L'apprentie des steppes

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Liann Il y a 3 semaines et 22 heures

Le premier pas




Les deux silhouettes immobiles se dressaient au bord de la falaise escarpée, leurs formes se détachant sur l'horizon pâle tandis qu'elles contemplaient les vastes plaines enneigées qui s'étendaient à perte de vue en contrebas. Un silence pesant enveloppait le paysage désolé, où la vie semblait s'être figée dans la glace. Les oiseaux avaient depuis longtemps migré vers des cieux plus cléments, abandonnant leurs perchoirs habituels. Les rivières, autrefois tumultueuses, n'étaient plus que des rubans de glace immobiles serpentant à travers la vallée. Les arbres, dépouillés de leurs feuilles et de leur écorce par le froid impitoyable, se dressaient tels des sentinelles pétrifiées dans ce tableau hivernal. Dans ce décor figé par l'hiver, seul demeurait le clan, ses membres s'affairant silencieusement aux derniers préparatifs de leur départ imminent.

« Demain est le grand jour », dit calmement le vieil homme avant de reprendre. « Es-tu prête ? » Son regard ne quitta pas l'horizon.
La plus petite silhouette frissonna alors, remontant ses bras contre elle, se frottant pour se réchauffer. Reniflante, elle souffla un petit oui.
« Le clan part dans une heure. Je t'ai laissé de quoi passer la nuit, mais ensuite… »
« Je sais », le coupa-t-elle.

Jetant un dernier regard contemplatif vers le paysage depuis la falaise escarpée où se dressait habituellement leur village, elle resta immobile un moment, absorbée par ce silence glaçant qui régnait sur ces terres désertées. Dans cette atmosphère figée par le froid, où même le moindre souffle de vent semblait s'être tu, elle se préparait mentalement à entreprendre ce voyage solitaire, une tradition ancestrale particulièrement significative pour son peuple. C'était plus qu'un simple déplacement - c'était un voyage introspectif, une odyssée personnelle à travers ce climat impardonnable, un parcours initiatique qui servirait de témoignage à son apprentissage et à sa croissance. Ce périple représentait bien plus qu'une simple tradition - c'était une épreuve sacrée, un rituel de passage qui démontrerait sa légitimité en tant qu'habitante des steppes, non seulement aux yeux de ses pairs, mais aussi devant les divinités qui veillaient sur leur peuple depuis des générations.

L'heure s'écoula, chaque minute semblant plus longue que la précédente. Le camp, autrefois si vivant et animé, n'était plus qu'un espace désert où seul le silence régnait désormais. À l'horizon, elle distinguait encore la silhouette serpentine de la caravane qui s'éloignait progressivement, ses contours se fondant peu à peu dans la brume hivernale. Quant à elle, contrairement aux autres, elle resterait seule ici pour la nuit, première étape de son voyage initiatique. Et enfin, à son départ, son regard balaya une dernière fois les vestiges de leur campement temporaire. Les cercles de pierres qui délimitaient l'emplacement des tentes semblaient comme des cicatrices sur le sol gelé. Le foyer principal, dont les cendres refroidies disparaissaient progressivement sous un linceul de neige fraîche, témoignait encore de la chaleur et de la vie qui y régnaient un jour plus tôt. Les enclos des karakuls et des chevaux, leurs portes grandes ouvertes dans la précipitation du départ, se dressaient comme des squelettes solitaires dans le paysage hivernal. Elle savait que sa tribu n'avait pas encore parcouru une grande distance - à peine une journée de marche les séparait. Cependant, sa situation particulière lui offrait un avantage certain. Voyageant seule, sans le poids des chariots et des troupeaux, elle pouvait emprunter des chemins plus directs, des passages étroits inaccessibles aux grandes caravanes. Cette liberté de mouvement lui permettrait, si elle suivait l'exemple de ses prédécesseurs, de devancer significativement l'arrivée de son clan à destination.

Des heures de marche. Les canyons résonnaient de ses pas légers, accompagnés par la symphonie naturelle du craquement distordu des fissures dans la glace. Le vent s'immisçait avec insistance dans les moindres failles de la roche, créant une ambiance mystérieuse qui semblait guider la jeune femme vers sa destination. Les parois glacées reflétaient la lumière hivernale, créant des jeux d'ombres et de lumières sur son passage. En aval de la rivière gelée, le paysage s'étendait à perte de vue, promettant un long voyage à venir. Elle la suivrait donc, son seul repère dans cette immensité blanche, jusqu'à atteindre une vallée immaculée qui s'étendait au loin. Soudainement, comme pour marquer un tournant dans son périple, le vent se leva, transformant l'atmosphère en un blizzard oppressant. Ce climat hostile était l'environnement de prédilection de certaines créatures qui prospéraient dans les conditions les plus extrêmes. Elle rencontra de nombreux adversaires au fil de son périple. Des créatures redoutables, forgées par ce climat impitoyable qui ne laissait survivre que les plus résistants. Chaque rencontre représentait une nouvelle épreuve à laquelle la jeune Malaguld devait faire face, car sa survie en dépendait. Sa lame courbée dansait dans l'air glacé alors qu'elle affrontait ses adversaires l'un après l'autre, appliquant les techniques transmises par son maître lors de ses années d'entraînement. Elle s'était préparée pour ce moment.



Mais son voyage se poursuivait, rythmé par une alternance entre l'évitement des conflits et l'affrontement des menaces inévitables. Elle progressait contre les éléments déchaînés, le froid mordant et le vent glacial devenant ses compagnons de voyage. Sa survie dépendait de sa capacité à trouver et exploiter les maigres ressources disponibles : les racines profondément enfouies sous la neige, la chair durement gagnée de ses adversaires vaincus, et la glace fondue qui étanchait sa soif. Dans cette solitude absolue, sa propre voix devint son unique compagne. Elle se surprenait à tenir de longs monologues, alternant entre plaintes et débats imaginaires, fredonnant parfois des mélodies pour briser le silence oppressant. L'envie lui prenait même, par moments, de hurler à pleins poumons dans l'immensité blanche, savourant cette liberté totale d'expression que seule la solitude absolue pouvait offrir. Après tout, qui pourrait la juger dans ce désert de glace ? Après plusieurs jours d'une progression acharnée, elle atteignit enfin la chaîne montagneuse qui marquait la frontière naturelle entre les Steppes et les terres moins clémentes. 

C'est alors que la réalisation la frappa de plein fouet. Le changement était saisissant : l'air, bien que toujours frais, portait une douceur nouvelle, vivifiante. L'étendue qui s'ouvrait devant elle débordait de vie et de fertilité, contrastant violemment avec l'austérité des terres qu'elle venait de quitter. Elle comprit alors pourquoi cet endroit était devenu un carrefour incontournable pour presque toutes les tribus nomades. Dans ce moment de contemplation, une émotion l'envahit - un mélange de fierté pour son accomplissement et de nostalgie profonde pour son clan. Pour la première fois, elle saisissait pleinement la valeur inestimable de la communauté et de l'entraide. Ce voyage solitaire lui avait enseigné bien plus que la simple survie. Il lui avait révélé l'essence même de son appartenance à son peuple.

Liann Il y a 2 semaines et 1 jour

La Force de Bardam


Le Naadam est une bataille cérémonielle ancestrale qui détermine le contrôle de la Steppe d'Azim, se déroulant traditionnellement lors du dernier jour des célébrations du Tsagaan Sar. Cette compétition est ouverte à toute tribu Xaela qui souhaite y participer, à condition d'avoir démontré sa valeur en accomplissant les épreuves de la Force de Bardam. Pour avoir le privilège de participer à cette compétition sacrée, les guerriers doivent d'abord prouver leur bravoure en obtenant la respect d'un Yol : un grand oiseau majestueux qui deviendra leur fidèle monture pendant l'épreuve. Après quoi, les combattants devront faire preuve d'habileté et de force lors d'une course effrénée jusqu'au cœur même de la Steppe, en direction de l'Ovoo. Le premier guerrier qui parvient à s'emparer de cet emplacement remporte l'honneur du Naadam. Il est alors proclamé khagan et gouvernera la Steppe d'Azim jusqu'à ce que le prochain Tsagaan Sar annonce une nouvelle bataille pour le trône.

L'épreuve se situait au nord des steppes, dans les montagnes. L'accès n'y était pas bien difficile, du moins jusqu'à l'entrée, malgré les sentiers sinueux qui serpentaient le long des falaises. Un vaste plateau rocheux s'étendait devant eux, au milieu duquel serpentait le chemin vers le canyon, ses bords effilés traçant une ligne naturelle vers leur destination. 

Le groupe d'Altun avançait avec prudence, se préparant à affronter des épreuves réputées difficiles et destinées au futur chef de la steppe pour l'année à venir et plus encore. Le groupe était composé de Sarnai, un chaman aux cheveux grisonnants, de Chinue, un guerrier aux grandes ambitions dont la carrure imposante inspirait le respect, de Khulan, un archer aux yeux perçants, et de la jeune raenne Altun elle-même. Le reste du clan attendait leur retour au campement, se préparant aux combats à venir.

Au bout de quelques minutes de marche sur le plateau balayé par les vents, ils arrivèrent en amont de ce qu'était réellement l'épreuve de la Force de Bardam. Une première étape sans retour s'offrait à eux. Un saut de quelques mètres qui empêcherait tout retour en arrière, la seule sortie étant la promesse d'une chevauchée vers les cieux, validant ainsi leur participation et leur revendication du trône. 

Altun se tenait sur le rebord rocheux, le poing fermé sur son épée, ses cheveux noirs fouettés par le vent violent qui s'engouffrait dans le canyon.
Khulan arriva discrètement derrière elle et fit mine de la pousser. « Attention Altun ! » dit-il en riant, il était fier.
Elle se contenta de souffler du nez, le foudroyant du regard avant de porter son attention à Chinue. « On doit pouvoir sauter. Même Sarnai. » lui dit-elle. Le vieux chaman lui répondit par une grimace qui fit danser les rides au coin de ses yeux.
Khulan jaugea la hauteur, s'élança sans hésiter, son arc attaché dans son dos. Rapidement, le trio suivit, leurs bottes soulevant de petits nuages de poussière alors qu'ils touchaient le sol plus bas.



Le chemin s'étirait devant eux, inconnu. Le groupe progressait lentement dans les profondeurs du canyon, leurs pas résonnant faiblement sous le claquement incessant des draps multicolores qui ornaient les parois et les hauteurs. Ces bannières, agitées par le vent capricieux, créaient une atmosphère presque mystique, leurs couleurs vives contrastant avec la pierre grise et austère. Le bruissement des tissus dans le vent dominait l'écho de leurs pas prudents, alors qu'ils scrutaient chaque recoin, anticipant les pièges potentiels. Après ce qui sembla une éternité, le passage s'élargit soudainement, révélant un espace circulaire qui ne pouvait être qu'une arène à leurs yeux. L'appréhension était palpable dans l'air — tous savaient que c'était ici que l'épreuve véritable les attendait, même si sa nature exacte restait encore un mystère inquiétant.

Altun prit l'initiative de s'avancer en première. Sa main droite resta proche de la poignée de son arme, prête à dégainer au moindre signe de danger; elle indiquait à ses compagnons de garder leurs distances. Son regard fut attiré par une formation rocheuse particulière qui se détachait du paysage environnant. Cette masse minérale semblait étrangère au canyon, comme si elle avait été placée là. Plus elle l'observait, plus les détails s'imposaient à elle, jusqu'à ce que l'évidence la frappe : les contours d'un visage se dessinaient dans la pierre, et sous ses yeux ébahis, ces traits commencèrent à s'animer.

La roche elle-même sembla prendre vie, se métamorphosant en un colossal golem de pierre dont la stature imposante emplissait maintenant l'arène. Avec une fluidité qui défiait les lois de la nature, la créature déploya ses membres massifs, brandissant deux énormes marteaux de pierre. Face à cette manifestation terrifiante, Altun ne put réprimer un mouvement de recul, ses yeux écarquillés trahissant une peur viscérale. Dans un moment d'hésitation qui lui parut une éternité, elle céda sa position à son chef, se repliant instinctivement.

Le silence s'étira tandis que le golem demeurait immobile, figé dans une attente menaçante. Finalement, Chinue rompit ce moment de tension : « La voie est clairement barrée. Il nous faudra affronter et vaincre cette épreuve pour poursuivre notre route. » Un frisson collectif parcourut le groupe à la vue des marteaux titanesques qui semblaient capables de les réduire en poussière d'un seul coup. Surmontant sa peur initiale, la raenne retrouva sa détermination et fit un pas décisif vers l'avant.

Le combat s'engagea brutalement. Le golem de pierre, malgré sa taille imposante, se mouvait avec une rapidité déconcertante. Ses marteaux fendaient l'air dans un sifflement menaçant, obligeant le groupe à se disperser. La poussière tourbillonnait autour d'eux, créant un voile brumeux qui rendait la visibilité difficile. Les pas lourds du colosse faisaient trembler le sol sous leurs pieds, et chacun de ses mouvements provoquait une pluie de petits cailloux qui ricochaient contre les parois du canyon.

Chinue menait l'assaut frontal, son épée ricochant sur la pierre dans des gerbes d'étincelles, pendant qu'Altun cherchait une faille dans la défense du colosse. Elle se faufilait entre les bras massifs de la créature, esquivant avec agilité les fragments de roche qui se détachaient à chaque impact. Ses muscles brûlaient sous l'effort, mais elle ne relâchait pas sa concentration, sachant que la moindre erreur pourrait leur être fatale.

Sarnai, en retrait, maintenait ses sorts de protection sur le groupe, ses incantations résonnant contre les parois du canyon. Ses mains traçaient des motifs complexes dans l'air, créant des barrières qui absorbaient une partie des impacts. La sueur perlait sur son front ridé tandis qu'il puisait dans ses réserves d'énergie pour maintenir les enchantements qui protégeaient ses compagnons.

Khulan, perché en hauteur sur une corniche étroite, décochait flèche après flèche, visant les jointures de la créature. Chaque projectile trouvait sa cible avec une précision perçante, mais les flèches ne faisaient que ricocher sur la surface durcie du golem. Frustré, il chercha un meilleur angle d'attaque, s'aventurant toujours plus près du bord. Mais dans un mouvement aussi rapide qu'imprévisible, le golem pivota et projeta l'un de ses marteaux. L'impact fut si violent que la roche elle-même sembla hurler, se fissurant sous la force du coup. La roche s'effrita sous les pieds de l'archer qui, déséquilibré, bascula dans le vide avec un cri étouffé. Ses doigts tentèrent désespérément d'agripper la paroi, mais ne trouvèrent que du vide. Son arc glissa de son épaule et disparut dans l'obscurité béante du canyon avec lui.
« Khulan ! » hurla Altun, impuissante. Elle se précipita vers le bord, mais Chinue la retint fermement, sachant qu'ils ne pouvaient rien faire. Le corps de l'archer s'enfonçait dans les profondeurs du canyon, laissant le groupe amputé d'un de ses membres. Un silence pesant s'abattit sur l'arène, uniquement troublé par le grondement sourd du golem.

La rage et le chagrin décuplèrent leurs forces. Les yeux d'Altun brillaient d'une fureur nouvelle, tandis que Chinue redoublait la puissance de ses assauts. Même Sarnai, malgré son épuisement, puisa dans ses dernières réserves pour intensifier ses sorts. Leur coordination devint parfaite, comme si la perte de leur compagnon avait forgé entre eux un lien plus fort encore. Après un combat acharné qui sembla durer une éternité, ils parvinrent enfin à faire tomber le colosse. Le golem s'effondra dans un grondement assourdissant, ses fragments se dispersant sur le sol de l'arène comme les pièces d'un puzzle brisé. L'écho de sa chute résonna longtemps dans le canyon, témoin silencieux du prix qu'ils avaient dû payer pour leur victoire. Dans la poussière qui retombait lentement, les trois survivants restèrent immobiles, leurs respirations haletantes et leurs cœurs lourds du sacrifice de leur ami.



À peine eurent-ils le temps de reprendre leur souffle que le ciel s'assombrit soudainement. Un cri perçant déchira l'air, et dans les nuages apparut une forme majestueuse : un Yol, créature mythique des steppes, descendait vers eux. Ses ailes immenses, d'un noir profond strié de motifs blancs et violets. L'air vibrait sous la puissance de son vol, créant des tourbillons qui soulevaient la poussière en spirale. Cette créature planait au-dessus du groupe, ses plumes scintillant sous les rayons du soleil comme des joyaux de jais. Il se rapprocha davantage, et son regard croisa celui des guerriers, pénétrant, sondant les profondeurs de leur âme, jugeant non seulement leur force physique, mais aussi leur courage, leur honneur et leurs intentions. Chacun des survivants sentit le poids de ce jugement céleste, comme si la bête pouvait lire en eux l'histoire de leur combat et le sacrifice de leur compagnon tombé.

Le temps semblait figé dans l'air des montagnes, jusqu'à ce qu'il ne déploie complètement ses ailes. L'envergure impressionnante de la créature projeta une ombre sur le groupe. Ses longues plumes ondulaient dans la brise. Ce geste scellait un pacte sacré entre la créature et les guerriers victorieux. Dans cet instant de connexion, les survivants ressentirent un lien sacré se former avec elle. La créature mythique les avait jugés dignes, non seulement de leur victoire, mais aussi de porter l'héritage de leur ami disparu. Elle serait désormais leur compagnon, leur guide à travers les vents de la steppe, prête à les porter vers leur destinée lors du Naadam à venir. 

Dans les yeux de Chinue brillait la promesse d'une gloire future.
Liann Il y a 1 semaine et 11 minutes

Naadam


Elle avait été brutalement séparée du groupe dans la confusion de la bataille. Dans le fracas assourdissant des affrontements, les participants du clan Malaguld, épuisés et démoralisés, furent contraints de rebrousser chemin précipitamment, abandonnant malgré eux leurs derniers espoirs de victoire. Les autres clans, enivrés par l'intensité du combat, poursuivaient leurs assauts avec un acharnement sans merci, ignorant totalement leur retrait désorganisé.

Perchée sur une imposante colonne de pierre grise surplombant un cours d'eau, Altun se retrouva soudainement encerclée par deux xaelas. Son cœur se serra en réalisant que contrairement à ses entraînements habituels, ces adversaires ne cherchaient pas simplement à la vaincre - ils voulaient sa mort. Un guerrier à la stature imposante qui témoignait de sa force brute, maniant un sabre courbe avec une dextérité impressionnante lui faisait face, tandis qu'une combattante particulièrement agile, son épée longue luisant dangereusement sous les rayons du soleil, la menaçait par derrière avec une détermination glaciale. Une peur viscérale lui noua l'estomac, mais elle la repoussa fermement, se concentrant sur sa survie, sur son apprentissage. Elle ferma les yeux.



Quelque part, dans le nord des Steppes.

La jeune Altun se tenait devant son tuteur, le regard déterminé fixé sur la silhouette imposante qui lui faisait face. Un Raen profondément marqué par les années et les épreuves du temps. Ses écailles avaient atteint leur pleine maturité, recouvrant presque entièrement son visage buriné et son corps endurci par les années. Ses petits yeux fatigués la fixaient tels des juges. Sa posture, droite comme une lame, mains croisées dans le dos et une assurance naturelle, dégageait une aura à la fois apaisée et dominante. Chaque parcelle de son être trahissait son expérience. Une vie entière consacrée à la discipline la plus rigoureuse, aux voyages les plus périlleux, aux batailles les plus acharnées. Il incarnait, dans sa présence même, l'essence pure de ce qu'elle imaginait d'un maître d'armes venu des terres d'Orient.

Udutai Gunji du clan Malaguld.

« Encore », ordonna-t-il sèchement, sa silhouette demeurant aussi immobile qu'une montagne, tandis que ses longs cheveux d'argent, lissés en arrière avec soin, ondulaient doucement dans la brise.


Altun haletait, un rictus d'irritation déformant ses traits. Elle resserra sa prise sur la garde de son arme, ses jointures blanchissant sous l'effort, et s'élança dans un cri martial qui déchira le silence. Elle frappa son maître avec toute la force de sa volonté, toute son ambition. Et tandis que sa lame fendait l'air en sifflant, se rapprochant inexorablement de sa cible comme dans un moment suspendu entre deux battements de cœur, dans l'espoir fugace d'une touche effective, celui-ci effectua, avec une grâce presque surnaturelle, un simple pas de côté. Il semblait porté par le courant d'air même qu'avait déplacé la jeune élève dans son assaut, aussi léger qu'une feuille. Elle poursuivit sa course plus loin, ses pieds raclant la terre durcie pour freiner son élan fougueux.


« Tu es prévisible, Altun », dit-il calmement, sa voix portant l’impact des âges.


Elle se redressa lentement, ses yeux sombres lançant un regard empli de frustration vers son maître avant de se ressaisir, domptant sa fierté blessée. Que pouvait-elle lui répondre de plus ? La vérité était là, implacable : bien sûr qu'elle était prévisible, elle devait attaquer sur son ordre, suivre le rythme qu'il imposait. Elle se contenta donc de l'écouter en silence, son arme fermement maintenue dans sa main moite, prête à recommencer l'exercice autant de fois qu'il le faudrait. Dans ce bref instant de répit, elle profitait discrètement de cette pause pour reprendre son souffle, sa poitrine se soulevant rapidement au rythme de sa respiration saccadée.


« Tu es une vraie guerrière, il est vrai », reprit-il d'une voix plus grave. « Je sais bien que tu veux prouver ta valeur auprès des tiens, des Xaelas de ton clan comme ceux des autres. Je vois cette flamme qui brûle dans tes yeux, cette détermination qui guide chacun de tes gestes. Tu ne manques pas un moment pour t'entraîner, je le vois bien. Mais tout cela, Altun, te rend terriblement prévisible. »

Dans le silence qui précéda, un aigle se fit entendre au loin dans le ciel bleu sur lequel donnait la falaise, son cri perçant résonnant comme un écho lointain. En contrebas s'étendaient les Steppes plates, parcourues de vagues vertes alors que le vent soufflait les hautes herbes souples, créant une danse hypnotique sous le soleil éclatant. On aurait dit la fourrure douce d'une bête gigantesque et paisible, respirant au rythme des bourrasques qui balayaient la plaine. Le temps était suspendu, comme un souvenir cristallisé.


Altun se fit la remarque alors qu'elle l'observait attentivement, scrutant chaque détail de sa posture, comme cherchant désespérément une ouverture, un coup d'œil pensif, la moindre trace de distraction de son maître. Il n'avait pas bougé d'un centimètre, aussi immuable qu'une statue de pierre. Elle se demandait toujours comment on pouvait être aussi impassible et stoïque à cet âge, alors que les années avaient dû peser si lourdement sur ses épaules. Plus elle le côtoyait et plus elle le trouvait fascinant, comme une énigme vivante qu'elle ne parvenait pas à résoudre.


« Des élèves comme toi, j'en ai eu d'autres, des dizaines et des dizaines au fil des années. Vous êtes toutes et tous les mêmes, portés par cette même fougue, cette même soif de reconnaissance. »


Elle grimaça profondément, ses traits fins se plissant sous l'effet du mécontentement. Elle n'aimait pas être comparée aux autres, être réduite à n'être qu'une élève parmi tant d'autres. Mais il était son maître, celui qui détenait la sagesse qu'elle convoitait tant, elle n'allait pas le remettre en question. Avec le temps, elle avait appris qu'il y avait toujours un mais, une leçon cachée derrière chacune de ses paroles.


« J'ai moi-même été à ta place, Altun. À ton âge, je devais aussi faire mes preuves, porter le poids des attentes de mon clan sur mes épaules. » Il marqua un temps, ses yeux semblant se perdre dans des souvenirs lointains. « Mais se surpasser, ce n'est pas surpasser les autres. C'est une erreur que font tous les jeunes guerriers. Tout le monde se surpasse, jeune fille, chacun à sa manière, chacun sur son propre chemin. Tu n'as rien de spécial. »


Elle regarda un instant ailleurs, pensive, laissant ces paroles s'imprégner dans son esprit, et releva ses yeux sombres pour confronter ceux de son maître, cherchant dans son regard la vérité derrière ces mots durs. Sa garde se baissa progressivement à mesure que la parole s'ouvrait, que la compréhension commençait à poindre dans son esprit.


« Dans ce cas, où est-ce que j'ai échoué, Maître ? » souffla-t-elle avec une voix tremblante de frustration, les yeux rivés vers le sol comme pour y chercher une réponse. « Je veux comprendre. J'ai surpassé tous les autres dans notre clan, j'ai vaincu chaque adversaire qui s'est présenté à moi. Pourquoi je n'arrive pas à vous surpasser, vous ? Pas même d'un cheveu... »

Il lui répondit d'un sourire sincère, ses yeux plissés par une sagesse bienveillante.


« Tu n'as pas échoué, jeune fille. » Il marqua un temps, comme pour laisser l'aigle au loin parler alors que son cri résonnait dans la plaine immense, se répercutant contre les falaises. « L'expérience, Altun », ajouta-t-il ensuite. « Je ne serai plus de ce monde que tu n'auras même pas approché le niveau d'un maître d'armes. Ce n'est pas une critique, mais une simple vérité. » Elle grimaça à nouveau, touchée dans son ego, cette fois-ci, ses doigts se crispant inconsciemment sur la garde de son arme. « Aucun d'entre vous, d'ailleurs. L'expérience ne s'apprend pas, elle se gagne jour après jour, combat après combat, échec après échec. » À nouveau, le maître d'armes marqua un temps, son regard se perdant dans l'horizon comme s'il y voyait défiler ses souvenirs. « J'ai été le maître de nombreux élèves, certains plus doués que d'autres, certains plus déterminés que toi-même. J'ai été la lame fidèle de nombreux seigneurs, servant leurs ambitions à travers les terres. J'ai vu le monde tel qu'il est, d'est en ouest et inversement, j'ai traversé des déserts brûlants et des montagnes glacées, j'ai connu la victoire comme la défaite. »


Il tourna la tête vers l'horizon sur lequel donnait la falaise de leur village, un fin sourire aux lèvres qui trahissait une certaine nostalgie. Il observa le ciel avec une attention particulière, son regard se posa aussitôt sur le volatile qui planait majestueusement au-dessus des steppes. Altun n'aurait pas su le voir, trop occupée à observer son maître avec une fascination grandissante. Elle eut une pointe à l'œil ; elle releva surtout le moment où elle aurait dû frapper, profitant de cette apparente distraction, mais il était bien trop évident que c'était un piège, et elle était trop passionnée par la sagesse de son mentor pour gâcher cet instant. Elle se contenta de le fixer en silence, buvant chacune de ses paroles.


« C'est cette expérience que tu dois acquérir, mon amie », finit-il par dire d'une voix douce mais ferme, avant de se tourner à nouveau vers elle, le regard sérieux et perçant, immobile tel un chêne centenaire qui a traversé les âges.


« Encore », ordonna-t-il.



Elle ouvrit les yeux. Les muscles tendus à l'extrême, la respiration maîtrisée malgré la panique qui menaçait de la submerger, Altun puisa profondément dans ses années d'entraînement rigoureux. Jamais auparavant elle n'avait ressenti une telle urgence - chaque mouvement, chaque décision pourrait être sa dernière. D'un geste aussi fluide que l'air, elle pivota gracieusement sur elle-même, décocha un coup de pied parfaitement calibré et précis dans le flanc exposé de la femme xaela, priant pour que la force de l'impact soit suffisante pour la neutraliser. Utilisant habilement l'élan généré par cette frappe, elle se propulsa vers le guerrier massif, sa lame acérée traçant un arc mortel dans l'air.

Le combat s'intensifia rapidement. Les lames s'entrechoquaient violemment dans une danse mortelle et impitoyable, les pas rapides et calculés sur la surface de la pierre humide et glissante. Leurs souffles courts et laborieux et le tintement cristallin de l'acier résonnaient dans l'air, jusqu'à ce qu'un enchaînement violent et imprévisible ne les envoie tous deux basculer inexorablement dans les eaux glacées de la rivière, leurs cris de frustration et de rage se mêlant au grondement assourdissant du courant, alors qu’elle continuait sa course, le cœur battant.

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