on lui avait annoncé la perte de son frère Sanjuro et de son épouse, disparus à jamais. Puis, dans la bataille face aux Ombres Pourpres, c'était maintenant Honoka qui tombait et sa mort avait grandement affecté U'raze qui s'était enfermé dans une armure de fer par culpabilité, persuadé d'avoir échoué dans son rôle de protecteur. Valorius était toujours inconscient et Romarique menacé de mort à chaque instant des suites de son échec à rapporter la gemme rouge au Scorpion. Elle s'inquiétait aussi pour Byakuya, désormais régent de la Grue alors qu'il était encore un jeune homme noyé sous le poids de responsabilités qu'il n'avait pas choisies.
"Il faut poursuivre, il faut aller au bout."
Elle ferma les yeux tandis que Sunori lui passait sa cape de Haut-Commandeur. Ce soir elle devait se montrer confiante et bienveillante. Seule Shinme savait, avait su voir dans ses yeux l'accumulation de drames qui semblait vouloir ternir l'ouverture du tournois.

Ils étaient quasiment tous présents, rassemblés pour l'occasion dans le hall de compagnie en bas des escaliers. Elle les voyait sourire, elle les voyait enthousiastes. L'inquiétude et la fatigue se lisaient dans le regard de certains, les blessures en train de guérir ne trompaient personne sur la réalité de leur quotidien ces derniers semaines et les commandeurs n'étaient pas en reste ; Alexois le premier avait du mal à tenir debout.
Mais ils étaient tous là, prêts à lancer l'évènement que tous attendaient avec impatience, signe d'une période de "repos" mérité. Elle le souhaitait, que jusqu'à la fin de la saison des Étoiles ils n'aient plus à se soucier des tourments de ce monde.
Elle s'avança, devant les membres du Conseil des Quatre.
"Je n'ai pas l'air nerveuse, n'est ce pas ? Demanda t-elle discrètement à ses officiers.
- Connaissez-vous seulement la nervosité, Kikyo ?"

Elle sourit, intérieurement, faute d'exprimer quoi que ce soit d'autre, ni chagrin ni fatigue. Ce soir tout se passerait comme prévu. Elle ouvrit les bras, s'adressant à tous.
"Bienvenue à tous...!"

"Vous êtes en veine ce soir, Haut-Commandeur !"
Ce jeu était vraiment stupide, pourquoi l'avait-elle proposé déjà ? Crétin de Lantis qui le lui avait appris, le seul jeu qu'elle connaissait pour apprendre à connaître les autres. A la fin de son discours et de l'annonce des épreuves, plusieurs membres de l'Ordre s'étaient donné en spectacle dans une interprétation parodiée de la compagnie. Cette autodérision l'avait presque fait rire... et autour d'elle d'autres n'y avaient pas échappé. Après tout cela, l'ambiance s'était transformée ; d'enthousiastes ils étaient passé à joyeux, rieurs, et ce malgré les blessures et les premiers enrhumés de la saison. Elle avait proposé, afin de faciliter l'échanger avec les recrues, belle erreur. Elle enchaînait les bons scores, et se retrouvait trop fréquemment à mener le jeu, à poser les questions, elle qui voulait s'effacer. Fjrn la regardait avec amusement.
"Je commence à me poser de sérieuses questions..."
Le petit groupe qui s'était rassemblé autour de la table de la salle commune, au milieu des autres conversations, avait été peu à peu rejoint par tout le monde. Ils lançaient les dés, riaient, posaient des questions futiles mais amusantes avec légèreté. Petite Lune, qu'elle croyait timide et réservée, était bien plus extravertie que les autres à sa grande surprise, même le xaela Altun s'était pris au jeu. Un jeu stupide, mais quel mal y avait-il à cela après tout ? Ils étaient une compagnie d'aventuriers, ils avaient mérité ce repos, et ils avaient bien mérité qu'elle y mette du sien.
Lantissu no baka...

Elle relança les dés, sa linkperle vibra. Elle porta une main à sa corne, et vit tous les autres autour d'elle faire de même, pour ceux qui avaient des cornes bien sur, sinon leurs oreilles. Une voix cassée se fit entendre sur la fréquence commune, bientôt suivie par d'autres.
"C'est Jonas... il est, on ne sait... je crois que... c'est trop tard..."
Ils échangèrent tous un regard. L'horloge sonna une heure du matin, la fête était terminée.

Elle entra dans la chambre, plus épuisée que jamais. Ten no Tsuki était silencieuse, tout le monde dormait déjà. Elle monta en silence, vérifia que Kimiko dormait, et se dirigea vers la chambre de son seigneur en soupirant.
Jonas disparu, présumé mort, encore un drame pour ternir ce jour de fête. Ne pouvaient-ils pas espérer un peu de quiétude, ne serait-ce que quelques jours ? Ils avaient tant donné de leur personne au cours des dernières lunes et voilà que le destin s'acharnait encore, un peu plus.
Elle ferma les yeux avant d'ouvrir le fusuma, son front heurta quelque chose : le buste de son mari. Il l'avait entendu rentrer, et l'avait sans doute entendue traîner alors que d'ordinaire elle ne tardait pas à monter se coucher lorsqu'elle rentrait à cette heure. Il haussa un sourcil, voyant qu'elle ne bougeait pas. Il se contenta de l'entourer de ses bras sans rien dire alors qu'elle poussait un soupir qui en disait long. Elle ne voulait rien de plus que quelques minutes, juste un seul instant de paix. Il ne dit rien, elle ne dit rien non plus. Ses yeux entrouverts, son regard se posa sur le présentoir de Shiroyume désormais vide ; elle ne le portait pas non plus à la ceinture.




Plus tôt ce jour-là...

"Kaaz, j'ai un défi pour vous, si vous vous sentez à la hauteur.
- Montrez-moi."
Lerith Il y a 12 mois et 3 jours

Dans l'air frais du soir bercé par la musique d'U'vel, Kikyo gardait le silence comme à son habitude, mais ce soir son visage glacé paraissait plus détendu, presque doux. Ce phénomène n'était pas inconnu de ses compagnons, bien que rare, et nul n'aurait osé le soulever de peur de la voir perdre cette sérénité soudaine.
Elle était simplement là, assise à table à écouter Shinme et Licinia discuter à la même table, Frederick un peu plus loin qui observait la mer après que Fuma-dono lui ai subtilisé la compagnie de mademoiselle Qerel à la fin de son service. Tout était parfait un cet instant, même sa suivante, avait été parfaite.

Kikyo la regardait du coin de l’œil, songeant à la soirée qu'elle avaient passé et à sa probable déception de n'avoir pu jouer le morceau qu'elle avait préparé devant Kurusu-dono. Il l'aurait écouté, s'il l'avait été aussi épuisé, et toutes deux le savaient elles ne lui en tenaient pas rigueur ; elle aurait d'autres occasions désormais.
Shinme avait enfin prêté serment au Lotus Blanc, non pas à Akira Kurusu mais à sa fille aînée et héritière. Elle avait juré de vouer sa vie au clan, à Kikyo et à ses enfants, et que ses enfants longtemps après elle poursuivraient son œuvre. Le cœur de la Grue de Diamant s'était gonflé de fierté pour la première fois depuis longtemps. A ce moment précis toute la rancœur et toute la méfiance liées aux fautes passées s'était envolée. L'Ambre et le Diamant seraient de nouveau indissociables comme ce fut le cas des lunes plus tôt avant qu'on ne cherche à les séparer. Shinme, sa Shinme à qui elle avait promis de veiller à son bonheur lorsqu'elle avait pleuré sur ses genoux après sa rupture avec Inelis. Fidèle et loyale Shinme au cœur changeant mais en quête de stabilité, d'un rêve qu'elle avait longtemps pensé inatteignable. Non, rien n'arrêterait sa Shinme dans son ascension, tous ceux qui l'avaient sous-estimée, raillée, rejetée la regretteraient amèrement.
La raenne portait fièrement les couleurs du Lotus, le Mon qu'elle lui avait accroché, et la lame qu'elle avait faite faire pour elle à partir de Shiroyume. Elle avait gardé la surprise jusqu'au dernier jour. Le forgeron de l'Ordre avait retiré la lame de diamant qu'elle destinait à un autre usage, et l'avait remplacée par une nouvelle plus fine et plus légère adaptée au style de sa suivante. Hoseki, le joyau, voilà ce que Shinme méritait, un joyau qu'il lui faudrait à la fois honorer et façonner. Elle lui avait déjà offert la veille son cristal de samourai, qui serait sa porte d'entrée au dojo Kakita. Plus personne ne s'y opposerai désormais, et si quelqu'un avait à redire elle pouvait compter sur Byakuya. Ce cristal, à l'image de son engagement, ne pourrait lui être repris. Contrairement à celui d'Inelis il n'était pas au conditionnel, il était à elle.

Ta loyauté envers moi n'a jamais été conditionnelle, pas plus que l'amour que tu portes à tes proches et à mes enfants. Avec toi, ma chère Shinme, rien n'est jamais soumis à condition. Ce que tu donnes, tu ne le reprends pas alors qu'autour de toi on n'a cessé de te menacer de reprendre ce que tu croyais t'être offert. On t'a dupé, on t'a trahi, on t'a promis pour finalement se raviser en te rejetant la faute... Des fautes tu en a commises, mais ta plus grande faute est sans doute de donner sans réfléchir car les autres usent et abusent de ta volonté. Moi-même j'ai dû te barrer la route, que je ne m'offre pas ta vie si rapidement... Ce soir, tu as enfin pu le faire. Ta vie m'appartiens, et je ne laisserais personne l'atteindre.

Ainsi avait-elle décidé, et voir le sourire sur son visage alors qu'elle échangeait des banalités, voir sa main caresser discrètement la garde de sa nouvelle arme, suffisait à dissiper le moindre doute.
Shinme avait fait preuve de sa détermination, et nul ne la lui prendrait. Shinme avait demandé à être heureux, et ce bonheur nul ne lui prendrait. Elle, Kikyo Kurusu, faisait ce soir le serment secret de ne jamais la trahir, de ne jamais la duper, de la garder du mal qui viendrait des autres ou d'elle-même, et de réaliser son vœux le plus cher : connaître enfin l'amour qu'elle enviait à sa maîtresse. Un amour sincère qui servirait à la fois ses devoirs et son cœur, un amour sans condition qui lui donnerait des enfants pour perpétuer son engagement, un mariage de foi autant que de raison.Ainsi, l'ascension de Shinme Takieiri n'en était qu'à ses débuts, renaissant au sein du Lotus et dans l'ombre de sa Dame.

C'était une nuit paisible, vraiment magnifique.


Ce cœur que tu m'as offert, personne ne le reprendra.
Lerith Il y a 12 mois et 3 jours

Le dernier dossier de la journée arriva sur son bureau peu avant l'heure du dîner. Kikyo l'accueillit non sans un certain soulagement mal contenu ; les semaines passant la grossesse devenait plus lourde au quotidien même si elle en avait conservé une bonne résistance, la naissance de Kimiko n'était pas si loin.
"Le projet de serre pour le Sablier est donc lancé, je vois que Shinme a débloqué des fonds. Passez-moi la comptabilité du relais je vous prie, Sunori.
- Où se trouve t-il, madame ?
- Sur le buffet derrière vous, je l'ai toujours à portée."

La jeune femme lui ouvrit le dossier avant de le faire glisser de l'autre côté du bureau.
"Où sont les chiffres de la Fête des Etoiles ?
- Ils arrivent demain madame, Gyoban n'a pas fini de tout calculer et le commandeur Takieiri ne tolère pas la moindre erreur de comptage.
- Une idée globale, vous qui travaillez ici tous les jours ?"

Sunori haussa un sourcil avant d'acquiescer humblement, ses mains à nouveau jointes dans son dos. Même dans ces moments là en fin de journée, la secrétaire du Haut-Commandeur ne laissait pas aller son professionnalisme.
"D'après le personnel qui travaille là-bas, ils ont reçu plus de clients que nous n'en attendions madame. La recette sera encore meilleure que celle de l'an dernier, c'est une certitude.
- Il serait bon d'investir, ne penses-tu pas ? Où est le registre des propositions de la Balance ?
- Ici madame, sur votre droite."

Elle n'eut qu'à indiquer de l'index ne fin dossier rempli de feuillets volants qu'elle avait soigneusement rangé dans un classeur, au cas où pour ne pas les perdre. Aucune idée, même irréalisable sur le moment, n'était à jeter. Elle avait tout conservé depuis la suggestion avortée de Licinia sur le ceruleum aux demandes les plus intéressantes comme l'ouverture d'un salon fermé au relais pour les soirées privées de l'Ordre. Le nombre d'alliés prêts à faire le voyage jusqu'à Shirogane s'amenuisait progressivement, c'était bien sa principale préoccupation en ce moment puisque tout le reste semblait bien se passer.
"Cette crise de l'immobilier eorzéen va rendre difficile le projet de déménagement du quartier général de l'Ordre. Je me vois mal faire une proposition d'investissement aussi conséquente au Conseil sans avoir la moindre offre concrète à leur faire...
- Peut-être devriez-vous songer, madame, à investir dans des affaires qui rapportent et ainsi prévoir une explosion des prix du marché à la prochaine occasion.
- Certes... "

Elle referma le dossier sans même l'avoir lu ; elle venait de voir l'heure affichée sur l'horloge accrochée au montant de la cheminée.
"Il est trop tard pour penser à cela de toute façon. Je prends ce dossier avec moi ce soir, j'ai besoin de faire le point sur toutes les idées proposées. Prévenez le commandeur Takieiri que je l'attends pour dîner, du moment qu'elle ne vient pas accompagnée de son singe savant."
Sunori réprima un gloussement avant de s'incliner, puis de quitter la pièce. Kikyo se laissa aller en arrière contre le meuble de l'aquarium dans un soupir de fatigue, elle ferma les yeux un instant. Tout allait pour le mieux. Le tournois, le Conseil, le recrutement qui reprenait au compte goutte... Elle n'avait aucune raison de s'en faire. Voilà plus d'une lune qu'elle n'avait plus à se consacrer qu'à sa grossesse, et les affaires non urgentes du quotidien. Tout allait vraiment pour le mieux. Sans s'en rendre compte, elle s'assoupit.


"Sombre est la nuit, dans le froid d'un hiver tenace.
Le sang coulera sur les premières fleurs, aux premiers rayon d'un soleil de printemps qui se posera sur le gisant à tes pieds.
Renaitra de ses cendres le phénix Gauphron, l'héritier aux traits miroir de son aïeul déchu.
La voie sera alors ouverte."

Ainsi parla le corbeau posé sur la branche du chêne mort.
"Trouves-le, et il me trouvera."


Kikyo tenta d'ouvrir les yeux en vain. Elle avait conscience du lieu où elle se trouvait sans pouvoir bouger, son corps pris de légers spasmes et une douleur inquiétante dans le bas-ventre due à ce soudain pic de stress ne faisait qu'amplifier son angoisse et donc la douleur. Elle était paralysée, luttant pour se réveiller. Quand elle parvint enfin à ouvrir les yeux, sa vision floue se superposa à son environnement : elle voyait la pièce mais aussi l'arbre mort et le corbeau posé sur la branche.

Le bruit d'un objet lourd qui heurte le sol alerta le personnel du quartier général. Moins d'une minute plus tard, la voix de Sunori retentit dans tout l'étage, Keitaro et Vicent n'attendirent pas pour grimper les marches du grand escalier quatre à quatre.
Dans un effort surhumain, Kikyo avait balayé du bras tout ce qui se trouvait sur son bureau pour alerter le personnel en faisant le plus de bruit possible, juste avant de s'écrouler.


"Appelez le commandeur Iseterre, vite !"
Lerith Il y a 12 mois et 3 jours

"Où est Ayumi, quelqu'un l'a vu ? On devait partir en mandat ensemble !"
La première question, suivie de beaucoup d'autres, et bientôt tout l'ordre s'était mobilisé. Elle les écoutait sans répondre, comme pour s'infliger elle-même le flot assourdissant des inquiétudes. Elle aurait pu répondre, elle aurait pu couper court à l'incertitude, mais non c'était trop tôt. Elle ne pouvait briser le silence encore, elle devait endurer cela dignement et sans fuir, elle ne faillirait pas quoi qu'il arrive.
"Madame, le message est passé.
- Bien, vous pouvez redescendre avec les autres."

La servante s'inclina, laissant la maîtresse de maison seule dans le salon, sa main sur sa linkperle, immobile. Combien de temps avant qu'on ne frappe à sa porte, quelques heures ? Pas plus d'un jour, il y en aurait forcément une, voir deux dont elle devinait déjà le nom, pour frapper à sa porte. Le message était clair de toute façon, elle ne se cacherait pas d'avoir fait son devoir.
"J'ai besoin de prendre l'air."
Dehors, dans le jardin, le ciel avait une teinte rouge. Akio se coucha devant elle gémissant un peu, sans doute comprenait-il la déchirure dans son cœur. Elle n'eut pas le temps de compter les minutes avant que l'on vienne la voie, elle avait déjà entendu sur la linkperle la réponse d'un membre de l'ordre -peu importe qui- informant Meryl qu'Ayumi était venue la voir plus tôt dans l'après-midi. La voix de Fjrn se fit entendre de l'autre côté du portail, demandant poliment l'autorisation d'entrer. Elle s'accorda un bref instant, le temps d'une profonde respiration, et de compter jusqu'à cinq.

Voilà le seul répit qui lui serait accordé.




"L'Ordre tolère les garlemaldais, pas leurs crimes. Faites votre devoir Haut-Commandeur."
Ayumi baissa la tête, résignée tout en voulant se montrer courageuse. Après des années de lâcheté, elle ne trompait personne ici, si le petit singe n'était pas venu la voir et n'avait pas lâché l'information sans s'en rendre compte, Ayumi serait restée cachée, aurait continué à mentir, désespérément en quête d'une rédemption qu'elle n'aurait jamais pu atteindre avec ce boulet enchaîné à son pied. Elle leur avait menti, tout en sachant qu'un jour elle devrait payer pour ses crimes.
"Je savais que ce jour arriverait.
- Avais-tu seulement conscience que tu entraînerait Shinme et Fjrn dans ta chute ?"

Elle ne pourrait effectivement jamais prouver que ses deux amies le savaient, qu'elles avaient couvert son secret, et elle ne chercherait pas à le prouver. Trop de personnes allaient déjà souffrir de ce mensonge.
Ayumi ferma les yeux et baissa un peu plus la tête pour cacher son visage. Le poids de ses chaînes qu'elle avait tenté d'ignorer se manifestait enfin à leur juste mesure. Il fallut que ce soit dans ses derniers instants qu'elle le réalise enfin. A quoi pensait-elle alors, à son père, à son amour ? A tous ceux qu'elle allait décevoir ou pire, rendre coupable de l'avoir soutenue dans son mensonge ? Peut-être, comme certains l'affirment, revoyait-elle toute sa vie défiler devant ses yeux, cherchant au plus profond d'elle-même ce qui aurait pu empêcher ce dénouement, mais il était trop tard.
"Faites vote devoir, Haut-Commandeur..."
Sa main trembla, avant de se resserrer brusquement sur la garde de son katana.




Kimiko s'était enfin endormie, sa peluche tigre blanc bien serrée entre ses bras. Elle avait mit du temps à se laisser emporter par ses rêves, sans doute sensible à la nervosité de sa mère.
Fjrn n'avait pas été la seule au final. Licinia aussi était venue la voir, rien de surprenant. Même si elle avait fait en sorte que la démission d'Ayumi soit au moins connue de tous, les plus inquiets -ou les moins patients- ne sauraient attendre un communiqué interne officiel. De toute façon il faudrait qu'elle le fasse tôt ou tard alors à quoi bon refuser de leur répondre ?

Une fois devant son miroir, Kikyo poussa un énième soupir ; c'était fini pour ce soir. Demain, cela recommencerait, et elle continuerait de voir ce visage résigné devant ses yeux alors qu'elle répondrait aux interrogations de ses hommes. Elle resterait inflexible, elle ne montrerait aucune émotion et aucun regret comme lui l'avait fait lorsqu'il avait tranché la tête de ce jeune terroriste influencé par les Ombres pourpres. Il avait demandé à ce qu'on le laisse seul, et elle avait sentit son cri de rage jusque dans sa chair. Maintenant, elle le comprenait.
Aucun crime ne doit rester impuni, et justice doit être faite pour tous ceux qu'elle a tué.
"Il n'y aura aucune exception... il n'y aura... aucune négligence..."
Elle répétait ces mots en fixant son reflet, se préparant à affronter dès demain la souffrance qu'elle infligerait aux autres et à elle-même. Certains diront qu'elle a eu tort, qu'il y avait d'autres moyens. Certains au contraire voudront la défendre, dire qu'elle n'a fait que son devoir et qu'il ne doit y avoir aucune tolérance, louant son calme et sa sagesse. D'autres, resteront silencieux en mémoire de celle qu'ils avaient connu tout en gardant pour eux le choc et l'amertume de cette impardonnable trahison. Quoi qu'il arrive, elle affronterait leur regard à tous avec rigueur et dignité. Elle devait être inflexible, demeurer à sa place, irréprochable, quoi qu'il lui en coute.
"Quoi qu'il m'en coute..."
Mais Kikyo n'était qu'une femme.

Tout ce qui reposait sur la coiffeuse vola à travers la pièce, balayée par son bras alors que la Grue de Diamant poussait un cri de rage qui résonna dans toute la maison, nul ne sait par quel miracle Kimiko ne se mit pas à pleurer. En revanche, elle sentit deux bras puissants enserrer ses épaules. Elle ne l'avait même pas entendu rentrer.
"C'est aussi pour cela, que le tigre rugit."

Elle s’effondra, là où elle seule pouvait le faire, il ne dit rien de plus. Le baiser qui suivit n'avait rien de tendre, rien de passionné ; c'était un besoin. Le besoin de partager son fardeau ne serait-ce qu'un instant avant d'être ce qu'elle devait être pour le restant de ses jours sans jamais plier. La douleur finirait par s'estomper, l'impardonnable serait un jour pardonné...


...mais Ayumi Valérius ne reviendrait jamais.

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