Anima Sola


La nuit était tombée depuis longtemps sur Garlemald, mais la chambre de Silius restait faiblement éclairée par une lanterne bleutée de céruléum. Le silence y était pesant ou seul l'horloge de la pièce donnait l'indication du temps qui passaient.
La porte s’ouvrit en silence et Silvia entra. Dans ses cheveux blond, la neige était encore fraiche.
Dans sa robe verte olive, elle portait un long manteau noir, encore couvert de neige fondue. Son regard s’arrêta un instant sur la silhouette amaigrie de l’homme qu’elle aimait. Puis elle s’avança. Lentement.
Silius la vit, et un léger sourire fendit son visage creusé par la maladie.
" Vous êtes là… Je craignais que nous ne vouliez pas me voir… comme ça. "
Silvia s’agenouilla à côté du lit. Elle lui prit la main pas celle du lémure, l’autre, maigre et tremblante, mais toujours humaine.
" Vous êtes un idiot… Comment aurais-je pu ne pas venir ? Vous êtes là. Vous restez vivant. "
Il baissa les yeux, incapable de la soutenir plus longtemps.
" Pas pour longtemps… Eliavres va me transférer. Ils vont me placer dans un corps artificiel… Je vais mourir, mais mon esprit continuera. Je l'espère. Ils l'espèrent. "
Un long silence tomba.
Silvia ferma les yeux, et une larme glissa sur sa mine blanche aux joues rougies par le froid.
" Est-ce que ce sera encore vous… après tout ceci ?"
"Je ne sais pas. Peut-être… Peut-être une version de moi. Ou peut-être juste autre chose..."
Il leva sa main gauche et la posa doucement contre la joue de Silvia. Après un léger recule, elle se força au contacte.
" Mais même si je perds tout, même si je deviens autre… ce que je ressens pour vous… je veux croire que ça, au moins, survivra. "
Silvia se pencha. Elle posa son front contre le sien.
" Alors prometez-moi. Si vous vous réveillez, dans ce nouveau corps… cherchez-moi. Même si vous ne vous rappellez plus mon nom. Même si tout est flou, trouvez-moi. Et regardez-moi comme vous me regardez maintenant."
Silius serra ses doigts autour des siens, aussi fort qu’il le pouvait.
" Je vous le jure. "
Puis elle l’embrassa. Longtemps. Tendrement. Comme pour imprimer son amour dans son esprit avant qu’il ne soit arraché de son corps.
Et dehors, la neige recommença à tomber sur la capitale.


Une lumière blanche.
Une vibration sourde résonnait dans son crâne sentant le moindre battement de coeur dans les tempes.
Puis, la sensation d’un souffle, sans chaleur. D’un mouvement, sans effort. Il ouvrit les yeux. Autour de lui, la chambre d’isolement éthérique d’Eliavres, froid, métallique, mais baigné d’une étrange lueur tamisée. Il se redressa.
Aucun poids.
Aucun souffle court.
Ses muscles répondaient immédiatement. Trop bien.
Il regarda ses mains.
Longues, fines. Peau sombre presque bleutée, lisse. Les doigts d’un elezen.
Une voix résonna dans la pièce.
" Silius. Tu es revenu à la conscience. "
Eliavres, depuis l’autre côté d'un mur de verre.
" Comment te sens-tu ? "
Il bougea, hocha lentement la tête.
" Différent. "
Sa voix était différente. Puis la porte s’ouvrit pour laisser passer Silvia dans une mine inquiète. Elle ne disait rien.
Ses yeux cherchaient quelque chose dans ce visage désormais étranger, mais elle semblait y reconnaitre son âme. Ou du moins, elle l'espérait encore.
" Silius… "
Il la fixa. Son regard était calme, presque neutre.
" Tu es… Silvia, c’est ça ? "
Un silence tomba comme une lame.
Elle sourit, faiblement, l’espoir se fissurant dans ses yeux.
" Oui. C’est moi. Vous vous souvenez de moi ? "
" Je me souviens de ton nom. Et de ton visage. Mais… rien d’autre. Je sais que tu es importante. Mais pas pourquoi. "
Elle s’approcha, lentement, les larmes menaçant de jaillir.
" Vous m'aimiez. "
Il détourna le regard.
" Je n’ai pas ce souvenir. Ni n'épprouve ce sentiment. Je suis… désolé. "
Elle s’arrêta. Pas un mot de plus. Juste le vide dans son regard.
Eliavres, dans l’ombre, nota calmement.
" Le transfert d’âme est rarement total, les souvenirs émotionnels sont les plus fragiles. "
Silius ferma les yeux un instant. Une pulsation lui traversa l’esprit. Comme un écho lointain. Un sourire. Une promesse.
" Peut-être… qu’une part de moi… essaie encore de se souvenir. "
Mais Silvia, elle, baissa les yeux.
" Ce n’est pas à moi de le forcer à revenir... "
Elle tourna les talons. Et sans un mot de plus, elle quitta la pièce, laissant Silius seul dans son nouveau corps.
Et le silence s’installa.


Les mois passèrent et avec eux, Silius se détacha de ce qu’il avait été.
Le laboratoire central de l’Institut de Recherche Magitek lui offrit un poste sans condition malgré son apparence. Son esprit, bien que transféré, surpassait la logique de ses homologues humains. Il résolvait des équations complexes, créait des armes magitek sans contrainte. Sa précision était chirurgicale, détaché, vide de sens.
Un nom effacé dans les registres officiels, désormais il était simplement Isaudorel Derinloire, une idendité confié par Eliavres pour l'aider à reprendre une identité sans être inquiété.
Il ne parlait que si cela était requis. Ne mangeait pas. Ne dormait pas.
Il travaillait encore et encore dans le silence des machines à réparer, au milieu des prototypes d’armes déstinée aux Légions.
Ses collègues ne l’aimaient pas. Ils le craignaient. Ils l'appelaient [Le Scientifique].
Mais lui, il s’en moquait. Ou plutôt, il ne ressentait rien.
Et pourtant… parfois… quelque chose.
Un parfum dans les couloirs, une chanson joué par un soldat de corvée. Une mèche de cheveux blonde entraperçue dans un reflet de verre. Quelque chose tremblait dans son esprit. Un souvenir impossible. Un nom.
Silvia.
Mais cela disparaissait aussitôt, comme un bug dans un programme bien écrit.
Un jour, l’un de ses supérieurs lui demanda :
" Dites-moi, Derinloire, quelle est votre motivation ? Pourquoi restez-vous dans ce laboratoire ? Vous pouvez faire plus et aller dans le secteur de la recherche. "
Il répondit sans ciller.
" Je suis utile ici. Et l’utilité est plus durable que la mémoire en ses lieux. "
Et pendant que Garlemald préparait une nouvelle guerre à grande échelle, Silius -ou ce qu’il en restait- poursuivait sa Tâche, détaché de tout.
A l’exception d’un battement, quelque part, dans les tréfonds de ce qui fut son âme d'autrefois.


Isaudorel observa les relevés tactiques holographiques projetés devant lui dans le transport blindé. À ses côtés, un commandant relisait les ordres pour les soldats entassés devant lui.
" L’opération est simple : on encercle, on étouffe, on neutralise. Pas de prisonniers. Ce sont des créatures instables, dangereux, encore capable de pacte. Le Conseil veut que ce “mal ancien” soit enfin éteint. "
Isaudorel acquiesça mécaniquement. [L'Immortel].
" Le plan est approuvé. Leurs signatures éthérées révèlent des traces de néant mais désorganisé. Ce sont des résidus et les marionettes ont été déjà neutralisées de l'intérieur par notre agent. "
Le convoi s’arrêta.
Des soldats en armures magitek fondirent dans les ouvertures de la grotte. Les Faucheurs, bien qu’affaiblis et vieillissants, combattaient avec une rage désespéré, protégeant leurs familles et enfants.
Du haut d’un rocher, Isaudorel observait derrière ses camarades de l'armée resté en arrière pour protéger les véhicules de transport. Il regardait un jeune Faucheur, blessé, tenant dans ses bras un vieil homme mourant.
La sensation lui brisa l’esprit un instant et recula d’un pas, pris d’un vertige inexplicable.
Mais les tirs continuaient, ses confrères avançaient sans faille et Isaudorel retrouva son calme. L’opération était un succès.
Aucun survivant.
Plus tard, de retour à son poste, il enregistra son rapport à l'abris dans sa chambre de repos.
" Les cibles ont été neutralisées avec efficacité. La présence des faucheurs en Ilsabard peut être considéré comme éliminée. Aucune anomalie à signaler. "
Il arrêta l’enregistrement. Mais sa main trembla, un nom lui tournait dans la tête, encore et encore, sans qu’il sache pourquoi.
“Caelius.”


[Plaine de Carteneau – An 1572 de la 6e ère astrale.]
Le ciel grondait. Les vents étaient chargés d’éther et de feu.
Du haut du vaisseau de guerre où il était, le Noxia XIII, [Le Contremaitre] observait la ligne de front à travers les interfaces holographiques. L'Alliance Eorzéene s'était retranché, mais ils tennaient encore malgré tout. Le bombardement orbital allait commencer, la lune rouge proche de la rupture.
" Prioriser les cibles de fortification. Séquence d’activation du canon principal dans vingt secondes. "
Tout se déroulait selon les protocoles. Jusqu’au moment où le ciel… se déchira.
Un rugissement primal fendit le ciel.
Un éclat de lumière rouge puis un feu ancestral jaillit depuis l’horizon. Les capteurs s’affolèrent en un instant.
[Source d’énergie inconnue… magnitude dépassant les seuils magitek… !]
Puis le nom fut murmuré dans la panique.

Bahamut.
Le dragon ancestral s’éleva, immense, déchaîné, couronné d’éther. Sa présence défiait toute logique.
" Retraite immédiate ! Que tous les vaisseaux montent en altitude maximale ! " cria un officier.
Trop tard.
Une vague d’énergie s’écrasa contre le flanc du Noxia XIII. Des explosions retentissait le long des conduit de céruleum du vaisseau.
Isaudorel fut projeté en arrière, heurtant un panneau de contrôle. Sa jambe se contracta violemment, coincé entre deux plaques déchirés par l'onde.
Un dernier choc traversa la coque qui, vraisemblablement, avait percuté le flan d'une montagne pour finir dans de l'eau.
Et le vaisseau sombra dans la mer devenue noire du Mor Dhona.


Tout n’était que bruit étouffé et lumière bleue clignotante.
Isaudorel ouvrit les yeux, sa vision déformée par les fuites d'eau et les reflets aquatiques qui dansaient autour de lui. Il était couché de côté, une poutre métallique enfoncée dans son flanc droit. Sa jambe était solidement coincée sous des plaques métalliques.
Il essaya de bouger et hurla une douleur indescriptible.
Un craquement. Une douleur sourde. Un filet de sang s’échappa de son flanc.
Il ne pouvait pas sortir.
L’eau montait lentement mais sûrement, engloutissant l’intérieur du vaisseau. Parfois il pouvait entendre ses camarades paniqué, d'autres hurlaient. Les murs se contractaient sous la pression.
Chaque souffle était plus difficile que le précédent, chaque mouvement plus lourd. Il était paniqué lui aussi, horrifié.
Son regard se porta vers une fissure dans la coque, la lumière de la surface était là, juste au-dessus. Il pensa à parler, à appeler à l’aide mais il savait.
Il n’y avait plus personne.
Il posa sa tête contre une plaque métallique ses yeux fixant le vide au-dessus. Des visages. Des voix. [L'Oublié].
“ Tu vois ce champ, Silius ? Un jour, il faudra le défendre. ”
“ Tiens-toi droit, même quand tu n’as plus de force. ”
“ Caelius... si je tombe, tu continueras, hein ? ”
" Je suis désolé tata, il est tombé de la falaise ! "
“ Silvia…”
Son poing se serra et son coeur fit un bond.
L’eau atteignit sa poitrine. Son souffle devenait court.
Il se noyait.
Mais au lieu de se laisser envahir par la panique, une sorte de paix étrange l’envahit soudainement, comme s'il avait attendu ce moment depuis longtemps. Comme ci, quelque part, cette noyade était déjà programmé.
Il ferma les yeux.
Puis tout devint un silence appaisant. Il était enfin délivré.



Un navire sharlayanais, le Lumen Astralis, naviguait dans les eaux agitées du Mor Dhona en silence. Il n’était pas équipé pour la guerre mais bien pour l’évacuation : réfugiés, chercheurs et quelques médecins s’y trouvaient, fuyant ainsi la désintégration du front de Carteneau et le chaos du Mor Dhona.
" Un signal de détresse, capitaine ! Sur la surface… c’est un vaisseau impérial ! "
Le capitaine hésita. Sauver des Garlemaldais ? C'était risqué. Mais laisser mourir ceux qui, même ennemis, n’étaient plus que des naufragés ? Ce n'était pas Sharlayanais.
" Préparez l’équipe de secours et utilisez le grappin. Je veux des survivants, morts ou vifs. "

Des lumières vertes, des murs blancs striés.
Isaudorel était allongé sur un lit relié à une poche. Sa peau, livide malgré la teinte bleutée, était parcourue de veines noires, une jambe bloquée.
Un médecin murmura dans cette grande salle où plusieurs lits médicaux étaient alignés.
" Je pense qu'il va s'en sortir. Vas chercher la troisième fiole pour stabiliser son éther. "
L'adolescent elezen crépusculaire habillé en tenue d'étudiant, s'exécuta avec un léger haussement du sourcil. Une fois proche du lit, ses yeux ambrés fixèrent Isaudorel comme s’il lisait en lui.
" Il ne vient pas seulement de la guerre. " dit-il d'un ton calme. " Il vient d’un autre temps, comme si je le connaissais depuis plus longtemps que cet instant. "
Le médecin roegadyn se redressait pour faire face au jeune étudiant.
" Ce n’est pas un sujet d’étude. C’est un être vivant. "
" Si vous le dites... "
L'elezen s'approcha d'Isaudorel.
" Quel est ton nom ? "
Isaudorel ouvrit ses lèvres pour répondre, mais ce ne fut pas immédiat. Après un long moment de réflexion, il murmura, certain de lui.
" Isaudorel Derinloire. Et toi ? "
Le jeune crépusculaire redressait, encore une fois, ses lunettes.
" Ivanhault Terrechant. Bienvenue à Sharlayan. "


Il y avait dans toute promotion un adolescent bizarre et reclus, celui qui écoutait religieusement en cours, le nez sur sa prise de notes, qui chassait des insectes pendant les repos et dont les poches pleines bruissaient du son des élytres quand il revenait dans l'amphithéâtre. Pour ne rien améliorer, celui-là venait de Sombrelinceul, accompagné par un cortège de légendes et de murmures. On disait que parfois restant seul avec lui, on pouvait distinguer dans son voisinage le bruit distinct d'un cheval trottant à la lisière de l'audition. Il était maigre, discret, il parlait en atténuant sa voix comme s'il craignait son écho et il passait, apparemment, beaucoup trop de temps dans la section morgue de l'aile médicale. Rien de surprenant donc, à ce qu'Ivanhault restât seul pour étudier au Noumène. Un jour pourtant, quelqu'un se laissa lourdement tomber sur le banc voisin et chuchota sur un ton de confidence :
"Hēo wæs wlitig, bremful swā sumorbeorgas; hīe gewecð þæs huntenes willan, ānhaga beforan his holhscēate, scēawende þā glōm."
D'un regard en biais, Ivanhault envisagea les appâts de la jeune femme dont on venait de vanter le charme avec tant de poésie. Ce fut bref, et sans doute entendre la langue parlée dans son clan l'avait-il désarçonné, mais il s'était repris quand il murmura : "Ne dévoie pas les mots de mon peuple de façon inappropriée.
- Ce doit être suffisamment approprié pour que tu m'aies compris. Comment est ma prononciation ?
- L'accent tonique est sur la première syllabe.
- Il paraît. C'est laid."
Dire qu'il devait les supporter dans son dortoir depuis la rentrée, lui et les encombrantes médailles militaires dont il se parait comme un oiseau de paradis.
Cet imbécile lui avait déplu dès les premières secondes où Ivanhault l'avait contemplé gisant sur l'un des lits de l'académie médicale. Et cet imbécile avait appris sa langue pour pouvoir l'insulter.
"Hēo wæs wlitig, bremful swā sumorbeorgas; hīe gewecð þæs huntenes willan, ānhaga beforan his holhscēate, scēawende þā glōm."
D'un regard en biais, Ivanhault envisagea les appâts de la jeune femme dont on venait de vanter le charme avec tant de poésie. Ce fut bref, et sans doute entendre la langue parlée dans son clan l'avait-il désarçonné, mais il s'était repris quand il murmura : "Ne dévoie pas les mots de mon peuple de façon inappropriée.
- Ce doit être suffisamment approprié pour que tu m'aies compris. Comment est ma prononciation ?
- L'accent tonique est sur la première syllabe.
- Il paraît. C'est laid."
Dire qu'il devait les supporter dans son dortoir depuis la rentrée, lui et les encombrantes médailles militaires dont il se parait comme un oiseau de paradis.
Cet imbécile lui avait déplu dès les premières secondes où Ivanhault l'avait contemplé gisant sur l'un des lits de l'académie médicale. Et cet imbécile avait appris sa langue pour pouvoir l'insulter.
Ils formaient avec Ulysse un trio de décalés. Non pas que le décalage fût rare, parmi les étudiants de Sharlayan. Ivanhault et Ulysse appartenaient à des familles suffisamment fortunées ou reconnues sur l'île, pour qu'on leur passât quelques excentricités, mais Silius, Silius était un trublion. Il séduisait professeures et étudiantes - parfois en binôme avec le viera - se bagarrait, infiltrait les secteurs interdits du Noumène, passait "un temps de réflexion pédagogique" dans la geôle de l'académie, puis recommençait dans un cycle éternel. C'était, au déplaisir d'Ivanhault, l'homme le plus chaotique qu'il eût jamais rencontré et il se serait passé de l'attention portée sur lui par un tel projecteur. Ce qui le sauvait, c'était son goût véritable pour le savoir et une intelligence rare, innée, qui avait tendance à fasciner.
Ivanhault fut surpris d'apprendre un jour que Silius ignorait qu'Hydaelyn fût ronde. L'information en effet, ne lui servait à rien, il s'était désintéressé des cours d'astromancie dès les premières secondes et les lames de tarot prêtées par l'académie lui servaient surtout à effectuer des prédictions idiotes largement inventées, quand il était contraint d'y toucher. Rien de surprenant à ce qu'un esprit aussi logique se portât de préférence vers la discipline des Sages, où un tracé arcanique répondait à des normes structurelles définies par les limites du réel. Mais d'un réel si vaste, que rien n'y semblait impossible.
Ivanhault fut surpris d'apprendre un jour que Silius ignorait qu'Hydaelyn fût ronde. L'information en effet, ne lui servait à rien, il s'était désintéressé des cours d'astromancie dès les premières secondes et les lames de tarot prêtées par l'académie lui servaient surtout à effectuer des prédictions idiotes largement inventées, quand il était contraint d'y toucher. Rien de surprenant à ce qu'un esprit aussi logique se portât de préférence vers la discipline des Sages, où un tracé arcanique répondait à des normes structurelles définies par les limites du réel. Mais d'un réel si vaste, que rien n'y semblait impossible.

- « Tu fais quoi par terre ? C’est sale. »
Les yeux et les mains pleins de sang et de larmes, le jeune viéra hoqueta, incapable pour l’heure de répondre à Isaudorel Derinloire.
- « Viens, suis moi. »
Pour Ulysse, ces mots deviendraient ceux d’un sauveur pour lequel il aurait une gratitude éternelle.
Depuis sa naissance, il n’avait connu que l’amour enveloppant et protecteur d’une mère incapable de le laisser s’éloigner du nid, et le regard strict et délavé d’un père qui avait sélectionné pour lui les meilleurs précepteurs et vérifiait en personne qu’il atteignît l’excellence dans tout ce qu’il entreprenait. Il avait très tôt appris ce qu’était l’intransigeance et « les sacrifices nécessaires à l’élévation » mais que ce fût lors qu’il avait une lame, un luth ou une plume à la main, chaque critique reçue était toujours juste et pesée.
En quittant la demeure familiale pour entrer à l’académie, il avait été projeté au milieu des autres et avait découvert du même coup la jalousie et la mesquinerie, tant de certains de ses condisciples que de professeurs. Ses prédispositions, notamment en mathématiques, et l’immaturité affective et sociale qu’il devait à son éducation faisaient de lui une cible de choix. Pis, il avait l’audace de se revendiquer à demi élézen et à demi viéra. De nombreuses railleries naquirent de cette hybridation que l’on jugeait impossible et nombreux étaient ceux considérant qu’il ne pouvait pas être du sang des Pastreviel. A leurs yeux, il était donc illégitime et ne méritait donc pas le respect inspiré depuis plus de mille ans par ce nom à Sharlayan. Rolanbaie sur le gâteau, les viéras étaient alors plutôt rares dans la cité du savoir, et leurs enfants plus encore. Que le sexe d’Ulysse se fixe durant sa première année ne facilita pas les choses.
« Hey ! Le bâtard ! »
« C’est la fifille de la folle aux pantins ! »
« Chouchou lapinouuuu »
Tous ses camarades ne participaient pas à ce harcèlement, bien sûr, mais ceux qui le faisaient ne lâchaient ne lui laissaient aucun répit et faisaient fuser les railleries comme autant de fléchettes empoisonnées. A chaque attaque, il répondait avec ses poings et finissaient au cachot sans jamais vouloir les dénoncer mais le venin se répandait toujours plus. Il finit par se haïr, celui qu’il était, ses oreilles.
Ce matin de novembre, il s’était isolé derrière le Noumène avec une paire de ciseaux avec la folle volonté de s’en défaire, de leur faire du mal, de se faire du mal. C’est là qu’Isaudorel l’avait trouvé, sa crinière blonde trempée de sang et une oreille en partie coupée à la base.
- « Ne …ne le dis à personne ! »
- « Hmmm…On va voir qui de Terrechant ou moi fait les plus jolis points, tiens. »
A la demande de Silius, le crépusculaire leur ouvrit une salle du département de médecine où il étudiait pour y raccommoder et nettoyer Ulysse.
- « Je vais chercher du fil de suture
- Résorbable ?
- Non, évidemment non. On va suturer de la peau.
- Hm, mais tressé alors.
- Pour supporter le poids des oreilles.
- Juste.
- Tu aimes les bonnets ? Ulysse, c’est ça ? »
C’est dans le secret de cette petite salle d’opération improvisée que leur amitié se noua. Il y eut de la douleur et des rires, des secrets et des confidences, la prudence des effarouchés et la confiance de celui qui se reconnaît enfin dans un autre.
Les yeux et les mains pleins de sang et de larmes, le jeune viéra hoqueta, incapable pour l’heure de répondre à Isaudorel Derinloire.
- « Viens, suis moi. »
Pour Ulysse, ces mots deviendraient ceux d’un sauveur pour lequel il aurait une gratitude éternelle.
Depuis sa naissance, il n’avait connu que l’amour enveloppant et protecteur d’une mère incapable de le laisser s’éloigner du nid, et le regard strict et délavé d’un père qui avait sélectionné pour lui les meilleurs précepteurs et vérifiait en personne qu’il atteignît l’excellence dans tout ce qu’il entreprenait. Il avait très tôt appris ce qu’était l’intransigeance et « les sacrifices nécessaires à l’élévation » mais que ce fût lors qu’il avait une lame, un luth ou une plume à la main, chaque critique reçue était toujours juste et pesée.
En quittant la demeure familiale pour entrer à l’académie, il avait été projeté au milieu des autres et avait découvert du même coup la jalousie et la mesquinerie, tant de certains de ses condisciples que de professeurs. Ses prédispositions, notamment en mathématiques, et l’immaturité affective et sociale qu’il devait à son éducation faisaient de lui une cible de choix. Pis, il avait l’audace de se revendiquer à demi élézen et à demi viéra. De nombreuses railleries naquirent de cette hybridation que l’on jugeait impossible et nombreux étaient ceux considérant qu’il ne pouvait pas être du sang des Pastreviel. A leurs yeux, il était donc illégitime et ne méritait donc pas le respect inspiré depuis plus de mille ans par ce nom à Sharlayan. Rolanbaie sur le gâteau, les viéras étaient alors plutôt rares dans la cité du savoir, et leurs enfants plus encore. Que le sexe d’Ulysse se fixe durant sa première année ne facilita pas les choses.
« Hey ! Le bâtard ! »
« C’est la fifille de la folle aux pantins ! »
« Chouchou lapinouuuu »
Tous ses camarades ne participaient pas à ce harcèlement, bien sûr, mais ceux qui le faisaient ne lâchaient ne lui laissaient aucun répit et faisaient fuser les railleries comme autant de fléchettes empoisonnées. A chaque attaque, il répondait avec ses poings et finissaient au cachot sans jamais vouloir les dénoncer mais le venin se répandait toujours plus. Il finit par se haïr, celui qu’il était, ses oreilles.
Ce matin de novembre, il s’était isolé derrière le Noumène avec une paire de ciseaux avec la folle volonté de s’en défaire, de leur faire du mal, de se faire du mal. C’est là qu’Isaudorel l’avait trouvé, sa crinière blonde trempée de sang et une oreille en partie coupée à la base.
- « Ne …ne le dis à personne ! »
- « Hmmm…On va voir qui de Terrechant ou moi fait les plus jolis points, tiens. »
A la demande de Silius, le crépusculaire leur ouvrit une salle du département de médecine où il étudiait pour y raccommoder et nettoyer Ulysse.
- « Je vais chercher du fil de suture
- Résorbable ?
- Non, évidemment non. On va suturer de la peau.
- Hm, mais tressé alors.
- Pour supporter le poids des oreilles.
- Juste.
- Tu aimes les bonnets ? Ulysse, c’est ça ? »
C’est dans le secret de cette petite salle d’opération improvisée que leur amitié se noua. Il y eut de la douleur et des rires, des secrets et des confidences, la prudence des effarouchés et la confiance de celui qui se reconnaît enfin dans un autre.