[Anima] Noah Ravenhood

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Lerith Il y a 2 mois et 2 semaines


Pas moyen d'avoir la paix jusque dans les archives les plus fermées du palais. Elle n'était pas là depuis une heure à feuilleter machinalement ses vieux rapports que la porte s'ouvrit. Des pas furtifs se firent entendre puis le silence, puis à nouveau des pas rapides, le silence à nouveau. Non pas que Noah s'insurgeait de la présence d'une tierce personne mais celle-ci lui devint très vide... agaçante. D'abord discrète elle finit par lever les yeux sur l'individu qui passa dans son dos, sortant les dossiers l'un après l'autre avant de les ranger -très mal- voir de les laisser traîner. De quoi l'agacer davantage sachant qu'elle avait passé trois jours à tout remettre en ordre ici pendant la visite de l'impératrice. Une façon comme une autre d'éviter les envoyés du domaine, et les tentatives de sa belle-mère pour la caser avec un chevalier.
"Monsieur, puis-je vous aider ? Demanda t-elle. Vous semblez chercher quelque chose."
Il se tourna vers elle comme s'il se rendait seulement compte de sa présence alors qu'il lui tournait autour depuis bien dix minutes. Il portait une blouse scientifique et d'épaisses lunettes rondes encadrées par de très, très longs cheveux noirs. Noah cligna des yeux. Elle ne le reconnut pas mais son instinct lui murmurait qu'elle devrait le connaitre comme si elle passait à côté de quelque chose d'important. L'homme pourtant ne semblait pas hostile et correspondait aux critères des scientifiques de Wissenchaft du point de vue physique, et il émanait de lui une puissance palpable ; il faisait probablement partie du cercle restreint.
"Oh ? Oh ! Oui je cherche les dossiers sur le Processus et les recherches sur le sang des procédés.
- ... Au fond à gauche. Ici vous êtes dans les rapports de terrain."

Sans mot dire, l'homme tourna les talons et trottina dans la direction indiquée. Noah haussa un sourcil mais ne posa pas plus de questions. Elle l'entendait marmonner ses gêne des "Quel gâchis", "Tant de potentiel non exploité", "Ah Lucanor pourrait aller tellement plus loins !" ...Soit ce type était juste cinglé soit il s'était délibérément trompé et cherchait à attirer son attention mais dans les deux cas elle n'allait pas se laisser f-...
"Excusez-moi, mademoiselle ?"
Pas moyen de se parler à soi-même en paix aujourd'hui. Il revint, les bras chargés d'un épais dossier. Noah leva les yeux, aimable mais de plus en plus difficile à contenir sa colère. Déjà que ce n'était pas sa journée...
"Qui êtes vous ?"
Sérieusement, c'est tout ce qu'il voulait ? Il ajusta ses lunettes, la fixant avec une certaine curiosité. Hiérarchie oblige -même supposée- elle répondit dans un souffle :
"Noah Ravenhood, membres des corb-...
- Oh, Noah Ravenhood ! C'est donc vous quel plaisir !
- Je vois que vous me connaissez, en revanche je n'ai pas encore eu ce plaisir.
- De nom, de nom seulement. Mais je connais très bien votre père nous nous sommes rencontrés dans sa jeunesse."

La mention de lord Kandras ne fit que la tendre un peu plus au vu de la situation. Mais elle se contenait toujours.
"Je vois, mais je ne connais toujours pas votre nom.
- Sans importance, sans importance. Oh, mais que vois-je ?"

Il lui saisit le poignet, prenant son pouls sans attendre d'autorisation.
"Mais vous êtes une procédée vous aussi !"
Aussitôt il se mit à l'examiner comme le ferait un médecin. Tout en l'auscultant il lui posa question sur question à propos de sa soumission au processus : les capacités qu'elle avait développé, le traitement de sa dépendance au sérum, si elle avait déjà eu des crises de démence ou tué quelqu'un sur un coup de folie -évidemment que non- puis des questions de plus en plus personnelles et intrusives.
"Et pourquoi avez-vous accepté de vous soumettre au processus dites-moi ?
- Parce que je suis loyale au prince Lucanor.
- Oh... oh oui ?"

Il se mit à la fixer de ses yeux perçant comme s'il pouvait lire à l'intérieur de son âme. Elle commença à se sentir mal et recula. Il avança, elle recula encore jusqu'à heurter la bibliothèque. Il continua d'avancer jusqu'à ce que son visage s'arrêter tout près du sien.
"Cela commence à devenir gênant." Admit-elle dans un sursaut de dignité.
"Et bien sur vos tendres sentiments n'ont joué aucun rôle dans votre décision" Poursuivit-il sans se soucier de sa remarquer. Noah blêmit.
"Je ne suis pas sure de comprendre ce dont vous parlez.
- Vraiment, vous ne voyez pas de qui je parle ? Un grand homme, austère, séduisant, accompagné d'une panthère noi-...
- C'est bon, j'ai compris. Est-ce vraiment le lieu et l'endroit pour aborder ce sujet ?
- Vous préfèreriez un lieu public sans doute ?"

Il se mit à sourire, presque sadique. Noah serra la mâchoire et les poings.
"Le lui avez-vous dit ?
- Et puis quoi encore...
- Vous devriez. Qu'est ce qui vous retient de changer les choses ?
- Ce qui me retient ...?"


Et là, ce fut l'explosion. Tout ce qu'elle avait contenu, ravalé, étouffé, explosa sur ce parfait inconnu avec toute le colère qu'il avait provoqué depuis leur première rencontre.
"Depuis huit mois tout s'éffrite. A commencer par cette équipe de cinglés pour qui je reconnais m'être pris d'affection, passe encore sur eux et ces fichus sentiments incontrôlables mais voilà que lord Kandras s'est subitement découvert une conscience paternelle quelque part entre son mariage et la fin du monde. Mais qu'importe, j'ai un rôle à tenir. Alors je fais ce qu'on me demande efficacement, je ne pose jamais la moindre question, je tiens mon rôle sans jamais faillir, j'ai même fait mine de croire ses justifications alors que je sais parfaitement ce que je suis. On m'aurait laissé croupir dans ce cloître pour moins que cela si le bénéfice n'avait pas été supérieur aux risques encourus. Et des risques il y en a de plus en plus chaque jour si l'on en croit le dernier rapport sur les 3 inquisiteurs chargés de me ramener. Et chaque jour depuis trois années je m'échine à incarner au MINIMUM la valeur de ce bénéfice. Ma mission et le prince sont le seul aspect de ma vie qui n'a pas encore complètement basculé alors si vous le permettez, j'ai du travail."
D'un mouvement brusque elle le repoussa pour se diriger vers la sortie. C'est alors qu'au détour du rayonnage, elle tomba nez à nez avec lui comme s'il s'était téléporté. Il sortait de nulle part et souriait encore plus largement.
"Intéressant... et n'avez-vous jamais songé que vos désirs secrets et votre devoir pourraient se rejoindre ? Mon petit Lucanor a toujours eu des problèmes avec les sentiments, il les exprime bien mal mais il n'en est pas exempt. Et puis un jour, il lui faudra un héritier..."
Elle sentit ses joues s'empourprer, et comment avait-il appelé le prince ?
"... Vous délirez.
- Enfin, vous êtes l'héritière de l'une des plus anciennes lignées du Lucrécio, vous êtes jeune, dévouée et ravissante. Oh, comme ce serait intéressant de voir cela. L'intelligence et les capacités de son altesse et votre sang soumis au processus..."

Ah, c'était donc cela. Elle fronça les sourcils plus fortement. Ces scientifiques n'ont décidément aucune mesure, celui-là pire que les autres.
"Voilà donc tout ce qui vous intéresse !"
Elle allait s'écarter de nouveau quand il renchérit.
"Voulez-vous de l'aide pour vous en donner le courage ?
- Le courage ? Vous pensez que je manque de courage ?!
- Laissez-moi deviner, vous allez me dire que votre place est dans son ombre et que vous préférez vous effacer pour qu'il réalise sa destinée sans avoir à se soucier de vous ?
- Sa majesté a autrement plus important à penser, surtout en ce moment, qu'à ce genre de choses vous ne croyez pas ?"

Il soupira.
"Bon aller. Faites-le quand même. Tenez, prenez cette potion de courage."
Et sans attendre il lui mit une petite fiole dans la main, contenant un liquide ambré, et sortit des archives son dossier sous le bras laissant Noah seule avec ses pensées au milieu des archives. Elle baissa les yeux sur la fiole, puis fit un pas prête à retourner à ses recherches quand elle réalisa soudain : il avait quitté les archives avec un dossier. C'est interdit. Elle tourna les talons en quatrième vitesse et sortit des archives en courant. De l'autre côté de la porte elle croisa le réceptionniste.
"Mademoiselle Ravenhood ? Vous êtes bien pressée.
- Un homme vient de sortir des archives avec un dossier sur les analyses de sang du Processus.
- Hm ? Vous devez faire erreur je n'ai vu personne. Regardez, vous êtes la seule à avoir signé le registre d'entrée."

Réalisant alors qu'elle n'avait toujours pas son nom, Noah tenta de faire la description de l'homme qu'elle avait vu. Le réceptionniste devint alors blanc comme un linge.
"Lui... c'est lui vous êtes sure ? Allez vite prévenir Enstein, immédiatement !"
Et il se précipita à l'intérieur des archives tout verrouiller. Pas le temps de poser des questions elle voyait clairement qu'il y avait urgence. Elle quitta l'aile des corbeaux pour descendre les escaliers à toute vitesse jusqu'au laboratoire d'Enstein qui buvait paisiblement son café. Lui aussi en entendant l'histoire devint blanc, puis il fixa Noah avec un mélange de frustration et d'inquiétude, il la fusillait du regard : "Vous allez tout de suite en informer le prince.
- Mais bon sang qui est cet homme ?
- Loctus Khan Schwartzwald, l'ancien mentor de sa majesté. Rien de moi que l'homme avec qui il a pensé et conçu le processus. Cela fait des années qu'il a disparu, il est complètement fou à ce que je sais. Filez, allez ! ouste !"

Alors qu'elle repartait avec lui vers les escaliers, elle entendit le scientifique s'écrier dans son communicateur "ALERTE ROUGE !" juste derrière elle. En moins de temps qu'il n'en faut pour remonter dans le hall, tout le palais grouillait de gardes et de corbeaux fouillant chaque recoin. Quelques minutes plus tard le reste de l'équipe la rejoignit devant le bureau, eux aussi avaient fait choux blanc dans leurs recherches à la bibliothèque du sanctuaire mais ils avaient tout de même reçu une information sur le moyen de trouver un phénomène surnaturel unique : un vœu. Les vœux existent, mais sont particulièrement difficiles à trouver de par leur nature quasi-divine et impossible à reproduire. C'est un début de piste, mieux que rien. Elle leur raconta sa rencontre, et comprit qu'ils étaient revenus plus tôt parce qu'Ambrosia avait sentit son malaise, puis sa colère et enfin son angoisse grâce à leur lien empathique. Enstein lui confisqua la potion de courage pour l'analyser, il semblait presque lui en vouloir d'avoir croisé la route de Schwartzwald. Comme si elle y pouvait quelque chose.
"De toute façon s'il a pu entrer et sortir des archives sans être vu je doute sincèrement qu'on le retrouve en fouillant le palais" souffla t-elle en conclusion de ses explications au reste de l'équipe.
"Non, en effet." Déclara une voix dans son dos. Le Prince Lucanor, bien sur.
Cette fois elle ne pouvait pas se permettre de laisser filtrer la moindre émotion vu la gravité de la situation, elle activa la bague magique d'Ambrosia pour geler ses sentiments. Tout ce qui n'était pas devoir, loyauté et patriotisme fut évincé de ses pensées et de ses propos. Elle révélé dans un rapport concis l'ensemble de sa rencontre, évoquant la discussion et son incitation à lui faire exprimer ses sentiments sans préciser la nature de ces derniers. Elle évita aussi les propos familiers et les détails révélés sur le rapport du prince à ses propres sentiments, devant les autres cela ne se fait pas. Elle le lui dirait plus tard ou le mettrait dans un rapport personnel qu'il serait le seul à lire, un peu de respect. Et il ne se passa rien de plus, on leur demanda de ne pas se mêler plus avant de cette histoire ou de ce personnage. Ils retournèrent à leurs recherches, et Noah s'arrangea pour rester le plus tard possible aux archives, encore perturbée par cette rencontre, par cet échange, et par les pensées parasites que cet intrus avait fait germer dans son esprit. Devait-elle tout lui révéler, sachant qu'il le savait probablement déjà ?

Elle rentra tard cette nuit-là, esquivant le plus de monde possible. On l'avait informé que son père se trouvait au bord d'un étang à l'extérieur de la ville à observer le ciel. Elle le laisserait en paix malgré son ressentiment. Elle voulait juste que cette journée se termine et dormir. De retour au manoir Ravenhood elle s'écroula sur son lit et sombra dans un sommeil agité. 
Le lendemain matin alors qu'elle partait rejoindre les autres, son père n'était pas rentré de la nuit. Elle soupira, songeant pour une fois à sa pauvre belle-mère qui allait finir par s'inquiéter... mais elle n'allait certainement pas rester pour la rassurer, le travail avant tout. Troisième jour, troisième manche, dernier combat du tournois de l'Arbre de Feu. Ils allaient enfin connaître le nom de leur adversaire, celui que l'on disait encore invaincu.



"BLACKY ?!"
Elle resta immobile, le visage blasé devant l'apparition à l'autre bout de l'arène. Son chien, voilà donc leur adversaire, son chien. Certes, Blacky n'est pas un chien ordinaire, c'est un obscurias. Et Pas n'importe quel obscurias, l'obscurias primordial. Qu'à cela ne tienne, elle n'était plus à cela près. Pourtant cela ajoutait à son humeur persistante depuis la veille qui aurait pu se résumer à quelque chose du genre : "J'en ai marre, mais j'en ai marre !"
Ce fut un combat éprouvant, très éprouvant. Toute leur réserve de ki à elle et Stephan y passa. Ambrosia dépensa les deux tiers de son zéon sans parler de sa force vitale pour renforcer leurs capacités. La plupart de leurs attaques ne passaient même pas son armure naturelle d'obscurité. Elezen cumulait en vain, et aucune de ses propres techniques de pyrokinésie ne perça ses défenses. Il se téléportait sans cesse, mettant à mal sa gestion des attaques à distance, il fallut un coup de poker magistral de la magicienne pour venir à bout de leur adversaire et enfin, enfin remporter l'ultime victoire de ce tournois, et sa récompense.
Ils eurent le choix entre trois objets : un artefact de l'Ordre de Magus que portent les plus grands archimages, une somme colossale de pièces d'or -le triple de leur mise d'inscription- ou... un vœu. Forcément, la question ne se posait pas même si Noah promit à Ambrosia que tôt ou tard ils lui trouveraient un artefact bien à elle pour son rang d'archimage.

Ils rentrèrent faire leur rapport et annoncer la bonne nouvelle, au moins une dans ces 48h de folie. Sur la route ils retrouvèrent Blacky, le vrai cette fois, celui de l'arène s'étant avéré n'être d'une copie magiquement générée par le sanctuaire. Son caniche des ténèbres dans les bras, Noah retrouva un semblant de sourire. Mais en entrant dans le bureau de prince, quelle ne fut pas la surprise de Noah de voir ce dernier assis dans un fauteuil, lord Kandras assis dans le fauteuil d'en face. De quoi parlaient-ils ? Elle n'en savait rien et s'en moquait. Sa contrariété remonta d'un coup.
D'abord, le travail.
Le vœu en main, ils descendirent dans les sous-sols afin de l'utiliser sous surveillance en salle d'observation. Après avoir brisé la sphère, l'oracle apparut et Stephan prononça la question : "Où devra se tenir le rituel permettant d'accéder à la machine de Rah ?". L'oracle répondit, une réponse qui ne se trouvait dans aucun rapport ou en tout cas pas sous la forme attendue : Landhoff, au Goldar, un village peuplé uniquement de nephilim. Ils y étaient déjà passé, ils le connaissaient, mais ils ignoraient que se trouvait près de ce village une installation ancienne qui causait ce phénomène, un phénomène visiblement unique au monde et directement lié à la machine de Rah.
"Quoi qu'il se passe là-bas, le rituel va déclencher quelque chose d'irréversible.
- Partons du principe que tout va s'enchaîner à partir de là, sans possibilité de nous arrêter alors équipons-nous en conséquence. On laisse passer le nouvel an, et on part le premier ou le 2 Janvier."


Une fois de plus, Noah quitta ses trois équipiers sur un simple signe de main et remonta dans le long et froid couloir du premier étage devant l'antichambre du bureau de sa majesté pour attendre son père. Trois jours, c'est peu et long à la fois. Les mots de Schwartzwald ne quittaient pas son esprit, et il ne lui restait que trois jours pour prendre une décision.
La porte s'ouvrit et Lord Kandras sortit en refermant la porte derrière lui. Il s'avança vers elle, elle leva les yeux en silence.
"Ma fille, marchons.
- Oui père."

Côte à côte ils descendirent les marches et traversèrent le grand hall du palais vers la sortie. Il n'était pas loin de midi mais en cette saison le froid et les lourds nuages assombrissaient le ciel du Lucrécio.
"Il faut que tu comprenne que ma démission une décision réfléchie. Je suis vieux, fatigué, j'ai donné ma vie au Lucrécio toutes ces années et je ne compte pas pour autant mettre un terme à mes engagements auprès de sa majest-...
- Je sais, père, je sais... lord Bergvist m'a aimablement fait la liste de tout ce qui a motivé votre décision. Mais vous auriez pu au moins m'en parler.
- Je ne voulais pas ajouter cela à tes nombreuses préoccupations, ta mission avant tout.
- Bien sur oui, la mission."
conclut-elle dans un rictus amer.
Il ne comprenait pas, inutile de discuter. Il n'avait rien dit pour ne pas interférer dans son travail mais il démissionnait à trois jours d'une mission cruciale. Que croyait-il, qu'elle ne s'en apercevrait pas ? Qu'elle y serait indifférente ? Que cela ne changerait rien ? C'était sans doute le pire moment pour se retirer, le pire.
"J'imagine qu'on vous a informé pour ce qui s'est passé hier soir.
- Non, justement. J'ai demandé au prince de ne rien me révéler."

Elle serra les poings. Oui, vraiment le pire moment. Elle ne pouvait même plus compter sur lui, sur ses conseils avisés, son expérience. Elle se fichait bien d'avoir des équipiers et des supérieurs compétents, lui avait toujours été là, c'est lui qui l'a formée, qui lui a tout appris. Comment réussir sans lui, à quelques pas seulement de son ultime bataille pour la survie du monde ?
"Je vais partir quelques temps avec ta mère, nous avons prévu de visiter Archange."
Voilà autre chose, il quittait carrément la ville maintenant. Elle s'arrêta en bas des marches du palais, les yeux clos.
"Bien père. Avez-vous des obligations dont je devrais m'acquitter en votre absence ?
- Ton frère s'en chargera, occupe-toi de ta carrière."

Elle tiqua, mais il renchérit :
"Tu es ma fille et ma seule héritière, ne t'inquiète pas.
- ... Là n'est pas la question."

Il ne voulait décidément pas comprendre, elle secoua la tête.
"Mère vous attend depuis hier soir, rentrez vite. J'ai encore du travail."
Elle tourna les talons, mais il ajouta :
"Je t'aime ma fille, vraiment.
- Moi aussi, père."

Même si elle lui en voulait, c'était vrai. Même s'il lui avait menti, et même si elle avait parfaitement conscience que ce n'était pas le cas au début, il s'était attaché à elle et elle à lui. Elle n'avait qu'un seul père, et elle était sa fille, une vraie Ravenhood. Une fois en haut des marches elle jeta un œil par-dessus son épaule et le regarda s'éloigner. Elle aurait tant voulu lui dire, plus que jamais elle aurait eu besoin de lui... pourquoi fallait-il que ce soit maintenant ? Elle soupira de nouveau, inutile de s’apitoyer. De toute façon il ne voulait rien savoir, elle ne pourrait rien lui dire ni sur Schwartzwald ni sur ses sentiments ou ses pensées. Et inutile de compter sur Marek, au-delà de sa méconnaissance des enjeux elle ne se voyait clairement pas amener la conversation du genre "On a failli se marier, aujourd'hui nous sommes frère et sœur et bien que le malaise entre nous ne soit pas encore totalement dissipé j'aimerais aborder le sujet de ma vie sentimentale complexe avec notre propre souverain ? Ah et ne t'inquiète pas, j'ai appelé le médecin par avance pour la crise cardiaque que tu es en train d'avoir". Et elle n'allait certainement pas remettre le couvert avec Ambro sur le sujet "Lucanor" après en avoir discuté il n'y a pas deux jours, encore moins avec les deux autres qui seraient capable de la pousser jusqu'à son bureau et de tenir la porte jusqu'à ce qu'elle lui ai tout dit. Sur ce coup, elle était vraiment seule.
C'est alors que l'idée lui traversa l'esprit, au moment où elle franchit la porte du bureau des Corbeaux sans véritable but. Son regard se posa sur un calendrier accroché au mur : il ne reste que trois jours avant la nuit du nouvel an.
Le nouvel an... c'est décidé, de toute façon soit le plonge, soit je tombe mais dans les deux cas je saute.

... Allait-elle vraiment faire quelque chose d'aussi stupide et insensé ?
Lerith Il y a 1 mois et 3 semaines


Un Moment de Paix

(Ou "le jour où j'ai date le prince du Lucrécio")



"Un moment de paix, ne peut-on nous l'accorder ?"
Quatre jours avant le nouvel an, Noah s'était enfin décidée. Elle avait mit son père au courant -lui seul aurait été en mesure de l'en empêcher- mais contre toute attente il décida de l'aider. Elle était nerveuse, très nerveuse, de plus en plus nerveuse, fort heureusement elle avait... des amis. "Trouves en eux ton courage" avait dit Lord Kandras, mais il n'avait pas besoin de cela pour qu'elle en soit consciente. Avec les filles tout y était passé : le salon de beauté, les boutiques de robes, le restaurant, la détente à la campagne... et c'est là que tout dérapa : une embuscade. Des trois inquisiteurs envoyés par le Domaine, le Chasseur leur était tombé dessus par surprise, à moins de cinq kilomètres de la capitale ! Noah était à la fois sous le choc, furieuse et terrifiée. Comme toujours les souvenirs de l'inquisition remontèrent en elle, sa crainte de Roméo Exxcet, et les mises en garde de son père si jamais elle se faisait prendre ce que cela pouvait impliquer pour le Lucrécio. Toute la paix qu'elle espérait trouver avant le jour fatidique s'envola.

Et le 31 Décembre arriva. La tradition veut qu'en ce jour nul ne travaille. Le soir venu, après avoir dîné en famille, les habitants quittent leurs maisons juste avant minuit pour danser dans les rues, la fête envahit alors la ville. Mais ce soir-là toutes les pensées de Noah se tournaient vers un seul lieu, et une seule personne. Pendant le dîner, elle se montra aimable et charmante envers ses parents, son frère, et Dimitri Zamorano devenu un invité récurent depuis qu'il avait rejoint l'armée officielle avec Marek dont il était devenu un ami proche. Aux alentours de 23h30, toute la famille s'apprêtait à sortir pour rejoindre la place principale. Lord Kandras posa une main sur l'épaule de sa fille et, s'adressant aux autres, il déclara :
"Ma fille et moi avons quelque chose à faire. Je vous rejoindrais plus tard."
Personne ne posa de question bien que la surprise se lise sur leur visage. C'est à pieds que le duo Ravenhood se rendit au palais en contournant les rues animées par les processions citoyennes festives. Fidèle à sa nature discrète et austère, le patriarche ne dit pas à sa fille où ils allaient ni comment il comptait l'aider mais elle remarqua assez vite qu'il ne la menait pas vers l'entrée principale. De son manteau, il tira une clé qu'elle n'avait jamais vue, et en passant derrière une annexe il ouvrit une porte semblable à une porte de service mais qui donnait en réalité directement sur un couloir... vide.
"Viens, entre."
Elle hocha la tête et le suivit. Il ferma à clé derrière elle et l'emmena dans les couloirs silencieux, monta plusieurs escaliers. Cette aile du palais, elle ne l'avait jamais visitée. Tout y semblait moins former, plus intime. Très vite elle comprit qu'elle se trouvait dans les quartiers privés de la famille dirigeante du Lucrécio. Autrement dit, de Lucanor. Ils ne croisèrent aucun domestique ce qui ne la surprit qu'à moitié à cette heure et un tel jour, néanmoins Kandras se sentit la nécessité de lui préciser à voix basse :
"Contrairement aux apparences, nous nous trouvons dans la partie la plus sécurisée du palais. De nombreux protocoles de détection des intrus y sont constamment en alerte.
- Et vous vous êtes arrangé pour que nous ne soyons pas repérés.
- Oui. Même si j'ai démissionné de mes fonctions au sein des Corbeaux je reste... proche du prince. Il m'a laissé mes anciens accès.
- Vous êtes toujours membre de son cercle rapproché et de son conseil."

Elle avait dit cela non sans une pointe de fierté. Elle voyait bien qu'il était aussi nerveux qu'elle. Elle aurait voulu le rassurer, lui dire que tout irait bien. Comment faire, alors qu'elle-même sentait monter la pression pas à pas ? A l'angle d'un long couloir, il s'arrêta.
"Reste ici, et cache-toi. Je vais partir devant. Lorsque je repasserais devant toi, peu importe ce que tu verras ou ce qui me suit, emprunte ce couloir et avance tout droit jusqu'à la porte de la chambre du prince."
Elle hocha la tête et obéit, en toute confiance. Elle ne posa aucune question et attendit. Puis, lorsqu'elle le vit repasser devant elle accompagné de quatre machines étranges semblables à Zéro-Sigma en moins évolué, elle s'avança dans le couloir sombre sans parler ni croiser son regard. Aucune des machines ne réagit à sa présence ils semblaient même ne pas l'avoir remarquée. Elle longea le couloir en silence, entre les rangées de portraits inconnus. A un moment, elle s'attarda sur le plus grand d'entre eux, celui d'une très belle femme. Le portrait en face du sien, sans doute de même taille, avait été retiré. Pas besoin d'être un génie pour qu'elle comprenne qu'il s'agissait de Lucrécia, la mère de Lucanor, et que le portrait manquant devait être celui de l'Empereur Lascar. Sans s'arrêter, elle ralentit et contempla un instant le visage de l'ancienne impératrice avec un profond respect. Cette femme, morte de la main de son époux, avait malgré tout réussi à donner la vie à son fils unique avant de décéder. Lucanor ne parlait jamais d'elle, et personne ne devait aborder le sujet en sa présence, jamais.
Arrivée devant la porte, elle inspira longuement. Elle leva la main plusieurs fois, hésitante.
Je suis inconsciente, complètement inconsciente...
Après de longues secondes d'hésitation, elle se décida à frapper doucement, trois coups, et attendit. Il y eu un silence de près d'une minute, avant que la voix qu'elle connaissait si bien lui réponde :
"Entrez."
Elle posa sa main sur la poignée, et entra. Elle referma la porte derrière elle, mais resta à l'entrée. Elle n'aurait de toute façon pu avancer davantage, Daaku lui barrait la route les crocs sortit et le reniflait avec méfiance. Noah se contenta de s'incliner en une révérence parfaite.
"Bonsoir, votre majesté. Veuillez pardonner cette intrusion."
Sa chambre était une véritable bibliothèque, le prince vivait entouré de livres. Il se trouvait assis derrière son bureau, visiblement en train de travailler, encore. Toutefois, il n'était vêtu que d'une chemise et un pantalon, défait de tous ses ornements protocolaires quotidiens. Difficile de ne pas le trouver beau ainsi mais l'heure n'était pas à ce genre de pensées.
"Daaku, au pied."
La panthère se retira pour venir se coucher aux pieds de son maître. Lucanor leva sur Noah un visage impassible.
"Mademoiselle Ravenhood. Serait-ce une visite de courtoisie ? J'imagine que je la dois à la complicité de votre père.
- Plus ou moins, en effet."

Pas la peine de lui mentir. Elle détourna son regard de son col ouvert pour regarder par la fenêtre. Elle s'apprêtait à poursuivre quand tout à coup les cloches à l'extérieur sonnèrent minuit et les feux d'artifice apparurent dans le ciel. A croire que l'univers tout entier c'était accordé pour elle. Lucanor cligna des yeux.
"Oh. Bonne année à vous, mademoiselle Ravenhood.
- Bonne année à vous aussi, votre majesté."
Répondit-elle sans détacher son regard de la fenêtre. Elle poursuivit : "Il semble que le monde entier soit dehors cette nuit... sauf vous.
- En effet. C'est une fête... familiale.
- Plus maintenant."

Elle tourna alors son visage vers lui. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, mais son esprit s'armait de conviction. Elle ne voulait pas le fuir, ni fuir cet instant peu importe ce qui se passerait dans les prochaines secondes. Il se redressa dans son fauteuil, ne la quittant pas des yeux.
"Dois-je comprendre que vous m'invitez ?
- On ne peut rien vous cacher. Même si cela n'a rien d'étonnant et que vous m'aurez probablement congédié dans moins d'une minute, oui, je suis venue vous proposer de sortir."

Il y eut un nouveau silence durant lequel la seule chose en mouvement dans la pièce fut la tête de Daaku qui passait de l'un à l'autre, confuse. Le prince finit par se lever.
"Très bien, je vous suis."
Il attrapa son manteau, Noah attendit sagement devant la porte réalisant ce qui était en train d'arriver sans un mot, et à sa grande surprise il lui tendit son bras avant de sortir. Ce fut à son tour de cligner des yeux mais après une seconde de flottement elle le prit sagement. Ils sortirent, Daaku sur leurs talons. La panthère suivait toujours le prince mais ce soir l'animal semblait vouloir leur laisser plus d'intimité.
"Et depuis combien de temps prépariez-vous ce moment, mademoiselle ?
- Quatre jours"
répondit elle sans détours. "Voulez-vous que nous sortions par la porte principale ou bien disparaitre par la porte de derrière ?
- Disparaissons, c'est mieux. Avez-vous besoin d'un meilleur manteau ? Il fait froid ce soir.
- Cela ira, je vous remercie."
Bien que connaissant désormais la route, elle se laissa guider jusqu'à la sortie par respect pour le maître des lieux. Ce n'est qu'une fois dehors qu'elle prit l'initiative de le conduire plus loin au nord de la ville par les ruelles désertes, évitant toujours scrupuleusement les grandes allées pleines de monde. Elle ne lui dit pas où ils allaient, il ne comprit qu'en arrivant qu'elle l'emmenait tout en haut de l'aerodrome sur l'une des esplanades vides. L'on pouvait admirer la ville entière d'ici, et les feux d'artifice. On entendait la musique et les rires remonter jusqu'ici. Lucanor s'assit sur un banc, Noah s'avança jusqu'à la rambarde lui tournant le dos.
"Il passe du monde tous les jours ici, dit-elle, tout le monde le perçoit pour ce qu'il est ou ce qu'il représente sans se douter que la plus belle vue de tout Du'Lucart se trouve ici.
- En effet, la plupart des gens ne voient guère plus loin que le bout de leur nez.
- En soi, ils n'ont pas tort. C'est une simple esplanade d'embarquement, et cet aerodrome représente l'une de vos plus grandes réussites.
- Une réussite... je ne le vois pas ainsi, plutôt comme un tremplin pour aller... plus loin. Beaucoup plus loin."

Les feux d'artifice coloraient le ciel, un voile de souvenir traversa le regard de la jeune Ravenhood.
"C'est la première chose que j'ai vu lorsque je suis arrivée ici, la première vision du monde loin du Domaine."
Elle laissa ses mots mourir sur ses lèvres, suspendus dans le temps quelques secondes avant que le prince ne reprenne :
"Il est vrai que cela fait maintenant plusieurs années que vous nous avez rejoint.
- Trois ans, votre majesté.
- Trois ans, et vous avez dépassé toutes mes attentes."

Elle se tourna d'un quart, l'observant du coin de l’œil.
"Les miennes sont encore loin d'être atteintes, hélas.
- Ne vous sous-estimez pas, vous êtes l'élément qui manquait à cette équipe."

Elle baissa légèrement les yeux, songeant à ses trois amis non sans un bref sourire vite effacé. Elle ne leur avait pas -encore- parlé de cette nuit, de ce qu'elle comptait faire, et qui allait fatalement arriver d'une minute à l'autre. En fait, d'une seconde à l'autre car le prince reprit :
"Il y a quelque chose que vous voulez me dire, n'est ce pas ?"
Voilà, on y est. Est-on jamais préparé à un tel moment ? Non, jamais. On a beau tourner et retourner chaque possibilité dans son esprit, passer en revue chacun des éléments de ces derniers mois, aucune réponse n'est jamais assez claire. Le temps était venu de faire ce grand saut dans l'inconnu. Elle se tourna entièrement vers lui, prête à affronter ce qui s'ensuivrait.
"Cela fait des mois que je veux vous le dire, tout en fuyant cette possibilité. J'ai tenté par tous les moyens d'étouffer ce que je ressens. Je lui ai donné d'autres noms, cherché à oublier, rien n'y fait."
Elle prit une profonde inspiration, croisa ses mains devant elle et rassembla tous son courage.
"Je tiens à vous. Plus que le devoir et la loyauté l'exigent ou même l'autorisent j'en ai conscience. Mais là où ils vous respectent, vous admirent ou vous craignent et tout cela à raison, au point de ne plus s'étonner que vous ayez sans cesse au moins trois coups d'avance, que vous sachiez tout, que rien ne vous résiste... moi je vois autre chose. Je vois ce fardeau sur vos épaules, le prix à payer pour être constamment en avance sur tout, et tous ces sacrifices que je ne peux même pas imaginer. Pourtant je les vois, je VOUS vois."
Il l'écouta en silence, puis il leva les yeux vers le ciel, vers les étoiles, pensif. Il réfléchissait.
"Nous sommes... à bien des égards... semblables vous et moi. Pas de la manière dont vous le pensiez néanmoins. Vous comme moi avons des convictions, des objectifs. J'ai consenti à de nombreux sacrifices afin de les atteindre, l'un d'entre eux exige de moi que je... ferme mon cœur à toute forme de distraction. Pour l'instant, du moins."
Alors qu'il baissa à nouveau son regard sur elle, Noah fit un pas en avant lui répondant sans une once d'hésitation :
"Je n'attends rien, je ne demande rien. C'est juste... que si je peux me cacher aux yeux du monde, je ne peux et ne veux plus me cacher de vous. Je suis prête à en assumer les conséquences.
- C'est moi qui vous ai sous-estimée, j'ai sous-estimé votre courage.
- Courage... ou folie, inconscience peut-être."

Elle détourna le regard dans un sourire d'autodérision. Les battements assourdissants de son coeur couvraient tout autre son, sauf celui de sa voix et lorsqu'il parla de nouveau, il se figea dans sa poitrine.
"J'aimerais vous demander deux choses" dit-il en se levant, puis il s'approcha d'elle. "La première, puis-je vous appeler Noah seulement ce soir ? Et la deuxième, m'accorder un moment de paix, m'accorderiez-vous une danse ?"
Elle retint son souffle à cette demande. Elle avança vers lui à son tour, lui tendant sa main et dans un élan d'audace répondit :
"Oui, Lucanor."



Elle le vit alors sourire avant de prendre sa main. Il la tira vers lui. Daaku et les étoiles pour seul public, le temps sembla s'arrêter alors qu'ils dansaient au son de la musique lointaine, ou peut-être d'une mélodie n'existant que dans leur esprit. Loin d'une danse protocolaire, le prince se montrait plus audacieux, plus intime. Leurs regards ne se quittaient pas. Elle pouvait voir qu'en cet instant, le prince avait disparu, il n'y avait plus que l'homme sans le poids de sa charge et de ses secrets. Tout en se rapprochant de lui, serrant légèrement plus fort sa main dans la sienne, Noah le suivit. Sans un seul mot, elle pouvait lui parler, lui transmettre tout ce qu'elle ressentait, lui dire qu'elle serait là quoi qu'il arrive et peu importe ce dont il avait besoin. Et elle sentait à son regard que tout passait, il comprenait, il acceptait. Elle le comprenait, elle aussi. N'était-ce pas tout ce qui compte, n'est-ce pas cela l'amour ?
Nul ne sait combien de temps ils dansèrent ainsi, hors du temps, jusqu'à ce qu'il porte sa main à ses lèvres dans un baisemain appuyé sans détacher son regard du sien. Il souriait, et elle lui sourit en retour, un sourire qui n'existait pas avant ce soir et qui n'appartiendrait qu'à lui désormais.
"Puis-je à mon tour vous poser une question ? demanda t-elle.
- Je vous écoute.
- Que faisiez-vous cette nuit-là près de l'étang ?"

Non pas que cette question avait une réelle importance sur le moment présent, mais elle lui brûlait les lèvres depuis longtemps.
"Ce que peu de personnes me pensent capable de faire, je rêvassais.
- On vous pense réellement incapable de cela ?"

Après la danse qu'ils venaient de partager, ce flottement hors de la réalité, l'idée lui semblait tellement saugrenue qu'elle ne put retenir un très léger rire, bref, quelques secondes à peine. Il ajouta alors :
"C'est un bel endroit, vous savez choisir vos lieux de réflexion.
- Ce serait plutôt à moi de vous dire cela, vous choisissez toujours le lieu et le moment pour vous rappeler à moi chaque fois que je tente de vous sortir de ma tête."

Il sourit un peu plus sans mot dire, ce qu'elle prit comme un aveu alors qu'elle-même confessait la raison de sa propre présence à l'étang cette nuit fatidique.
"Noah, je souhaite vous faire un cadeau.
- Hm ?
- Je veux vous offrir cet étang, cet endroit."

Elle ouvrit grand les yeux.
"Je... je ne peux accepter c'est... trop.
- Vous le pouvez, j'y tiens. Il est à vous."

Ses mains tremblaient. Elle se retint si fort de se jeter dans ses bras qu'il s'en aperçut, et les ouvrit lentement en signe d'accord. Elle y plongea sans hésiter, serrant ses bras autour de sa taille, ses mains sur son manteau, son visage contre son épaule. Elle le sentit refermer ses bras autour d'elle. Ce moment aurait été parfait pour... il ne lui aurait suffit que de lever la tête et... Non. Non cela ne viendrait pas d'elle. Il ne devait pas se laisser distraire, elle ne serait pas celle qui franchirait la ligne. Pas sans son accord. Quelque soient ses désirs ou l'intensité du moment.
Il finit par la relâcher, et il lui offrit son bras de nouveau. "Marchons encore un peu".

Cette fois, ce fut lui qui mena la marche toujours suivis par Daaku qui veillait à distance toujours à portée de vue. Il les ramena au palais, mais par les jardins cette fois et la conduisit dans une partie plus reculée qu'elle n'avait jamais remarqué. Tout y était entretenu mais sobrement, comme pour laisser la nature décider des aménagements.
"Difficile de ne pas se perdre dans ses songes, dans un pareil endroit.
- C'était l'une des dernières volontés de ma mère."

Noah se figea un instant, tenant toujours le bras de Lucanor, en l'entendant parler de sa mère. Il n'en parle jamais, il est toujours formellement interdit de parler d'elle devant lui. Le fait que lui-même aborde le sujet la toucha profondément, elle n'en fut que plus attentive mais ne força pas la discussion.
"C'est magnifique.
- C'est... mon héritage. Ma mère aimait beaucoup cet endroit."

Elle leva les yeux mais ne décela rien, elle-même trop accaparée par ce moment et toute cette soirée des plus troublantes. Alors, prise d'un sursaut d'audace, elle s'écarta brièvement de lui mais en lui lâchant le bras elle lui prit doucement la main et le tira légèrement plus avant.
"Alors, montrez-moi l'endroit que vous, vous aimez le plus.
- Très bien."

A sa grande surprise, il garda sa main dans la sienne et l'emmena un peu plus loin derrière les arbres, sur une terrasse encore plus isolée à couvert des bosquets. Il y avait là un mur décoré d'une mosaïque représentant un paysage naturel sur lequel le prince passa lentement sa main libre, Noah se tenant à ses côtés.
"Savez-vous, dit-il, que c'est ma mère qui a réalisé ceci ?
- C'était une artiste ? Demanda Noah.
- ... Je l'ignore. Je sais qu'elle touchait à de nombreux domaines, elle m'a transmise sa curiosité."
Lorsqu'il tourna son visage vers elle pour la regarder, cette fois, elle vit dans ses yeux un voile de tristesse, les larmes ne semblaient pas loin. Elle ne voulait pas détourner le regard, feindre de ne rien voir même pas respect, elle voulait être honnête avec lui. Elle voulait lui donner ce dont il avait besoin, pas ce que le devoir exige. Alors, serrant sa main plus fort dans la sienne elle murmura :
"Un mot de vous et je vous laisse seul."
Elle sentit comme un léger frisson dans sa main. Puis, il acquiesça. Elle le lâcha alors et se recula en silence, lui tournant le dos pour le laisser face à ses souvenirs et un chagrin qu'il méritait amplement d'exprimer à sa manière. Elle fit quelques pas, et Daaku s'approcha d'elle réclamant des caresses. Surprise d'être ainsi "accueillie" par le félin, Noah s'accroupit pour lui caresser la tête et écouter ses ronronnements pendant plusieurs minutes. Lorsque le prince revint vers elle, il avait retrouvé toute sa majesté, son impassibilité. Noah se redressa, les mains jointes devant elle, comprenant que "le moment" était fini. Elle eut un petit pincement au cœur, très léger, elle avait déjà obtenu plus que ce dont elle aurait pu rêver. Pourtant il ne la congédia pas, et alors qu'elle s'attendait à devoir repartir il la fit monter dans sa chambre à nouveau.
"Je voudrais également vous donner ceci" dit-il en lui tendant une clé. "Je veux que vous puissiez revenir dans ce jardin quand bon vous semble, et avec qui vous le souhaitez."
Noah prit la clé, dans un signe de tête de remerciement, et ajouta : "Merci. Mais ce sera avec vous ou sans personne."
Ce jardin, comme tout ce qui s'était passé ce soir, n'appartenait qu'à ces instants. Elle reviendrait sans doute seule, mais pas avec quelqu'un d'autre. Il lui servit un thé, celui qu'elle préférait même s'il donna l'impression de choisir un sachet au hasard dans la boîte. Elle remarqua également qu'il choisit pour lui-même celui qu'elle lui avait offert -plus ou moins anonymement- quelques jours plus tôt pour la nuit de la Bénédiction. Il s'installa ensuite à son bureau et rédigea un document sur lequel il apposa son sceau. Il le ferma proprement, et le lui tendit.
"L'étang, ainsi que les terres qui l'entourent, sont à vous désormais."
Une fois de plus, elle le remercia d'un sourire et d'un signe de tête, gardant précieusement ces deux présents contre son coeur. Face à elle, il ajouta :
"Mademoiselle Ravenhood, je ne vous fais aucune promesse.
- Je n'en ai pas besoin, votre majesté. Vous en avez dit et montré bien assez ce soir. Cela me suffit. J'attendrais.
- Je ne peux rien promettre mais... je peux vous conseiller. Je ne veux pas que vos pensées demeurent constamment sur moi..."

Elle tiqua. Allait-il oser lui suggérer de voir d'autres hommes ? Elle n'eut pas le temps de froncer les sourcils cependant qu'il poursuivit.
"... Vous avez des amis."
Ouf. Elle se détendit aussitôt et lui répondit avec assurance.
"Vous ne quittez jamais mon esprit. Cela ne signifie pas que j'en oublie le reste, eux encore moins. Sans eux d'ailleurs, je ne serais pas ici mais encore en train de me demander ce qui signifie cette folie."
Il acquiesça tout en la raccompagnant. La nuit était maintenant bien avancée. Il lui ouvrit la porte. Elle s'inclina, de la même manière qu'à son arrivée :
"Bonne nuit, votre majesté.
- Bonne nuit... Noah."

Elle se sentit rougir lorsqu'il prononça son prénom, même après avoir retrouvé son visage formel et impassible. Elle le vit sourire, comme il lui souriait lors de ses approches subtiles des mois passés. Etait-ce le signe que rien ne changerait, mais que tout avait changé malgré tout ? Elle ne put que sourire à son tour et sans le dire de vivre voix, ses lèvres mimèrent en silence ces mots juste avant de le quitter pour de bon : "Je vous aime Lucanor".

La porte se referma derrière elle. Tentée de rester un instant ici et d'écouter le son de ses pas de l'autre côté, elle préféra se ressaisir et faire le chemin en sens inverse pour gagner la sortie. Malgré ce très léger pincement au cœur, elle était heureuse, un bonheur nouveau qu'elle ne comprenait pas encore tout à fait. Oui, il n'avait rien promis. Oui, cela prendrait peut-être un an, dix ans, une vie entière. Peut-être mourrait-elle avant de pouvoir à nouveau sentir la chaleur de ses bras. Elle n'avait pas besoin de promesse, il lui avait offert l'espoir.
Un peu plus bas, non loin de la porte, elle trouva son père à sa grande surprise. Il l'avait attendu tout ce temps ? Lorsqu'il la vit arriver, il posa ses deux mains sur ses épaules guettant le moindre signe sur son visage. Il ne trouva que le sourire et les joues rosies de sa fille, elle semblait subitement plus belle et tellement plus sereine.
"Que... que s'est-il passé ? demanda t-il.
- Eh bien, nous sommes sortit. Nous avons dansé sur l'esplanade de l'aerodrome, nous avons marché dans les jardins où il m'a parlé de sa mère, et il m'a offert ceci."
Il reconnut la clé, sans piper mot, et ouvrit des yeux ronds en ouvrant l'acte de propriété. En écoutant sa fille lui faire le récit de son "rendez-vous" nocturne, il en avait perdu sa voix.
"Noah, c'est... comment est-ce possible ?" Il la regarda droit dans les yeux. "Il me faut une réponse, qu'a t-il dit ?
- Il ne promet rien, mais ce n'est pas nécessaire. Il m'en a montré bien assez. C'est entre ses mains à présent. C'est à lui de décider si, quand, et de quelle façon il souhaite me revoir seule."

Kandras acquiesça, encore un peu sous le choc il serra sa fille dans ses bras.
"Je crois que je lui plais, ne serait-ce qu'un peu.
- Un peu seulement ? Ma fille, arriver à faire sortir le prince, à le faire danser, qu'il te parle de sa mère et te fasse un tel cadeau... c'est bien au-delà de tout ce que l'on aurait pu croire. Je suis à la fois fier et... je ne sais comment appréhender cela. Cependant, tu es bien consciente que dès demain, il sera redevenu comme tous les jours n'est ce pas ?
- Oui, et j'espère bien que rien ne changera. Absolument rien."
Dit-elle, songeant à la fois à la mission, à son travail mais aussi à tout ce qui faisait qu'elle aimait tant Lucanor dans son visage du quotidien et dans leurs rapports ordinaires teintés d’ambiguïté bien avant cette soirée. Rien ne devait changer, absolument rien. Puisse t-il continuer de se montrer impassible tout en continuant de l'empêcher volontairement de le sortir de ses pensées de façon subtile et si intelligente.
"Oh, et il ne l'a pas explicitement demandé mais il va de soit que tout ceci restera secret et je compte sur votre discrétion.
- Ma fille, un tel succès ne se savoure... qu'en petit comité."


C'est ainsi que, le bras de son père autour de ses épaules et un sourire paisible sur les lèvres, Noah quitta le palais pour rejoindre les rues encore animées de la fin de nuit. Ils rejoignirent le reste de la famille mais il était déjà tard, ils rentrèrent peu de temps après. Elle parla peu, retrouvant peu à peu la réalité. Néanmoins, sur le chemin du retour vers le manoir Ravenhood, son regard se perdit à plusieurs reprises par-dessus son épaule vers les fenêtres du palais.
Je me demande ce qui occupe vos pensées en cet instant. Avec l'aube, les affaires plus sérieuses reviendront occuper mon esprit. Mais j'ai maintenant une raison supplémentaire de rentrer en vie à la fin de cette mission, une raison de plus de sauver le monde. D'ici à ce que le soleil se lève, Lucanor, je ne veux songer qu'à vous, à nous, et à cet instant de paix hors du temps...

... car il m'est désormais permit de vous aimer.


Ce qu'elle ignorait encore, c'est qu'au-delà de la réalité, la Béryl des sentiments s'était une fois de plus penchée sur elle. Touchée par sa grâce sans s'en rendre compte, Noah ne remarquait pas encore les regards tournés vers elle appréciant sa beauté plus visible. Elle ne comprenait pas encore la force surnaturelle de cette sérénité qui la protègerait des influences néfastes sur son esprit. Et lorsqu'elle s'assit au piano, après que toute la famille soit montée se coucher, elle se mit à composer avec une inspiration nouvelle, sublimée par le toucher divin, une mélodie qui figerait pour toujours cette nuit hors du temps.

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