
À l’attention de Messire Invanhault et Silius Noctua
Messires,
Nous vous écrivons au nom du Couvent Saint-Faloix et en ma qualité de Mère supérieure, pour vous exprimer toute notre gratitude. Votre bienveillance à l’endroit de Théolin et votre proposition généreuse de l’accueillir à bord de votre machine volante témoignent d’un esprit que nous respectons.
Vous avez su éveiller chez lui l’attrait d’horizons qu’il contemple encore avec la ferveur de ceux qui n’ont pas appris à en mesurer la rigueur. Nous ne saurions blâmer cette inclination : il est naturel qu’un esprit généreux comme le sien se tourne vers ce qui paraît plus vaste que lui.
Il nous revient toutefois de rappeler qu’il est des fidélités que l’on ne quitte pas sans conséquence, même lorsque le cœur se persuade qu’il s’agit d’un simple détour. Théolin occupe auprès de ceux qui demeurent ici une place qui s’est imposée par le devoir et le poids de l’exemple qu’il incarne, et notre sanctuaire ne saurait se passer de cette lumière. Nous ne doutons pas que des hommes de votre expérience perçoivent la nature de ces liens, qui engagent davantage que l’enthousiasme d’un jeune idéaliste.
Nous vous serions donc gré de considérer, avec la sagesse qu’il m’a lui-même longuement vantée à votre sujet, l’opportunité de tempérer ces élans. Il nous semble qu’en cela, vous lui rendrez un service plus durable que celui de nourrir un désir qu’il ne pourra assouvir qu’au prix d’un renoncement dont il ne soupçonne pas encore la portée et de risques bien mal calculés.
Nous nous fions à votre discernement pour juger de la manière dont il convient de le lui faire comprendre. Peut-être n’avez-vous pas encore découvert sa ténacité ; mais il nous a semblé, en la matière, que vous seriez mieux armés que nous pour lui faire entendre raison.
Nous sommes certaines que cette requête trouvera chez vous un écho attentif : il serait détestable que notre première rencontre ait lieu dans les larmes de sa disparition, s’il venait de nouveau à prendre part à de périlleux voyages loin de son foyer.
Puisse Azeyma éclairer votre jugement.
Mère Berthildam
Couvent de Saint-Faloix d'Ishgard

La très sans-gêne Mahruvvet s’était approprié les lettres destinées à Ivanhault. Pour les ignorants, c’était pour assurer l’intendance en l’absence de ses collègues, un rôle d’officier consciencieuse, diront les naïfs. Mais ceux qui connaissent la hannoise ne s’y tromperont pas : c’est avant tout sa curiosité qui l’a poussée à fouiller. Quoiqu'il en soit, la religieuse recevra une réponse quelque peu… imprévue.
Mère Berthildam,
Dois-je vous appeler « maman » ? Oh ! Pardonnez la question ! Excusez l’outrecuidance ! Je ne suis, hélas, guère plus qu’une pauvre hannoise n’ayant jamais tout à fait rencontré les raffinements de la culture ishgardaise. La plupart du temps, je me contente de danser nue au bord des lacs, ce que nous faisons toutes et tous. Un bien joli spectacle, ma foi.
Comment ? Deux hommes, réputés pour leur sagesse, se permettent une telle familiarité ? N’ayez crainte, jolie dame. N’ayez peur ! Je ne suis qu’une sotte ayant trouvé votre lettre. Une secrétaire ! Moins encore : une simple préposée au courrier des officiers.
L’Astral Ivanhault et l’Érudit Silius ne sont point des nôtres au moment où j’écris ces lignes.
Où sont-ils, Mère Berthildam ?
Que font-ils, Mère Berthildam ?
Qu’en sais-je ? Bien qu’hommes tout à fait virils, mes deux amis sont aussi de redoutables filles de l’air, qui vont et viennent selon les caprices de leur cœur. Aux dernières nouvelles, ils s’étaient envolés pour quelque expédition.
Loin de moi.
Loin de vous.
Et voici que la solitude emprisonne nos esprits unis, et nous enferme dans ce face-à-face épistolaire. Un duel sur vélin en quelque sorte.
Mettons fin à ce combat : il n’en sortirait rien de bon. Laissez-moi plutôt vous offrir un peu de baume pour l’âme. Silius, Ivanhault… ils reviendront. Probablement très bientôt. Ils surgiront, bras ouverts, dans une icône presque mystique, nimbés d’une lumière éclatante. Je leur remettrai votre jolie note en main propre, et les mains propres.
Mais afin que vous ne restiez ni les menottes vides ni l’âme grise, permettez moi de vous proposer la relecture d’un petit poème de ma composition. Je devine en votre verve littéraire celle d’une femme de lettres, j’ose espérer un retour, un peu d’aide, peut-être.
Feuille tremble au bord du bois.
Le vent l'appelle, il fait sa loi.
La branche craque, retient en vain.
La brise, toujours plus vive que le destin.
L'immobile use, le vert se fane.
À trop rester, la vie se fige et se damne.
Petite feuille, sans but, sans lieu.
Danse au souffle, affronte les cieux.
Mieux vaut chuter que moisir droit.
Le vent emporte ce qu'on croit.
Vous a-t-il plu ? Fait-il danser votre cœur, dame mère ? Ayez à cœur d’apporter le salut d’une joyeuse barde à Théolin, car toujours, sa présence me fut des plus douces.