[Anima] Noah Ravenhood

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Lerith Il y a 10 mois et 1 semaine
Lerith Il y a 10 mois et 1 semaine


Lerith Il y a 8 mois et 2 semaines

En Eaux Troubles


Le lendemain matin, Noah ne songeait plus qu'à se remettre au travail et quitter Du'lucart au plus vite. Dans son éternel souci de pousser les individus à exprimer leurs émotions, Eleven l'avait pratiquement poussée à bout et elle avait tout balancé en plein milieu du salon. Oh, bien sur la sylvaine se doutait qu'une telle loyauté de la part de Noah dissimulait plus de sentiment mais l'entendre de la bouche de l'intéressée avec une telle violence lui coupa toute envie de répliquer. Sentant sa volonté vaciller, Noah quitta les lieux. Elle voulait se noyer dans le travail, oublier. Elle devrait encore jouer cette comédie tôt ou tard.
"Ma mission est tout ce qui compte, le reste n'a pas d'importance."

"Ah oui ? Alors pourquoi es-tu brisée de l'intérieur ?"


Une voix dans sa tête la rappela à ces apparitions sur l'étang, réveillant d'instinct sa méfiance.

"Ne me crains pas, nous nous connaissons ou moi je te connais. Je suis ce qui relie chaque créature des ténèbres. Trouve un lieu où nous serons tranquilles et je viendrais à toi."

Elle avait beau être sur ses gardes, elle ne ressentait aucune menace venant de cette chose qui se révéla à elle une fois seule, enfermée dans sa chambre au manoir Ravenhood.
"Nous nous connaissons. J'ai passé un pacte avec toi jadis dans ton ancienne vie et je viens t'offrir la même chose : Je peux faire disparaître ces sentiments qui te dévorent, et les dévorer à mon tour. Tu seras plus puissante, en paix. N'est ce pas ce que tu désires ?"
La tentation était force, ce pouvoir d'attraction que les ombres ont sur elle dépassa presque son sens de l'observation mais la mention de sa précédente vie la fit revenir à elle instantanément. L'ombre refusait d'en parler, ses pactes sont absolus et elle-même dans sa nouvelle vie ne pouvait en être informée. La méfiance revint. Avant d'accepter elle devait en savoir plus et en bonne agent, avertir ses supérieurs. Ne venait elle pas d'invoquer malgré elle une entité en pleine capitaine après tout ? Qui sait si elle ne devenait pas dangereuse.
Cela devrait hélas attendre. La journée qui suivit le bal, la réunion occupait toutes l'énergie et les ressources du service de sécurité. Noah la passa dans les bureaux à trier les archives afin de s'occuper l'esprit. Ce n'est qu'en milieu d'après-midi que ses compagnons la rejoignirent et même Eleven n'osait trop parler. Ils prirent la décision de partir à la recherche de la larme de Kraken sitôt qu'ils auraient eu le résultat de l'entrevue diplomatique. Aucun ne voulait partir sans savoir si le Lucrécio allait conserver sa neutralité. Quand la porte s'ouvrit ils l'entendirent de loin car un attroupement se forma dans le hall visible depuis la porte du service où Noah travaillait. Elle fut d'ailleurs la seule à ne pas accorder un seul regard à la procession de personnalités qui défilèrent jusqu'à l'entrée du palais. Les autres, eux, purent constater à l'expression faciale du cardinal que tout s'était bien passé puisqu'il tirait une tronche de six pieds de long. Et en effet, la trêve serait maintenue. Les partis s'entendaient désormais sur une évidence : l'Alliance Azur avait tout à gagner à faire accuser le prince par l'Eglise, s'allégeant ainsi de deux ennemis potentiels pour se concentrer sur l'Empire.
"Equipe Sigma, au rapport."



Avant de partir pour le Nord à la recherche des Kakrens de l'Océan des Enfants, ils firent un détour par la bibliothèque du sanctuaire de l'Arbre de Feu et ne purent que constater avec horreur que l'endroit était lui aussi affecté par les prémices de la catastrophe à venir : le toit s'était en partie désintégré, les étagères renversées, les livres éparpillés... on aurait dit qu'un cyclone était passé par ici bien que la barrière continuait de repousser le mal. Il fallait faire vite. Ils rassemblèrent le plus d'informations possibles sur leur destination. Noah en profitant pour se renseigner davantage sur l'ombre venue à elle. L'état du sanctuaire la pressa, elle ferait son rapport plus tard à ce sujet.
"Pressons."

Le Nord, vaste étendue désertique couverte de neige puis de glace, habitée par les seuls tribus nomades qui connaissent ce pays mieux que n'importe qui. Avant de monter directement sur la côte, ils firent le choix calculé de passer par les terres à la rencontre de ces gens pour entendre leurs histoires. Certaines légendes pouvaient leur donner une idée de la localisation d'un Kraken ou de leurs mouvements. Ce serait bien plus aisé que de simplement fouiller l'Océan des Enfants pendant des semaines. Après avoir obtenu leurs informations et croisé un nouvel obscurial à l'apparence d'un loup-esprit gardien de la Toundra, ils gagnèrent les îles de la côte où ils firent la rencontre d'un autre individu tout aussi singulier : un magicien à l'apparence jeune, excentrique, dont la seule passion semblait être le voyage et se baigner dans l'eau glacée. Il leur apprit que certains Krakens pouvaient se montrer avenant et amicaux, quand d'autres -fatalement les plus connus- se montraient grincheux voir violents.
Leur troisième rencontre se fit sous la surface, protégés par les parois de l'Airbus invoqué par Ambrosia. Voyager sous l'eau leur épargnait les tempêtes monstrueuses à la surface, l'Océan des Enfants portait bien mal son nom. Ces eaux mortelles faisaient disparaitre de nombreux navires chaque année. Airbus avait beau être rapide en submersible, il fallait éviter les prédateurs et redouter la présence de surnaturel SURTOUT en ces temps instables. Les krakens sont loin d'être les seuls monstres marins des environs... sans parler des courants qui menaçaient constamment de les faire dévier de leur cap. Au-dessus de leurs têtes, toutefois, les navires devaient se trouver bien plus en difficulté.
Et c'est dans une de ces tempêtes, alors qu'ils cherchaient la source de ces tourbillons surnaturels qui s'en prenaient même à leurs transport protégé, qu'ils aperçurent... le plus improbable des adversaires.
"C'est quoi ce... ça ?!"
Une sorte de lézard amphibien dansait joyeusement au fond de l'eau, pris dans une sorte de transe et il ne s'arrêtait pas. Il ne ressemblait pas à un prédateur, il ne semblait même pas se rendre compte du péril qu'il provoquait. Un navire de pêcheurs se trouvait d'ailleurs pris dans la tourmente un peu plus haut. Eleven trépignait sur place.
"Il faut qu'on fasse quelque chose !"
Ils auraient pu contourner l'oeil du maelstrom, sous la surface ils étaient plus ou moins en sécurité mais bien sur avec une sentimentale comme la sylvaine et le syndrome du héros de Stephan impossible de passer outre. Noah lança un regard à Ambrosia qui s'essaya à une compréhension des langages pour tenter de communiquer avec l'animal. S'il voulait bien s'arrêter de danser, il y avait une chance. Airbus se risqua dans le Maelstrom et se posa juste devant lui, Ambrosia sortit la première. Nul ne sut ce qu'elle entendit mais au bout d'une minute elle posa à son tour les yeux sur Noah.
"Danse.
- QUOI ?!
- Discute pas, danse. Trouve le rythme de l'océan."

Elle en a de bonnes celle-là ! Le regard insistant de tout le groupe acheva de la convaincre bon gré mal gré. Après un bref moment de concentration pour percevoir ce rythme battu par les vagues et les courants, elle se mit à danser. Le lézard capta aussitôt ses pas et se cala sur ses mouvements. Tous deux s'harmonisèrent très vite, et la tempête se calma.
"Oui alors ceci dit on va peut-être devoir très vite rentrer dans Airbus !" s'exclama Stephan en voyant le maelstrom se résorber par le haut. L'eau commençant à retomber, ils eurent tout juste le temps de se réfugier à l'intérieur d'Airbus avant que des centaines de milieurs de mètre cube d'eau ne les balaye. Heureusement, ils ne percutèrent rien et le navire en haut fut sauvé. Seule Noah se retrouva étalée sur le dos au fond du "véhicule", une énorme salamandre aquatique collée sur son ventre.
"On dirait que ce coup-ci, c'est toi qui va ramener un compagnon Noah.
- Génial, un nouveau partenaire de danse... à tout hasard tu ne saurais pas nous indiquer l'antre à Krakens la plus proche hm ?"

Malgré son apparente amertume, Noah avait apprécié l'expérience. Danser avec la fureur de l'océan l'avait libérée plus que ne l'aurait fait n'importe quel pacte occulte. Elle posa sa main sur la tête de son nouvel ami et le baptisa Samba. Grâce à lui, ils trouvèrent les Krakens, une mère et son petit plus exactement, en proie à des prédateurs venus s'en prendre au plus jeune visiblement blessé ou malade, mourant. Voir une créature si puissante affaiblie alors qu'ils étaient craint de tous les humains à la surface faisait peine à voir mais morts ils ne pourraient en tirer aucune larme. Ils combattirent pour les protéger, Ambrosia usa de son sort des langages pour rassurer la mère tandis qu'Eleven utilisait son sort de vision dans le passé pour comprendre comment soigner son bébé. Il avait fait une bien mauvaise rencontre et avait encore un fragment de lance dans un tentacule, une lance de Yehuda. Malédiction, poison, qu'importe ça le tuait à petit feu il fallait lui retirer ça. Le temps que Stephan récupère une des larmes de la mère en pleurs pour sa progéniture, et ce fut réglé avec le savoir faire d'une magicienne de la création. Mission accomplie, retour au bercail !



De retour à la capitale, Samba trouva sa place au manoir Sigma, impossible de le ramener chez les Ravenhood avec sa belle-mère ignorant tout des affaires surnaturelles. Après cette aventure, Noah trouva la force de parler à ses parents, de dire à Lady Ravenhood qu'elle ne voulait pas se marier car son cœur appartenait déjà à quelqu'un qu'elle ne pourrait jamais aimer ouvertement.
"Toi, l'héritière des Ravenhood, qui donc pourrait t'être inaccessible mon enfant ? Si c'est un roturier cela n'a aucune importance tu le sais..."
La bienveillance de dame Mathilde aurait attendri n'importe qui. Elle ne tarda pas à comprendre toutefois, et Noah dû la retenir d'aller parler au prince. Non mais qu'espérait elle si ce n'est lui coller la honte de sa vie en plus de ruiner sa carrière ? Néanmoins, de cette discussion il résultat la meilleure décision jamais prise par la nouvelle maitresse de maison depuis son arrivée : renoncer au mariage de sa belle-fille. Enfin, elle accepta de la laisser consacrer sa vie à son travail et refuserait d'emblée toute demande en mariage. Noah prendrait un jour la suite de son père et choisirait à son tour pour héritier le premier né de Marek. Tout est bien qui finit bien, chacun y trouvait son compte. C'est en joie que Noah laissa son père en proie aux foudres de son épouse vexée qu'il ne lui ai jamais parlé de tout ça, et récupéra son courrier.
"Tiens, une lettre de ma tante à Archange ? Elle dit qu'elle veut me voir de toute urgence. Bon, on a un peu de temps avant de repartir."

Rien n'aurait pu altérer cette belle journée libératrice. Elle se sentait même prête à inviter toute l'équipe à boire un verre le soir-même à l'Anguille Ecarlate et rendre son rapport sur l'ombre sereinement, juste le temps d'un petit détour par le portail dans le jardin de Gemima Bartholomew pour savoir quelle information urgente cette dernière avait à transmettre.
"J'ai des nouvelles du Domaine mon enfant. Ton visage... a été reconnu. Ils ont envoyé trois des meilleurs inquisiteurs à ta poursuite avec ordre de te ramener vivante à son éminence Roméo Exxcet."

Et tout son monde s'effondra.
Lerith Il y a 5 mois et 3 semaines

Le Labyrinthe des Quatre Saisons


Quitter le Lucrécio malgré les risques nouvellement soulevés s'avéra être la meilleure idée car s'il y a un endroit où, qu'on les y cherche ou non, personne ne les trouverait jamais c'est au Pristina. Dans la cité où règne la prêtresse du printemps tous ceux qui y demandent l'accès reçoivent protection et discrétion. Aucun ennemi ne l'a jamais trouvé, on raconte que tous y vivent en paix. Le seul petit problème dans l'histoire c'est que pour maintenir ce secret tous ceux y entrent n'en ressortent jamais c'est la seule condition. Donc, en soi, trouver la cité ne serait pas un si gros problème à côté de la nécessité d'en sortir par la suite. C'est la grand-mère d'Ambrosia qui les mit sur la voie. Noah ne savait que peu de choses de "Mamirna", de son amie elle ne connaissait que les nombreux frères qu'elle avait à moitié élevée dans leur modeste chaumière. Elle ne fut cependant qu'à moitié surprise de se trouver nez à nez avec un arbre vivant. La pomme ne tombe jamais loin de l'arbre comme on dit, et Ambrosia sous ses airs cupides restait proche de la nature. Pas à ce point non plus ! Ils sont tous tarés dans cette famille...
Suivant les indications (trouver une souche dans une forêt qui s'étend sur des centaines de kilomètres à la ronde, on ne peut pas dire que ce fut un jeu d'enfant...) ils réfléchirent longuement au moyen d'entrer dans la cité sans être contraint d'y demeurer, mais aussi à la façon de convaincre la prêtresse de leur offrir la fleur du bonheur. Pour la sorcière et l'agent des Corbeaux une approche directe serait encore la meilleure mais comme toujours les deux autres préconisaient un peu plus de diplomatie.
"Rien ne dit qu'ils vont nous croire si on leur parle de la fin du monde."
Argument valable, mais Noah ne douta pas le moins du monde que malgré leurs réticences à dire la vérité, Stephan ne pourrait pas s'empêcher de déballer tous les détails à la première question et Eleven... Disons qu'on ne surnomme pas la Beryl des pieds dans le plat pour rien.
Chercher la cité fut plus long que pour obtenir le droit d'y entrer. Ils n'avaient toujours aucun plan pour en sortir par la suite mais au moins ils étaient dedans et demandèrent aussitôt une audience avec leur souveraine. C'était beau, là-dessus rien à redire, tout ici respirait la paix et l'harmonie avec la nature ; littéralement une terre où jamais le malheur n'a pu s'étendre et où aucune goutte de sang n'a été versé. La prêtresse les reçut comme si elle avait toujours su qu'ils viendraient et très vite le problème de leur sortie se dissipa quand ils virent Conrad se tenir à ses côtés. Si le vieux templier pouvait lui rendre visite à sa guise, le mythe des portes à jamais fermées derrières les visiteurs semblait surfait au moins pour quelques privilégiés dont ils pouvaient espérer faire partie après s'être expliqués. Ce qu'ils firent sans tarder.
Face à la bonté de leur hôte, la franchise fut unanime, ils sentaient qu'ils pouvaient tout lui dire. Pour la première fois -au grand soulagement d'Ambrosia- quelqu'un les entendit sans renier le péril de la fin du monde. Elle les croyait, mais... il y a toujours un mais. La fleur du Bonheur n'est pas qu'un trésor gardé dans son palais, c'est aussi la source du pouvoir de la cité, qui les protège du monde extérieur. Si le monde entier disparait cela ne les sauverait pas, mais si la cité se retrouvait sans protection dans un monde où le surnaturel est décrié, voir éliminé, son peuple composé de toutes ces créatures non humaines et de magiciens venus fuir l'inquisition serait à la merci de leurs bourreaux. Ce serait dans les deux cas la fin du monde pour eux. Peut-être restait-il du temps pour trouver une autre solution ?
Elle hésitait, prise dans un dilemme qui semblait sans fin. Les quatre se regardèrent et, dans un soupir, évoquèrent le dernier conseil de Mamirna :
"Nous voudrions invoquer le jugement des Esprit."
L'Ordalie ne serait requise qu'en tout dernier recourt, et ils avaient tout fait pour l'éviter. La prêtresse, surprise, leur offrit malgré tout un sourire soulagé. Si les esprits décident, elle se plierait à leur volonté en toute confiance pour l'avenir de son peuple. Le jour-même ils furent menés à la porte du temple sous les acclamations et descendirent les marches jusqu'à l'entrée de ce qu'ils imaginaient comme une arène, ou peut-être une épreuve en deux ou trois étapes. Le le tampon au-dessus de la porte, Ambrosia traduisit d'un ancien langage :

BIENVENUE DANS LE LABYRINTHE D'ERIOL


"Et merde..."


Combien de temps avaient-ils passé dans cet endroit ? Cela leur sembla durer quelques heures. Assez vite ils prirent conscience que ces couloirs délimitaient l'ensemble du labyrinthe en quatre saisons entourant quelques salles liées à la lumière, l'ombre et aux divinités, shajads et beryls. Ils traversèrent de nombreuses salles, s'acquittèrent de plusieurs tâches et épreuves, certaines liées entre elles jusqu'à chacun des quatre gardiens, incarnations des quatre saisons. Résoudre des énigmes, affronter un miroir de soi-même, remettre en place les noms de chaque divinités sur leurs statues associées avec plus ou moins de facilité, jusqu'à ce qu'enfin ils passent la dernière porte.
Il n'y eut en comité d'accueil, ni monstre ni combat épique. Ils se trouvaient sur un promontoire tapissé d'herbe au-dessus d'un gouffre béant et sombre. Tout était silencieux, paisible, si ce n'est une légère brise. Le seul qui ne montra aucun signe d'apaisement fut Blacky. L'obscurias fit quelques pas, abattu, le regard perdu dans ses souvenirs.
"Où sommes-nous à votre avis ? demanda Eleven.
- Je crois que nous sommes sur un fragment de ce qui fut la terre de tous premiers habitants de Gaïa. Celle que notre Blacky a foulé et qui l'a vu naître."
N'était-il pas le tout premier obscurias ? Pas étonnant que cet endroit lui évoque des souvenirs pas forcément réjouissants. Ils cherchèrent une sortie, mais aucune porte se présenta. Ils tentèrent de descendre dans le gouffre mais n'y virent rien si ce n'est quatre dragons endormis et un vide sans fin. Ils remontèrent et réfléchirent à ce qui s'avéra logiquement comme leur dernière épreuve. Mais ils eurent beau se creuser la cervelle, celle fois rien ne vint. Alors, Noah se pencha sur son compagnon canin et lui murmura :
"Tu es déjà venu ici autrefois, n'est ce pas ? As-tu une idée de comment repartir ?"
A l'aide du sort de compréhension des langues d'Ambrosia, elle comprit sa réponse.
"Je ne sais pas. Je ne peux rien te dire, mais peut-être que je peux vous montrer."
Il tendit un regard sur Eleven. La sylvaine ne rechignait jamais à explorer le passé d'un lieu ou d'une personne avec sa vision mystique pour les besoins d'une mission; mais elle hésitait toujours à s’immiscer dans les souvenirs de ses proches. Avec son accord, et beaucoup de concentration, elle remonta le temps jusqu'au jour de sa naissance. Ils savaient que c'est suite à une rencontre qui lui fit comprendre la nature de l'amour qu'il s'incarna en une créature matérielle. Ils virent une femme se tenant au bord du gouffre. Elle pleurait, meurtrie par la perte de son amant tout en berçant le fils nouveau-né dans ses bras à qui elle promettait le meilleur avec une telle passion, une telle douceur que même Stephan versa une larme. Et alors fleurit à l'endroit où elle se tenait, la fleur du bonheur que la cité gardait.
"Donc si on suit le même processus, déclara Stephan, il faudrait que quelqu'un monte sur le bord du promontoire pour déclarer son amour sincère..."
Et brusquement, tous les regards se tournèrent vers Noah.
"Je vous déteste."
D'un regard glacé elle leur intima de rester ici et de ne surtout pas chercher à entendre ce qu'elle dirait lorsqu'elle s'avança face au vide. Maudissant Eriol et ses coups tordus, elle prit une profonde inspiration. Elle vida chaque recoin de son esprit de toute trace de sarcasme ou d'agacement le temps d'une seule et unique déclaration dans le vide. Une seule fois, juste une fois avant de se taire à jamais.
"Depuis le premier jour et jusqu'à ce que mon corps devienne cendre. Je n'aime que vous, pour toujours et à jamais."


Aussitôt, à ses pieds, sortit de terre une fleur brillante comme mille joyaux multicolores nimbée d'une aura de lumière. Un s'en suivit un grondement venu des profondeurs. Les quatre dragons s'éveillèrent en même temps et d'un puissant battement d'ailes s'envolèrent, dominant les cieux et fixant leur regard sur la fleur, et sur elle.
"Qui donc a fait éclore une nouvelle Fleur du Bonheur ? Quel est ton nom ?
- Noah... Ravenhood.
- De quel droit devrait-on te laisser la prendre ?"

Alors là c'était bien la meilleure. Ne venait-elle pas de faire ses preuves à l'instant ? Le naturel revint au galop et elle fronça les sourcils.
"Nous en avons besoin, pour sauver le monde.
- Tu sembles prête à tout pour remplir ta mission, prête à mourir, prête à tuer ?"

Autant choisir la franchise, mentir à un dragon ne serait guère prudent alors quatre...
"Oui. Je suis prête."
Elle s'attendait à devoir combattre.
"Nous donnerais-tu un enfant pour accomplir ta quête ?
- Je n'en aurais jamais.
- Mais il y en a une autre qui attend le sien."

Son regard se porta sur Eleven par-dessus son épaule, mais la réponse fut imédiate et tous les autres renchérirent d'une même voix :
"Non, jamais !"
Les dragons grondèrent un peu plus.
"N'as-tu pas dit que tu étais prête à tout ? Qu'est ce qu'une vie pour en sauver des milliards."
La colère monta au creux de son ventre.
"Je dispose de ma vie et de ma conscience, prenez tout s'il vous faut le prix du sang mais rien à cet instant ne justifie le sacrifice d'un autre."
Elle sentit que ce n'était pas tout à fait la réponse qu'ils attendaient. Ironiquement, des quatre elle n'était pas la plus digne d'emporter cette fleur puisqu'elle n'hésiterait pas à empiler les cadavres d'enfants et de vieillards si c'était le seul moyen de sauver le Lucrécio mais aucune mort ne doit être inutile. Après un temps d'hésitation où elle s'attendait à se faire dévorer vivante, les quatre dragons s'envolèrent.
"Tu peux la prendre. Plus aucune fleur du Bonheur ne poussera sur ces terres."
Ils disparurent, sans plus de cérémonie. Une porte apparut au bout du promontoire, la sortie enfin. Noah laissa Eleven cueillir la fleur et la confier à Stephan. Ils quittèrent l'Ordalie presque soulagés. A leur grande surprise personne ne les attendait et le garde qui les vit arriver ouvrit de grands yeux ébahis.
"Mais;.. mais vous êtes sortis ?
- Eh bien, oui pourquoi ?
- C'est que... euh... on ne vous attendait plus ?"

Incrédules ils le suivirent jusqu'au palais de la prêtresse qui se précipita pour les serrer dans ses bras mais s'arrêta net en voyant la fleur entre leurs mains.
"Rassurez-vous, ce n'est pas la votre... celle-ci a poussé juste sous nos pieds il y a quelques instants."
Elle pleura de joie et de soulagement, libérée d'un poids.
"C'est la fin d'un dilemme, quel bonheur. Vous êtes partit depuis trois semaines, j'imagine que ces quatre dragons qui ont survolé la ville ne vous sont pas étrangers...
- Attendez... trois semaines ?!"

Pour eux, ils ne s'étaient absentés que quelques heures. Tandis que Stephan tâchait d'expliquer maladroitement à Conrad pour le coup des dragons et éviter la panique générale chez les templiers, Noah fit le rapide calcule dans sa tête.
"Attendez, trois semaines... quel jour sommes-nous au juste ?
- Le 21 Décembre, pourquoi ?"

Déjà pâle au naturel, son visage devint plus blanc que blanc.
"Oh non... il faut que je rentre tout de suite où je vais finir enfermée dans ma chambre jusqu'à mes cinquante ans !"

Elle n'était plus qu'à quelques heures de rater sa propre fête d'anniversaire...
Lerith Il y a 5 mois et 3 semaines

Solstice d'Hiver


Avant de rentrer au manoir, le devoir exige de faire son rapport au prince. Sitôt le portail passé vers la capitale du Lucrécio ils sautèrent dans le premier carrosse vers le palais. Leur disparition, loin de passer inaperçue, souleva les questions d'Enstein et des autres Corbeaux de l'administration mais de plus amples explications devraient attendre. Seule sa majesté les reçut pour entendre leurs résultats et recevoir la précieuse Fleur du Bonheur. Un ingrédient de plus sur la liste. Entretemps, l'affaire des traqueurs de l'inquisition s'était plus ou moins tassée faute de signes de vie de leur part. Cela avait au moins eu cet avantage. En revanche pour la plume de Phénix, les nouvelles s'avérèrent moins réjouissantes : le jeune invocateur et sa mène ne donnaient plus aucun signe de vie et cela n'augurait tien de bon. Le prince craignait qu'ils n'aient été découverts. Au mieux, ils avaient fui.
Noah rendit son rapport complet, écrit pendant le trajet encore très succin mais promit un meilleur rendu dans les jours à venir. Aussitôt qu'il leur donna congé, elle s'excusa et quitta le bureau au pas de course. Elle échappa de peu à sa dernière question, celle qui portait sur les conditions de l'obtention de la fleur. Aucun de ses camarades ne trahit son secret bien sur mais ils relevèrent le regard que le souverain porta sur son dos lorsqu'elle tourna les talons, songeur. Il n'y avait sans doute qu'elle pour penser qu'il ne se douterait de rien.

A peine eut-elle passé le portail du manoir Ravenhood que les servantes se ruèrent sur elle telles de lionnes en furie.
"Mademoiselle enfin vous voilà, il faut vous préparer le bal commence dans quelques heures !"
Par chance tout était déjà en place. Sa mère et Brenda y avaient veillé en son absence et elle n'eut plus qu'à se précipiter dans ses appartements pour plonger dans son bain. Sa robe l'attendait sur le lit, chaussures, tiare, parure complète sur sa coiffeuse. Edward l'informa des dernières nouvelles tandis qu'elle se préparait et quand le soleil se coucha le jardin sous sa fenêtre s'illumina de multiples lanternes.
Brenda avait une fois de plus fait des merveilles. Sous la neige qui tombait, les braseros disposés un peu partout maintenaient une chaleur confortable sur la terrasse et le long des allées. Le buffet couvert d'une toile au motifs étoilés aurait pu nourrir une armée mais il n'était rien à côté du sapin géant illuminé en bas des marches où on avait aménagé la piste de danse. Cette nuit de solstice elle avait vingt ans, mais plus qu'un anniversaire de naissance dont elle ignorait la date exacte, c'était celui de son arrivée au Lucrécio et le début de sa nouvelle vie. Aujourd'hui, elle et lord Kandras célébraient surtout la réussite de son exfiltration et son intronisation comme héritière de la famille. Elle vit les premiers invités conduits au jardin, un peu surpris mais enchantés par cette vision. Elle sourit un peu. Ce soir elle avait une idée bien précise en tête qu'elle avait dissimulé à tout le monde, sauf bien sur à sa complice.
"Brenda, sont-ils tous venus ?
- Oui ma chère, je les ai tous trouvés. Filez donc vous cacher !"

Elle hocha la tête du haut des escaliers. En tant qu'hôte de la soirée elle ne devrait faire son entrée qu'une fois tous les invités arrivés. Juste avant de fermer la porte, elle entendit deux domestique descendre en s'exclamant : "Il est là, il est venu !"
Elle ouvrit les yeux en grand. Sa majesté est ici ? Certes, l'usage veut que l'on invite tous les individus de rang plus élevé par respect mais en général ils ne viennent jamais à moins de s'ennuyer. La présence du prince à un bal pour l'anniversaire de l'héritier des Ravenhood, c'était l'honneur suprême pour son père et une récompense ultime pour ses services et sa loyauté. Noah vacillait entre panique et fierté.

Depuis sa fenêtre, elle assista avec un discret sourire à l’exécution de son plan. Quand ses compagnons arrivèrent enfin, et furent conduit dans les jardins, Ambrosia fut la première à sentir sur son épaule la main de l'un de ses frères. Ils étaient tous là. Stephan retrouva son maître, bien que pour lui la surprise fut minime car on lui avait appris sa présence un peu plus tôt à leur arrivée en ville. Eleven retrouva son frère qu'elle n'avait pas vu depuis des mois et se cachait avec la princesse sylvaine en un lieu tenu secret. Tous pourraient passer les fêtes avec leurs proches, elle y avait veillé. Ils avaient travaillé si dur ces derniers temps, risqué leur vie et pesait sur leurs épaules une pression terrible. Ils avaient mérité un peu de paix. Ce bal, c'était pour eux.
Elle fit son entrée au bras de son père, reçut les hommages, salua les invités les plus prestigieux tout en gardant un œil sur ses amis -appelons les ainsi désormais- heureux et détendus. De son côté elle s'acquitta de ses tâches et tint son rôle, l'amusement ne fait pas partie de son vocabulaire mais elle y prit plaisir lorsqu'on l'invitait à danser. C'est tout de même plus agréable que de risquer sa vie en terre hostile. Ses parents semblaient comblés, son demi-frère accroché au bras de sa fiancée. Elle reçut une montagne de cadeaux, quantités de compliments d'usage, félicitations pour ses vingts ans et meilleurs vœux pour sa famille. Son père lui offrit même une selle de luxe pour ses séances d'équitation, des robes pour ses prochains bals et des chaussures pour danser. Personne ne lui parla de mariage, sa belle-mère avait sans doute veillé à ce que chacun sache que mademoiselle n'était plus sur le marché, tant mieux. Elle profita du moment et trouva même un peu de répit le temps d'une absence, pour aller voir Blacky et Samba un peu plus loin. Ambrosia lui offrit un bracelet, plus puissant que sa boucle d'oreille pour contenir ses émotions. Et justement, elle en aurait besoin très vite...

"Mademoiselle, accordez-moi cette danse avant que je ne me retire."
A la toute fin du bal, le prince lui tendit sa main. Elle s'y attendait un peu, il restait l'invité le plus prestigieux de la soirée. Elle l'accepta comme un cadeau, sa simple présence en était un. Grâce à lui, le nom de Ravenhood brillerait parmi les étoiles ce soir et pendant longtemps. Elle vit la fierté dans le regard de Lord Kandras.
On lui connaissait un sourire circonstanciel, celui des soirées mondanités et des réunions officielles. Ce fut la première fois qu'un sourire véritable éclairait le visage de Noah Ravenhood.
"Une grande victoire mérite une grande fête."
Il lui murmura ces paroles juste avant de prendre congé après un baisemain. Elle cligna des yeux. Cette fois, il l'avait fait en public. Inconsciemment elle ne songea qu'aux regards posés sur elle y compris ceux d'Eleven, Ambrosia et Stephan le visage goguenard. Si elle n'avait été en public justement, elle leur aurait volontiers tiré la langue ou lancé un de ses escarpins à la figure. Au lieu de cela, elle prit congé à son tour. Hors de question qu'elle danse avec qui que ce soit d'autre du reste de la soirée. Elle monta dans sa chambre et s'écroula sur son lit, ce sourire toujours présent sur son visage.

Je me demande... de quoi parlait-il ? De notre victoire récente ou bien de...? Cela voudrait dire qu'il estime mon exfiltration être une belle victoire, qu'il est content de mes services ? Ah... !

"La soirée était-elle bonne, mademoiselle ?
- Ah ! Edward ! Oui, excellente. J'ai reçu le plus beau des cadeaux ce soir...
- Il vous en reste un, que j'ai laissé votre belle-mère déposer à l'intérieur de moi."


Au fond du coffre, elle trouva une clé accompagnée d'une enveloppe. Le mot disait "Pour quand tu auras besoin de prendre un peu de distance" et le nom d'une propriété en dehors de la ville non loin de l'étang où elle aimait galoper.

"... Merci infiniment."
Lerith Il y a 3 mois et 5 jours

Ma raison d'être

Si l'on pourrait croire que la période des fêtes de fin d'année au Lucrécio leur apporterait un peu de repos, ce fut tout l'inverse en réalité. Dès le lendemain, les évènements s'accélérèrent depuis la menace sur le sanctuaire de l'Arbre de Feu, la découverte de réalités parallèles dénuées de toute magie -Ambrosia a failli en faire une syncope- ou encore le jeune convocateur enlevé par Yehudad.
La lassitude de toutes ces complications les avait conduit à développer un nouveau protocole d'intervention : plutôt que de toujours tenter l'approche discrète et diplomatique qui foire constamment sur la fin, passer directement au plan du "rentre dedans" mais avec stratégie. Au final, cette intrusion dans une base secrète de Yehudah fut sans doute leur mission la mieux réussie depuis six mois. Noah avait établi un plan tactique parfaitement calculé à la seconde près et qui ne comportait -à son plus grand plaisir- aucun aspect parlementaire on de négociation. La magie créatrice d'Ambrosia donna vie à une diversion de grande envergure, une centaine de petites chouettes qui attaquent en même temps la surface et tiendraient le plus longtemps possible pour occuper l'attention. Sachant qui se trouvait à l'intérieur, il était couru d'avance que ce stratagème ne durerait pas plus de trois ou quatre minutes maximum. Amplement suffisant pour passer par en-dessous. Là encore, la magie d'Ambrosia ouvrirait une brèche dans la roche au hasard leur permettant de déboucher directement dans la forteresse souterraine. Stephan se tiendrait prêt à encastrer dans le sol tout ce qui arriverait à leur portée tandis qu'Eleven userait de sa lecture dans le passé pour retrouver une trace du passage de l'enfant enlevé. En remontant sa piste, ils trouveraient le lieu de sa détention. Le succès fut total et même plus grand encore quand au passage Noah usa de son pouvoir de domination pour ramener trois prisonniers en plus du gamin, et la base fut détruire par les membres de Yehudah eux-même sans qu'ils aient à sortir leurs armes.
Deux missions en une, le mage de Yehudah qui avait causé du tort à Stephan bien avant que Noah ne rejoigne l'équipe, fut renié par ses pairs et se rendit de lui-même au Lucrécio en espérant négocier un asile. Il en trouva un, mais pas celui espéré. Conformément à leurs plans, ils le livrèrent à Tsukuyomi dont ils avaient passablement tué l'ancien serviteur il y a quelques mois avant de lui promettre d'en trouver un autre, tout aussi puissant. Avec l'accord de sa majesté, tout rentrait dans l'ordre et la convocation du Phoenix Primordial pourrait avoir lieu au lendemain du réveillon.

La Nuit de la Bénédiction, cette année là, eut une saveur particulière. En dehors du prince et de quelques personnes impliquées, ils étaient les seuls à savoir que le temps était compté. La fin était prévue pour le 31 janvier. Ils n'avaient que cinq semaines pour remplir leur mission à Tol Rauko ou ce monde risquait de disparaitre avant le réveil de la magie.
Ce soir-là, il n'y eut rien d'étonnant à ce que Noah parle peu mais au lieu de repasser dans sa tête ses derniers rapports, elle prit le temps de regarder chacune des personnes présentes dans le salon du manoir Ravenhood. Presque toutes les personnes qui comptaient au moins un peu se trouvaient là, autour d'elle, peut être pour la dernière fois. Elle ne concevait pas l'échec, mais la possibilité de ne pas rentrer. La machine de Rah, ce n'est pas rien. Personne ne sait comment elle fonctionne et même si l'artefact de la tablette leur permettrait de s'avancer jusqu'au cœur ils ne savaient rien de ce qu'il faudrait faire. Elle ne voulait pas nourrir de pensées morbides, encore moins ce soir, mais son esprit pragmatique l'enjoint considérer cette nuit comme peut-être la dernière où elle pourrait dire ce qu'elle n'avait jamais dit. Mais comment fait-on cela quand on ne dit jamais rien de ce que l'on ressent ? Alors elle le fit au travers de cadeaux anodins, banals et dénués de tout aspect surnaturel ou mystique.

A Blacky et au chat sans nom, elle offrit un collier, assumant enfin de les adopter comme ses familiers. Blacky surtout, qui fut le sien lors de sa précédente vie, elle ne voulait pas l'abandonner comme elle le fit jadis sans un mot et sans un geste même pour lui sauver la vie.
A son père, elle offrit une montre dans laquelle elle fit graver ces mots : "Je n'ai qu'un seul père". Lui qui regardait l'heure si souvent, et si longtemps avait porté le poids silencieux de ses origines dans une distance austère pour laquelle elle lui était reconnaissante, elle voulait qu'il le sache et se le rappelle chaque fois qu'il la sortirait de sa poche. Peu importe le sang qui coule dans ses veines, elle ne connaissait qu'un seul père et qu'un seul nom. Elle vivrait et mourrait en Ravenhood.
A Lady Mathilde, elle offrit un mouchoir brodé d'or de ceux que l'on offre à une mère. Le sens de la famille ne lui était pas inné mais celle qui avait épousé son père semblait en avoir suffisamment pour deux.
A Marek, qu'elle avait failli épousé et qu'elle appelait désormais son frère, elle hésita à faire marquer le nouveau fourreau pour son épée de l'emblème des Ravenhood. Elle ne voulait pas manquer de respect à son père biologique et au nom qu'il continuait de porter mais elle estimait qu'en tant que futur officier dans la garde de Du'Lucart il était en droit de porter ce corbeau aux yeux saphir sur lui.
A Eleven, elle offrit un voile pour son mariage à venir, sertis d'émeraudes et de fleurs blanches, comme la promesse qu'elle ferait tout ce qui est en son pouvoir pour que ce mariage ai bien lieu comme la naissance de son enfant. Elle offrit à son fiancé des boutons de manchette assortis.
A Stephan, elle offrit des mitaines confortables et de grande qualité pour ses poings si souvent meurtris par ses combats à mains nues. Ce présent, davantage une plaisanterie qu'une réelle utilité, ne manqua pas de faire sourire le chef de l'équipe Sigma qui assura qu'il les porterait en ville pour "avoir la classe". C'est tout ce qu'elle avait besoin d'entendre.
Au jeune Ambrosius, elle tendit un livre d'aventures on ne peut plus simple mais rempli d'histoires et d'illustrations colorées, très détaillées. Elle qui n'avait pas eu d'enfance souhaitait que dans ses jeunes années ce garçon si particulier connaisse au moins les plaisirs d'une vie ordinaire sans que tout soit constamment ramené à ses pouvoirs incroyables et sa nature surnaturelle.
Elle finit avec Ambrosia, celle qu'elle appelait maintenant sa meilleure amie. Comment offrir à une magicienne d'exception un présent convenable sans magie ? Elle lui tendit un grimoire vierge à la couverture en cuir épaisse portant ses initiales en lettres d'or. Pour toutes les années qu'elle voulait vivre et sa gloire à venir, puisse t-elle laisser une trace de son passage en ce monde.

Elle reçut des robes, des chocolats et une selle pour Salieri. Ils dinèrent, dansèrent, Stephan et sa sœur leur massacrèrent les oreilles avec des cantiques qui heureusement n'arrivent qu'une fois l'an. Elle s'autorisa quelques taquineries vers Stephan et Ambrosia qui se comportaient toujours autant comme une famille avec Ambrosius. La neige tomba cette nuit-là, pour le plus grand bonheur des enfants et aussi de Samba qu'elle retrouva au fond du jardin dansant avec la neige. Comme avec l'eau, il semblait pouvoir communier avec la neige par ses danses joyeuses. Noah resta avec lui un moment, profitant qu'à l'intérieur chacun avait trouvé un cavalier à son bras, et elle songea à sa dernière folie.
Plus tôt dans la journée, avant de rentrer au manoir, elle était passée au palais avec une petite boîte à thé et une partition de musique. Sans se cacher, mais sans non plus revendiquer son geste, elle avait déposé le tout sur la pile des présents pour son altesse qui en recevait chaque année ne serait ce que les cadeaux diplomatiques. Elle n'avait joint aucun mot, aucun nom, bien qu'il serait aisé à son altesse s'il le voulait de remonter la piste. Elle voulait juste... s'il trouvait la boîte... qu'il puisse peut-être s'autoriser quelques minutes de pause, lui qui travaille sans cesse et qui n'a que Daaku à ses côtés après avoir perdu tout le reste de sa famille. Elle n'oserait présumer des pensées profondes du prince Lucanor, pourtant elle avait une vague idées de ce qui peut pousser quelqu'un à ne vivre que pour son travail. Pour ce qui est de la partition, elle n'avait aucun but précis à travers ce geste d'autant qu'elle avait pris soin de ne pas y inclure les paroles qu'elle avait écrites. Peut-être était-ce un aveu sans en être une, sa dernière chance de lui dire ce qu'elle ressent mais sans le dire vraiment. Peu importe, après tout.

"Une nuit si belle ne saurait s'achever si tôt" décida t-elle après avoir salué les derniers invités. Tout le monde monta se coucher, mais elle enfila sa cape et courut à l'écurie. Sans se changer, sans réfléchir, elle sella son cheval et traversa la ville au galop, droit vers l'étang, laissant dans son sillage une trainée blanche quand la neige poudreuse se soulève. La neige continuait de tomber lorsqu'elle rencontra sur la berge un petit homme venu contempler la pleine lune, et plus loin un loup blanc étincelant venu se désaltérer. Cette nuit magnifique, elle aurait presque senti le temps se suspendre et tandis que Salieri galopait toujours plus vite, Noah laissa ses pensées se perdre.
Amis, Amour, Famille... Devoir. Tout ce qu'elle avait, tout ce qui comptait, tout ce qui méritait qu'elle aille jusqu'au bout de cette mission bien plus ancienne qu'elle le pensait.



"Parce que je l'aime !"
Eleven, Ambrosia et Stephan ouvrirent de grands yeux lorsqu'elle s'était levée pour répondre à la mère d'Emile, le jeune convocateur. Réticente à l'idée d'exposer son fils à un rituel aussi dangereux que la convocation du Phoenix Primordial, elle ne répondait à aucun autre argument que la passion dénuée de raison, des sentiments égaux aux siens. Elle avait insisté tant et plus pour savoir pourquoi elle était prête à tout sacrifier pour Lucanor et à prendre autant de risques, et son altesse avait donné l'ordre de la convaincre par tous les moyens possibles que Noah finit par céder. Le temps était compté, ils n'avaient plus que quelques semaines pour sauver ce monde, sauver le Lucrécio... Elle savait qu'à l'intérieur du palais, même dans cette pièce fermée, les conversations seraient écoutées mais elle n'avait plus le temps de faire des cachoteries.
"Voilà pourquoi je suis prête à tout, comme vous êtes prête à tout pour l'avenir de votre fils.
- Ne nous demandez pas de répondre à vos émotions par des arguments rationnels, ajouta Ambrosia. Il n'y a pas de raison, il n'y a que la foi et le peu d'espoir qu'il nous reste."
Eleven acheva de la convaincre lorsqu'elle évoqua son enfant à naître. Si elle mettait en danger son enfant en accomplissant cette mission, il n'y avait pas de raison qu'Emile ne puisse pas accomplir ce rituel, il serait tout aussi bien protégé.

Eleven fut extraordinaire durant ce voyage. Le rituel les précipita dans le plan de la vie où les phoenix se sont établis depuis qu'ils ont fui les humains qui les chassaient pour leurs plumes. En entendant leur histoire, le conseil des anciens était prêt à leur offrir ce qu'ils demandaient sans aucune contrepartie -une première !- mais il y avait un autre problème : lequel était le bon ? Le terme de Phoenix Primordial vient des humains, comment savoir de qui viendrait la plume nécessaire à l'artefact ?
Pour le savoir, il fallut convoquer l'oracle mais celui-ci demandait le sacrifice d'un objet à forte valeur sentimentale. Eleven sacrifia sa bague de fiançailles malgré les protestations, ils n'avaient plus rien à offrir après toutes ces aventures qui ai autant de valeur. L'Oracle révéla que le Phoenix Primordial se trouvait ici, mais ne dit rien de plus. Il n'y avait là que les cinq grands Phoenix du conseil, et les nids remplis d’œufs et de jeunes phoenix. Après avoir posé plusieurs questions en espérant procéder par éliminations conformément aux indications obtenues dans les légendes humaines, ce fut un choux blanc et l'on se résigna à observer la salle des nids en quête d'un quelconque indice : une gravure, une fresque cachée... mais rien, il n'y avait que des arbres, des nids, et des bébés. L'un d'eux interpella Noah. Il était tout petit mais déjà très protecteur avec les autres. Elle s'en approcha et sentit une aura étrange émanant de lui.
"Qui est-ce ? demanda t-elle, ou plutôt, l'avez-vous connu avant sa renaissance ?
- Non"
Lui répondirent les cinq.
Ce petit était pourtant particulier. Stephan à son tour utilisa son ki et détecta lui aussi une aura différente.
"Eleven, j'aurais besoin que tu utilise ta vision dans le passé, tu peux remonter dans son histoire jusqu'à ses origines ?
- Je vais essayer, oui."

La pauvre dû s'y reprendre à deux fois, non pas par échec bien au contraire mais les nombreuses vies de ce phœnix remontaient à si loin qu'elle eut bien du mal à aller jusqu'au bout. Lorsqu'elle s’effondra, le nez en sang, ils commencèrent à s'inquiéter mais elle ouvrit les yeux et leur confirma ce qu'ils avaient pressenti. Ce bébé était le Phoenix Primordial. Il renaissait sans cesse, et avec lui les souvenirs de ses pairs disparaissaient pour se renouveler, préservant ainsi l'Aion de toute convoitise. Il leur offrit une plume, sans condition ni paiement, juste pour préserver la vie et leur monde d'une destruction qui ne promettait aucune renaissance.

C'est ainsi qu'ils rentrèrent avec leur dernier ingrédient, mais Noah repartit avec autre chose. Cette rencontre avait révélé, à travers la voix des grands phœnix, ce qu'elle avait présagé depuis longtemps déjà sans oser l'affirmer :
"Tu es une réincarnée, ton destin est d'achever la mission que tu as commencé il y a des siècles de cela".
Accrochée à Stephan tandis qu'ils se laissaient emporter par le vortex du rituel de retour, elle ferma les yeux songeant à ce qui l'attendait. Voici donc la raison de son existence, ce pour quoi elle aura vécu et survécu là où son jumeau a péri sous les coups de l'Inquisition. Voilà pourquoi on l'avait sauvée et pourquoi elle s'était vue offrir une telle chance. Ces pouvoirs, ces privilèges, cette nouvelle vie, toutes ces questions qu'elle se posait depuis des années, tout le puzzle se mettait enfin en place dans son esprit depuis les dernières réminiscences de sa vie passée, alors que la forteresse volante duk'zarist était précipitées vers la mer intérieure. Alors que son corps brisé s'enfonçait dans les profondeurs des abysses, elle regardait vers la surface dans un dernier soupir avant que son corps devienne cendres et se disperse dans l'océan.
"Mes dernières pensées avant de mourir étaient pour ma mission, je voulais aller jusqu'au bout, ne pas accepter l'échec. Et je me suis éveillée à nouveau des siècles plus tard. Je la connais enfin..."
En rendant son rapport ce soir-là, derrière son masque de glace, Noah se sentait presque libérée. En écoutant ses compagnons exposer les évènements à sa place -c'était bien une première- elle se laissa aller à les observer en coin. Ils avaient tant de choses à vivre, tant de raisons d'être, tant de projets à mener. Eleven devrait avoir la famille qu'elle mérite, loin de son père et de ses intrigues. Stephan pourrait vivre en paix avec son nouveau corps, libéré de Yehudah il allait profiter de la vie et former à son tour de nouveaux combattants en arts martiaux. Ambrosia était bien partie sur le sentier de la gloire. Quoi qu'il arrive ils devaient réussir cette mission, et revenir.
"... ma raison d'être."
Elle posa son regard sur le prince contrarié, leur exposant la situation de plus en plus tenue dans la Mer Intérieure. L'Inquisition soutenue par l'Alliance Azur ayant deviné la source du problème à Tol Rauko que les Templiers gardent fermé avec le soutient de l'Empire, le chemin jusqu'à la machine de Rah ne serait pas aisé.
"Qu'importe, songea Noah. Ils ne m'arrêteront pas cette fois."
Elle fit sa révérence et quitta le bureau la première. En elle brûlait le feu d'une détermination ravivée par le feu des phœnix. Cette fois elle réussirait, parce que cette fois elle avait des personnes à protéger, des personnes pour qui elle donnerait sa vie s'il fallait préserver leur avenir. Pour la première fois depuis le début de cette aventure, elle ne se sentait plus étrangère à celle qu'elle fut jadis. Elle et le Général Noah pouvaient enfin devenir une seule et même personne.

Qu'aurais-je fait, à l'époque, si j'avais survécu.
Penses-tu que si je reviens vivante, je pourrais...?
Lerith Il y a 2 mois et 2 semaines


Ce matin-là, la salle d'entraînement du manoir Ravenhood résonnait des coups de plus en plus violents de son occupante la plus matinale. Dès le réveil, Noah s'était acharnée sur les mannequins bardés de protections magique au point de les user complètement. Neuf heures, elle avait survolé le petit déjeuner mais son esprit était ailleurs, très loin. Elle ne cessait de penser à sa vie antérieure, ses dernières réminiscences, et l'image de cette entité, "l'ombre", revenait sans cesse la hanter.
"Un pacte... nous avons fait un pacte... mais lequel ?"
Elle se méfiait de lui, lourdement. Cette créature désirant ardemment dévorer ses sentiments les plus profonds représentait peut-être une menace pour la mission actuelle. Même sans en avoir la certitude, elle ne pouvait chasser cette crainte de son esprit. Trop de choses étranges se produisaient dernièrement autour d'elle, entre les apparitions, les détails de sa vie passée que le reste du monde semblait connaître mieux qu'elle... Elle ne supportait pas cela. Quittant la salle d'entraînement, elle saisit son manteau et sortit du manoir sans croiser qui que ce soit, direction le palais.
Neuf heures trente, les quartiers des Corbeaux sont encore vides. Enfin, vide, tout est relatif, ils ne le sont jamais vraiment. Tout en se rendant aux archives elle alluma son communicateur sur une fréquente très précise.
- ♪ - "Ambro ?"
C'est une voix bien réveillée, quoique surprise, qui lui répondit.
"Oui, Noah ? Qu'y a t-il ?
- Est-ce que tu as quelque chose de prévu aujourd'hui ? Je ne tiens pas à déranger toute l'équipe. Stephan est rentré chez ses parents et Eleven probablement avec Sael.
- Dis tout de suite que je n'ai pas de vie sociale !
grogna la magicienne, pour la forme.
- ... J'ai besoin de toi."
Il y eut un silence bref. Noah expliqua, platement.
"Pour aller mettre le nez là où on ne devrait probablement pas.
- Là tu m'intéresse.
- Bureau des Corbeaux, je t'attends."

Le temps que son amie arrive, Noah éplucha les archives et tout ce qu'elle put trouver au sujet de l'étang où elle se rendait depuis plusieurs mois, et où la plupart de ces apparitions avaient eu lieu. Pas sûr qu'il y ai un lien entre l'ombre et ce phénomène mais dans le doute autant enquêter sur les deux.
"Bonjour c'est moi" !
La magicienne entra dans le bureau en s'annonçant bien fort, entretemps le quartier des corbeaux s'était rempli d'une dizaine de personnes toutes affairées sur leurs propres dossiers et communicateurs. Noah lui fit un signe, la saisit par l'épaule et l'entraina dans les archives sans tarder pour lui expliquer son plan entre deux rayonnages poussiéreux.
"D'accord, donc deux enquêtes en une. Tu as une idée par où commencer ?
- Hmhm. Sire Chadelair, il était à l'étang l'autre soir. Je n'ai rien trouvé aux archives mais lui il semble savoir certaines choses. Il n'était pas là par hasard la nuit dernière j'en suis persuadée. Selon ce qu'on apprendra de lui, et s'il se trouve que l'étang est on ne peut plus normal c'est que ce sera moi qui attire ces phénomènes. Au moins on sera fixées et on pourra se concentrer sur la suite de l'enquête.
- Parfait, je te suis."

Malheureusement, le vieux félin ne leur apprit rien de plus -en dehors de ses baignades nocturnes avec lord Kandras lorsqu'ils étaient jeunes, on se serait passé de ce genre de détails...- mais il leur laissa tout de même entendre que "l'aube est un passage vers d'autres mondes". Le sous-entendu était clair. Il y avait bien quelque chose de surnaturel à cet endroit que même les corbeaux n'ont jamais relevés. Elles se rendirent sur place  après avoir difficilement convaincu Salieri de porter deux cavaliers. Ambrosia détecta en surface de légères traces de présence surnaturel mais rien de concluant.
"Bon, on reviendra ce soir. Quelle est la suite du programme ? Tes souvenirs de ta vie antérieure, c'est ça ? Qu'on sache quel pacte tu as bien pu passer avec cette ombre.
- Oui. Je ne suis sure de rien mais je préfère vérifier plutôt qu'une mauvaise surprise nous tombe-dessus à Tol Rauko, ou même avant.
- D'accord. Une idée de comment procéder ?"

Noah fronça les sourcils. Oh oui, elle avait une idée très précise en tête, plutôt une personne, un nom qu'il était interdit de prononcer en dehors des cercles les plus avancés des Corbeaux de Lucanor. Elle ne l'avait rencontré qu'une fois, le jour où elle fut soumise au Processus, mais il s'était montré particulièrement intéressé par son statut de nephilim et plus encore par le Général Noah. Il lui avait fait savoir, juste avant qu'elle ne rentre dans la salle d'opération, qu'il menait des recherches sur la mémoire des nephilims et qu'il serait curieux de son évolution. Cela s'était produit il y a plusieurs mois déjà et elle n'avait aucune idée de comment le trouver, ni même s'il accepterait de la recevoir.
"Oui, je crois, répondit-elle à Ambrosia. Mais je ne peux pas en parler ici. Viens, retournons au palais."
En chemin, elle lui expliqua brièvement son idée mais ce ne fut qu'au détour d'un couloir après avoir attrapé Enstein par le col pour l'entrainer dans un recoin discret que son plan prit véritablement forme.
"J'ai besoin de voir Reist Eberbacher."
Le scientifique ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes.
"Mademoiselle, êtes-vous consciente de ce que vous demandez ? Il s'agit d'un membre du premier cercle de Wissenschaft.
- Oui, Enstein. C'est lui que je souhaite rencontrer. S'il accepte de nous recevoir.
- Bon, eh bien... je peux le contacter via plusieurs intermédiaires mais cela prendra au moins une heure. Attendez-moi à votre bureau. Oh et, Ambrosia, que ce nom ne sorte jamais de votre bouche. Officiellement, cet homme n'existe pas."

La magicienne mima sa bouche cousue avec un sourire confiant. Elle serait une tombe.
"J'insiste, ajouta Noah en montant les escaliers. Même moi je ne suis pas admise dans autorisation dans les quartiers du premier cercle et je n'ai pas le droit de mentionner quoi que ce soit à ce sujet même avec vous.
- Je m'en doutais un peu tu sais. Tu n'es pas du genre à nous cacher des choses sauf quand tu en reçois l'ordre."


Environ une heure plus tard, comme promis, Enstein entra dans le bureau avec de bonnes nouvelles. Eberbacher acceptait de les voir, il s'en disait même ravi. Elles devraient se rendre à Keltia, la cité des moulins, bien plus loin à l'est du Lucrécio par portail. Ne s'y étant jamais rendue, Ambrosia n'aurait été capable d'en ouvrir un sans avoir accès à une image précise du lieu grâce à Enstein qui accepta de lui ouvrir son esprit. Hélas fort peu habitué à ce procédé les pensées du scientifique dévièrent en quelques secondes sur les pensées qu'il espérait qu'elle ne lise pas, ce qui bien entendu les fit apparaitre à l'esprit de la magicienne qui, par son lien empathique avec Noah lui partagea la totalité de son embarras.
"..."
"...."
".... on va partir maintenant, d'accord ?"
"... Oui."

Certaines choses ne doivent jamais être dévoilées, et pas toujours des secrets d'état. Des choses dont on ne parlera jamais. Jamais.


Leur arrivée à Keltia fut marquée par une présence aussi discrète que renforcée des corbeaux les mieux armés de tous les services secrets du Lucrécio. On escorta les deux jeunes femmes à travers la ville jusqu'à l'entrée secrète du laboratoire. Pour Ambrosia, qui avait pourtant eu accès à plusieurs niveaux de confidentialité des installations de Wissenschaft, passait ici à un tout autre secteur que même Noah ne pouvait se vanter d'avoir vu plus d'une fois. Chaque porte était verrouillée, blindée et sécurisée même parfois d'un couloir à un autre. Elles traversèrent de nombreux points de contrôle avant d'atteindre le laboratoire personnel de Reist Eberbacher.
"Donc... cet homme, tu ne l'as rencontré qu'une seule fois ?
- Oui. Je suis même surprise qu'il ai accepté si vite de nous rencontrer...
- Tu es nerveuse.
- Bien sur que je le suis. Ce que nous faisons est totalement indépendant des ordres reçus, il ne faudra pas cinq minutes avant que sa majesté soit informé de mes intentions. Sans parler de mon père..."

La conversation ne s'étendit pas davantage, entra dans le bureau le mystérieux professeur dont le corps était entièrement couvert de bandages de la tête aux pieds, même ses yeux étaient couverts d'une paire de lunettes épaisses et opaques à plusieurs lentilles qu'il fit d'ailleurs défiler afin de scruter Ambrosia.
"Bienvenue mesdemoiselles. Ah, mademoiselle Ravenhood je suis très heureux de vous revoir enfin. Ambrosia Sybilla si je ne m'abuse, vous savez que certains parlent déjà de vous comme la future grande archimage de notre siècle.
- Oh, eh bien c'est sans doute exagéré mais je prends le compliment."

Ambro sourit de toutes ses dents, son égo gonflé à bloc.
"Merci de nous recevoir monsieur. Je m'excuse de perturber ainsi votre journée de travail pour une demande personnelle.
- Ah ! j'adore que l'on bouscule mes habitudes. Dites-moi tout, qu'est ce qui vous amène ?"

Noah lui exposa toute la situation, n'oubliant aucun détail. En l'écoutant, Reist se frotte le menton de sa main bandée en hochant la tête, songeur.
"Oui... il y a peut-être un moyen. Voyez-vous, nous avons mit au point un appareil théoriquement capable de vous projeter dans les souvenirs de votre vie passée.
- Théoriquement ?
- Oui, je ne vais pas vous mentir ce procédé est dangereux nous ne l'avons encore jamais testé sur un nephilim. Nous pouvons vous y envoyer toutes les deux mais je n'ai aucune idée de comment cela va se passer, ni du degré de douleur que vous allez endurer."

Rassurant, comme toujours. Après un regard échangé avec son équipière, Noah hocha la tête. Elle irait jusqu'au bout, et son amie ne la laisserait pas seule dans cette machine. Il fallut cependant s'y reprendre à deux fois, tant le risque et l'inconnu les rendaient nerveuses. Noah surtout, et cela la stressait encore plus de se sentir aussi terrifiée pour une expérience qu'elle avait pourtant choisi de mener quels qu'en soient les risques. Finalement, elles reprirent place dans les sièges, furent sanglées aux chevilles et aux poignets, et les casques posés sur leurs têtes. Elles avaient la sensation d'étouffer dans cette obscurité complète.

Un choc électrique violent les transporta dans une spirale d'énergie pure. D'abord isolées l'une de l'autre, elles furent projetées comme des aimants et se fondirent en une seule forme abstraite qui se retrouva à l'intérieur du corps d'une duk'zarist. Le général Noah s'éveillait dans ses quartiers, elles voyaient et entendaient absolument tout à travers elle.
On frappa à la porte.
"Entrez.
- Général, tout est prêt pour ce que vous avez demandé.
- Je viens."

Sans trop savoir où et quand elles se trouvaient, Noah et Ambro eurent le sentiment immédiat qu'il s'agissait du dernier jour de sa vie. En voyant son reflet dans le miroir, elles lurent un moment de profonde tristesse et de résignation bien vite éclipsée par une détermination et une rigueur militaire. Dans le couloir, elles croisèrent un autre officier qui marcha aux côtés de leur "hôte" duk'zarist.
"Alors c'est vrai, l'impératrice a été libérée. Elle n'est plus otage.
- Oui,
répondit le général Noah. Nous avons été dupés. La plupart de nos forces s'en retournent maintenant sur nos terres.
- Tout cela à cause d'un humain. Comment une race si jeune et si fragile a pu acquérir une telle puissance."

Le mépris se lisait dans la voix de l'autre officier, mais pas celle de Noah.
- Oui général, comment une race si jeune a pu réussi l'exploit de réunir autant d'alliés."
Ils s'avancèrent au bord d'une estrade. Sous leurs yeux, des centaines de soldats, de golems et personnel naviguant se tenaient en rang, attentifs leurs visages fermés. Et pour la première fois, Noah entendit son ancienne voix empreinte de la même détermination qu'aujourd'hui, d'adresser à tous ces duk'zarist dans un discourt à la fois bref et dur qui n'appelait ni à la retraite, ni à la honte.

"... Nous sommes un peuple fier, nous n'allons pas nous contenter de faire demi tour et disparaître comme des rats qui se terrent dans leur trou ! Rah ne s'en tirera pas à si bon compte et quel qu'en soit le prix, il va regretter ce qu'il a fait à notre peuple. Que tous les soldats et le personnel naviguant non essentiel évacuent immédiatement vers la forteresse volante de repli. Ne resteront que ceux qui sont prêts à courir à leur mort car nous ne reviendront pas de cette dernière mission."
Lentement, les rangs des duk'zarist se dépeuplèrent dans un ordre de marche militaire. L'autre officier aussi finit par s'incliner devant elle avant de tourner les talons.
"Général, ce fut un honneur de servir à vos côtés."
Après avoir donné ses dernières consignes, la générale se rendit dans une autre salle adjacente au prétexte d'un dernier détail à régler. Là, Noah et Ambrosia assistèrent en silence à ses derniers adieux à Blacky, qu'elle endormit en silence et plaça dans un tube de stase avant de le confier à l'un des derniers soldats sur le départ. De retour sur la plateforme, elle donna ses instructions en route pour la Mer Intérieure, mais le doute commença à naître dans son esprit. Elle serra les dents et s'en retourna dans ses quartiers d'un pas pressé. Là, elle se mit à prier les Shajads de lui envoyer de l'aide, de faire qu'elle puisse tenir jusqu'au bout de sa résolution sans faillir. Que pouvait-il bien la retenir à ce point ?
C'est là qu'il apparut. L'ombre, de la même manière qu'il était venu à elle des siècles plus tard au manoir Ravenhood.
"Tu m'as appelé, Général Noah ? Je peux te libérer de ce qui te ronge...
- Prends tout, ombre, prends tout ce qui habite mon cœur ne laisse que la haine que j'éprouve pour Rah et ma détermination à en finir avec lui.
- Tout, vraiment ?"

Il eut un ricanement, de sa voix veloutée et grave.
"Même... elle ?"
La générale se crispa, serrant les poings. L'ombre commença à se mouvoir autour d'elle, telle un vautour guettant le dernier souffle de sa proie.
"Ce que je prends, je ne le rends pas. Toi qui t'es mariée en secret, toi qui laisse une enfant de trois ans, tu es prête à tout sacrifier à m'offrir tout ce que ton cœur recèle... pour accomplir ce dernier coup d'éclat ?"
Un dernier doute traversa le regard de la duk'zarist, la colère pris le dessus.
"Prends tout ce que tu veux. Fais que rien ne me retienne jusqu'au bout de ma mission.
- A ta guise."


La douleur fut intense, y compris pour les deux spectatrices, quand l'ombre arracha de sa proie tout ce qui comptait à ses yeux en dehors de sa vengeance. Elle disparut presque aussitôt, et la générale se retrouva seule. Immobile quelques secondes, lorsqu'elle releva la tête son regard n'était animé que par la rage et la soif de revanche. D'un pas déterminé elle regagna la passerelle mais déjà tout le personne était en pleine agitation.
"Général, quelque chose nous arrive dessus !
- Sortez les canons, armez le tir !"

Mais ils n'en eurent pas le temps. Un choc ébranla toute la forteresse et une voix obséquieuse résonna entre les murs.
"Vous pensiez réellement pouvoir m'atteindre, général Noah ? Quel dommage. J’espérais sincèrement pouvoir changer le monde avec vous. Que la mer intérieure soit un tombeau à votre mesure.
- Rah !"

Il y eut un flash lumineux, suivi de multiples explosions. Nombre de Duk'zarist furent projetés de toutes parts, tués sur le coup leurs corps devinrent cendre instantanément. Des éclats de métal fichés dans le ventre, la générale agonisante balaya du regard l'ensemble de ses hommes encore vivants. Certains la fixèrent, fiers jusque dans les derniers instants, attendant la mort.
"Pas comme ça...!"
Sa main frappa rageusement sur l'un des verrous de sa console, ouvrant un compartiment d'où elle tira une tablette. Alors que les murs s’effondraient autour d'elle, la générale se traîna jusqu'à ses quartiers une dernière fois. Elle glissa la tablette dans un compartiment secret protégé par des sceaux magiques.
"Tu as été trop orgueilleux Rah..." souffla t-elle en crachant du sang. "Ce n'est pas terminé, d'autres viendront..."
Une dernière explosion détruisit la forteresse précipitée dans la mer intérieure. Au milieu des débris et des corps disparaissant les uns après les autres, la cendre emportée par les eaux, la générale leva une dernière fois les yeux vers la surface. Noah se mit à trembler, ce moment elle l'avait vu des centaines de fois dans ses rêves mais jamais d'une manière aussi intense. Elle connaissait ses dernières pensées, mais cette fois elle les entendit clairement et sans le moindre doute possible : "S'il pouvait m'être permis de renaître, faites que ce soit moi... qui lui porte le dernier coup"
Plus que la vengeance, le regret et l'oubli l'entourèrent. Son corps tomba en cendre et au même moment les deux femmes furent projetés en arrière, séparées l'une de l'autre, et de retour dans la réalité.

Le son des alarmes les réveillèrent. Les scientifiques s'agitaient tout autour d'elles. "Débranchez ! Débranchez !". On leur retira les casques. Noah avait envie de vomir et à la fois la sensation de ne plus pouvoir respirer. Elle s'accrocha à sa chaise, les yeux exorbités, toussant et crachant comme si elle avait encore le gout du sang dans la bouche. 
"Je vais bien... je vais bien !"
Son état disait le contraire, Ambrosia n'était guère au mieux quoique moins affectée. On les conduisit à l'infirmerie sur ordre du professeur et sans aucune protestation possible. D'ailleurs, elles ne protestèrent même pas. A peine furent-elles installées que Noah plongea dans un sommeil profond. Ambrosia se contenta de somnoler, soucieuse de veiller sur son amie elle était consciente lorsque des bruits de pas précipités et des murmures plutôt nerveux résonnèrent dans le couloir. Ambrosia se coucha et ferma les yeux. Quelqu'un entra.

C'était Lucanor.

Il s'approcha en silence des deux femmes et tout en se tournant vers Noah, déclara comme un ordre silencieux :
"Ambrosia.
- Votre altesse."

Elle ouvrit les yeux, sans chercher à feindre le sommeil plus longtemps et se redressa comme si tout était normal. Qui pouvait croire qu'il n'avait pas remarqué qu'elle ne dormait pas réellement après tout.
"Dites-moi ce qui s'est passé."
La magicienne n'entra pas dans le détail, préférant sans doute que ce soit Noah elle-même qui le fasse, elle se contenta de lui dire que l'expérience fut un succès total et qu'elles avaient obtenu des réponses. Pendant un moment, il sembla satisfait mais son regard fixait intensément la nephilim endormie.
"Je vous remercie, déclara t-il. Vous avez contribué à une avancée cruciale dans un projet de recherche qui me tient à cœur.
- Pas de quoi."
Ambrosia haussa les épaules "Une idée de Noah"
A son tour elle posa les yeux sur son amie, souriant intérieurement de se dire que si elle était réveillée la situation serait bien différente. Le prince acquiesça sans un mot, puis au bout de quelques secondes il murmura sur un ton que la magicienne perçut comme de la compassion : "Si jeune et déjà tant de souffrance." Puis il tourna les talons sans un mot de plus, et quitta l'infirmerie.
A son réveil, et pendant qu'on leur faisait passer toute une batterie d'examens médicaux, Ambrosia raconta cette visite à Noah. Et comme elle l'avait prédit, le trouble s'empara de l'enquêtrice si froide et austère le reste du temps. Le plus curieux étant que, sans avoir eu le détail, comment pouvait-il savoir pour cette souffrance ? D'accord, c'est Lucanor, mais quand même ! Elles n'avaient même pas encore fait leur rapport ! Dans le bureau d'Eberbacher elles continuaient à se poser des questions tout en remplissant les 437 pages de formulaires sur l'expérience vécue, dans le couloir alors qu'il les saluaient tout en leur remettant à chacune une autorisation pour revenir le voir sans à passer par un intermédiaire, et même sur le trajet vers la cité des moulins et le portail de retour vers la capitale...


Il était toujours prévu de camper ce soir au bord de l'étang mais avant cela Noah devait rentrer au manoir ne serait-ce que pour prévenir de son absence nocturne. Ce qui n'aurait dû être qu'un rapide passage tourna très mal. D'abord, elle trouva Brenda dans le salon, souriante mais l'affaire semblait sérieuse. Lord Kandras se leva et la fit le suivre dans son bureau.
"Au vu de ce que nous vous avez annoncé, le temps presse et nous avons décidé qu'il était effectivement temps de contacter tous nos alliés à travers le monde. Le plus de renfort possible sera le bienvenue pour vous soutenir"
Jusque là, c'était plutôt une bonne nouvelle mais très vite le regard du commandant des corbeau se fit plus dur.
"Maintenant, je veux que tu me dise ce que tu faisais à Keltia et pourquoi tu as demandé à voir Eberbacher."
Et là, la discussion vira au drame. D'abord surpris, le visage de Lord Kandras devint blanc puis rouge de colère.
"Tu as testé cette machine ? Es-tu consciente du danger de cet essai ? Personne n'aurait pu prévoir ce qui te serait arrivé !
- Je sais, le professeur a été très clair sur ce point. J'ai accepté en connaissance de cause."

Le vieil homme serra les poings si fort qu'il en tremblait.
"Très bien, je vais avoir une sérieuse discussion avec sa majesté dès demain matin.
- Père, non !"

Plus encore que la crainte de ce qu'il pouvait révéler, impliquer le prince dans une décision qu'elle avait prise seule lui était insupportable, presque autant que la compassion qu'Ambrosia affirmait qu'il aurait eu à son encontre. C'était tout bonnement impensable ! Lui avait vécu cent fois pire, et il gaspillait sa compassion pour elle, alors qu'il n'y en avait déjà pas assez pour lui-même. Elle s'énerva à son tour contre son père.
"Père vous ne pouvez pas faire cela !
- Oh si et je vais le faire tu peux me croire. Ma fille tout acte a des conséquences et tu vas devoir les assumer, tout comme sa majesté et ce malgré toute ma dévotion envers lui !"

Noah comprit bien vite qu'il lui serait impossible de lui faire changer d'avis ce soir. Sa seule porte de sortie serait de l'intercepter demain matin avant qu'il ne rejoigne sa majesté. Elle souffla longuement.
"Je ne serais pas à la maison ce soir.
- Où vas-tu et avec qui ? Je te mets au repos ce soir, pas de discussion.
- Je vais simplement près de l'étang avec Ambrosia."

Elle se garda bien de lui révéler leurs intentions plus profondes, au vu de son état. Il la laissa partir sans plus de discussions. C'était la première fois qu'ils se quittaient en froid et cela n'allait pas s'arranger demain... alors autant expédier sa "mission secondaire" dès cette nuit avant d'être privée de sortie jusqu'à ses quarante ans.

Dans la tente-Airbus près de l'étang, la nuit avançait dans une ambiance plus détendue. Au chaud, mais avec vue sur les étoiles et la nature environnante, les deux jeunes femmes discutèrent longuement et en particulier des détails croustillants de sa relation avec sa-majesté-le-prince-de-l'ambiguïté. Pour une fois qu'elles étaient seules, sans aucune oreille indiscrète -sauf Blacky- et qu'elles avaient le temps, Noah lui fit le déroulé complet de tout ce qui la rendait de plus en plus nerveuse chaque fois qu'elle se trouvait en présence de Lucanor, depuis son apparition -désormais avérée- sur le bord de l'étang jusqu'aux mots murmurés au creux de son oreille chaque fois qu'ils avaient partagé une danse ou une discussion privée sans qu'à aucun moment il ne dissimule son amusement, voir son inclinaison vis à vis de la situation. Elle lui parla aussi de la partition, et des paroles cachées sous clé dans sa chambre.
"Pendant un temps tout semble redevenir normal, le travail prend le dessus et les missions s'enchaînent. Mais dès que je commence à oublier un peu tout ça et mettre de côté mes sentiments, il aura toujours un mot ou un geste pour m'y faire revenir. Et je le vois qu'il le fait exprès il ne s'en cache même pas !
- Tu sais, c'est un homme après tout. Mais c'est vrai que s'il te manipule ouvertement, il n'a pas réellement d'intérêt à le faire juste pour te maintenir sous son influence tu lui est déjà dévouée corps et âme.
- Mouais, enfin tu comprends pourquoi je n'en ai pas parlé aux autres. Surtout Eleven."

Ambrosia éclata de rire.
"Elle serait capable de défoncer la porte de son bureau pour exiger de lui qu'il se montre clair avec toi. Ce serait presque amusant à voir.
- Pitié non... Déjà que demain matin je vais me retrouver prise dans un tir croisé qui va me coûter très cher, j'aimerais autant éviter la confrontation directe avec le prince sur un sujet aussi futile. S'il a envie de jouer avec moi comme un chat avec une pelote de laine, après tout je suis à ses ordres."

L'espace d'une seconde, elles partagèrent l'image de Daaku jouant avec une pelote de laine. Noah eut presque un rire.
"Au moins, ça te donne une raison de rentrer en vie ne serait-ce que pour voir comment vos rapports évoluent. Je ne veux pas te donner trop d'espoir -et je sais que tu n'attends rien- mais bon, encore une fois c'est un homme il peut avoir des... intérêt moins tactiques si tu vois ce que je veux dire.
- Ambro, je vois TOUJOURS ce que tu veux dire"
répondit Noah en mimant des deux index le lien empathique entre elles.
"L'amour est plus important que tout le reste !" renchérit l'obscurias "Sauf les caresses derrière l'oreille !
- La vérité faite chien."
Conclut la magicienne.

La nuit avançait, aux alentours de quatre heures du matin le loup blanc étincelant refit son apparition. C'est Blacky le premier qui l'aperçut et se précipita vers lui. Cette fois, l'enquête pouvait reprendre plus sérieusement.
"Alors, que t'a t-il dit ?
- Waf ! Il a dit qu'il venait simplement vérifier que le portail était toujours stable."
Noah et Ambrosia ouvrirent des yeux ronds.
"COMMENT CA LE PORTAIL ?!"
Après un échange de regard et un accord silencieux, elles appelèrent Enstein qui dépêcha aussitôt une équipe de corbeaux. En les attendant, elles décidèrent de plonger à la recherche de ce portail. Il se trouva au fond de l'étang, bien caché, et si petit qu'Ambrosia dut utiliser un sort pour réduire leur taille afin qu'ils puissent passer. De l'autre côté, ils trouvèrent un sanctuaire aquatique posé dans la Veille. Elles se pensaient seules, mais la Veille ne l'est jamais totalement.
Elles furent accueillies par la gardienne des lieux, qui leur raconta la légende des créatures qui façonnèrent ces collines et les origines de l'étang. Elle semblait très seule et ignorait tout de ce qui se trouvait dans le monde physique, de l'existence d'une nation et d'un prince. Elle leur laissa toutefois un message pour lui bien qu'il fut un peu tard pour un rapport. Elle leur proposa même de passer la nuit ici mais les corbeaux attendaient sur la rive, Noah bien qu'émerveillée par l'endroit ne pouvait accepter l'invitation : le travail avant tout.

En remontant à la surface, elles choisirent de rester la nuit dans leur tente tandis que les corbeaux s'affairaient dehors. Le rapport attendrait le lendemain matin. Pour l'heure, elles allaient profiter de ce qu'il restait de leur "soirée pyjama" et faire un stock d'énergie conséquent pour affronter le lendemain les foudres du patriarche Ravenhood.

"Eh, Ambro.
- ... Oui ?
- On est fichues, tu le sais.
- Oui. On recommence quand ?"



Lerith Il y a 2 mois et 1 jour
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Lerith Il y a 1 mois et 1 semaine


Le lendemain matin, les filles sortirent de leur "tente airbus" une heure avant l'ouverture des bureaux administratifs, le temps de regagner la capitale. Le plan de Noah était on ne peut plus simple : Ambrosia passe par chez elle récupérer les autres avant de la rejoindre au palais, Noah y fonça directement dans l'espoir d'intercepter son père ou -au mieux- le précéder ainsi elle pourrait rendre son rapport avant de se retrouver dans un tir croisé. Mais comme tous les bons plans, celui-ci vola en éclats à peine fut-elle arrivée en bas des marches. Lord Bergvist la croisa dans le hall, le visage légèrement blanc.
"Mademoiselle Ravenhood..."
Les salutations ressemblaient plus à une expression de compassion.
"Laissez-moi deviner, mon père est arrivé ?
- Il est... dans le bureau de sa majesté. Depuis environ cinq minutes."

Noah ne perdit pas un instant. Comme poussée par une violente montée d'angoisse elle gravit les escaliers du hall jusqu'au premier étage et s'élança dans le couloir à grandes enjambées. Elle n'était pas encore arrivée à moins de vingt mètres de la lourde porte en chêne qu'elle entendait des éclats de voix à l'intérieur, la voix de son père.
"Alors là, je suis très mal."
En s'approchant, elle pouvait clairement entendre ce qui se disait. Seul Lord Kandras parlait.

"Ceci est intolérable, votre majesté ! Cela fait plus de vingt ans que je vous sers fidèlement. J'étais d'accord pour que ma fille rejoigne cette équipe parce que vous la jugiez fiable. Ni elle, ni moi ne vous avons fait défaut jusqu'à présent !"

Il fallait qu'elle fasse quelque chose, qu'elle entre, détourne l'attention, n'importe quoi. Mais elle n'osait même pas bouger. Ce n'est qu'à l'arrivée du reste de l'équipe et sous l'effet du sourire encourageant d'Ambrosia qu'elle se décida à frapper.
"Entrez."
La voix du prince était calme, imperturbable. Quand elle entra, elle le vit assis derrière son bureau les mains jointes tandis que lord Kandras faisait les cents pas entre lui et la porte.
"Veuillez excuser cette intrusion votre altesse" Souffla t-elle, mal à l'aise "Nous avons un rapport urgent à vous transmettre concernant des évènements qui se sont déroulés hier soir et qui concernent la sécurité intérieure."
Elle espérait qu'en évoquant ce fait, l'ire de son père se retournerait contre elle. Cela ne manqua pas il la fusilla du regard, mais il en fit autant avec Lucanor par la suite comme s'il l'accusait également d'être au courant. Échec cuisant.
"Ah, vous tombez bien !" rugit le vieux corbeau en se tournant vers le prince. "Et j'apprends que vous avez laissé mener cette expérience avec Eberbacher ? Et sans que j'en sois prévenu ?! Vous rendez-vous compte de ce qui aurait pu se passer si le prototype avait dysfonctionné ? Ce n'est pas un cobaye c'est ma fille !"
Pendant plusieurs minutes, Noah écoutant le monologue furieux de son père les poings serrés. Comment pouvait-il accuser le prince d'avoir pris partit dans une initiative qu'elle avait pris sans l'aval de personne. Elle voulait l'arrêter, lui répondre, lui hurler dessus même, mais en présence de son altesse elle devait se tenir. Lui demeurait silencieux. Jusqu'à ce qu'il finisse par se lever calmement. Il contourna le bureau et vint se planter devant lord Kandras. Les deux hommes se toisèrent de longues secondes, puis, le prince s'inclina.
"Kandras, je vous présente mes plus sincères excuses pour cette imprudence. Je veillerais à ce que cela ne se reproduise plus. Si je peux faire quoi que ce soit pour vous ou votre famille en compensation, faites-le moi savoir."
Lord Ravenhood cligna des yeux, le premier surpris bien que chaque personne présente dans le bureau peinait à en croire ses yeux. Le prince, s'excuser ? Cela ne rendit Noah que plus furieuse à l'encontre de son père. Celui-ci répondit sobrement qu'il ne voyait rien qu'il puisse demander pour l'instant et accepta les excuses maladroitement, subitement pressé de prendre congé. Noah voulut le suivre, mais le prince se rassit et demanda le rapport sans attendre ; les affaires de famille attendraient.

En sortant du palais, elle se mit en tête de le retrouver. Elle avait besoin de mettre les choses au clair une fois pour toutes mais impossible de lui mettre la main dessus. Au manoir, il était introuvable, en appelant Bergvist ce dernier l'informa qu'il était en déplacement pour la journée. Aux alentours onze heures elle se décida à s'occuper l'esprit autrement. Ils avaient une deuxième manche à remporter au tournois de l'Arbre de Feu avant demain... autant y aller maintenant et se défouler sur quelque chose. Le combat ne fut guère aisé ceci dit : une aria supérieure, et un varuna supérieur, ensemble. On peut dire qu'ils ont dégusté, mais leurs adversaires plus encore. En tout et pour tout le combat dura moins de deux minutes mais il leur sembla durer une éternité tant ils durent redoubler de puissance pour venir à bout de ces monstres. Demain ils affronteraient leur dernier adversaire, invaincu à ce que l'on dit...

... Mais Noah n'y pensa pas longtemps. En sortant du sanctuaire, les deux corbeaux qui montaient la garde la fixaient le visage blême.
"Mademoiselle Ravenhood... nous... avons quelque chose à vous dire mais... ne vous énervez pas.
- Alors dans ce cas ne me donnez pas de raison de m'énerver. Que se passe t-il ?
- C'est votre père, on vient d'apprendre sur la fréquence du communicateur que... qu'il... aurait... donné sa démission ce matin."

Noah se figea. En un instant, quelques mots, son monde s'effondra. Son père, démissionner ? Impossible ! Il n'y a pas plus loyal, plus accroché à ses fonctions que lui. Et pourquoi aujourd'hui, à quelques semaines peut être même quelques jours de la mission la plus importante qu'elle ai jamais eu à mener ? Sans attendre, elle se tourna vers le reste de l'équipe.
"On rentre à Du'Lucart, tout de suite."
Ce n'était même pas un ordre, c'était une affirmation. Noah ne voyait plus rien, n'entendait plus rien. Arrivée au palais elle monta directement dans les bureaux des Corbeaux et frappa à la porte de celui de Lord Bergvist pour demander des explications.
"Il a laissé une lettre juste avant de monter dans le bureau de sa majesté ce matin, nous ne l'avons ouvert qu'en fin de matinée. Il annonce vouloir se retirer bien qu'il demeure loyal à notre prince en tant que baron et membre de son cercle rapproché. Trois raisons ont été évoquées. La première étant son mariage récent et les changements dans son quotidien rendant difficile le maintient du secret. La deuxième concerne les séquelles qu'il a gardé de son enlèvement dont vous l'avez sauvé il y a quelques mois, ses capacités ont été fortement diminuées et il ne se sent plus suffisamment capable. Et pour finir, il a donné comme troisième raison sa profonde fierté d'avoir su placer son héritière à un tel niveau au sein de l'organisation et même si pour l'heure vous êtes encore trop jeune pour lui succéder à son poste il considère que la relève est assurée. Son altesse a d'ores et déjà accepté sa démission, mais pour l'heure votre père demeure introuvable."
Dès lors, Noah se mua dans le silence. Stephan, Ambrosia et Eleven ne voulaient pas la contrarier davantage mais le travail reprit.

Sans nouvelles ni aucun moyen de contacter lord Kandras, ils se rendirent dans le laboratoire d'Enstein qui voulait les voir pour leur faire part d'une autre mauvaise nouvelle. Avec Zero Sigma ils les informèrent que les composants rapportés pour la tablette de Rah n'allaient pas suffire, il leur fallait également trouver le bon endroit où l'utiliser : un endroit où un phénomène surnaturel unique s'est produit. Un phénomène unique, quoi que l'on puisse penser c'est particulièrement dur à trouver. A chaud, même en passant en revue leurs missions de l'année passée, tout ce qui leur vint en tête n'était pas particulièrement unique.
"Ne vous pressez pas" les rassura Enstein, "vous allez bien trouver la solution. Je vous tiendrais informé si je pense à quelque chose.
- Et le prince,
demanda Ambrosia. Que pense t-il de tout ceci ?
- Sa majesté est dans son bureau. Il... médite."

Autrement dit, il ne voulait pas être dérangé. Quoi que plus normal. Alors que l'équipe s'apprêtait à sortir déjeuner, Noah s'arrêta dans le couloir.

"Allez-y sans moi, je n'ai pas faim. Je vais éplucher nos vieux dossiers aux archives on va bien finir par trouver quelque chose."

Elle n'attendit pas leur réponse et tourna les talons. En réalité, elle n'arrivait à rien et tournait les pages machinalement. Elle ne savait plus ce qu'elle faisait ni où elle en était, elle ne comprenait plus rien à son environnement où toute logique, toute cohérence, tous ses repères semblaient avoir disparu. Elle n'était même plus certaine de vouloir parler à son père, pas plus qu'elle ne voulait parler à qui que ce soit. Personne ne devrait la voir ainsi, luttant pour garder le contrôle de ses pensées et à deux doigts d'imploser. Plus rien n'avait de sens, son monde jusqu'ici parfaitement ordonné venait de voler en éclats. Il fallait qu'elle reste seule loin de ses amis, de sa famille, du prince, de tout ce qui pouvait la faire vaciller. La moindre étincelle risquait de tout embraser dans son esprit. D'où les archives déserte, ici elle pourrait se terrer pendant des heures à l'abri dans sa solitude.

... Du moins, le croyait-elle.

Lerith Il y a 3 semaines et 4 jours


Pas moyen d'avoir la paix jusque dans les archives les plus fermées du palais. Elle n'était pas là depuis une heure à feuilleter machinalement ses vieux rapports que la porte s'ouvrit. Des pas furtifs se firent entendre puis le silence, puis à nouveau des pas rapides, le silence à nouveau. Non pas que Noah s'insurgeait de la présence d'une tierce personne mais celle-ci lui devint très vide... agaçante. D'abord discrète elle finit par lever les yeux sur l'individu qui passa dans son dos, sortant les dossiers l'un après l'autre avant de les ranger -très mal- voir de les laisser traîner. De quoi l'agacer davantage sachant qu'elle avait passé trois jours à tout remettre en ordre ici pendant la visite de l'impératrice. Une façon comme une autre d'éviter les envoyés du domaine, et les tentatives de sa belle-mère pour la caser avec un chevalier.
"Monsieur, puis-je vous aider ? Demanda t-elle. Vous semblez chercher quelque chose."
Il se tourna vers elle comme s'il se rendait seulement compte de sa présence alors qu'il lui tournait autour depuis bien dix minutes. Il portait une blouse scientifique et d'épaisses lunettes rondes encadrées par de très, très longs cheveux noirs. Noah cligna des yeux. Elle ne le reconnut pas mais son instinct lui murmurait qu'elle devrait le connaitre comme si elle passait à côté de quelque chose d'important. L'homme pourtant ne semblait pas hostile et correspondait aux critères des scientifiques de Wissenchaft du point de vue physique, et il émanait de lui une puissance palpable ; il faisait probablement partie du cercle restreint.
"Oh ? Oh ! Oui je cherche les dossiers sur le Processus et les recherches sur le sang des procédés.
- ... Au fond à gauche. Ici vous êtes dans les rapports de terrain."

Sans mot dire, l'homme tourna les talons et trottina dans la direction indiquée. Noah haussa un sourcil mais ne posa pas plus de questions. Elle l'entendait marmonner ses gêne des "Quel gâchis", "Tant de potentiel non exploité", "Ah Lucanor pourrait aller tellement plus loins !" ...Soit ce type était juste cinglé soit il s'était délibérément trompé et cherchait à attirer son attention mais dans les deux cas elle n'allait pas se laisser f-...
"Excusez-moi, mademoiselle ?"
Pas moyen de se parler à soi-même en paix aujourd'hui. Il revint, les bras chargés d'un épais dossier. Noah leva les yeux, aimable mais de plus en plus difficile à contenir sa colère. Déjà que ce n'était pas sa journée...
"Qui êtes vous ?"
Sérieusement, c'est tout ce qu'il voulait ? Il ajusta ses lunettes, la fixant avec une certaine curiosité. Hiérarchie oblige -même supposée- elle répondit dans un souffle :
"Noah Ravenhood, membres des corb-...
- Oh, Noah Ravenhood ! C'est donc vous quel plaisir !
- Je vois que vous me connaissez, en revanche je n'ai pas encore eu ce plaisir.
- De nom, de nom seulement. Mais je connais très bien votre père nous nous sommes rencontrés dans sa jeunesse."

La mention de lord Kandras ne fit que la tendre un peu plus au vu de la situation. Mais elle se contenait toujours.
"Je vois, mais je ne connais toujours pas votre nom.
- Sans importance, sans importance. Oh, mais que vois-je ?"

Il lui saisit le poignet, prenant son pouls sans attendre d'autorisation.
"Mais vous êtes une procédée vous aussi !"
Aussitôt il se mit à l'examiner comme le ferait un médecin. Tout en l'auscultant il lui posa question sur question à propos de sa soumission au processus : les capacités qu'elle avait développé, le traitement de sa dépendance au sérum, si elle avait déjà eu des crises de démence ou tué quelqu'un sur un coup de folie -évidemment que non- puis des questions de plus en plus personnelles et intrusives.
"Et pourquoi avez-vous accepté de vous soumettre au processus dites-moi ?
- Parce que je suis loyale au prince Lucanor.
- Oh... oh oui ?"

Il se mit à la fixer de ses yeux perçant comme s'il pouvait lire à l'intérieur de son âme. Elle commença à se sentir mal et recula. Il avança, elle recula encore jusqu'à heurter la bibliothèque. Il continua d'avancer jusqu'à ce que son visage s'arrêter tout près du sien.
"Cela commence à devenir gênant." Admit-elle dans un sursaut de dignité.
"Et bien sur vos tendres sentiments n'ont joué aucun rôle dans votre décision" Poursuivit-il sans se soucier de sa remarquer. Noah blêmit.
"Je ne suis pas sure de comprendre ce dont vous parlez.
- Vraiment, vous ne voyez pas de qui je parle ? Un grand homme, austère, séduisant, accompagné d'une panthère noi-...
- C'est bon, j'ai compris. Est-ce vraiment le lieu et l'endroit pour aborder ce sujet ?
- Vous préfèreriez un lieu public sans doute ?"

Il se mit à sourire, presque sadique. Noah serra la mâchoire et les poings.
"Le lui avez-vous dit ?
- Et puis quoi encore...
- Vous devriez. Qu'est ce qui vous retient de changer les choses ?
- Ce qui me retient ...?"


Et là, ce fut l'explosion. Tout ce qu'elle avait contenu, ravalé, étouffé, explosa sur ce parfait inconnu avec toute le colère qu'il avait provoqué depuis leur première rencontre.
"Depuis huit mois tout s'éffrite. A commencer par cette équipe de cinglés pour qui je reconnais m'être pris d'affection, passe encore sur eux et ces fichus sentiments incontrôlables mais voilà que lord Kandras s'est subitement découvert une conscience paternelle quelque part entre son mariage et la fin du monde. Mais qu'importe, j'ai un rôle à tenir. Alors je fais ce qu'on me demande efficacement, je ne pose jamais la moindre question, je tiens mon rôle sans jamais faillir, j'ai même fait mine de croire ses justifications alors que je sais parfaitement ce que je suis. On m'aurait laissé croupir dans ce cloître pour moins que cela si le bénéfice n'avait pas été supérieur aux risques encourus. Et des risques il y en a de plus en plus chaque jour si l'on en croit le dernier rapport sur les 3 inquisiteurs chargés de me ramener. Et chaque jour depuis trois années je m'échine à incarner au MINIMUM la valeur de ce bénéfice. Ma mission et le prince sont le seul aspect de ma vie qui n'a pas encore complètement basculé alors si vous le permettez, j'ai du travail."
D'un mouvement brusque elle le repoussa pour se diriger vers la sortie. C'est alors qu'au détour du rayonnage, elle tomba nez à nez avec lui comme s'il s'était téléporté. Il sortait de nulle part et souriait encore plus largement.
"Intéressant... et n'avez-vous jamais songé que vos désirs secrets et votre devoir pourraient se rejoindre ? Mon petit Lucanor a toujours eu des problèmes avec les sentiments, il les exprime bien mal mais il n'en est pas exempt. Et puis un jour, il lui faudra un héritier..."
Elle sentit ses joues s'empourprer, et comment avait-il appelé le prince ?
"... Vous délirez.
- Enfin, vous êtes l'héritière de l'une des plus anciennes lignées du Lucrécio, vous êtes jeune, dévouée et ravissante. Oh, comme ce serait intéressant de voir cela. L'intelligence et les capacités de son altesse et votre sang soumis au processus..."

Ah, c'était donc cela. Elle fronça les sourcils plus fortement. Ces scientifiques n'ont décidément aucune mesure, celui-là pire que les autres.
"Voilà donc tout ce qui vous intéresse !"
Elle allait s'écarter de nouveau quand il renchérit.
"Voulez-vous de l'aide pour vous en donner le courage ?
- Le courage ? Vous pensez que je manque de courage ?!
- Laissez-moi deviner, vous allez me dire que votre place est dans son ombre et que vous préférez vous effacer pour qu'il réalise sa destinée sans avoir à se soucier de vous ?
- Sa majesté a autrement plus important à penser, surtout en ce moment, qu'à ce genre de choses vous ne croyez pas ?"

Il soupira.
"Bon aller. Faites-le quand même. Tenez, prenez cette potion de courage."
Et sans attendre il lui mit une petite fiole dans la main, contenant un liquide ambré, et sortit des archives son dossier sous le bras laissant Noah seule avec ses pensées au milieu des archives. Elle baissa les yeux sur la fiole, puis fit un pas prête à retourner à ses recherches quand elle réalisa soudain : il avait quitté les archives avec un dossier. C'est interdit. Elle tourna les talons en quatrième vitesse et sortit des archives en courant. De l'autre côté de la porte elle croisa le réceptionniste.
"Mademoiselle Ravenhood ? Vous êtes bien pressée.
- Un homme vient de sortir des archives avec un dossier sur les analyses de sang du Processus.
- Hm ? Vous devez faire erreur je n'ai vu personne. Regardez, vous êtes la seule à avoir signé le registre d'entrée."

Réalisant alors qu'elle n'avait toujours pas son nom, Noah tenta de faire la description de l'homme qu'elle avait vu. Le réceptionniste devint alors blanc comme un linge.
"Lui... c'est lui vous êtes sure ? Allez vite prévenir Enstein, immédiatement !"
Et il se précipita à l'intérieur des archives tout verrouiller. Pas le temps de poser des questions elle voyait clairement qu'il y avait urgence. Elle quitta l'aile des corbeaux pour descendre les escaliers à toute vitesse jusqu'au laboratoire d'Enstein qui buvait paisiblement son café. Lui aussi en entendant l'histoire devint blanc, puis il fixa Noah avec un mélange de frustration et d'inquiétude, il la fusillait du regard : "Vous allez tout de suite en informer le prince.
- Mais bon sang qui est cet homme ?
- Loctus Khan Schwartzwald, l'ancien mentor de sa majesté. Rien de moi que l'homme avec qui il a pensé et conçu le processus. Cela fait des années qu'il a disparu, il est complètement fou à ce que je sais. Filez, allez ! ouste !"

Alors qu'elle repartait avec lui vers les escaliers, elle entendit le scientifique s'écrier dans son communicateur "ALERTE ROUGE !" juste derrière elle. En moins de temps qu'il n'en faut pour remonter dans le hall, tout le palais grouillait de gardes et de corbeaux fouillant chaque recoin. Quelques minutes plus tard le reste de l'équipe la rejoignit devant le bureau, eux aussi avaient fait choux blanc dans leurs recherches à la bibliothèque du sanctuaire mais ils avaient tout de même reçu une information sur le moyen de trouver un phénomène surnaturel unique : un vœu. Les vœux existent, mais sont particulièrement difficiles à trouver de par leur nature quasi-divine et impossible à reproduire. C'est un début de piste, mieux que rien. Elle leur raconta sa rencontre, et comprit qu'ils étaient revenus plus tôt parce qu'Ambrosia avait sentit son malaise, puis sa colère et enfin son angoisse grâce à leur lien empathique. Enstein lui confisqua la potion de courage pour l'analyser, il semblait presque lui en vouloir d'avoir croisé la route de Schwartzwald. Comme si elle y pouvait quelque chose.
"De toute façon s'il a pu entrer et sortir des archives sans être vu je doute sincèrement qu'on le retrouve en fouillant le palais" souffla t-elle en conclusion de ses explications au reste de l'équipe.
"Non, en effet." Déclara une voix dans son dos. Le Prince Lucanor, bien sur.
Cette fois elle ne pouvait pas se permettre de laisser filtrer la moindre émotion vu la gravité de la situation, elle activa la bague magique d'Ambrosia pour geler ses sentiments. Tout ce qui n'était pas devoir, loyauté et patriotisme fut évincé de ses pensées et de ses propos. Elle révélé dans un rapport concis l'ensemble de sa rencontre, évoquant la discussion et son incitation à lui faire exprimer ses sentiments sans préciser la nature de ces derniers. Elle évita aussi les propos familiers et les détails révélés sur le rapport du prince à ses propres sentiments, devant les autres cela ne se fait pas. Elle le lui dirait plus tard ou le mettrait dans un rapport personnel qu'il serait le seul à lire, un peu de respect. Et il ne se passa rien de plus, on leur demanda de ne pas se mêler plus avant de cette histoire ou de ce personnage. Ils retournèrent à leurs recherches, et Noah s'arrangea pour rester le plus tard possible aux archives, encore perturbée par cette rencontre, par cet échange, et par les pensées parasites que cet intrus avait fait germer dans son esprit. Devait-elle tout lui révéler, sachant qu'il le savait probablement déjà ?

Elle rentra tard cette nuit-là, esquivant le plus de monde possible. On l'avait informé que son père se trouvait au bord d'un étang à l'extérieur de la ville à observer le ciel. Elle le laisserait en paix malgré son ressentiment. Elle voulait juste que cette journée se termine et dormir. De retour au manoir Ravenhood elle s'écroula sur son lit et sombra dans un sommeil agité. 
Le lendemain matin alors qu'elle partait rejoindre les autres, son père n'était pas rentré de la nuit. Elle soupira, songeant pour une fois à sa pauvre belle-mère qui allait finir par s'inquiéter... mais elle n'allait certainement pas rester pour la rassurer, le travail avant tout. Troisième jour, troisième manche, dernier combat du tournois de l'Arbre de Feu. Ils allaient enfin connaître le nom de leur adversaire, celui que l'on disait encore invaincu.



"BLACKY ?!"
Elle resta immobile, le visage blasé devant l'apparition à l'autre bout de l'arène. Son chien, voilà donc leur adversaire, son chien. Certes, Blacky n'est pas un chien ordinaire, c'est un obscurias. Et Pas n'importe quel obscurias, l'obscurias primordial. Qu'à cela ne tienne, elle n'était plus à cela près. Pourtant cela ajoutait à son humeur persistante depuis la veille qui aurait pu se résumer à quelque chose du genre : "J'en ai marre, mais j'en ai marre !"
Ce fut un combat éprouvant, très éprouvant. Toute leur réserve de ki à elle et Stephan y passa. Ambrosia dépensa les deux tiers de son zéon sans parler de sa force vitale pour renforcer leurs capacités. La plupart de leurs attaques ne passaient même pas son armure naturelle d'obscurité. Elezen cumulait en vain, et aucune de ses propres techniques de pyrokinésie ne perça ses défenses. Il se téléportait sans cesse, mettant à mal sa gestion des attaques à distance, il fallut un coup de poker magistral de la magicienne pour venir à bout de leur adversaire et enfin, enfin remporter l'ultime victoire de ce tournois, et sa récompense.
Ils eurent le choix entre trois objets : un artefact de l'Ordre de Magus que portent les plus grands archimages, une somme colossale de pièces d'or -le triple de leur mise d'inscription- ou... un vœu. Forcément, la question ne se posait pas même si Noah promit à Ambrosia que tôt ou tard ils lui trouveraient un artefact bien à elle pour son rang d'archimage.

Ils rentrèrent faire leur rapport et annoncer la bonne nouvelle, au moins une dans ces 48h de folie. Sur la route ils retrouvèrent Blacky, le vrai cette fois, celui de l'arène s'étant avéré n'être d'une copie magiquement générée par le sanctuaire. Son caniche des ténèbres dans les bras, Noah retrouva un semblant de sourire. Mais en entrant dans le bureau de prince, quelle ne fut pas la surprise de Noah de voir ce dernier assis dans un fauteuil, lord Kandras assis dans le fauteuil d'en face. De quoi parlaient-ils ? Elle n'en savait rien et s'en moquait. Sa contrariété remonta d'un coup.
D'abord, le travail.
Le vœu en main, ils descendirent dans les sous-sols afin de l'utiliser sous surveillance en salle d'observation. Après avoir brisé la sphère, l'oracle apparut et Stephan prononça la question : "Où devra se tenir le rituel permettant d'accéder à la machine de Rah ?". L'oracle répondit, une réponse qui ne se trouvait dans aucun rapport ou en tout cas pas sous la forme attendue : Landhoff, au Goldar, un village peuplé uniquement de nephilim. Ils y étaient déjà passé, ils le connaissaient, mais ils ignoraient que se trouvait près de ce village une installation ancienne qui causait ce phénomène, un phénomène visiblement unique au monde et directement lié à la machine de Rah.
"Quoi qu'il se passe là-bas, le rituel va déclencher quelque chose d'irréversible.
- Partons du principe que tout va s'enchaîner à partir de là, sans possibilité de nous arrêter alors équipons-nous en conséquence. On laisse passer le nouvel an, et on part le premier ou le 2 Janvier."


Une fois de plus, Noah quitta ses trois équipiers sur un simple signe de main et remonta dans le long et froid couloir du premier étage devant l'antichambre du bureau de sa majesté pour attendre son père. Trois jours, c'est peu et long à la fois. Les mots de Schwartzwald ne quittaient pas son esprit, et il ne lui restait que trois jours pour prendre une décision.
La porte s'ouvrit et Lord Kandras sortit en refermant la porte derrière lui. Il s'avança vers elle, elle leva les yeux en silence.
"Ma fille, marchons.
- Oui père."

Côte à côte ils descendirent les marches et traversèrent le grand hall du palais vers la sortie. Il n'était pas loin de midi mais en cette saison le froid et les lourds nuages assombrissaient le ciel du Lucrécio.
"Il faut que tu comprenne que ma démission une décision réfléchie. Je suis vieux, fatigué, j'ai donné ma vie au Lucrécio toutes ces années et je ne compte pas pour autant mettre un terme à mes engagements auprès de sa majest-...
- Je sais, père, je sais... lord Bergvist m'a aimablement fait la liste de tout ce qui a motivé votre décision. Mais vous auriez pu au moins m'en parler.
- Je ne voulais pas ajouter cela à tes nombreuses préoccupations, ta mission avant tout.
- Bien sur oui, la mission."
conclut-elle dans un rictus amer.
Il ne comprenait pas, inutile de discuter. Il n'avait rien dit pour ne pas interférer dans son travail mais il démissionnait à trois jours d'une mission cruciale. Que croyait-il, qu'elle ne s'en apercevrait pas ? Qu'elle y serait indifférente ? Que cela ne changerait rien ? C'était sans doute le pire moment pour se retirer, le pire.
"J'imagine qu'on vous a informé pour ce qui s'est passé hier soir.
- Non, justement. J'ai demandé au prince de ne rien me révéler."

Elle serra les poings. Oui, vraiment le pire moment. Elle ne pouvait même plus compter sur lui, sur ses conseils avisés, son expérience. Elle se fichait bien d'avoir des équipiers et des supérieurs compétents, lui avait toujours été là, c'est lui qui l'a formée, qui lui a tout appris. Comment réussir sans lui, à quelques pas seulement de son ultime bataille pour la survie du monde ?
"Je vais partir quelques temps avec ta mère, nous avons prévu de visiter Archange."
Voilà autre chose, il quittait carrément la ville maintenant. Elle s'arrêta en bas des marches du palais, les yeux clos.
"Bien père. Avez-vous des obligations dont je devrais m'acquitter en votre absence ?
- Ton frère s'en chargera, occupe-toi de ta carrière."

Elle tiqua, mais il renchérit :
"Tu es ma fille et ma seule héritière, ne t'inquiète pas.
- ... Là n'est pas la question."

Il ne voulait décidément pas comprendre, elle secoua la tête.
"Mère vous attend depuis hier soir, rentrez vite. J'ai encore du travail."
Elle tourna les talons, mais il ajouta :
"Je t'aime ma fille, vraiment.
- Moi aussi, père."

Même si elle lui en voulait, c'était vrai. Même s'il lui avait menti, et même si elle avait parfaitement conscience que ce n'était pas le cas au début, il s'était attaché à elle et elle à lui. Elle n'avait qu'un seul père, et elle était sa fille, une vraie Ravenhood. Une fois en haut des marches elle jeta un œil par-dessus son épaule et le regarda s'éloigner. Elle aurait tant voulu lui dire, plus que jamais elle aurait eu besoin de lui... pourquoi fallait-il que ce soit maintenant ? Elle soupira de nouveau, inutile de s’apitoyer. De toute façon il ne voulait rien savoir, elle ne pourrait rien lui dire ni sur Schwartzwald ni sur ses sentiments ou ses pensées. Et inutile de compter sur Marek, au-delà de sa méconnaissance des enjeux elle ne se voyait clairement pas amener la conversation du genre "On a failli se marier, aujourd'hui nous sommes frère et sœur et bien que le malaise entre nous ne soit pas encore totalement dissipé j'aimerais aborder le sujet de ma vie sentimentale complexe avec notre propre souverain ? Ah et ne t'inquiète pas, j'ai appelé le médecin par avance pour la crise cardiaque que tu es en train d'avoir". Et elle n'allait certainement pas remettre le couvert avec Ambro sur le sujet "Lucanor" après en avoir discuté il n'y a pas deux jours, encore moins avec les deux autres qui seraient capable de la pousser jusqu'à son bureau et de tenir la porte jusqu'à ce qu'elle lui ai tout dit. Sur ce coup, elle était vraiment seule.
C'est alors que l'idée lui traversa l'esprit, au moment où elle franchit la porte du bureau des Corbeaux sans véritable but. Son regard se posa sur un calendrier accroché au mur : il ne reste que trois jours avant la nuit du nouvel an.
Le nouvel an...

... Allait-elle vraiment faire quelque chose d'aussi stupide et insensé ?

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